
a qui furent faits à plufieurs fiècles de dîftance
& que plus certainement encore ils foient dus à un
grand nombre de mains différentes, l ’oeil le plus
exejcé n’y découvre toutefois auGune variété de
goût, aucuns progrès d’imitation, aucune nuance
de ftyle. Les feules différences font dans le plus
ou le moins de fini ou de poli qu’a reçu la matière.
On découvre dans la fculpture égyptienne quelques
indications affez fidèles des dimenfions du corps
de l’homme. On n’y trouve nulle trace de proportions.
Ceque nous lifons dansDiodore de Sicile delà
divifion qu’ils failoient de la figure en vingt & une
parties , ne prouve nullement une fcience raifonnée
du corps humain, dans fon rapport du tout aux
parties & des parties au tout. Cela n’indique qu’une
opération mécanique, une méthode de convention
entre les fculpteurs , méthode qui avoit plus
rapport à une divifion géométrique dans le travail
de la marbrerie , qu’à une analyle des parties dont
fe' compofe la ftruâure humaine. Cela eft furabon-
damment prouvé par toutes leurs figures dans lef-
quelles on n’aperçoit aucune étude , aucune con-
noiffance anatomique, aucun fentiment des détails
& des formes du corps.
M. Denon, dans l’ouvrage qu’il fe propofe de
donner-au public, a recueilli une quantité confi-«
dérable d’hiéroglyphes. Plufieurs de ces deflins annoncent
des commencemens de compofitions & j
prefque des bas-reliefs, dans lefquelles quelques
figures ont l’air d’être en rapport entr’elles , & d’exprimer
une aélion commune. Enfin, on croit y voir
ce qu’on appelle des fujets. Cesefpèces de bas-reliefs
font tirés des plus beaux édifices de Thèbes : &
cependant, les figures n’en ont pas moins la roideur,
la, froideur, le manque de v ie , de mouvement, de
vérité d’imitation , qu’on remarque dans tous les
hiéroglyphes. Ceux de i ’obélilque de Campa-
Março à Rome, font très-remarquables pour le fini.
On y voit, fur-tout dans l’expreffion des figures
d’animaux, des contours affez fidèles, & dans leurs
parties des détails affez correéls. Mais tout cela n’eft
au fords qu’une ébauche de la fculpture; tout cela
n’eft que l’enfance de l’art; tout cela reffemble a
tous les effais qu’on retrouve chez les autres nations
avec cette d fférence, toutefois, qu’en Egypte la
longue habitude de ce ftyle primitif, & la perfé-
vérance de la fculpture dans ce caradère imitatif,
en eft venue à donner à toutes les figures une
manière d’être,achevée dans fon imperfedion, qui
femble terminée, parce qu’elle n’a point de terme
donné, & qui a fu allier le fini de la matière à
l ’ébauche de la forme.
La fculpture égyptienne l’emporte fous ce rapport
fur celle de l’Inde & de l’Afie. On doit dire au fia
qu’il y règne une certaine grandiofité due à Pab-
fence des détails, un certain caradère impofant &
énergique que n’ont pas les arts des autres peuples
pris à ce même âge & dans ce même état d’enfance.
Prefque toutes les figures des nations, qui n’avoient
pas encore connu ou ayoient ceffé de connoître la I
vérité de l’imitation, révoltent par leur ignorance'
C ’eft que cette ignorance eft ambitieufe ; c’eft ml
l’art ne s’avouoit pas fon impuiffance ; c’eft (L
l ’artifte prétendoit à l’imitation fans en connoître
les routes. Delà ces vices rebutans, ces manques
d’enfemble, ces difformités de détail qu’on rencontre
dans le gothique.
L’ignorance de l’Egypte, dans les arts, parole
être & fut vraiment d’un autre genre, d’après les
caufes qui influèrent ftir elle & fur fa durée. On ne
Peut fe défendre de l’idée qu’elle fut volontaire*
c’eft-à-dire, que Partifte ufant de formes confacrées
& n’ayant pas la liberté de les changer -, n’eut pas
uçn plus la volonté de les améliorer , n’en chercha
jamais les moyens, & n’eut pas l’ambition de fubf,
tituer fon goût particulier à celui qui étoit reçu dans
les infcriptions religieufés de fon pays.
L ’imitation de l’Egypte femble fe défendre d’être
imitation. On diroit qu’elle protefte contre elle*
meme & contre (on exifte'nce apparente, qu’elle
s’éloigne à deffein de l’objet naturel dont elle emprunte
l’ombre plutôt que la réalité, & la qualité
vifuelle plutôt que l’afpeél. Aufli admirable , fans
doute , pour la raifon dans fa philofophique néga^
non imitative, dans ce refus d’être ce qu’elle paroit,
c’eft-à-dire, objet matériel ou corporel, que peuvent
i’etre pour l’imagination ces brillantes copies de la
nature, dont la véritable imitation revêtit en Grèce
une multitude d’idées, au rifque de perdre le fens
des chofes dans l’illufion de leur repréfentation, &
la vérité morale du fond par la trop grande vérité
phyfique de la forme.
Ainfi dans la peinture , les Egyptiens avoient
pouffé très-loin tout ce qui tient à la partie chimique
de cet art. Ils avoient des fecrets pour appliquer!«
couleurs fur le marbre & les corps l i f f e s , par des.
mordans fi forts, qu’il s’eft confervé ju fq u ’à nos
jours un grand nombre de ces peintures. L e u r fraîc
h e u r eft telle, qu’il femble q ü ’ elle s viennent d’être
faites , & que félon la manière de parler- des habitans
du pays, ¥ o u v r ie r n a p a s encore la v é f e s mains étr
p u i s f o n t r a v a i l . Mais dans ces peintures, on n’y
voit que de l’éclat & aucune intention d ’harmonie.
On y voit de belles couleurs, mais point de lu
c o u l e u r , rien'enfin de ce qui peut tendre au charme
de la vérité imitative.
Ainfi, dans la fculpture, ils portèrent fort loin
tout ce qui tient à l’exploitation des matières même
les plus réfraélaires,au travail mécanique des pierres
& des marbres, au précieux & au poli qui a rap?
port avec l ’art de la marbrerie plus qu’avec la
ftatuaire. Ils furent aufli très-portés au genre colof*
fa l, & je crois qu’on pourroit expliquer ce goût par
les caufes feules qui dominèrent leurs arts.
Lorfque les arts d’imitation font privés de ces
facultés morales, de ces moyens intellectuels, par
lefquels feuls ils peuvent rendre les modifications
de la penfée & les propriétés de la nature, il faut
bien qu’ils emploient les moyens Amples, pofitifs &
matériels, qui parlent au fens extérieur au lieu &
' Jrefler à cette efpèce de fens moral qu’onappelle lt
’ * L’Envptien.pour repréfènter un grand homme,
R h faire un homme grand. Mais la grandeur & la
E S «Ju corps ont encore, fans fortir des d.menfions
ordinaires de la nature, des moyens aufli variés que
i .ombreux de fe produire à la vue. Ces moyens 1 art
; L trouve dans l’ étude du corps humain, dans le développement
de fes formes, dans la fcience des pro-
nortions. Mais, comme on l’a dit, l’art égyptien ne
ïonnut que les dimentions, & n’eut d’autre idée
de grandeur que de celle qu’on appelle grandeur
I linéaire. Ne pouvant donc exprimer la force , la
; grandeur, la puiffance par le moyen du deflin , il
fallut qu’il exprimât ces qualités par la pefanteur ,
| la hauteur, l’énormité. Delà , la néceflité de faire :
! des coloffes, c’eft-à-dire, des ftatues qui avoient ;
moins pour objet d’étonner l ’oeil par la hardieffe de
l’art ou l’exagération de fes reffources , que d’apprendre
au fp'e&ateur que telle figure étoit celle d’un
grand homme, & telle autre celle d’un Dieu.
S Quoique l’archite&ure femble, quant à l’art en
lui-même, plus indépendante, & des entraves reli-
| ligienfes & des chaînes de l’écriture fymbolique, il
n’eft perfonne qui ne voie combien l’analogie des
» autres arts agit puiffamment fur elle. C ’eft ce que le
I développement de cette analyfe fera voir. Pefanteur,
[ hauteur, énormité, furent toujours chez elle fyno-
nimes de force, de grandeur, de puiffance.
L’uniformité dans les plans caraéïérife fes inven-
| lions. Jamais elle ne fortit de la ligne droite & du
I quarré'. Les Egyptiens, dit M. de Caylus, ne nous
1 ont laijj'é aucun monument public dont l'élévation ait
I été circulaire. L’uniformité dans fes élévations eft
[ plus frappante encore. Nulle divifion dans les
L parties, nul contrafte , nul effet. Il eft probable que
| les idées, d’après lefquelles nous jugeons les ou-
I vrages des arts n’étoienf alors ni l’objet ni le point
I de vue des architectes. Faire plus haut, faire plus
I folide qu’un autre étoit ou devoit être le feul point
[ permis à l’émulation des artiftes. L ’uniformité dans
I la décoration fut un réfultat prefque néceffaire des
I inftitutions du pays. Les monumens n’étoient point
I abandonnés au caprice des décorateurs. Deftinés à
K recevoir des infcriptions eh caractèresfymboliques ,
B il faut les regarder comme des livres toujours ou-
I verts à l’inftruCtion publique. Ils ne pouvoient être
1 ri trop Amples, ni trop étendus, ni offrir trop de
K pages au développement de cette écriture par Agnes
I qui s’emparoit des moindres efpaces. Les monumens
I dévoient être des bibliothèques publiques, les orne-
I mens étoient des infcriptions. Et quand de tels
K mages donnent la loi à l’architefture, il faut bien
K « garder de croire que les architectes puiffent faire
I des édifices pour le plaifir de l’oeil ou l’ intérêt de leur
I .amour propre.
[ - , ,a nous ^P^que encore, pourquoi les édifices
I de l’Egypte furent doués de cette étonnante folidité,
j 9^ laie lire fur tous fes murs , comme l’a dit
I 1- Denon, poflèrité, éternité. Cette propriété qu’ils
f avoient d’être, à proprement parler, les annales
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publiques du peuple, cette qualité hiftorique que la
religion & le gouvernement leur imprimoient,raifoit
un devoir de rendre éternels des monumens qui
étoient, fans aucune métaphore , les dépofitaires
des exploits, des faits, des dogmes vde la morale,
: enfin de l’hiftoire philofophique ou politique de la
nation.
S E C O N D E P A R T I E .
A n a ly fe d e VArchitecture E g y p tien n e•
P r e m i e r b S e c t i o n .
De la Conflruftion des Edifices,
Si la folidité eft le premier mérite de l’art de
bâtir, fi elle eft à l’archite&ure ce que la fanté eft
au corps humain, c’eft-a-dire, un avantage qu’on
préfère même à la beauté , l’Architecture égyptienne
peut fe vanter de l’avoir portée dans fes édifices à
un degré qui ne permet prefqu’aucun parallèle avec
les autres architectures, & de les avoir ainfi fur-
paffées dans le point le plus utile & le plus important
de tous.
On fait, en effet, de combien l’Egypte devança
les autres nations célèbres dans les arts; on fait de.
combien de fiècles fes monumens précédèrent les
leurs , & cependant fes édifices fi antérieurs à ceux
des Grecs & des Romains nous offrent encore aujourd’hui,
&. bien plus de relies & de bien plus
folides, de bien plus intègres que tout ce que nous
ont ranfmis les autres peuples de L’antiquité. Malgré
les efforts continuels du temps, en dépit des ravages
paffés & futurs, on peut, 'fans hyperbole, conjecturer
hardiment que ces maffes, jufqu’à. préfent.
vitftorieufes des fiècles, verront encore s’anéantir
autour d’elles, & rentrer dans la pouflière, bien des
villes & bien des monumens auxquelles elles fur-,
vivront , & feroient dans la ruine totale de ce
globe, les dernières à avouer la foibleffe humaine.
Il eft vrai que l’Egypte, ainfi qu’on l ’a déjà dit ,
reçut de la nature, pour la conftruction de fes édi-.
fices, les moyens les plus propres à les rendre éternels
, & que fous le ciel le moins deftruCleur elle put
employer des matériaux prefque indeftruClibles.
Des Matériaux.
Comme l’architeClure dépend par-tout eflentiel-
lement des matériaux qu’elle trouve à mettre en
oeuvre, ce feroit rendre plus d’une raifon du genre
& du génie de cet art en. Egypte „ que de donner
l’hiftoire naturelle des pierres de ce pays. Jufqu’à ce
moment, les voyageurs ne nous ont rien produit de
fortfatisfaifant à cet égard. Peut-être les découvertes
nouvelles éclaireront-telles bien des points, & diflipe-
ront-elles beaucoup de préjugés fur les njoyens de
conftrùétion des Egyptiens. Je ne ferai ici que re-
I cueilli?: les connoiffances acquîtes jufqu’à ce moment,