
les ouvrages publics, dont les modèles feroient ^
préfeatés par les concurrens , ou de fimples prix
offerts au génie dans les combats généraux, qui
n’auroient que la gloire pour objet.
Mais le plus grand avantage de cette inftitution,
feroit de préferver les artiftes de rhumiliation que
leur fait éprouver l’orgueil ignorant des protecteurs,
& de faire échapper les ouvrages publiques à l’intrigue
des folliciteurs , ou à l’ignorance des hommes
en place ; ce feroit auffi une fource féconde d’encou-
ragemens.
Un des moyens les plus propres à fupléer par
les reffoits d’une heüreulê émulation , aux encoure
gemens fouvent trop précaires d’une inutile &
faihieuie protection, ieroit fans doute d’établir un
lyftêmé de difpenfation des ouvrages publics, ( & par
ce nom , j’entends ceux qui font payés des deniers
publics , ) t e l , que d’une part, le talent éminent fût
lùr de trouver fans faveur, le prix qui l’attend ro it ,
& que de l ’autre le peuple pût être moralement
affuré que les fonds confia çrés aux dépenfes des
arts et des monumens, en devenant l’encouragement
du mérite, augmenteroient encore la xichefie publique
, par le prix que la beauté d.e l’art ajoute aux travaux
de la néceuité. r
Cette idée eft du nombre de celles qui , par leur
fimplicité fe rencontrent dans tous les efprits , mais
aum comme toutes les idées de ce genre , elle
n’eft fimple ' que par fon principe , elle fe com-
pofe enfiuite. infiniment dans l’application de fes !
conféquences.
Elle eft fimple » parce qu’elle fe rapproche des
notions élémentaires de la juftice naturelle , &
qu’on n’y voit d’abord qu’un jugement à porter
entre des objets faciles à difeerner.
Elle eft complexe , parce qu’en premier lieu la
jurifprudence du goût à laquelle doivent reffortir de
femblables jugemens , n’ayant rien de pofitif, le
plus grand embarras naît de cela même qui femble
être inftitué pour éviter la difficulté, c’eft-à-dire
des règles à fuivre pour être jufte.. Enfuite vient
l’embarras de la compoiition d’un tribunal naturellement
exclufif de ce qui forme ailleurs l’eftence
des tribunaux, ou de la juftice ; c’eft-à-dire l’impartialité
des juges. Il faut encore, & ce n’eft pas
la moindre difficulté, difeerner quels font les objets
fc:fceptibles de devenir des fujets de concours, &
quels font ceux qui, n’étant par leurs rapports, que ,
des dépendances d’un ouvrage déjà adjugé au
concours, ne peuvent plus fe foumettre à d’autres 1
choix ou à d’autres jugemens que celui de l’artifte
chargé du tout , & refponfablé de l’enfémble. Enfin ,,
le concours eft une de ces inftirutions , qui pour être
bonne, doit fe confidérer plutôt pratiquement dans j
les effets , que théoriquement dans les principes, &-
qü’il importe de rapporter toujours à fon vrai
bût, qui eft le meilleur choix des meilleurs ouvrages,
plutôt qu’aux éiémens abûraits de moralité, d’égalité
©u de juftice diftributive , qui peuvent auffi en
confeiller l ’emploi , mais qui pourroient, comme
dans beaucoup d’autres inftitution s , ne pas fe
trouver bien étroitement d’accord avec les réiultats
de la pratique.
Je m’explique; fi les arts & les artiftes vivent
d’émulation , & d’ambition c’eft-à-dire de pallions,
l’mftiîudon dont il's’agit, a tout l’air de ne pouvoir
trouver de bafe bien parfaite dans la morale. Créée
elle-même pour diriger & pour accroître par un
utile direction les paffions qu’elle met en mouvement.,
elle doit bien fe garder de repouffer ce
qui doit en faire l ’ame et la vie , favoir le défir
de primer. Si donc il arrivoit que , loit par le hafard
des jugemens , foit par la vicieufe organifation du
mode même de concours , foit par le dilcrédit
qu’un choix mal-fait de concurrens , où l’admiffion
illimitée des rivaux, pourroit jetter fur l’inftitution ,
les hommes du talent le plus recommandable,
dédaignaffent d’y prendre part ; en vain réclame roit -
on la juftice des principes, fi l’on ne pouvoit
démontrer la jufteffe des conféquences.
Ce feroit d’abord une erreur produite par de
faux rapprochemens , qui perfuaderoit à quelques
hommes d’une vue courte, que leur inftitution ne
feroit refponfable que de la juftice des principes ,
& qui les rend roit indifférens aux-réfultats. Mais
il y a plus , c’eft que l’application même de leurs
principes de juftice feroit ici tout-à-fait erronee.
En effet, l ’égalité à laquelle on aurait voulu ramener
l ’inftitution en ouvrant indiftinélement dans
tous les concours, la carrière à tous ceux qui s’y
préfenteroient ; cette égalité., dis-je , n’y exifteroit
pas.
Tout concours eft- un combat de taîens , dans
lequel un fieul triomphe , & tous les rivaux font
eenfés vaincus par lui. Mais croit-on que tous les
athlètes, qui fe préfenteront à une femblable lice ,
né courrént qu’un rifque égal ? non fans doute .*
parce ,que- les mifes de réputation et d’honneur
n’étant point les mêmes , les pertes n e . peuvent
même par proportion , fe prefumer égales.
L ’homme inconnu , d’un talent jufqu’alors ignoré ,
ne rifque que de gagner ; s’il, l'emporte, fa-glaire
en eft plus grande , s’il fuccombe il n’a rien perdu £
car il n’avoit apporté aucune gloire à rifquer ; mais
l’homme précédé d’une réputation de primauté
fur laquelle fe fonde- fa fortune , ne met-il pas
au jeu pLus que l ’autre , & outre le rifque de
l’avenir, ne compromet-il pas toutes les acquifitions
du pafifé ?
Quelle apparence y a.---il donc , qu’il veuille
jouer à chances fi inégales, &. comment ne pas
voir , que ce qu’on avait cru po.fé fur un principe
d’égalité, n?a paru ,tel, qu’en dénuant l ’inftitution
de ï’acceffoire .des moralités , et que dans ce calcul y
comme dans beaucoup d’autres , on avoit oublié
ce qui donne aux nombres moraux des valeurs
si différentes , favoir les paffions et les intérêts $
C en «,ft affez pour faire fentir qu’ un concours
mal réglé, ou ce qui revient, au même , un concours
qui ue le feroit point du tout , en prétendant
faire jouir tous ceux qui le voudroient, de cette
faveur publique, fruftreroit précifément le public,
pour l’avantage duquel il fe fait auffi , de la faveur
d’ohtenir les meilleurs ouvrages. Le fecret de, cette
inftitution feroit précifément de forcer au concours
les plus habiles ; car s’il dévient l’appas ou la
proie des ignorans , on ne voit pas ce que les arts
y peuvent gagner , quand,même 'on ne voudroit
pas voir ce .qu’ils doivent y perdre.
Mais comment forcer les hommes habiles , &
déjà renommés dans leur art, à courir les chances
du concours ? C’eft ce que je me contenterai d’indiquer
par la fuite , en laiffant à d’autres le foin de
trouver une telle combinaifon des intérêts de
l’amour-propre & de l’ambition, que le vaincu
puiffe l’être , fans être humilié de fa défaite.-
Je tire donc de cette première confidération une
conféquence , c’eft que l ’admiffion libre & égale
de tous les artiftes , dans un concours, étant une
induélion erronnée des principes de Légalité , chaque
artifte y apportant une meiure infiniment inégale
des rifques. à courir , l’inftitution du- concours n’a
pas befoin , pour ■ être jufte , d’ouvrir tous les
jours;, & .dans tous les cas l’arène à tous les
combattons qui fe préfenteroient. On peut donc.fixer,
régler & modifier le- nombre & la qualité des
concurrens.
Si.l'es paffions des hommes, fur lesquelles l ’inftitution
doit fe régler , répugnentà i’admiffion illimitée
& indéfinie' dès concurrens , Lintérêr^çêrne , dans
plus d’une occafion, rendroit encore cette liberté
illufoire. En .effet, outre le rifque de compromettre
leur réputation que quelques-uns courroient dans
les hafards auxquels ils voudroient fe livrer , il
faudrdit encore mettre en ligne de compte, la
dép.enfe de ^emps, ;du temps dont ,1e facrifice eft
aux artiftes ce qu’eft aux entrepreneurs une avance
de fonds, fans oublier auffi les frais indilpenfables
aux modèles qui devront concourir. S’il entre dans,
les conditions du concours ces avances feront,
rembourlées , vous augmentez à un tel. degré la
dépenfe du monument ou de l’ouvrage à entreprendre
, que la Comme du concours pourroit abfor-
ber & au-delà celle de l’ouvrage qui doit en être
le produit. Ce renchériffement des ouvrages de
Part deviendroit bientôt funefte à Kant lui-même..
Si l ’on refufe d’acquitter les ava-nçés de,s ,m,o.-[
dèles fur lefquels doit s’affecirle jugement de,l’ouvrage
à adjuger, vous courrez rifque ou d’éloigner,
par cette parfimonie , le talent pauvre qui doit -à
fa fubfiftance , l ’emploi de tous fes morne ns , &
le” talent opulent.ou occupé., qui négligera de faire
une diverfion gratuite à fes travaux ordinaires.; vous
courrez rifque de ne voir arriver au concours que.
des efquiffes infufifamment travaillées, pour faire -
apprécier le mérite des ouvrages;, à peine pour- ,
rez-vous. en deviner les motifs : fouvent fous le
trompeur dehors d’ une penfée heureufe , mais négli
gemment rendue., l ’artifice lait cacher l’ignorance
des vraies reffourçes de l ’art et de la véritable
fcience , fouvent une penfée moins brillante dans
fon efquiffe, fe feroit développée dans un travail
plus rendu, & par conféquent plus difpendieux
pour fon auteur.
Il paroît donc , pour obtenir ce qu’on fe pro-
pofe des concours } qu’il conviendroit de payer les
frais des modèles ou efquiffes fur lefquels 1< jugement
devroit fe,porter ; & , fi cela eft , ou dcAv erre ,
il en réfulte la Conféquence toute naturelle, qu’oa
ne fauroit admettre indéfiniment au concours tous
ceux qui s’y préfenteroient.
- Ces premières cofifidérations ne font pas les plus
importantes , & le^ifficultés qu’elles préfentent
ne font pas les plus difficiles à réfoudre ; le vrai
point de la difficulté1 eft dans la manière de procéder
au jugement des concurrens.
Tout jugement fupppfe des juges inftitués, &
des règles établies, ou des lois d’après lefquelles
ils rendent leurs déçifions.
Mais ici nulle fimilitude à trouver entre cette
forte de juftice les principes de celle qui prononce,
fur les intérêts des hommes.
Dans cette dernière, tout peut, du moins jufqu’à
un certain point devenir pofitif. Dans la première,
tout eft condamné à refter fous l ’empire de l’arbitraire.
Dans la juftice des tribunaux, il né r’agit
que de prononcer fur-l’exiftence d’un fait & fur
l ’application de la -loi au fait déterminé ; il ne s’agit
donc que de faire décider le fait par des hommes
qui ne puiffent avoir aucun intérêt à voir les chofes
autrement qu’ejles ne font, & de faire prononcer
l ’application de la loi par des hommes affez éclairés
& affez défintéreffés pour bieç voir la lo i, &
pour ne voir qu’elle. On conçoit donc que de fages
inftitutions pourroient affez facilement faire parvenir
l’exercice de la juftice, à n’être que ce qu’elle
doit être , une opération fimple de l ’entendement
humain, qui s’éxèrce fur les r apports faci les des chofes
& ' dés 'faits , abftràélion faite des perfonnes , &
par Conféquent des paffions & des intérêts qui dé*
truifent l’ idée élémentaire de la j uftice. On conçoit
auffi que cette opération peut fe fimplifier affez
pour n’avoir befoin que des hommes , & du fens
le plus ordinaire.
Dans le jugement, au contraire, à porter fur fa
primauté entre les-ouvrages des artiftes , je ne vois
ni fait ’pofitif à trouver , ni application de loix
pofitives, ni juge naturel, ni juge impartial.
Je ne vois point de juge naturel ; car vouloir
que les concurrens eux-mêmes foient juges entre
eux , c’eft: ouvrir la carrière moins au talent qu’à
l ’intrigue , & puis fi l’idée d’intéreffé , eft effenciel-
Iement exdufive de l ’idée de juge,quelle impartialité
attendre de la combinaifon, ou pour mieux dire,
du choc des paffions les plus jaloufes & les plus