
par les témoignages de l’hiftoire, des écrivains &
des momnr.ens, qu’un autre peuple l’avoit découvert
& mis en oeuvre avant les Grecs.
Si l’ordre dorique eft bien certainement d’origine
grecque , nous voyons tout auffi clairement combinent
une femblabié invention a du fe produire.
Nul homme, nul architeCte n’a pu avoir l’honneur
de cette invention. On croit ordinairement que
la cabane ruftique qui fervit de type à l ’architeCture
grecque , fût copiée en pierre par un architecte, &
que le fuccès qu’obtint cette copie, engagea à là
multiplier. Ce b’ eft pas ainfi que procède la nature,
elle agit lentement par une fuccelfion d’effais infen-
ljbles & de répétitions d’où réfulte une habitude de ]
voir & de juger qu’une chofe eft bonne & convenable.
I l n’y a de durable que ce qui fe 'forme ainfi
lentement dans le fein du temps & de l’expérience.
Vne eombiraifon de rapports, d’analogies &-de proportions
, n’ eft jamais le fruit fubit d’un' feul effai. '
Avant que la cabane pût devenir le type de i’àr-
çhiteélure & le modèle de l’ordre d o r iq u e il' fallut
qu’elle»mêmç eut reçu fa perfeâion chez un peuple
riche & agricole; car la chaumière indigente d’un
ipalheureux cultivateur eft trop loin de la conftruc-
tjon dilpendieufe d’un édifice en pierres dans une
v ille, pour qu’on pu'ffe fuppofer de rapprochement
fjacile entre çes deux objets. .Mais fi l’on fuppofe
qu’un peuple effentieliement agricole, répandu fur
IJ ne contrée riche de fa culture, paffionné pour la
vie champêtre , fe ferp.it fort tard bâti des villes, &
auroit préféré de jouir de l’aifance que donne le travail
dans les hameaux &. les bourgades, on concevra
Iç btfoin qu’il auroit eu d’améliorer fes demeures
champêtres, de,les embellir & de les rendre folides.
La çpnftruâ-ion des cabanes dé bois dut par conséquent.
fuivre les, progrès de la civilifation, & de la ri
cheffe de ce peuple agriculteur, dont les moeurs, les
habitations le genre de vie n’aur.oient eu rien de
commun avec la pauvreté de nos.villages modernes,
pomme leurs cabanes n’auraient en rien reflemblé à
nos chaumières.
Une gradation, une progreffion infenfible de tra^
vail , de folidité, de propreté dans ces conftruc-
tlons, dut accompagner la progreffion d’induftrie
& d’aifançe des habitans. La.-ca.banefans perdre de
la fimplicité de fi forme première, aura vu fes fup-
pprts, fes combles, fes porches; fes plafonds. (es
proportions fe combiner, fe modifier, s’embellir
iucceffivemertt& fe difpofer avec plus de recherche
& d’élégance.
- Les habitans plus riches auront voulu employèr à
leurs demeures des màtériaux- plus folidesiXa bri^ue ,
Iq pierre , les moëlpns, auront été mêjégayibdîs d^ns,.
c g s. co n {Jr uClipn sd o ptl a forme prèle tire*’ ;par I’ ufage
&.une longue habitude,-aurqnt affujétis aux-données ;
delà matière dominante ces nouyeau-x matériaux.
. Plus il fe fera développé de folidité dans ces mai-, ,
Çons , plus on auramis cl’importapce• dans. la; cpnabi;
jnaifon; de leurs rapports.- Il s’établîc bientôt une,:
ftiéthode d.e ççnftrpire, qui fera devenue, Je;métier 4®.
quelques hommes uniquement livrés à cette profef-
;fron. Dès qu’un métier s’établit , il fe forme une
routine, cette routine fe tranfmet du maître à l’ap.
prentif, & tant que le luxe qui n’eft que l’ennui de
runiformité ou le befoin de la variété, ne s’empare
pas des formes d’un objet de première néceffité, ces
formes peuvent durer des fiècles fans aucune altération;
Or le luxe qui change & varie les principes &
les formes' effentielles des édifices ,• nè pou voit que
gagner lentement & très-graduellement des hommes
dont lés moeurs recevoient des occupations champêtres
la fixité que ce genre de vie eft capable d’imprimer
de la manière la plus durable.
On s’habitua donc pendant plufieurs-fiècles à la
même forme de bâtimens'où les parties élémentaires
de la Conftruélion primitive confarv-ées par la
routine & le befoin, modifiées par utï'art'encore
fimple, fe'lièrent dans l’opinion & le goût -à l’idée-
de la nature qui en avait fuggéré & :créé lès premières
combinaifons. Un tel modèle acquit dans
l’elprit la force è c l’autorité de la nature.
Telle dut être la marche de l’art dans le développement
de l’ordre dorique ou de i’architeéhire.■
L’art ne transformai pas tout de fuite & du premier
coup les arbres eh colonnes ; les arbres durent devenir
d’informes fupports , puis des piiiers grofliers,
puis des piliers façonnés & arrondis àvant de devenir
des côlonnés; & îa colonne, ayant de devenir
un réfultat de proportions heureufes, une combinaison
de folidité & d’élégance, un objet tout à la fois
néceffaire & agréable, dut paffer par beaucoup1
d’effais , de calculs & de tentatives plus, ou moins
heureufes. Il en fut de même des chapiteaux, des
entablemens, des frontons, dès plafotids, &c. La
moindre hutte: d’un pêcheur ou d’un fauvage offre’
tous les jours les,parties conftitutives que- nous re-a
marquons dans l’architeéture. Mais l’intervalle entre
cette hutte & le temple de Minerve .eft le même;
que celui qui fépare l'age agrefte de l ’état de nature
d’avec le fiécle de Périclés. C’eft en rempliffaot cet
intervalle .par.iles effais fucceffifs d’une induflrie-
toujours croiftanté, qu’on peut fe .rendre compte de,
la forraat'on d’un.e architeâure & de l’invention
d’un ordre. - , %• ••..ƒ
C’eft à une lente '& prog-reffive amélioration de la
cabane que l’on dût la confervation des types pri?
mitifs que, l’art étoit tenu dè conferyer toujours à
mefure qu’il en. changeoit ou modifiait les rapports.
La bâtiffe en pierres ne fe.fubftitue pas brufquement
dans un paysr-û.ljavbâtifte én-hpis ; on n’arrive à la ,
première: qub par-degrés,, par plie a auffi fon enfance,
;& fon a c ç ç o if fem e n t jl‘ffujt«qug cela ait été pour
jqu-e la pierre fe fait fubardqpi^éë à copier les formes,;
ilesj types q& les parties co'nftituyiyes dç la charpente.
Cette infufiondu goût propre à une matière dans une
autre matière 1 -fuppofe beatico^p de lenteur dans les
«opérations de l’art.,.Mais |Cet|e transformation du
jmTpdèle d.e,;bj^^ ,en -pie/re solide.-,, fuppofe que le
preirqi.qrr)%v<?^t acquis affe? ;grande perfec-,
tion d’çrdon^aqçe,., fyrpétrie
“ 4 d’élégancg
^’élégance, pour que la conftru&ion en pîérre crût
devoir s’en approprier les formes, le ftyle & le
^ T out nous indique qu’une telle métamorphofe
ne put s’effeduer que par une fuite non interrompue
mais très-lente d’opérations fubordonnées à
beaucoup de caufes, dont les unes peuvent encore
fe faifir ou fe deviner, & dont les autres ont échappé
à l’attention même des contemporains, & doivent
encore plus fe fouftraire aux recherches curieufes
de la poftérité- .
Si r origine de l’ordre doriqut eft inconteftable-
ment dans la conftrudion primitive des cabanes en
bois, & fi fa formation fut néceffairement le réfultat
du perfe&ionnement de la cabane & du rapprochement
des parties conftitutives de la charpente avec
les qualités propres à la pierre , un amalgame enfin
de deux natures de conftru&ion, de deux efpèces de
matériaux & de deux principes étrangers l ’un à
l’autre, c’eft en vain qu’on chercheroit à attribuer
l ’honneur de fon invention à telle v ille , à tel pays,
à tel architecte, à tel prince.
L’ordre dorique eft le perfectionnement de la conf-
truCtion chez les Grecs; c’eft le complément d’ un
fyftème fondé fur la nature de leur conftruCtion primitive
, fur les modifications que l’art fut y introduire
, fur le principe d’une imitation analogique &
fur des proportions que .cette imitation parvint à
rendre néceffaires & auffi pofitives que le font celles
des oeuvres même de la nature.
L’ordre dorique ne peut donc pas avoir eu un inventeur,
ou cet inventeur ne peut être qù’un peuple
chez lequel des befoins uniformes auront long-temps
confervé & maintenu une manière de bâtir accommodée
à fon climat; à fon genre deavie, & que le
temps, de fa main lentement aftive, aura graduellement
modifiée & perfectionnée fur les bafes confa-
crées par l’habitude.
Cette méthode de bâtir eft néceffairement indigène
; elle appartient en propre & exclufivement au
peuple chez lequel on l’a trouvée. Elle n’a & ne
peut avoir avec d’autres architectures que ce qu’ont
néceffairement de commun entre eux les arts de tors
les peuples , entre lefquels aucune communication
ne fut poffibl«, c’eft-à-dire de ces rapports, qui
tiennent à la nature de l’efprit de l’homme.
Prétendre trouver entre l’ordre dorique & les
fupports maffifs de l’Égypte des peints de rapprochement,
qui placeroient fon origine dans cette contrée,
ce feroit méconnoîcre ce qui fait le caractéristique
fpécial de ces deux architectures ( voye%
Egyptienne ARCHITECTURE .).. - Autant vaudroit-
^ n ^eroher l’origine de la Minerve & du Jupiter
ée Phidias dans les ïfts & les Offris égyptiens. Il y a
dans la fculpture des Égyptiens des dimenffons mécaniques
, mais il n’y a pas de proportions , car il n’y a
pas de parties, ff l’on peut dire. Leurs ftatues n’ont
Pas plus de détails que leur architecture n’a dé divi-
^ runearcffiteCture fans divifions eft une archi-
C moyens de proportion.,*unç fculp-
(fjr chit. Tome //,
ture fans détail de formes eft une fculpture qui n’a
pas befoin de proportions; c’eft ce qu’on doit dire
de la fculpture & de l’architedure égyptienne.
Il y a de même un grand rapport entre les ftatues
& les édifices de la Grèce. L ’architeCture a peut-être
favorifé les ftatuaires grecs; mais la fculpture grecque
dut auffi en apprendre beaucoup aux architectes* &
c’ eft à la grande fraternité que les circonftances établirent
entre ces deux arts, & aux études communes
en ce genre, qu’on doit peut-être le développement
du fyftème imitatif & proportionnel qui fait
le principal caradériftique de l’ordre dorique.
Du fyftème imitatif & proportionnel de r ordre
dorique.
Toutes les architectures peuvent avoir une phy-
fionomie, un caraCïère , un goût propre à chacune,
d’elles, félon la diverfité de leur origine, félon la
différence des climats & des matériaux, & félon la
natured.es caufes qui leur ont donné l ’être. L ’archi*
teCture grecque eft la. feule qui ait eu & qui ait un
fyftème.
Nous avons développé affez au long à l’article
a r ch it e c tu r e ( voyt{ ce mot) , quelle fut la différence
effentielle entre les types généraux des principales
architectures j & quels effets divers dévoient
en réfulter.
Un de ces effets, fur lequel on ne fauroit trop in-
fifter , pour établir entre l ’architeCture grecque & les
autres architectures la diverfité la plus caraCtérif-
tique , eft que le modèle de la première étant déjà
un affemblage de rapports & de parties liées les unes
aux autres, leur perfectionnement devoit.conftituer.
à la longue un fyftème général de proportions, fuf-
ceptible de donner à l'art une fixité de principes*
une forme déterminée & des règles invariables.
Un autre de ces effets eft que i’ architeCture devenant
art, c’eft-à-dire foumiie à des règles, eut encore
l’avantage de devenir art d’imitation, en tant
que l’imitation peut fe prendre comme repréfenta-
tion d’une autre chofe.
Voilà ce que j’appelle fyftème dans I’arçhiteCture :
c’eft-à*dire corps de principes & de doCtrine , en-
fembie de rapports fixes & déterminés, néceffité
d’imitation , d’où il réfulte précifément, fqit dans
la conftruClion, foit dans la forme, foit dans la décoration
des édifices, le contraire de l’arbitraire,
de l’irrégulier, du difparate qù’on remarque dans
toutes les parties des autres architeChares.
Or.tout ce qu’il y a dëTyftématique dans l’archi-:
teClure grecque appartient effentie.lleme,nt à l’ordre.-
dorique y lui feul poffède^en entier ce fy f tèm e il eft
le fyftème lui-même :: les autres ordres en. font des
dérivés ou des conféquences modifiées.
Le fyftème imitatif de l ’ordre dorique confi.fte à
avoir fu fe calquer fur les formes primitives, de la cabane
, & à avoir fu introduire dans l’architeClure le
même éfprit<& la même marche que fuit .la pâture,
dans fes ouvrages.. L ’architeÇture n’ayant aucu*