
Dans l’efpace dont il vient d’être parlé, les lieux
mémorables j par leurs étangs 8c par leurs marais,
font ceux ou la plage eft expofée à l’impétuofité
d’un fleuve très-rapide , comme le Rhône, ou
bien eft baffe 8c rapprochée des montagnes : telles
font les plaines maritimes du Languedoc, qui reçoivent
les eaux de l’Hérault & des autres rivières,
8c qui fe trouvent encombrées des matériaux que
les vagues de la Méditerranée ne ceffent d’accumuler
contre les embouchures de ces rivières.
Au pied des Pyrénées 8c des Alpes on ne voit
point de pareils amas d’eau, parce que les maffes
montueufes 8c les rochers baignent dans la mer Méditerranée
, ou bien n’en font pas réparées par de
larges plaines, dont les eaux qui en découlent,
puiffent fe réunir en lacs.
En fuivant maintenant la côte orientale de l’ Italie
, on trouve qu’elle offre , vers le fond du golfe
adriatique, le lac ou le marais de Comacchio , ainfi
que les plaines marécageufes & fouvent inondées
qui environnent-les bouches du P ô ; enfuite, au
fond même du golfe , on voit des amas d’ îies nom-
breufes , fur lefqueiles s’élève V en ife , le port de
T r ie fte , celui qui eft au deffous de l’Iftrie. Les
côtes de Dalmatie & d’Albanie offrent une grande
quantité d'îles côtières, qui ne font évidemment
que des parties de la côte même, qui ont été réparées
par la mer ; 8c dans toute l’étendue de cette
cô te , les Alpes de Lombardie , celles du T iro l, Sc
leur prolongement, qui va gagner le Pélôponnèfe
& la Morée , font dans le voilïnage des côtes.
Du détroit de Conftantinople jufqu’ à l’île de
Rhodes , il paroît que YEurope a autrefois joint
l’Afie , 8c que les îles qui rempliffent cet efpace
font les débris réfultans de leur réparation : on
.doit remarquer que pluiîeurs de ces îles font vol- \
caniques.
Si l’on fuit l’enceinte de la Mer-Noire , on
trouve qu’e lle n’offre de remarquable, du côté de
l'Europe, que les bouches du Danube, celles du
Dniefter & duNieper, 8c à l'orient le grand golfe
qu’elle forme vis-à-vis l’embouchure du Don, 8c
qui eft connu fous le nom de Mer <YA\o.f. Mais le
lieu le plus digne d’attention eft la prefqu’île qui
forme l'enceinte de ce golfe, 3c qui eft la C rimée,
ou anciennement la Cherfonnèfe taurique ou cim-
mérienne. Cette côte eft pénétrée par plufieurs
golfes ou lacs , 8c du côté de la mer d’À z o f elle
eft traverfée, dans toute fa longueur, par un long
golfe appelé la Mer pourrie.
. Telles font les obfervations les plus remarquables
que l’on peut faire fur la diftribution des eaux en
Europe. Si on les confidère relativement aux trois
principaux centres .montagneux dont il a été fait
mention dans les articles précédens . on verra que,
de tous ces fommets, ceux qui donnent naiffanCe
au plus grand nombre de la cs, foie montagneux,
foit maritimes, font ceux qui dépendent des montagnes
de Dofreflelds, 8c qui font, renfermés dans
leur arrondiffement; que le centreméridional des !
Alpes contient moins de lacs , mais des lacs plus
grands, furtout au pied des grandes maffes qui
verfent leurs eaux au nord & au midi : outre cela
on trouve, à une certaine diftance de leurs bares,
très-peu de lacs maritimes ; qu’enfin le centre montagneux
du plateau de Ruflie eft celui dont les lacs
font moins nombreux i car les plus remarquables
font ceux qu’on rencontre proche les limites des
montagnes de Dofreflelds 8c des côtes du golfe
de Finlande : ce font les lacs Ladoga & Onéga,
car les lacs Peypus 8c Ilmen tiennent aux côtes
méridionales des lacs de Finlande.
Au refte, tous ces lacs 8c étangs dépendent moins
des montagnes que des flots de la mer, qui accumulent
, fur les bords des plages, des vafes 8c des
fables chariés par les fleuves.
Je vo is , en tout cela, que les lacs qui fe trouvent
aux pieds- des montagnes , bien examinés ,
annoncent les mêmes circonftances l quant à la formation
de leur baflin 8c quant à la manière dont ils
font alimentés, que ceux qui font actuellement le
long des bords delà mer. Dans l'un & l’autre cas,
les baflins des lacs ont été creufés par les eaux courantes
des fleuves & des rivières, 8c digués par les
flots de la mer & le concours des rivières qui s’ÿ
déchargeoient : c ’eft cette comparaifondescirconf-
tanees qui ont concouru à la formation des lacs
dans les deux polirions qu’on a diftinguées ci-deffus,
qu’il importott de faire connoître, 8c qu’on a
ignorée jufqu’ à préfent. Au refte, tout ceci fera
décrit 8c difeuté d’une manière particulière à l ’article
Lac.
Description phyfique & abrégée des principaux Etats
de l'Europe.
Empire rujfe. Cet empire, qui contient les parties
feptentrionalesde l’Europe 8c de FAfie, s’étend des
cotes de la Baltique & de là Suède, qui le bornent
,à l’ oueft, au Kamtzchatka 8c à l’Océan oriental,
qui le borne, à l’eft ; des termes glaciales au nord ,
aux contrées de la petite Tartarie , de la-Géorgie ,
à la Mer-Noire, à la mer Cafpienne, à la Tartarie
chinoife, 8c aux autres régions dJ.A fie , qui ne font
pas connues, 8c qui les bornent au fud.
Rujfie d'Europe. La Ruflie d'Europe eft bornée,
au nord, par la Mer-Glaciale; au fud , par la Mer-
Noir;e , la mer d’A z o f & la Turquie d'Europe ; au
fud-eft, par les fleuves du Don & du V o lga , le
gouvernement de Cafan & les monts Poyas ; à
l'oueft , par la Suède, les golfes de Finlande,& de
Riga , 8c la Pologne.
Les noms de Ruflie 8c de Mofcovie , qu’on
donne indifféremment à cet empire, dérivent probablement
du nom des anciens habitans, Ruflie ou
Boruflie , & de celui de la rivière Mofca, fur laquelle
fut bâtie l'ancienne capitale, Mofcow ; mais
nous n’avons là-deffus rien de. certain.
Dans les parties méridionalesdela.Ruflie, leplus
long jour de l’année ne paffe pas quinze heures 8c
demie, tandis que, dans les parties feptentrionales,
le fo le il, pendant l’é té , paroît deux mois de fuite
fur l’horizon ; ce qui produit une grande diverfité
de fols 8c de climats ; ainfi l’on voir 8c l’on reffent
les deux extrêmes dans ce vafte empire.
Cependant le climat eft extrêmement dur dans la
Ruflie proprement dite. Ledoéteur JeanGlen-King,
qui a réfidé onze ans en Ruflie, obferve que le froid,
à Pétersbourg, d’après le thermomètre de Faren-
h e it, pendant les mois de décembre, janvier 8c
février, va communément de huit à quinze ou vingt
degrés au deffous de z é r o ,c ’eft-à-dire, de quarante
ou cinquante-deux degrés au deffous de la
glace, quoique communément, dans le cours de
l ’hiver, il defeende de quelques degrés de plus
pendant huit à dix jours. Le même écrivain remarque
qu’il eft difficile , pour un habitant de notre
climat tempéré, de fe faire une idée d’ un froid
aufli grand; il obferve que lorfqu’ une perfonne
fort dans cette faifon rigoureufe, le froid lui fait
verfer des larmes qui gèlent auffitôt, 8c reftent fuf-
pendues aux cils en forme de glaçons. Comme les
payfans font dans l’ ufage de porter leurs barbes,
on voit de longs glaçons pendre de leurs mentons.
Néanmoins, dans cette circonftance , la barbe eft
d’un grand feCours pour protéger les glandes de la
gorge ; 8c les foldats, qui ne portent point de barbe,
font obligés d’ envelopper leur menton d’ un mouchoir
pour y fuppléer. To’utes les parties du vi-
fage qui font à découvert, font très-fujètes à être
gelées. On a cependant obfervé fouvent que ceux
qui font attaqués de la gelée l’ ignorent, à moins
d’en être avertis par ceux qu’ ils rencontrent, qui
leur confeillent de fe frotter la figure avec de la
.neige; moyen le plus uiîté pour fe dégeler. La partie
qui a été une fois gelée eft , par la fuite, plus
fujète à pareil accident. Dans quelques hivers très-
rudes on a vu des moineaux, quoique d’une efpèce
vigoureufe, fe trouver tout-à-fait engourdis par
la rigueur du froid 8c hors d’ état de voler , 8c des
charretiers, affis fur leurs voitures, font quelquefois
morts gelés dans cette attitude. Lorfque le thermomètre
étoit à vingt-cinq degrés au deffous de z é ro ,
de l’eau bouillante , jetée en l’ air avec une pompe,
eft retombée en grêle parfaitement dure. Une bouteille
d’ eau eft devenue, effune heure un quart,
au rapport du doéteur Glen-King, un bloc de
glace. Une bouteille de bière forte fe glaça égale-
'ment en une heure 8c demie ; mais au milieu de
cette maffe fe .trouva la valeur d’une taffe à thé de
liqueur non gelée , aufli Forte 8c aufli inflammable
que l’eau-de-vie ou l'efprit-de-vin. Cependant,
malgré l’exceflive rigueur du froid en Ruflie , les
habitans ont tant de moyens de s’en préferver,
qu’ ils en fouffrent beaucoup moins qu’on ne l’ima-
.gineroit. Les maifons des perfonnes aifées en font
.fi bien.garanties , tant au dehors qu’en dedans,
qu’ on les entend rarement fe plaindre du froid. La
méthode des Ruffes, pour échauffer leurs maifons,
eft de conftiuire des fours avec plufieurs
tuyaux, 8c on les alimente d’autant plus aifément >
que le bois , qui eft le chauffage commun , eft
très-abondant dans ce pays. Ces fours en confom-
ment beaucoup moins qu’on ne croiroit, 8c cependant
ils fervent en même tems au peuple pour préparer
fes aîimens. On y met un fag o t, qu’on laiffe
bi filer feulement jufqu’ à ce que la plus épaiffe fumée
foit évaporée : on ferme alors le conduit de
la cheminée, pour retenir dans l’appartement toute
la chaleur, qui par ce moyen fe conferve vingt-
quatre heures, 8c fouvent telle, que ces gens reftent
fort peu couverts, furtout les enfans, qui fe
contentent de leur chemife. Les fenêtres des cabanes
des pauvres font très-petites, afin de laiffer
entrer le moins de froid poflible. Les fenêtres des
maiions des gens de condition font calfeutrées à
l’approche de l’hiver, 8c d’ordinaire elles ont.double
châflis vitré. En un mot, on peut, dans ces appartenons,
régler la chaleur avec une grande exactitude
fur le thermomètre, en ouvrant ou fermant
les conduits qui la répandent. Lorfque les Ruffes
fortent, ils font fi chaudement couverts, qu’ ils
peuvent prefque défier 8c la neige 8c la gelée : on
doit d’ailleurs obferver que le vent eft rarement
violent en hiver ; mais aufli, iorfqu’il eft fo r t , le
froid eft exceflivement piquant.
Un avantage que les Ruffes tirent de la rigueur
de leur climat, c’eft de pouvoir conferver leurs
provifions. Les bonnes ménagères, dès qu’elles
voient venir la gelée vers la fin d’oétobre, tuent
leurs volailles, 8c les entaffent dans des cuves avec
des couches deneige qui les féparent; elles les
tirent de là à mefure que leurs befoinsie requièrent.
Par ce moyen elles épargnent la nourriture de plufieurs
mois de ces animaux. Le veau gelé d’Ar-
changel, qu’on porte à Pétersbourg, eft eftimé le
meilleur du pays. On ne peut même le diftinguer
de celui qui eft fraîchement tu é , car il eft également
fucculent. De cette manière, les marchés de
Pétersbourg font, pendant l’hiver, approvifionnés
de toute efpèce de denrées, à meilleur compte
qu’on ne pourroit le faire autrement. Ce n’eft pas
un fpeêtacle peu curieux à v o ir , que ces piles de
cochons, de moutons, depoiffons 8c d’autres animaux
, qui font expofés dans les marchés pour être
vendus. La méthode employée en Ruflie pour dégeler
ces viandes, confifte à les plonger dans l ’eau
froide ; car, lorfqu’ on les fait dégeler par la chaleur,
il en réfulte une violente fermentation, &
prefqu'une putréfaction foudaine : au lieu que fi
l ’on emploie l’eau froide, la glace femble être attirée
au dehors, 8c forme une incruftation tranf-
parente autour du corps d’où elle eft chaffée. Lorfqu’on
dégèle avec de l’eau froide un chou glacé
jufqu’ au coeur , il eft aufli frais que s’il venoit d’être
cueilli; mais lî on le dégèle par le moyen du feu
ou de l’eau chaude, il devient d’ un goût fi rance
8c fi fo r t, qu’on ne peut le manger;
La promptitude de la végétation en Ruflie eft à
peu près la même que dans la Suède, la N orvège >