
les canaux des tivières proviennent des pluies, 8c
que les fources infeniibles & paffagères , prifes
dans la totalité , ont pour principe de leur entretien,
les eaux pluviales, comme les obfervations
confiantes le prouvent à ceux qui examinent fans
préjugés.
Mais on fe retranche à dire qu'une partie de
l ’eau des fontaines ou de quelques-unes des fontaines
proprement dites eft élevée de la mer par des
conduits fouterrains. On infinue que la mer peut
bien ne tranfmettre , dans leurs réfervoirs, que
le tiers ou le quart des eaux qu’elle verfe dans
les rivières. Ces phyficiens fe font déterminés à
un parti aufli modéré par l’ évidence des faits, &:
pour éviter les in'convéniens que nous avons ex-
pofés ci-deffus. Nous adoptons les faits qu’ils nous
offrent; mais certains inconvéniens relient dans
toute leur étendue ; car, i° . i’obftru&ion des conduits
fouterrains, parle fel, eft toujours à craindre
fi leur capacité eft proportionnée à la quantité
d’eau qu’ ils tirent de la mer. Un petit conduit doit
être auflitôt bouché par une petite quantité d’eau
falée qui y circule, qu’un grand canal par une
grande maffe; 2°. la difficulté du deffalement par
les filtrations , & c . fubfifte toujours. On ne peut
être autorifé à recourir à ce fupplément, qu’au-
tant qu’ on feroit bien afluré^ i ° . que les pluies ,
qui produisent fi manifeftement de fi grands effets,
ne feroiént pas affez abondantes pour fuffîreà tout;
Z°. que certaines fources ne pourroient recevoir
de la pluie , en vertu de leur fituation, une pro-
vifion fuffifante pour leur entretien : c’eft ce que
nous examinerons par la fuite. Pourquoi percer à
grands frais la mafle du Globe entier , pour conduire
une au fit foible provifion ? Seroir-ce parce
qu’on tient encore à de vieilles prétentions adoptées
fans examen ?
Après l ’expofition de tout ce qui concerne cette
hypothèfe, il fe préfente une réflexion à laquelle
nous ne pouvons nous refufer. En fai Tant circuler,
à force de fuppofitions gratuites, les eaux falées
dans la maffe du G lo be, & en tirant ces eaux d'un
réfervoir aufli immenfe que la mer , on a été féduit
fans doute par l'abondance & la continuité de la
provifion; mais on a perdu de vue un principe
bien important. La probabilité d’ une circulation
libre & infaillible, telle qu’ on a dû la fuppofer
d'après l’expérience, décroît comme le nombre
des pièces qui jouent pour concourir à cet effet,
& comme le nombre des obftacles qui s’oppofent
à leur jeu. 11 n’y a d’avantageux que le réfervoir ;
mais combien peu de fûretés pour la conduite !
Cette défeduofité paroîtra encore plus fenfible-,
ment lorfque nous aurons expofé les moyens Amples
& faciles de l’hypothèfe des pluies. Dans le
choix des plans phyfiques on doit s'attacher à ceux
oü l’on emploie des agens fenfibles 8c apparens
dont on peut évaluer les effets & apprécier les limites
en fe fondant fur des obfervations fufcep-
û b k s de précifion. N’efi-on pas dans la règle lorfqu’
on part de faits, qu’on combine des ...faits pour
en expliquer d’autres, furtout après s’être alluré
que ces premiers faits font les élémens des derniers?
D'ailleurs > c'eft de l'enfemble de tous les
phénomènes du Globe, c’eft de l ’appréciation de
tout ce qui fe rencontre en grand dans les effets
furprenans qui piquent notre curiofité, qu’ on doit
partir pour découvrir les opérations compliquées,
ou la Nature étale fa magnificence en cachant fes
reffources; où elle préfente, il eft v r a i, affez
d'ouvertures pour la fagacité & l ’attention d'un
obfervateur qui a l’efprit de recherche, mais affez
eu de prife pour l’imagination & la légéreté d’un
omme à fyftème.
Il y a certaines expériences fondamentales fur
lefquelles toute une queftion eft appuyée : il faut
les faire fi l’on veut raifonner jufte fur cet objet ,
autrement tous les raifonnemens font des fpécula-r
tions en l’air. Du nombre de ces expériences principales
eft l’crbfèrvation de la quantité de pluie qui
tombe fur la Terre , & celle de la quantité d'évaporation
: de là dépend la théorie des fontaines ,
celle des rivières , des vapeurs, 8c de plufieurs
autres fujets aufli curieux qu'intéreffans, dont il
eft impoflible de rien dire de pofitif fans les pré-
cifions que les feuls faits peuvent donner. La plupart
de ceux qui ont travaillé fur cette partie de
la phyfique, fe font attachés à ces déterminations
fondamentales. Le Père Labbe, jéfuite, tourna fes
vues de ce côté-là ; W ren , au commencement de
la Société royale , pour faire fes expériences,
imagina une machine qui fe vidoit d’elle-même
lorfqu’elle étoit pleine d’eau , & qui marquoit;
par le moyen d’une aiguille, combien de fois elle
fe vidoit. MM. Mariotte, Perrault, de la Hire î
& enfin toutes les Académies & les divers phyficiens,
ont continué de s’ affurer, fuivant ladiveifité
des climats 8c la différente conftitution de chaque
année, de la quantité d'eau pluviale. Il ne
paroït pas qu’on fe foit attaché à mefurer avec autant
d’attention celle de l ’eau évaporée ou celle
de la dépenfe des rivières en différens endroits.
Au défaut de ces déterminations locales, nous
pouvons nous borner à deseftimes générales , avec
les reftri&ions qu’elles exigent.
• Ces réflexions nous conduifent naturellement à
l’hypothèfe qui*rapporte l’entretien des fontaines
aux pluies. Pour rétablir cette opinion, & prouver
que les pluies, les neiges, les brouillards, les ro-
lées & généralement toutes les vapeurs qui s’élèvent
tant de la mer que des continens, font les
; feules caufes qui entretiennent les fontaines , les
! puits, les rivières & toutes les eaux qui circulent
j dans l’atmofphère, à la furface, dans les premières
couches du Globe, toute la queftion fe réduit
à conftater: i° . fi les vapeurs qui s’élèvent de
la mer, 8c qui fe réfolvent en pluies, font fuffi-
fantes pour fournir d’eau la fuperficie des continens
& le lit des fleuves ; i° . fi l'eau pluviale peut
pénétrer le$ premières couches de la T e r re , s'y
raffembler
raffembler 8c former des réfervoirs affez abondiins
pour entretenir les fontaines. Toutes les cirConf-
tances qui accompagnent ce grand phénomène du
commerce perpétuebde l’eau douce avec l'eau de
la mer, s’expliqueront naturellement après l’éta-
büflèment de ces deux points importans.
§. 1er.. Pour mettre la première propofition dans
tout fon jour, il ne faut que déterminer, par le calcul,
la quantité d’eau qui peut s’élever de la mer
par évaporation , celle qui tombe en pluie, en
neige, 8cc. , & enfin celle que les rivières déchargent
dans la mer ; & au cas que les deux premières
quantités furpaffent la dernière, la queftion eft décidée.
La quantité de vapeurs qui s’élèvent de la mer
a été appréciée par M. Halley ( Tranfaftions phi-
lofophiques , n°. 189 ). U a trouvé , par des obfervations
affez précifes i que l’eau falée, au même
degré que l’eft ordinairement l’eau de la mer, c’eft-
à-dire', celle qui a diffous une quantité de fel
égale à la trente-deuxième partie de fon poids, 8c
expofée à un degré de chaleur égale à celle qui
règne dans nos étés les plus chauds, perd, par év aporation,
la foixantïème partie d’ un pouce d’eau
en deux heures; ainfi la mer perd une fuperficie
d’un dixième de pouce en douze heures.
Nous devons obferver ici que plus l’eau eft
profonde, plus eft grande la quantité de vapeurs
qui s’en élève : toutes les autres circonftances ref-
tent les mêmes. C e réfultat, établi parles expériences
d’Halley, de MM. Kraft & Richman (Mé moires
de Pétersbourgy 1749 ) , détruit abfolument
une prétention de M. Kuhn, qui foutient fans
preuve.,que le produit de l’évaporation diminue,
comme la profondeur de Peau augmente.
En nous attachant aux réfultats de M. Halley,
& après avoir déterminé la furface de l’Océan ou
de quelques-uns de fes golfes, ou d’un grand lac,
comme la mer Cafpienne 8c la Mer-Morte, on
peut connotée combien il s'en élève de vapeurs ;
car une furface de dix pouces carrés perd tous les
jours un pouce cubique d’eau, un degré carré de
trente-trois millions de tonnes. En faifant toutes
les réductions des irrégularités du baflin de la mer
Méditerranée , ce golfe a environ quarante degrés
de longueur, fui quatre de largeur, & fon étendue
fuperficielle eft de cent foixante degrés carrés ;
par conféquent toute la Méditerranée, fuivant la
proportion ci-devant établie , doit perdre en vapeurs
pour le moins cinq milliards deux cent quatre-
vingts millions de tonnes d’ eau en douze heures ,
dans un beau jour d’été.
A l’égard de l’évaporation des vents , qui peut
entrer pour beaucoup dans l’élévation des vapeurs
& leur tranfport, il n’y a rien de fixe , 8c nous
pécherons plutôt par défaut que par excès, en ne
comprenant point ces produits dans notre évaluation.
En donnant à la mer Cafpienne trois cents lieues
de longueur 8c cinquante lieues de largeur, toute
Géographie-Phyfique* Tome IV*
fa fijperfide' fera de quinze mille lieues carrées
à vingt-cinq au degré, & par conféquent de vingt-
quatre degrés carres : on aura fept cent quatre-
vingt-douze millions de tonnes d’eau, qui s’évaporent
par jour de toute la furface de la mer C afpienne.
Le lac A ral, qui a cent lieues de longueur
fur cinquante de largeur, ou huit degrés carrés,
perd deux cent foixante-quatre millions de tonnes
d’eau. La Mer-Morte en Judée, qui,a foixante-
douze milles de long, fur dix-huit milles de large,
doit perdre tous les jours près de neuf millions de
tonnes d’eau.
La plupart des lacs n’ont prefque d’autres voies
que l'évaporation pour rendre l’eau que des ri-
-vières tiès-confiderables y verfent : tels font le
lac de Morago en Perfe, celui de Titicaca en Amérique;
tous ceux de l’Afrique, qui reçoivent les
rivières de la Barbarie, qui fe dirigent au fud.
( Voyt[ l'article La c . )
Pour avoir une idée de la maffe immenfe du
produit de l’évaporation qui s’opère fur toute la
mer, nous fuppoferons la moitié du Globe couverte
par la mer, & l’autre partie occupée par les*
continens & les îles. La furface de la Terre étant
de cent foixante-onze millions neuf cent quatre-
vingt - un mille douze milles carres d’ Iralie, à
foixante au degré, la furface de la mer.fera de
quatre-vingt-cinq millions neuf cent quatre-vingt-
dix mille cinq cent fix milles carrés ; ce qui donnera
quarante-fept milliafles dix-neuf mili irds
fept cent quatre-vingt-fix millions de tonnes d’eau
par jour.
En comparant maintenant cette quanrité d’eau
avec celle que les fleuves y portent chaque jour ,
on pourra voir quelle proportion il y a entre le
produit de l’évaporation & la quantité d’eau qui
rentre dans le baflin de la mef par les fleuves. Pour
y parvenir nous nous attacherons au Pô , donc
nous avons des détails affurés. Ce fleuve arrofe un
paysde trois cent quatre-vingts milles delongueur:
fa largeur eft de cent perches de Bologne ou de
mille pieds, & fa profondeur de dix pieds (Ric-
ciol. Geog. reformat. ) . Il parcourt quatre miiles
en une heure, 8c il fournit à la mer vingt mille
perches cubiques d’eau en une heure , ou quatre
millions huit cent mille en un jour. Mais un mille
cubique contient cent vingt-cinq millions de perches
cubiques; ainfi le Pô décharge en vingt-fix
jours un mille cubique d’eau dans la mer.
Refteroit à déterminer quelle proportion il y a
entre le Pô & toutes les rivières du Globe ; ce qui
eft impoflible. Mais pour le favoir à peu près, fup-
pofons que la quantité d’eau portée à la mer par
les grandes rivières de tous les pays foit proportionnelle
à l’étendue & à la furface de ces pays ; ce
qui eft très-vraifemblable, puifque les plus grands
fleuves font ceux qui parcourent une plus grande
étendue de terrain ; ainfi le pays arrofé par le Pô
& les rivières qui y tombent de chaque cô té , vien-
1 nent des fources ou des torrens qui fe ramifient à
Bb