
2 4 E L B
dans une immenfe révolution de tems. Il eft tout
recouvert d’ un amas de terre végétale qui femble
régner uniformément fur une épaiffeur confidérable.
Si on en jugeoic par les ravins où elle fe montre
aflez conftamment fur des épaiffeurs de quinze
à vingt pieds, on pourroit croire que ce maflif en
eft généralement formé j mais l’ endroit où l’on reut le mieuxiuger de fa compofition eft celui où
on exploite la mine j car elle eft entamée dans
cet endroit fur une hauteur de plus de quarante-
cinq toifes par échelons. On ne voit là nul ordre
confiant, point de couches régulières & fuivies :
tout annonce les culbutes & le défordre. On voit
des lits brifés & interrompus, tantôt de pyrites,
des dépôts d’ ocres de toutes couleurs 5 tantôt de
fable, de roches grifes d'argile & de miné de fer
en mafTe & entre-mêlée, ians aucune fuite, fans
aucun arrangement : c’ efi l’image d’ un chaos épouvantable.
On ne peut s’ empêcher de croire qu’elle
n’ait été entièrement renverfée par l’effet de quelque
grande explofion, dont les tas de pyritesqu’ on
rencontre fréquemment, le foufre qui fe montre
dans les crevaflès & les amas de mine de fer
auront aifément fourni la matière.
Ces explofions, ces culbutes qu’il éft difficile
de ne pas admettre dans la plupart des hautes
malles, font démontrées dans la miné d‘Elbe par
des monceaux de fcories, ainfi qu’ à leurs foufflures
& à leurs fra&ures on eft forcé de recohnoître
pour des matières métalliques & des terres vi-
trifiables fondues enfemble. Elles fe rencontrent
à chaque pas *, elles varient de couleur & de con-
fiftance , félon la nature & les proportions des
matières qui font entrées dans leur compofition
t i le degré du feu qu’elles ont efîiiyé.
Toute cette mafife, au moins dans l ’endroit où
fe fait l’extraétion de la mine , n’exifte point par
filons, mais par blocs plus ou moins confidé-
rables, qui fe montrent à différentes profondeurs,
qui commencent & finiffent fans aucun ordre
,. fans aucune continuité, comme les autres
matières, qui forment le fol de cet endroit.
Ces mafias- préfentent la mine dans différens
états. Il n’eft peut-être pas au monde d’exemple
de plus d’efpèces de mines de fer réunies dans
un même endroit : mine en roche , grife noire;
mine de fer fablonneufe, mine de fer iimonneufe,
mica-, ocre de toutes nuances, manganèfe , hématite
, mine criftallifée. On en voit de toute
e fp è c e , excepté la mine de fer blanche & la mine
fpécnlaire. ^
Mais la plus abondante de toutes cas efpèces,
c ’eft la mine criftallifée ; lès autres ne paroiflent
que fes décompofitions. Cette mine, qu’on prétend
unique en fou e fp èce, eft absolument particulière
à l ’île d ’Elbe j offre, des variétés à l’infini,
tant pour la Forme que pour la couleur de ces
criftallifations. L*efpèce la plus ordinaire eft celle
qui eft criftallifée en forme de pyramides ou d'ai-
guiüesentaflëeslés unes fur les autres , fans.angles
E L B
ni fetïs déterminés , & forment cependant des
maffes raflemblées. Cette mine eft d’une couleur
grife comme le fer en gueufe, & brille à peu
près du même éclat.
L’efpèce la plus commune après celle-là eft la
mine criftallifée en boutons. Ces boutons font
ordinairement taillés en pointes de diamant, quelques
uns font courts, d’autres font alongés, &
forment des prifmes de toutes les foi-foies. Ils font
ordinairement d’une groffeur médiocre : il en eft
cependant d’auffi gros que le d o ig t, comme il y
en a d’une petiteffe imperceptible.
Après cette efpèce viennent les criftallifations
feuilletées ou en écailles. Ces écailles font implantées
les unes fur les autres , en différens
fens > elles forment cependant aflez extraordinairement
des fuites d’ une étendue plus ou moins
grande , qui paroiflent naître» d’une même bafe.
On trouve des gâteaux dé cette forte de toute
grandeur : il y en a des roches entières. Ces gâteaux
portent des criftallifations , non-feulement
tout autour de leur fuperficie , mais encore dans
toutes les cavités qui peuvent fe rencontrer dans,
leur épaiffeur. Le volume des criftaux eft ordinairement
proportionné à -l’étendue des cavités
où ils exiftent, & où vrail’emblablement ils fe font
formés.
Ces deux dernières efpèces de criftallifations
n’ont point de couleur déterminée : le plus ordi-;
nairement elles ont la couleur & l ’éclat de l’acier
poli 5 mais fouvent elles font colorées en v e r t ,
en reuge, en noir, en jaune, en brun, en bleu,
en violet de toutes les nuances ; quelquefois le
quartz fe mêle à ces criftallifations métalliques,
& il en adopte les couleurs. On voit de ces morceaux
qui paroiflent être l’affemblage-de toutes
les pierres précieufes, & offrir à l’oeil enchanté
l’apparence des topazes, des émeraudes, des rubis
, des diamans Sc des faphirs réunis. : tout
cela cependant n’eft que du fer coloré par des
vapeurs phlogiftiques , comme on le verra par la
fuite.
Cés criftallifations ne confervent pas long-
tems leur éclat quand elles font expofées à l’air;
elles fe couvrent d’une petite rouille rougeâtre
ou jaunâtre, qui d’abora eft peu adhérente, Se
q u i , lorfqu’elle eft efluyée, laiffe à la criftalli-;
fation tout fon brillant. Dans les cabinets où on
les garantit dé la pouffière & de l’humidité, ce
brillant fe foutient infiniment plus long-tems ;
mais à la longue, même dans les cabinets, il dif-
paroît, Sc ces curiofités naturelles ont le même
fort que lés ouvrages où L’ art emploie la même
matière , & auxquels on a donné le même éclat :
la rouille les détruit.
Outre la propriété d’être criftallifée , la mine
d'Elbe en a d’ autres qui, fans lui être particulières,
fervent cependant à la caradtérifer : elle eft d’abord
d’ un poids plus confidérable que toutes celles
qu'on. çonnoît ; elle, paroît avoir à.la main lape
fan te ur
E L B
pefanteur du f e r , comme elle en a l’éclat. Elle
eft cependant d’une pefanteur allez inférieure à
celle de ce métal, puifque dans l’eau elle perd
plus d’ un fixième de fon poids, tandis que le fer
n’en perd qu’ un feptîème au plus.
Sa dureté eft très-grande lorfqu’elle eft en mafle
compacte & lorfqu’elle n’a pas effuyé l’aétion du
.feu. Quand elle eft criftallifée elle doit fa fragilité
aux intervalles quelaiffent entr’elles les criftallifations.
Elle fe pr,éfente prefque toujours pure , c ’eft-
à-dire , fans être affociée à des matières terreufes
ou métalliques étrangères, fenfibles à l’oe i l , &
tellement confondue avec elles, qu’on ne puiffe les
féparer que par le bocard ou par le feu. La feule
efpèce de ces dernières qu’on y rencontre, font
des marcaflites cuivreufes qui exiftent quelquefois
en groupes allez confidérables , mais rarement
mêlées avec la mine de fe r , de manière à ne pas
en être féparees avec le marteau feul.
Le quartz s’y rencontre beaucoup plus fréquemment,
& il eft quelquefois mêlé avec elle en
ramifications fi déliées ou en criftallifations fi menues,
qu’on ne peut les féparer que par le feu.
La pierre à rafoir de le fehifte, s’y mêlent aufti
quelquefois, mais très-rarement : on n’y voit pas
de fpaths ni de pierres calcaires.
Dans les grillages en grand on n’y fent aucune
odeur qui décèle la préfence de l’arfenic, mais
bien celle du foufre , & quelquefois même en fi
grande abondance, qu’elle eft infoutenable, &
qu’ elle oblige les ouvriers à fortir de l’atelier.
C ’eft donc finguliérement par le foufre que le
fer eft minéralifé dans la mine d'Elbe : peut être
les acides vitrioliques & marins y entrent-ils auffi
comme minéralifateurs, ainfi qu’ oa le dira plus bas
en parlant des couleurs de cette mine.
On imagine bien qu’étant aufti chargée de foufre,
■ elle eft très-fufible,' lors même que les grillages
qu’il faut lui faire fubir pour la traiter l’ ont
délivrée de la plus grande partie de ce foufre.
Les acides , aidés même de la chaleur, n’ont
point d’aétion fur elle.
L’aimant n’en a pas davantage.
Telles font les propriétés remarquables de la
mine d'Elbe. La plus fingulière de toutes fans contredit
, c’ eft la criftailifation Se cet éclat métallique
qui lui font particuliers. Cette propriété ne peut
fûrement être attribuée à ce que la matière du fer
entre feule ou prelque feule dans la compofition de
cette mine, puifqu’on a yu que le foufre la miné-
ralife fi abondamment, Se qq’on verra par la fuite que
fon produit en fer eft inférieur à celui de certaines
mines qui n’ ont aucun éclat métallique, telle que
la mine d’Alvar en Dauphiné, la mine blanche en
Sybérie, & même certaines mines ordinaires en
roche grife.
La minéralifation étant ainfi admife, il paroît
qu’on peut expliquer d’ une manière aflez pro-:
bable comme il fe fait que la mine d'Elbe foi;
Géographiè-P hyfîque. Tome IV ,
E L B a5
j criftallifée, comment elle eft fi compacte, commenr,
j ayant une pefanteur fi approchante de celle de ce
| métal Se tout fon éclat, il fe fait cependant qu’elle
foie inférieure en produit à beaucoup de mines
qui n’ont pas à beaucoup près des apparences fi
! riches.
Il fuffit pour ce la , ce me femble, de confi-
dérer que le foufre étant le minéralifateur de cette
mine, & cette fubftance ayant une très-forte
analogie au f e r , fes molécules font dans le cas de
fe combiner très-facilement & très-intimemenc
avec celles de ce métal fi les circonftances favo-
rifent cette combinaifon.
D’après cette confidération Se d’après les ob-
fervations précédentes on peut croire que la
mine ou le tout qui réfultera de la combinaifon
du foufre & du fer fera dans le cas d’être compacte,
très-pefant, & capable même d ’une crif-
tallifation régulière, Se qu’ il aura ces propriétés
à un degré d’ autant plus éminent, que la combinaifon
fe fera faite avec plus de lenteur &
avec moins d’obftacks.
D’après la defcrjption qu’on a donnée de cetta
mafle d’où l’on tire. la mine d’Elbe , les perfonnes
meme convaincues de la reproduction ou de la
production journalière des minéraux , qui favent
qu’ il n’ eft pas plus rare de rencontrer dans d’anciens
travaux des outils incruftés de minéraux,
que des criftallifations qui contiennent des animaux
ou des^corps étrangers à ces criftallifations,
ces perfonnes pourroient croire que les fentes ,
les crevafles de cette mafle, qui fervofent de conduits
ou de filières aux matières métalliques on
métallifantes, ayant été bouchées ou interrom-;
pues, le laboratoire, fi on ofe s’exprimer ainfi,
ayant été bouleverfé, la nature a dû ceffer d’opérer,
Se que toute la mine qu’on trouve aujourd’hui
dans cette mafle, préexiftoit au boulever-
fement ; mais ces perfonnes en feroient défabufées
par plufieurs obfervations qu’on a faites fur de
nouvelles criftallifations, & en particulier par
l’ infpeCtion de deux pics à roc trouvés dans l’intérieur
du maflif, entre deux blocs de mines, &
recouverts de criftaux de fer. Ces faits fuffifenc
pour convaincre que depuis le bouleverfement,
quelle qu’ait été fon époque , la nature avoir
repris ces opérations, qu’ elle les continuait journellement,
Se q ue , travaillant avec les mêmes
matériaux, avec la même lenteur, elle faifoit les
mêmes ouvrages.
Il refte maintenant à parler de ce qui concerne
l’exploitation de la mine d'Elbe.
Cette mine n’exiftant point par filons réguliers,
ainfi qu’on l’a déjà dit, on ne peut exploiter par
des galeries : il a fallu marcher à ciel ouvert.
La mafle eft donc attaquée fur une hauteur de plus
de vingt-cinq toifes, & fur une étendue circulaire
de plus de quatre cents. Du point où ces travaux
paroiflent avoir été commencés, jufqu’à celui
où l’on travaille actuellement, il y a environ
D