
La glace de cette mer diffère beaucoup de celle
du Spitzberg, & il eft probable qu'elle fe forme
dans ces mêmes parages : outre, cela 3 elle n'eft
bornée nulle part par une haute terre dans les
vallées de laquelle puiffent fe raffemblerles énormes
glaciers ou icebergs q u i, en s?écroulant en-
fuitë, forment ces hautes îles de glaces dont nous
parlerons à l'article du Spitzberg. Ici la glace
eft mobile , excepté autour des grands promontoires
qui font inveftis de montagnes de glace
pleines d'afpérités. On fait qu'un vent3 fouillant du
nord avec fo r c e , couvre de glaçons toute la côte
en vingt-quatre heures dans la largeur de plufieurs
milles 3 comble le détroit de Bering^ & même les
mers de Kamtzchatka , & enfin des glaçons les
moins confidérable» gagnent jufqu'aux îles : ce
font principalement des glaçons plats, dont quel- !
ques-uns font très-étendus ? & autour defquels !
flottent des glaçons plus petits : on en-voit depuis
deux ou trois toiles d'étendue, jufqu’à vingt & ;
vingt-cinq. Les malles de glaces les plus épaiffes i
ont environ trente pieds fous l'eau ; dans les autres, *
la plus grande hauteur au delTus de l’eau eft de feize
a dix-huit. Les glaçons étoient tranfparens, excepté
à j a furface, qui étoit poreufe & fouvent pleine
d'afpérités.
Quelquefois cependant les glaçons font formés
«e plufieurs morceaux de glaces amoncelés les
uns fur les autres : telle étoit la montagne de glace
fur laquelle monta le cofaque Morkof. La def-
truélion de la glace n’eft pas l’ouvrage du foleil
dans un climat où les brouillards régnent beaucoup
plus que les rayons ne peuvent agir à découvert, f
Il ne paroît pas que le détroit de Bering en reçoive
jamais allez de chaleur pour dégager la mer de fes -
glaces : il en feroit même en très-peu de tems entièrement
comblé fans l'aétion des vents qui font
heurter les glaçons lés uns contre les autres, de •
maniéré a les brifer & à les réduire en petits
morceaux qui fe fondent très-facilement.
Les animaux de la Mer-Glaciale des environs du
détroit de Bering font très-peu nombreux, & peuvent
fe réduire au walrufe, au veau marin, & à
I ours polaire , qui ne diffère pas des autres ours
aréliques. Les walrufes font couchés par milliers fur
les plateaux de gla ce , & dans les tems brumeux
ils ont fervi, par Jeurs rugilfemens, à écarter les
Bavigateurs anglais de ces glaces. On les voit ordinairement
endormis , mais jamais fans quelques
fentinelles épaifes qui annoncent de proche en
proche le danger. Ces animaux font un objet de
chafle pour les Tfchutfchis qui en mangent la chair,
& couvrent de leurs peaux leurs huttes & leurs
canots.
Les baleines abondent dans cette mer. Le poiffon
qui Yert de nourriture aux veaux marins & aux
ours polaires doit néceffairement s'y trouver aufli.
Les coquillages & les plantes marines qui font
l'aliment des walrufes ne peuvent y manquer.
Lés oies & les canards ont été vus dans le mois
d’aodt, foit venant de leur ponte qu’ils font probablement
dans une terre autour du pôle, foit de
la partie du continent de l’Amérique, qui s’ étend
fort loin. . *
On y voit .quelques bois de flottage ; mais ce
font furtout des arbres avec leurs raçines , fans
écorces ni branches, preuve qu’ils ont été apportés
de loin & dépouillés ainfi par les glaces.
Voyage à la Mer-Glaciale par M. Hearne.
M. Samuel Hearne, au fervice de la compagnie
de la baie d Hudfon, fuivant Iedefirdes direAeurs,
entreprit, le 7 décembre 1770, un voyage dans le
voinnage des côtes feptentrionales de l’Amérique.
11 partit du fort du prince de Galles, latitude
cinquante-huit, trente. Il dirigea d’abord fa courfe
au nord-oueft, traverfa le lacMenifchtic àla latitude
de foixante-un.Celac a trente-cinq milles de largeurs
il eft rempli d’ un grand nombre d’îles fort belles ,
& verfe fes eaux dans la rivière Namaffy ; enfuite
1 paffa les lacs Wiethen.Se Cafled, & de ce dernier
il prit fa route droit, à l’oueft. Au mois- d ’avril il
atteignit Thievt'eyaza-Yeth, petit lac à dix-neuf
degrés de longitude, à l’oueft du fort Churchill,
latitude foixante-un, trente, près duquel i f fit
quelque féjour : il y conftruiiît des canots propres
à réfifter aux glaces. De ce lac fa route changea
de direâion 8c fut dirigée droit au nord. Dans ce
trajet il traverfa une ftiite de lacs liés enfemble,
dont Titumeg en eft un, à la latitude de foixante-
quatre. il s'embarqua fur le lac Peshesv, enfuite
iur le lac Cogeed, d’où fort une rivière qui coule
. au nord-eft, & qu on fuppofe fe décharger dans
la baie de Baffin. Vers le milieu de juin il parta la
grande rivière Conga-Catha-Wha-Chaga, latitude
foixante-huit, quarante-iîx, & à l’oueft de la ri-
: vière Churchill, vingt-quatre degrés deux minutes
de longitude. Dans, ce canton font des montagnes
de pierres qui s'étendent en longitude depuis cent
feize degrés jufqu’ à cent vingt-deux du méridien
de Londres. Ces montagnes font efcarpées, & pré-
fentent des formes effrayantes. Le 7 juillet il arriva
au lac Buffalo, latitude foixante-neuf degrés trente
minutes : c'eft là qu'il vit le buffle mufqué. Près
de fon extrémité feptentrionale eft une montagne
, latitude foixante-dix, qui fert de retraite
à un grand nombre de ces animaux.
Le 15 juillet j l atteignit les bords de la rivière
de Cuivre, qui coule droit au nord dans la Mer-
Glaciale. Dans les parties méridionales du cours
de cette rivière il y a beaucoup de forêts 8c des
collines fort hautes. Son courant eft très-rapide.
Son canal eft embarraffé de rochers qui barrent
fon l i t , & y occafionnent trois grandes cataraéles.
Ses bords font fort élevés. Elle a quatre-vingt-
dix toifes de largeur; mais, en quelques endroits,
elle s’élargit en forme de lac.
Dans une île de cette rivière il fe trouya un
camp d’ été de cinq tentas li’Efqmmaux. En vain
M. Hearne fupplia des Indiens qui l’accompa-
gnoient 3’épargner ces pauvres gens ; ils. les égorgèrent
tous. Leurs habillemensreffembioient beaucoup
à ceux des Efquimaux de la baie d'Hudfon.
M. Hearne apperçut la Mer Glaciale pour la
première fois le 16 juillet, à la diftance de huit
milles : II alla jufqu’à l’embouchure de la rivière,
latitude foixante-douze, longitude occidentale de
Londres, cent vingt-un degrés ; i) la trouva remplie
de rochers, de cafcades, 8c inacceffible à la
nrarée, qui paroiffoit s’élever de douze à quatorze
pieds. La mer étoit alors couverte de glaçons, &
fur plufieurs de ces glaçons il apperçut des veaux
marins. La terre s’étendoit à l’eft St à l'oueft, &
la côte étoit bordée d’îles. Le terrain des environs
de la rivière Copper ou de Cuivre, dans l'e s pace
de neuf à dix milles, étoit marécageux, rempli
, en plufieurs endroits, de grands faules, mais
fans aucun arbufte à baies. D’ailleurs, il n’ y a point
de bois dans l ’efpace de trente milles jufqu’à l ’embouchure
de la rivière, 8t ceux qu’on voit enfuite
ne font que des pins, avortés 8c rabougris.
Les peuples, les plus voifin.s de cette rivière font
les Indiens de mine de cuivre 8c de plate côte de
chien; ils n’ont aucun commerce direéf avec la
baie d'Hudfon j mais ils y vendent leurs fourrures
à des indiens plus méridionaux, qui viennent les
chercher, & les apportent jufqu’aux établiffemens
européens.
M. Hearne fe mit en route le zz juillet pour
retourner à la baie d’Hudfon ; il prît, en quelques
lieux, lui chemin différent de celui qu'il avoit
ténu en allant, 8c i! n’arriva aux établifl'emens
qu’en juin 177a. M. Hearne aflure que toutes les
rivières & tous les lacs qu’il a traverfés, foit en
canots, foit glacés, font des amas ou des courans
d’eau douce ; que de la plupart des lacs il fort
des rivières; qu’ enfin on y pêche, ainfi que dans
les rivières, des brochets, poiffons connus pour
ne fréquenter jamais l’eau falée.
Si nous fuivons maintenant Ja Mer-Glaciale ,
nous la trouverons dans l’ancien Groenland. A la
pointe de l’ iflande commence la partie autrefois
habitée de l’ancien Groenland. Un détroit fort
profond s’ouvre à peu près en face de Snoefelnas,
8c traverfe le Groenland près du havre de Jacob
jufqu’au détroit de Davis, de manière qu’ il ifole
cette contrée. Maintenant ce détroit eft entièrement
bouché par les glaces, 8c il remplit annuellement
les mers des plus grandes"montagnes de
glaces qui s’en détachent. Un peu au nord de l’entrée
orientale font deux montagnes d’une hauteur
confidérable, qui font enveloppées d’une glace
continuelle. Tout ce pays, même à l’extrémité
fud, offre de femblables montagnes avec la même
enveloppe. Un petit nombre eft découvert, 8c
montre des malles pierreufes. La plus grande partie
du pays offre d’énormes glaciers, dont les fom-
mets pointus fendent les nues ou s’étendent en
forfaces pleines d’afpérités.
C e pays fut habité autrefois par les Nurwe-
giens, qui furent probablement chaffés de la côte
P? r les glaces. Les tentatives q u ’on a faites en
diftér.ens terris pour repeupler l’ancien Groenland
ont prouvé que les glaces opposeront déformais
un obftacle invincible à ces établiffemens. Ce n'eft
qu'une étendue effrayante de glaciers depuis la
latitude quatre-vingt-une, jufqu'à Staten-Hook
ou le, cap Farevrel, fon extrémité méridionale :
ceçi fe prolonge aufli fur une île détachée de cette
pointe, latitude cinquante-neuf. Les deux côtes de
cette étendue font profondément creufées de baies,
8c bordées de-promontoires de glace. Plufieurs de
ces baies ont fait partie de détroits acceflibles,
qui avoient divifé le pays en plufieurs île s; mais
ces détroits font abfolument fermés par des raaf-
fifs de glace.
Décrire maintenant le nouveau Groenland , ce
feroit montrer des neiges, des glaciers qui ont
plus de mille toifes de hauteur, 8c qui s'élèvent,
fous la forme de pyramides, au deflus de vallées
qui n’ont d’autres végétaux que des moufles; 8c
ailleurs, des montagnes à fommecs plats font cou-,
vertes de neiges 8c de glaces. Le pays, au lieu de
s'améliorer, fe charge de glaces. Les glaciers gagnent
conftamment fur les vallées, & détruifent
toute efpérance de changement, avantageux. Il
fuffit, pour,en donner une idée, de décrire ces.
.émnrtans glaciers, le Ice-Blinck ou le Ice-Gljnce .,
C ’eft un amas inconcevable de glaces accumulées
à l’embouchure d’une petite baie qui s'élève à
une hauteur incroyable, &r qui brille aux yeux des
navigateurs à plufieurs lieues de diftance. A fa bafe
elle préfente une fuite d’arcades magnifiques dans
l’étendue de huit lieues de longueur fur huit de
largeur. Entre ces ouvertures ou arcades étonnantes
on vo it déboucher d’énormes quartiers de
glace, q u i, au tems du dége l, font entraînés dans
la mer. Ces quartiers font fournis par les diffé-
rens glaciers, & garniffent la mer de glaçons flot-
tans en remplacement de ceux qui le brifent 8c fe
fondent. Les détroits, aujourd'hui fermés à la
navigation , font préfumés ouverts dans le fond
par des arcades femblables à celles dont on vient
de parler ; car on a reconnu qu'une quantité con-
fiférable de glaçons forcoit annuellement de leurs
vaftes embouchures.
Les îles de glaces du .Groenland ont des cou-
leurs.fort éclatantes. Le vert eft aufli v if que l'émeraude,
8c le bleu aufli beau que le faphir. On
prétend que la première, couleur eft produite par
i eau douce, Sc la féconde par l'eau falée. L’on
trouve de fréquens exemples d’eau de mer gelée
autour de ces ries, 8c Couvent il fe forme un ponc
de glace d’ une île à l’autre.
Si nous paffons maintenant à l’extrémité méridionale
du Spitzberg.,, à foixattte-feize degrés
trente minutes de latitude nptd, nous trouverons
le plus vafte arnas.de glaces qu’ il y ait dans ces
parties voifînes du pôle feptentrional.. Les îles des