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*Les montagnards prétendent que ces eaux font
fort faines & ne les incommodent jamais, quoiqu'ils
foient dans Tufage d’en boi>e lorfqu'ils ont
fort chaud ; ils les préfèrent aux eaux de (ources.
Dans,tous les endroits où les h bitans font un
ufage habituel de ces eaux, on ne remarque pas de
goitreux comme dans le Vrillais, & il y a grande
apparence que ce ne font pas les eaux produites
par la fonte des glaces, qui occafionnent cette in-
difpofition : on leur attribue même des qualités
bien fai fin tes, celles de délaffer,de guérir de la
dysenterie & de la fièvre.
C ’-eft encore aux pieds de ces glaciers qu’on voit
ces marèmes ou enceintes de pierres dont nous
avons parlé : c'eft là qu'on remarque aufïi ces
maffes étonnantes de glace qui labourent le terrain
parleur poids, & pouffent devant elles tout
ce qui n'eft point attaché au fol. Une obfervation
particulière'à ce fujet, faite à Chamouni en Savoie
, à côté de la grotte d’où fort l'Arveiron,
6c qui prouve la force & la puiffance avec laquelle
ces glaces avancent, ce font les effets du frottement
de deux groffes mafîes de granit, qui, appuyées Pur e
contre l'autre , fe font rayées en conséquence d^
la pouffée des glaces» elles fe trouvent en avant
d'un énorme, tas de granit , dont plufieurs blocs
font d'un volume prodigieux. Il a fallu que le glacier
mît en mouvement toutes ces maffes pour
que les frottemens aient produit de Semblables
rayures.
Conféquences générales relatives aux faits expofés fur
les glaciers.
Nous n'avons conlîdéré jufqu’ici les glaciers &
leurs phénomènés que pomme dés effets naturels
qui méritoient la plus grande attention par eux-
mêmes i mais il nous relie à montrer les avantages
qui en réfultent. D'abord » c ’eft le grand
moyen que la Nature emploie pour conferver & ménager
à la partie des montagnes où ils fe trouvent,
une quantité d’eau toujours proportionnée à nos
befoins > car ce font les glacières qui fourniffent
les eaux aux plus grands fleuves de l'Europe & à
ùn grand nombre de rivières qui finiffent par s'y
réunir. En rie faifant mention que de la Suiffè, le
Rhône , le Teflin, l'Adda, l'Inn , la Maira, l'Al-
bula , la Reuff & l'Aar tirent leur fource des
glaciers de îà Suiffe, fans compter nombre de'tor-
rens & de ruiffeaux qui vont remplir les baffins des
lacs.nombreux que renferme1 de pays. Toutes ces
eaux courûtes1 fuffiferit pour réparèr en grande
partie ce que l'évaporation des étés très-chauds
' ertlèvé aux befoins de Jla végétation. Ces fleuves &
ces rivières qui fortent des glacières ne groffiffent
& ne débordent que pendant l’été & à là fonte
des neiges, c’eft-à-dire, danslafaifon où les autres
rivières 'fo n tà ie c , & où la plupart des fources
& des fontaines font taries & ne donnent prefque(
plus d'eau i au terres enfin où nous en avons le plus
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grand befôin pour humeéter l’air 8c la terre. Ces
rivières 6c ces fleuves, par leurs circuits multipliés,
arrofent d'immenfes pays avant d’arriver aux différentes
mers où ils fe jettent. C ’eft cette mène
eau, diftribuée à la furface de ces pays 6c dans
les baffins des mers , qui, tranfportée par les vents,
va fe repofer en vapeurs fur les .cimes des mêmes
montagnes &. remplir de nouvelles eaux le? réfer-
voirs des glaciers 6c des fontaines des pays de collines.
Il faût donc confîdérer les glacières comme
d'immenles magafins d'eau folide que la Nature
tient en réferve, & où elle en amoncèle chaque
jour pour les distribuer en raifon de la chaleur &
du befoin. Si l'on peut fe faire une idée de la
quantité d'eau que peut fournir la fonte des neiges
par la remarque faite fur le feul lac de Genève, &
qui conftate que ce la c , qui a vingt-fix lieues carrées,
croît en été iufqu'à dix pieds & plus par la
fonte des neiges, on reconnoïtra en même terris
combien eft grande la quantité de neige & de glace
en comparant l’écoulement de quelque grand fleuve
avec leslïmas qui fervent à l’alimenter. Il faut ,
en effet, fe placer fur quelques-unes des hautes
montagnes d’où i’on peut découvrir les glacières.,
on verra que le plus grand fleuve ne paroït qu’un
foible & petit, ruiffeau à caufede la diftance, 6c
que les amas de glaces d’où il découle, font toujours
grands 6c immenfes j enfin on ne peut fe
diffimuler qu’il faudroit plufieurs années pour les
épuifer, quand même de nouvelles glaces ne rem-
placeroient pas celles qui fe fondent. Cette com-
paraifon peut fe faire d’ un coup-d’oeil.On conçoit
aufli à cetie infpeétion, que de grands pays pour-
roient être inondés totalement s'il fe faifoi-t une
fonte fubite de cette énorme quantité de glace.
Le foible fouvenir que i’Hiftoire nous a confervé
de grandes inondations qui ont ravagé certains
pays ne pourroient-elles pas avoir été produites
par quelque fonte fubite de glacières, oçcafionnée
par une chaleur extraordinaire} 6c s'il peut avoir
exifté des glacières dans des pays où il n'y en a
plus actuellement, il eft vifible qu'il manqueroit à
î ’obfervateur qui parcourroit ces pays un moyen
d'expliquer plufieurs formes fingulières que la fur-
face dè la Terre auroit prifes fous l'empire des
glaces. Il en eft à peu près de même lorfqu'on vi-
fite un pays qui n'a pas toujours été fournis aux
effets des neiges & : des glaces, & qui a reçu au
contraire les impreffions des eaux courantes. Ç ’eft
ainfi que les glacières, 6c les glaciers fe trouvent
renfermés dans des valléesjqui peuvent être l’ouvrage
des eaux dont le cours eft libre 6c continuel,
ces formes ayant été données aux anciens ^aflifs
par les mêmes agens dont on retrouve les effets
dans les pays de montagnes où il n'y a pas de
neiges ni de glaces permanentes.
Nous ne finirons pas ce que nous nous propo-
fions de dire ici fur les glaciers, fans rapporter ce
que tous les curieux qui vifitent les glaciers de
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Chamouni en Savoie ont occafion de v o ir , relativement
aux ravages que peuvent faire ces amas
de glaces lorfqu’ils éprouvent une fonte fubite 6c
extraordinaire. On voit aux environs du glacier
de l'Argentière une énorme quantité de terre ,
de gravier , & furtoilt de pierres roulées couvrir
des terrains confidérables. On voie parmi ces
décombres , des fapins , des mélèzes, des aulnes
fort gro s , arrachés, renverfés, quelques-uns
même rompus : plus loin, des ravins profonds ont
été creufés dans les endroits où l’eau formoit un
torrent plus v if & plus décidé, à côté defquels fe
trouvent des blocs prodigieux de granit > enfin on
apperçoit à travers tous ces dépôts , ouvrage de
l'eau torrentielle, des veftiges de culture, des
reftes d'enclos & de poffeflion que l’eau avoit ref-
peêtés. On apprend en nême tems que ce dé-
iaftre a eu lieu à la fuite d'une grande pluie chaude
qui dura vingt-quatre heures} que la nuit on avoit
entendu un bruit & un fracas épouvantables pro^
duits par les pierres qui rouloient avec les eaux
de la fonte des glaces.
Il eft aifé de voir de quelle hauteur ces pierres
étoient defeeridues, en fuivant la route que les
torrens ont tracée au deffous du glacier. Plus on
monte , moins on trouve les pierres déformées 6c
dégroffies. La pluie tomba fur les montagnes environnantes,
qui étoient alors chargées de neige, 6c
fur le glacier même. Elle fondit les neiges , élargit
les fentes du glacier par la même raifon , & y
forma des vides & des goufres effroyables. On
penfe bien que ce volume d'eau entraîna les terres,
les graviers 6c les pierres de la marème ou enceinte
gauche du glacier. Les pierres & les morceaux
de granit qui étoient reftés en place, parce qu'ils
ne s'étôient pas trouvés immédiatement dans le
pafiage du torrent, étoient fembiables à celles
des décombres du bas : feulement n'ayant .pas
éprouvé le frottement du tranfport & du roulement
, elles étoient plus anguleuses.
Le premier volume d’eau qui tomba d’abord,
ayant entraîné les terres, les graviers & les pierres
les plus petites qui fe trouvent mêlées aux gros
blocs, avoit privé celles-ci de leur alliette, mais
la fonte des neiges & des glaces fe trouvant jointe
enfuite à la grande pluie qui tomboit, entraîna
de même les plus groffes maffes, q u i, roulant &
bondiffant de rochers en rochers, 6c fe heurtant
dans leur chute, occafionnèrent ce bruit 6c. ce
fracas épouvantables, qui alarmèrent leshabitans
de Chamouni. Le frottement & l’égrifement de1
cette énorme quantité de granit produisirent aufli
une pouflière q u i, malgré la pluie, voltigeoit
autour de cét endroit. On remarquoit, fur un
grand nombre de ces pierres, les effets du frottement
réciproque de ces pierres, entraînées dans
le torrent 6c fur les rochers qui lui fervoient de
Jit, & qui furent même entamés 6c creufés dans
plufieurs parties, en un mot ravinés. On v o i t ,
dans tous ces effets, des échantillons du travail de
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la Nature dans l’arrondiffcmentdes caiiloux roulés
6c dansTapprofondiffement des vallons.
Dans les hautes montagnes , au tems de la fonte
des nèiges, où lës torrens verfent beaucoup d'eau
fur des lits fort ‘inclinés , 6c dans les,endroits où
il y a des cafcàdes, on diftingue très-bien le bruit
ocçafionnë par la chute des'.pierres, d'avec celui
produit par la fimple chute de l'eau. Les grandes
pluies , les orages fubits qui tombent fur les montagnes
rapides, & qui raffemblent beaucoup d’eau
dans des gorges étroites, produifent les mêmes
effets fans avoir befoin d’être aidés par la fonce
des neiges , qui n’elt qu’un moyen de plus. Les
ravins profonds qu’on voit fe former d’un jour à
l’autre ont la même origine'. Il n’y a pas c e pays
en hautes montagnes où..l'on ne tbjç rémoin aè
pareils défaftres, qui fe multiplient chaque année.
L'extenfion progreffive des glaces fur le G lo b e ,
en la fuppofant vraie, ne peut en aucune forte
fervir à prouver la diminution de la chaleur centrale.
Cette extenfion feroit la caufe autant que la
preuve du froid que l’on éprouve à la furface de
la terre; mais elle ne pourroit être ni l ’une ni
l'autre à l'égard de la température du centre, à
moins qu’on n’impute à cette même température
centrale la première glace qui s’eft formée fur les
montagnes. On doit fentir que lï une première
congélation s’y eft faite par une autre cauie indépendante
& extérieure, on ne peut plus en attribuer
exclufivement les progrès ni à une caufe centrale
quelconque , ni même à la caufe de la première
glace , qui eft extérieure; car il fuffit de la
première glace & de fa préfence feule pour produire
un nouveau froid local, qui combattra &
repouffera la chaleur ambiante de plus en plus.
C'eft là le cas où néceffairement l ’effet devient
caufe à fon tour : c'eft le cas de la plus grande
partie.des maffifs de glace qui fe font formés fur
les Alpes, & qui prennent, une certaine extenfion.
GLACIERE N A TUR EL LE . On connaît une
caverne à cinq lieues de Befançon, à l'eft & dans
la contrée de cette province appelée communément
Montagne, & dans un bois voifin du village
de Chaux : elle eft au pied d’un roc élevé de
quinze pieds } elle a quatre-vingts pieds de hauteur
ou de profondeur. Au mois de feptembre
1 7 1 1 , on trouva que ie fond de cette caverne,
qui eft plat, étoit couvert de trois pieds de glace
qui commençoit à fe fondre, & il y avoit trois
pyramides de glace de quinze ou vingt pieds dè
haut, fur cinq ou fix de large, qui étoient aufli
beaucoup diminuées. Il commençoit à fortir , par
le haut de l ’entrée, un brouillard qui en fort.tout
l'hiver, & qui annonce ou accompagne le dégel
de cette glacière : cependant le. froid y étoit en core
fi grand, qu’à moins que d'y marcher 6c de
s'agiter, on n'eût pas pu y demeurer une demi-
heure, 6c qu’ un thermomètre q u i, hors de la