
Sept Soeurs, les dernières de la terre connue,
atteignent jufqu’à quatre-vingts degrés quarante-
deux minutes. Toutes ces îles font fort hautes.
Du fommet d’une de ces îles les navigateurs de
1773 eurent la vue de dix à douze lieues de glace
unie qui fe cominuoit vers l’eft & le nord-eft, où
elle n’ avoit de bornes que l’horizon. C ’eft entre
ces îles & le nord-eft-land que le lord Mulgrave
fut pris par les glaces, qui environnèrent de toutes
parts les deux vaiffeaux de l’expédition. Après
avoir lutté long-tems contre ces glaces, à la fin
un heureux vent s’é lève , les glaces s’écartent, fe
féparent affez pour céder à l’a&ion des vaiffeaux
qui portoient toutes leurs voiles, & , après avoir
travaillé fans relâche pour vaincre la réfiftance des
plaines de glace ', ils arrivèrent à l’extrémité occidentale
du Spitzberg. Le malheur du lord Mulgrave
fut de rencontrer, dans cette faifon, ces
étonnans bancs de glace qui quelquefois couvrent
ces mers dans une étendue de plufieurs lieues j
elles forment, depuis la latitude de foixante-dix-
huit degrés trente minutes jufqu’à quatre-vingts
degrés quarante minutes, un front de glace fans
la moindre ouverture, & ayant la force & l’apparence
d’un mur folide & continu. On fait très-
bien que les côtes de Sibérie, après une tempête
occafionnée par un vent du nord, deviennent in-
acceffibles fur une grande étendue qui fe trouve
couverte par les glaces du pôle que la tempête
met en mouvement, & qu’elle y pouffe & accumule
j mais on fait auffi qu’ un vent violent du
midi rechaffe ces glaces dans leurs premières retraites,
& rend pour lors les rivages de la Mer-
Glaciale auffi libres que ceux des mers de l’équateur.
Ceux qui ont trouvé la Mer-Glaciale dégagée
ainfi de glace ont atteint de plus hautes latitudes.
Les Ruffes, fous le vice-amiral Tshit-Shaghes,
ont tenté de s ’avancer jufqu’ au pôle même par la
côte orientale du Spitzberg, & ils fe font convaincus
que cette étendue de mer eft abfolument
impraticable, & obftruée par les glaces.
Les formes que prennent les glaces dan$ ces
froids climats'font très-fingulières. La furface de
celle qui fe forme d’eau de mer congelée eft plate
& unie, dure, opaque, reflemblant à du lucre
blanc. Les grandes,, portions ou plaines de ces
glaces occupent plufieurs lieues de longueur. Les
moins grandes fervent de retraite aux veaux marins.
Le mouvement dès plus petites pièces de
glace eft auffi rapide que celui des courans. Les
plus grandes, qui ont quelquefois autant d’éten- 1
due en fupeifïciè que la France, fe meuvent d’un !
mouvement lent & majeftueux : fouvent elles s’ ar- I
rêtent, pour un tems, dans un repos-dont tout le
pouvôir de l’Océan ne peut les déplacer, & alors
il en réfulte cette blancheur apparente que les
marins appellent clairs ' de glace. L’approche de
deux grandes plaines de glace produit un phénomène
fingulier. Les petites pleines font forcées de •
s’élever hors de l ’eau & de monter fur les premières
, auxquelles elles s’ajoutent. Une fécondé
vient, puis une troifième, &c. qui font forcées
de monter l’une fur l’autre j en forte que, de ces
additions fucceffives, il réfulte un entaffement
d’une épaiffeur effrayante. Ces maffes flottent dans
l’Océan comme autant de montagnes, & ont fou-
vent trois cents toifes d’ épaiffeur ; mais la plus
grande partie refte cachée fous les eaux. Leur
épaiffeur croît continuellement par la congélation
de l’écume de la mer ou par la fonte des neiges
qui tombent affez fouvent fur ces plaines de glace,
& cet accroiffement fe foutient tant que ces énormes
glaçons reftent dans ce climat froid j mais
ceux qui font pouffés par le vent du nord dans
des latitudes plus tempérées s’ y fondent par degrés,
tant par l'aétion de l’eau de la mer, que par
celle des rayons du foleil, & finirent par fe brifer
par gros débris, qui fe diffipent enfin & difpa-
roiffenc au milieu de l’Océan.
Le choc des grandes plaines de glace, dans les
hautes latitudes , eft fouvent accompagné d’un
fracas épouvantable : celui des grands morceaux
produit un bruit aigre comme celui de grandes ‘
maffes fonores qui s’écrafent avec un effort terrible.
Les vagues, qui viennent battrè & fe brifer
contre les montagnes de g la c e ,s ’y congèlent fous
une infinité de formes variées j ce qui préfente de
loin aux navigateurs l’afpeâ: de tours, de pyramides
& d’autres figures que l’imagination achève
d’embellir.
Les icebergs ou glaciers du nord-eft du Spitzberg
font une des plus grandes merveilles de cette
contrée ; ils font au nombre de fep t, & placés à
des diftances confidérables les uns des autres. Chacun
remplit & comble des vallées dont l’étendue
n’eft pas connue, parce que, dans cette région,
l’intérieur de ces vallées eft abfolument inaccef-
fible. Quelques-uns préfentent fouvent un front
à peu près femblable à celui des glaciers de, la
Suiffe dans quelques vallées baffes j mais dans leur
partie fupérieure ils offrent un front de trois cents
pieds de hauteur, qui a la couleur d’un vert d’é meraude.
Des cafcades de neige fondue fe précipitent
des fommets, & des montagnes pyramidales
à fond noir & à raies blanches fe montrent fur les
côtes de là mer. Il paroîtque ces glaciers cheminent
auffi, & finiffent par jeter dans la mer d’im-
menfes fragmens, qui tombent avec le plus.hor-
rible fracas. On a vu un de ces fragmens qui, précipité
fur un fond de vingt-quatre braffes, s’éle-
voit encore de cinquante pieds au deffus de ï’eau.
De pareils, glaciers font fréquens dans toutes les
régions ar&iques, & c’eft à leur écroulement qu’eft
due une grande partie de ces montagnes de glace
folidé qui hériflent ces mers.. .
La gelée fe jo.ue,- auffi fur ces glaciers , & leur
donne des formes, ou majeftueufes ou bizarres.
Au refte , ces icebergs font l’ouvrage des fiècles} ils
croiffent continuellement par la chute des neiges
&
& des pluies qui fe gèlent en tombant, & c’eft. par
ces reffources que ces glaciers réparent la perte
continuelle que leur caufe la chaleur du foleil ou
bien les écroulemens fréquens qu’ils éprouvent à
leurs extrémités inférieures. Nous terminerons ce
que nous nous propofions de dire fur les différent
états des mers glacées autour du pôle nord par la
Mer-Blanche, qui tous les hivers eft remplie des
g;aces que la Mer-Glaciale lui envoie, 8c avec elles
une efpèce de phoque.
G LA C IER E S , GLACIERS. Ces grands amas
de neiges & de glaces font des phénomènes des
hautes montagnes, qui méritent le plus d'attention
de la part du phyficien-naturalifte. Pour les faire
connoïtre d’ une manière particulière, il eft effen-
riel d’en décrire toutes les parties avec foin , en
montrant tout ce qui contribue à leur formation,
à leur entretien & à leur deftruétion , & enfin l'influence
générale que les glacières peuvent avoir ,
non-feulement fur la température des cantons qui
les renferment, mais encore fur celle du Globe.
La chaîne des Aipes eft compofée de hautes
montagnes entaffées les unes fur les autres , qui,
s’élevant par degrés, parviennent enfin à cette
région de l’ air où il n’y a plus affez de chaleur
pour que l’eau refte dans fon état de fluidité, mais
où elle fe maintient fous la forme de neige ou de
glace. Il eft vifible que le froid eft d’autant plus4
grand, qu’on s’élève davantage au deffus du niveau
de la mer. Dans le centre même de la zone torride,
au Pérou, les plus hautes montagnes y font
toujours couvertes ae neige & de glace. II faut
par conféquent attribuer le froid dès hautes montagnes
à la petite quantité de rayons du foleil qui
s*y réflëchiffent, 8t à la petite quantité de chaleur
qu’ils y produifent.
Au printems & en automne, quand il pleut au
pied des montagnes , il tombe de la neige fur les
fommets élevés à un certain niveau, & il en
tombe des quantités prodigieufes, dont une partie
même ne fond qu’en été & au milieu du jour , encore
faut-il que la chaleur des rayons du foleil
foit favorifée par la difpofition des lieux j mais il y
gèle toutes les nuits. Ainfi cette eau de neige fondue
, qui ne parvient pas à une certaine région
baffe avant la reprife du froid, dévient glace, &
furtout celle qui eft à la fuperficie des amas de
neige, auffi trouve-t-on des couches alternatives
de glace & de neige dans les plus grandes hauteurs,
& des glaces de differentes couleurs & den-
fités. Ces glaces intermédiaires, mêlées à la neige,
outre cela la fonte de la neige parla partie qui touche
la terre immédiatement, produifent des maffes
énormes de neige qui s’accumulent fur les fommets
& fur les pentes rapides, fe précipitent dans
les fonds, les comblent à des hauteurs confidérables,
8c forment une continuité de glaces & dé
neiges, qui n'eft interrompue que par les pics &
les fommets verticaux où la neige n'a pu s’éta-
Géographie-Phyfique, Tome
blir. Ce font ces montagnes, ces vallons, ces vallé
e s, couverts ou comblés en partie de glaces 8c
de neiges , qu’on nomme glacières. Vues de loin,
elles ne paroiffent former qu’une même couche ou'
une même croûte, & s’étendre à de grandes diftances.
La glacière la plus cônfidérable, quant â
fon étendue, eft celle qui fépare le canton de
Berne duVallais : fa longueur eft de trente lieues
ou environ, en admettant de très-petites interruptions.
Les rameaux qui partent des principaux
centres forment autant de glacières, dont l’afpeft
n’offre, à robfervateur étonné, que des amas dé
neiges 8c de glaces qui entretiennent un hiver continuel
dans les environs.
C e ne font pas toujours les fommets les plus
élevés qui font les plus couverts de neiges, parce
qu’elles fe précipitent 8c s’arrêtent à mi-côte, &
que ces fommets fe trouvant fouvent au deffus de
la région des nuages, il y neige moins qu’ à un
niveau inférieur. C ’eft au haut de ces flancs rapides
8c à pic où la neige n’a pu fe foutenir, qu’on
peut le mieux juger de l ’épaiffeur de celle qui eft:
accumulée au deffus & au deffous. Il eft aifé de
voir qu’elle a fouvent jufqu’ à cent 8c cent trente
pieds d’épaiffeur. On ne peut guère eftimer la
hauteur de celles qui comblent les fonds, autrement
qu’en fuivant les pentes des montagnes qui
font cachées deffous jufqu’au point où elles fe
joignent. Quand ces énormes tas de neiges ont
comblé les vallées, & que par le dégel & la congélation
alternatifs elles ont été converties en
glaces , les nouvelles glaces qui y arrivent, s’é coulent
comme des torrens pour fé répandre dans
les vallées, où elles defeendent fouvent au deffous
de la région où les neiges ne fondent plus, 8c où
toute végétation ceffe pour venir couvrir des terrains
cultivés : ce font ces écoulemens de glaces
qu’on nomme glaciers, 8c qui font l’objet de l’ attention
des curieux. On peut les vifiter, les examiner
avec le plus de facilité dans leurs parties
principales j au lieu qu’on ne voit les glacières que
de loin, de points fort élevés 8c de difficile accès;
C ’ eft alors qu’on embraffe, d’ une feule v u e , le
rapport des glacières aux glaciers, 8c l’enfemble
de ce travail étonnant de la Nature. Pour le faire
connoïtre en détail, nous allons raffembler les
phénomènes qu’on remarque, tant aux glaciers de
la Savoie , qu’à ceux de la Suiffe ; ils font partout les
mêmes, 8c ne fe modifient qu’en raifon de leur
fite 8c du local. Nous pourrions y joindre ceux des
glaciers qu’on trouve dans les pays voifins des
pôles.
Le premier phénomème qui attire l’attention en
arrivant l’été aux glaciers eft cette énorme quantité
de glace qui remplit la capacité du fond d ’un
vallon plus ou moins large, 8c au pied de laquelle
on voit en même tems des pâturages, des'arbres ,
ainfi que fur les flancs du vallon où ils font, & qui
font beaucoup plus élevés que les glaces. On fe
perfuade qu’il faut que cette glace fe foit écouléei