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& de plufîeurs autres. tels que le machoirèau jaunè
& blanc, l'efpadon 3 & c . ô n pourroit de même y
cultiver du manioca du coton^ du tabac, & y
elever du bétail dans les pâturages auiïi délicats
qu abondans qui s’y trouvent. J’en dirai de même
ûe TOyapock, des terres hautes & baffes delà
rivière d'Aprouage, des environs de Cayenne &
des rivières du nord jufqti’au Marony.
La Guiane peut être confidérée fous plufîeurs
afpeâs > mais nous nous bornerons à conlidérerfa
conftitution relativement à la nature du terrain &
au travail des eaux, qui en dégradent une partie
, pour en former une autre,
v C ’eft en général un pays bas, coupé par beaucoup
de rivières, travené par des ruiflèaux fré-
quens, & couvert par des eaux qui s’amaffent dans
nés lieux creux & enfoncés. Dans la partie voifine
de la mer, jufqu’à vingt-cinq lieues dans les terres,
le fol n’elt qu'un limon récemment dépofé par les
eaux. Au-delà le terrain s’é lè ve , & offre des mon-
ragnescouvertes de forêts. Ajoutez à cela, qu’il
pleut iur. toute cette luperficie pendant lepc &
quelquefois huit mois de lu ite , & que les pluies j
tombent ordinairement deux ou trois jours de fuite
fans interruption & par torrens : d’où on peut conclure
les ravages que les eaux produilent dans certaines
parties , quuoffrent des pences & les remblais
immérités qui s’opèrent dans les lieux bas.
On peut le former, d’après ces confidérations générales,
une idee de la Guiane, &furtout des parties
les plus baffes, inondées pendant fept mois de
1 annee, depuis les bords de la mer, jufqu’à vingt-
cinq lieues dans les terres. O n y voit la mer courroucée
, qui ne rencontre ni dunes ni promontoires qui
5 oppofent à les efforts, enfuite le répand fur ces
terres ouvertes & fans défenfe, mêlefes eaux à celles
des lacs, des rivières, des torrens, & façonne
infenfîblement lesnouveauxdépôtsque les eaux fu-
périeures y forment. Cependant quelques portions
de ce même terrain étant plus hautes que les eaux,
dans les tems mêmes des plus grandes inondations,
fembient autant d'îles qui fortent d’une vafte mer.
L e s terrains inondés d’un autre côté n’en entretiennent
pas moins des plantes de toute efpèce,
des arbres, des forêts} ils nourriffent de nombreux
troupeaux de quadrupèdes, des efpèces d’ oifeaux
prefqu’innombrables , des infeétes & des reptiles
qu on ne connoït point ailleurs, & qui nulle parc
ne font auffi grartas ni auffi variés. C ’eft là qu’à
l’ombre des forêts, paillent des troupeaux de pécaris,
des acouchis j des agoutis : c’eft là que fe
jqu^nt, fur les branches des arbres , des linges, à
co té de qui courent des lézards de trois à quatre
pieds de long, tandis que des irabes, qui montent
6 descendent, fe fufpendent par leurs pinces aux
mêmes branches. D’ un autre c ô té , des oifeaux,
auffi frappans par leur forme que par l’éclat deleur
plumage , fe repofent fur les arbres ou planent
dans l’air, les uns pour y faifir leur proie, & les
pour la découvrir dans les eaux *quand elle
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fe montre a leur furface. Des amphibies, des rep-
^ é s t des poiffons, nagent parmi les arbre$, les
fuites & les plantes. On voit que toutes les ri-
cheffés de la Nature fonü: prodiguées dans ces lieux
fans fe confondre. L’homme feul manque fur cette
terre fécondé , ou n’y paroît que rarement. On y
voit quelques canots d’Américains qui fufpendent
leurs hamacs aux branches des arbres, & ils ajoutent
au fpeétacle de la Nature que nous venons
de décrire, celui de l’homme couché entre les
branches des arbres, parmi les oifeaux & d’autres
animaux, & au milieu de tous quels il femble dominer. les êtres fur le(-
La defeription que nous venons dè faire de la
Guiane ne convient, comme on l’a déjà obfervé,
qu aux terres les plus baffes, à celles qui font incultes
& abandonnées, & ne repréfente l’état des
chofes que tel qu’il eft dans la faifon des pluies.
Quand celle de la féchereffe, qui dure quatre
mois, y fuccède, les eauxdécroiffent, les rivières
& les ruiffeaux rentrent dans leurs lits, le fol fe
découvre : les feuls endroits les plus bas & les plus
enfoncés reftent fous l’eau. Les poiffons , les amphibies,
tous les animaux qui vivent dans les eaux
ou fur les bords des rivières &r des étangs, fui vent
leur cours, fe retirent avec elles, & vivent alors
dans les endroits où ils trouvent leurs élémens.
Cette defeription étonnera peut-être une partie
des leéteurs, & les effraiera fur le fort des Européens
tranfportés fur cette terre nouvelle : fis n’y
verront que l’image de la mifère, là même où la
Nature étale toutes fes richeffes } mais il eft facile
de leur montrer que cette même terre n’attend,
comme tant d’autres qu’on a civilifées, que les
révolutions que le tems amène, & furtout des
hmaabinits a nqsu.i les fécondent pour nourrir de nombreux
Lesrivières, les torrens, la mer qui pouffe fans
ceffe fur fes bords les corps qui ont roulé parmi
fes flots, dépofent, lentement à la vérité., mais
fans interruption, la terre, les fables & les fubf-
tances de toute efpèce que ces eaux ont entraînés.
Le terrain s’élève, le lit des fleuves fe forme & fe
creufe. La mer elle-même accumule fur fes bords
des dépôts qui deviendront des digues infurmon-
tables à fes flots. Alors la terre s’affermit encore
davantage par la détermination fixe de fes limites,
& chaque élément occupe une place féparée 8>ç nourrit les .animaux qui lui font propres.
Mais quelle ne fera pas par la fuite la fécon-
ditéfo’un fol neuf aînfi formé, engraiffé par des
dépôts qui font l’ouvrage de plulïeurs fiècles ! Le
naturalifte, habitué a voir les états variés des
cantons qui doivent leur formation à des époques
differentes, loin d acculer la Nature, regardera ces
vaftes portions de continens comme des réferves
qu elle femble ménager pour les tems où d’autres
fols cultivés, épuifés de leurs fucs, cefferont de
pouvoir fournir aux befoins de leurs habitans cuK
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tîvateurs î mais en même tems il voit que s’il veut
accélérer ces tems qui n’étoient pas réfervés pour
lui, & cultiver une terre deftinée pour fa pofté-
rité , la Nature ne lui défend pas dé concourir à
fes travaux & d’en précipiter le terme.
L’Européen, guidé par ces principes, tranf-
porté à la Guiane, y verra le fol fe découvrir, fe
delTécher, devenir fertile fous fes mains labo-
rîeufes : il dirigera & redreflèra le cours des rivières
, trop long ou trop tortueux 3 il en élevera
Jes bords par de fortes digues 5 il en débarraffera
le lit des bois , des rochers & des obftacles diffé-
rens} il abattra des forêts dont l’ombre empêche
l’aéiion du foleil, & dont la maffe attire & fixe les
nuages. C’eft ainfi que, dans les diverfes parties di;
Globe, de tout tems l’homme a obtenu fur des
terres nouvelles, & qu’il s’eft approprié des
récoltes qui étoient le fruit de fes travaux & de
l’on induftrie. Si le travail qui attend le nouvel habitant
de la Guiane eft grand, les profits en feront jj
immenfes.
Nous ne pouvons pas manquer l’occafion qui
fe préfente ici, de montrer fous tous les afpe&s
l’état de la Nature à la Guiane, en faifant envi-
fagerles biens & les maux de l’Américain qui nous
femble abandonné fur cette terre que nous venons
de décrire : ces traits achèveront un tableau qui
n’eft point étranger à la géographie-phyfique.
Nous plaignons le fort de l’Américain : exami-
nons-le. L’habitude rend nuis pour lui la fôlitude,
le filence des forêts, la vue d’une terre inondée,
tous ces différens traits d’un tableau dont l’afpeéi
nousa étonnés ci-devant&dontl’enfembleeffrayoit
notre imagination. Il parcourt des forêts, mais il
y erre à fon gré } il n’y trouve ni barrières ni réferves
: toutes les parties lui en font ouvertes. 11
commande & drfpofe en maître partout où il arrive,
il couche dans un hamac fufpendu au deffus
des eaux} mais il eft libre de l’attacher où il veut.
Sa main & fon caprice dirigent fon canot. S'il fent
les atteintes de la faim, il trouve auffitôt fous fa
main de quoi la fatisfaire. Des fruits, de ceux dont
nous ne pouvons orner nos tables fans les payer
chèrement } des oranges , des limons de plufîeurs
efpèces, des ananas, s’offrent à fa main pour les
cueillir. Il ne lui en coûte que la peine ou peut-
être l’amufement de lancer fes flèches pour fe
procurer des poiffons, des quadrupèdes, dés oifeaux}
& ces derniers, outre leur chair dont il
fe nourrit, lui foutniffent leurs plumes pour en
compofer fa parure.
Libre dans l’abondance, fans idée de la propriété,
& par conféquent fans les pallions cruelles
qu’elle produit} fans envie, fans avarice, quels
biens peut-il defirer? Mettra-t-on en parallèle avec
Ja tranquillité dont il jouit, avec la certitude de
ne jamais manquer} roettra-t-on, dis-je, cet état
dé paix intérieure en parallèle avec quelques
mauxphyfiques. Loin donc que la Nature aitrefufé
fes dons à l’habitant paifible de la Guiane 3 s’il a
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1 un repioche à lui faire , c'eft de l'en avoir accablé..
De_cet état d'abondance, de cette facilité d
pourvoir à fes befoins naît, il eft vrai, fa nonchalance
habituelle, & cette apathie où fon âme cil
plongée. S’il manque quelque chofe à fon bonheur
, c’eft de connoître les defirs qui mettent la
lveas' amuar uàx l aajuoxuqiuffealns ciel . eMft aeixs ppoofué.rfuivons, & voyons
Un des plus frappans, le plus grand de tous peut-
être, eft caufé par un foible infeéle, par un éne
qui femble vivre à peine , mais que le nombre
prodigieux-des individus rend redoutable 5 enfin,
par les maringouins, ces infeétes que nous co:i-
noiffons fous le nom de confins, La Guiane fous
un ciel toujours échauffé, couverte d'eaux flagrantes,
dans lefquelles les maringouins fe multiplient
& vivent long-tems avant que de fe répandre
dans l'air, eft un des climats les plus favorables
à leur propagation ; auffi n’eft-il point de
pays où l'on en voie des nuages plus fréquens,
plus épais, plus incomrnodes. L'habitant de la
Guiane, pour fe garantir de leurs atteintes, eft
obligé de fe couvrir la peau d'un vernis de rocou,
d’allumer du feu, fous un ciel brûlant, dans les
endroits où il s'arrête, fi c’eft un terrain fec, ou
de fufpendre fon hamac le plus haut qu’il lui c-ft
poffiblefi c'eft au deffus des eaux, parce que ces
infeéhs ne s’élèvent qu'à une hauteur médiocre ;
mais ce fléau n'eft pas particulier à la Guiane : on
l'éprouve dans tous les climats couverts d'eati,
de forêts, &. que l'homme habite rarement; dans
ceux mêmes qui, condamnés à un froid & à une
ftérilité. perpétuelle, n'offrent au voyageur aucun
avantage endédommagement.Nous-mêmes, dans
nos climats, nous ne pourrions fupporter, pendant
une nuit d’été paffée dans une forêt, au bord d’un
étang ou d'une mate, le bourdonnement &c les
piqûres des coufins. Dans les campagnes dëli- S
cieufes de l’ltalie>, dans toutes celles qui font au
midi de l’Europe , on eft obligé , ou de repofer
entouré de rideaux de gaze fi l'on veut jouir du
frais, ou de s'enfermer au fond des habitations
fans laiffer d'ouverture ni aucun accès à l’air extérieur.
On voir qu'un infeite fans force eft partout,
comme à la Guiane , le fléau de l’homme ;
;1 boit fon fang depuis un pôle jufqu’à l’autre, fous
les deux zones tempérées &: fous la torride.
Un des dangers les plus à craindre enfuite eft:
la morfure des vipères ; elles y font grandes, nom-
bteufes & d’efpèces variées : la plupart caufent
une mort inévitable. 11 ne faut pas confondre avec
ces reptiles les couleuvres qui peuvent mordre '
pour fe défendre , mais qui, n'ayant point de
venin, ne fauroient infeéler la maffe du fang ;
elles fervent à purger lepays de crapauds, de rats,
de mulots, dont elles font leur nourriture.
Les animaux les plus dangereux, après les vipères,
font les requins & les caïmans ou crocodiles
: les premiers habitent dans la mer, ou n'entrent
qu’à.l’embouchure des grandes rivières.; les fe