D o s H I S
êtres qui figurent comme agens ou comme réful-
tats de Tes opérations j doit être une énumération
raifonnée de ces faits ; mais cette énumération ne
fera pas plus Yhijloire naturelle , que les tables chronologiques
ne peuvent être confidérées comme
l'hiftoire morale des Empires j & comme les tables
chronologiques ne font que le dépouillement des
événemens plus.détaillés que préfente l’hiftoire,
de même les nomenclatures devroient être la fuite
du dépouillement de tous les faits plus étendus
que les obfervateurs développèrent dans leurs recherches.
Il eft vrai que Ykijloire naturelle , minéralogique
furtout 3 envifagée fous ce point de
vue,3 eft peu avancée; que l’obfervation qui recueille
les circonftances de tous les faits 3 n'a pas
été fuivie avec autant d’ exa&imde qu'elle le mérite
j & avec autant de principe qu'il en falloit
pour la rendre fécondé en conféquences ; mais fi
l’on a méconnu la vraie route, il ne s'enfuit pas
qu'on ne puiffe quelque jour revenir fur fes pas.
On pourroit fuivre la comparâifon de Ykijloire
naturelle avec l'hiftoire civile, & l'on y trouveroit
les mêmes raifons d'y établir & diftinguer des
époques néceffaires dans l'une & 1 autre partie
de nos connoiflancespour fervir de repos à l'ef-
prit obfervateur , & de cadres aux différentes
maffes de faits qui concernent un certain ordre
d'événemens.
On a cru que M. de Buffon avoit parlé des mé-
thodiftes par unefprit détracteur, & on l'a même
accufé de s'être élevé contre Linnée & d'autres
nomenclateurs par des vues particulières. Mais
M. de Buffon, pénétré de fon ob je t, fentant l'importance
de Yhijloire naturelle, telle qu'il la trai-
to it , & la futilité & l'ignorance des plans de la
plupart des méthodiftes, la maigreur de leur travail
& le peu de refiemblance de leurs courtes
de fcri prions avec la majefté de la Nature qu'il
vouloit faire connoîtres outre cela ,-envifageant
l'étendue des parties qu'il avoit entrepris de dér
c rire, fentoit intimement combien le public avoit
pris le change fur les formes qu'il convenoir de
donner à Yhijloire naturelle. Il étoit d’ailleurs bien
convaincu que les nomenclateurs & les chimiftes
n’étoièntpas plus naturaliftes les uns que les autres.
Quels grands faits ont-ils recueillis^ quelles fuites
d’événemens ont-ils liés enfemble pour faire con-
noître la marche de la Nature & l’économie de fes
opérations ? Cependant ne nous abufons pas, c’ eft
en cela que confifte Yhijloire naturelle.
Les fciences prennent toujours une forme dépendante
du genre de vie le plus commun que mènent
les favans. Ils font raffemblés dans les villes ;
ils aiment à pouvoir étudier les objets de Yhijloire
naturelle dans le repos. O r , ces objets ne s’y trouvant
qu’en abrégé, & d’ailleurs les manipulations
qui s'exécutent dans un laboratoire de chimie
étant plus faciles que toutes autres, on a dû les
multiplier, les varier j & enfin , par une fuite de
la même illufion, on a cru que les réfultats de ces
H I S
opérations fédentaires étoient de grands faits de la
Nature, pendant que les agens de la chimie n’ont
fouvent rien de commun avec les agens de la Nature,
ou que du moins ils en altèrent beaucoup les
réfultats j caria chimie n’ indique que la nature des
lubftanpes, & la plupart du tems cette nature eft
indépendante de l’emploi qu’en a fait la Nature.
La pierre calcaire, par exemple, fe trouve par
couches horizontales ou inclinées. Celle à grain
ferré diffère infiniment du fimple falun , compofé
de débris grofliers de coquillages, & quant à fa
poficion, & quant à fes époques ; cependant ces
fubftances fe combinent de même avec les acides.
Il feroit aifé de prouver par d’autres comparaifons,
les inconvéniens qui réfulterpient de l’étude de
Ykijloire naturelle fi l’on s’appuyoit fur la décifion
des agens chimiques, & qu’on n’eût pas recours à
l’obfervation& à l’analyfe de toutes les circonftances
qu’elle peut nous faire connoître.
Je reviens maintenant à la comparaifon de I’hif-
toire civile avec celle de la Nature. J'obferve
d'abord que les tables chronologiques font bien
mieux rédigées, relativement à l'hiftoire civile ,
que ne le font les catalogues des nomenclateurs ,
relativement à Yhijloire naturelle.
Il y a beaucoup de défordre dans ces catalogues
: la filiation des événemens. n’y eft point indiquée
par la difpofition des fubftances : leur ordre
eft même interverti toutes les fois que. leur nomenclature
eft feulement dirigée par les épreuves
chimiques, qui n'indiquent que les rapports des
fubftances avec les agens.chimiques & point avec
ceux de Ja Nature.
Il y a , par exemple, des coquilles marines foflîles
qui fe trouvent dans différons états : les unes dans
l’état calcaire, & les autres dans l’état d’agate.
O r , les agens de la chimie mettront ces coquilles
dans deux claffes différentes, pendant que, fuivant
l’ordrejdes opérations delà Nature, elles n’appartiennent
qu’ au même événement. Voilà donc une
production naturelle, dont l’ordre eft interverti
par la chimie & fes agens. 11 faut donc que l ’ob-
fervation. décide cet ordre. La difpoficion des
coquilles par bancs horizontaux , voilà le grand
caractère qu’il importe de bien faifîr. Il y a des
nomenclateurs qui ont placé le quartz avec l’agate
& avec les coquilles., agatifiées. O r , ceci me paroît
un déplacement peu raifonné, & Yhijloire naturelle,
éclairée par l’obfervation, ne peut approuver l’arrangement
des quartzs en cailloux roulés, des
agates en cailloux roulés, qu’on diftribueroit dans
une même claffe.; car il eft vifible que l’on ne
retrouvera les analogues des premiers que dans
l’ancienne terre, & que les analogues dès autres
ne fe montreront que dans la nouvelle. Quoique
l’ on ait eu occafion de voir toutes ces fubftances
dans les dépôts littoraux, il eft évident que les
nomenclateurs ont confondu ce qu’ ils dévoient diftinguer.
i De là je conclus que c’eft après avoir diïcuté
les
H I S
les grands faits de Yhijloire naturelle, qu'on doit
les ranger dans une nomenclature, bien loin qu’on
puiffe faire précéder les recherches quelconques
par une nomenclature. C ’eft ainfi qu’on ne donne
de tables chronologiques que lorfque les différens
points de l’hiftoire civile font éclaircis, & expofés
dans une étendue convenable.
Dans l’hiftoire civile on peut diftinguer deux
claffes de faits, ceux du tems préfent & ceux des
fiècles précédens. On ne peut etre inftruit des premiers
que parce qu’on eft contemporain ou qu’on
y a eu part; & l’on a connoiflance des féconds,
parce que l’on peut confulter les écrivains qui les
ont tranfmis. Dans Yhijloire naturelle, au contraire,
nous pouvons être pour ainfi dire contemporains
de tous les faits fi nous perfectionnons notre méthode
de voir. Il eft vrai qu’il y a des événemens
dont nous fommes proprement témoins ; & c ’e ft ,
à ce qu’il me paroît, par ceux-là que nous devons
commencer nos recherches. Outre cela, les événemens
paffés fubfiftent encore à nos yeux par
les^veftiges qui en relient. Ce font autant de médailles
des événemens qu’il faut recueillir. C ’eft
alors qu’on peut établir les différens ordres de faits
qui fe fuivent, &c qui font fubordonnés les uns
aux autres.
Je vois dans une claffe de nos nomenclatures
actuelles une fuite de fubftances, dontvje ne retrouve
que quelques-unes enfemble dans le cours
de mes obfervàtions. Si je m’attache à ces nomenclatures
, je dois me perfuader que je trouverai les
autres dans les mêmes circonftances; mais je fuis
bientôt défabufé par l’obfervation , & je reconnois
que les nomenclatures font un principe de défordre
dans les faits, & de confufion dans les événemens.
Si ces méthodes ne doivent pas conduire dans les
recherches, à quoi peuvent-elles donc fervir ? Aux
arrangerons des cabinets. ! Mais il y a iong-tems
que la plupart de ces collections font entre les
mains des plus ignorans en kijloire naturelle &
même en chimie. C ’eft le goût de l’oftentation &
de la magnificence qui y préfide, & le désoeuvrement
qui-les entretient; car il eft immenfe dans
les grandes villes. C e font cependant ces gens qui
voudroient donner le ton : c’ eft fur leur approbation
qu’eft fondée la réputation de ces profeffeurs
d'kijloire naturelle, qui , ne connoiffant que le grès .
qui pave les rues de Paris, parlent de tout fuivant
leurs idées, mais au milieu de Paris.
On me dira peut-être qu’ il vaut mieux avoir
des arrangemens imparfaits, que d’être au milieu
de la confufion & du défordre, & qu’ il eft impof-
fible d’avoir une nomenclature exécutée d’après
mon plan, parce qu'il eft impoflïble d’avoir difeuté
toutes les révolutions dont telle fubftance fera le
réfultat.
A cela je réponds qu’ il faut fe contenter de
favoir ce qu’on fait, & que c’ e ft, en tout genre de
connoiffances, la vaniré de favoir ce qu’on devroit
avoir la bonne foi d’ignorer, qui s’ oppofe aux
G éographierPkyJique. T ortie J K.
H I S 353
'progrès de la véritable fcience; que les arrangemens
aCtuels entretiennent l’ignorance, au lieu que
celui que je propofe, montre également ce qu’ on
fait & ce qu’on ignore. Les vides des nomenclatures
ne doivent fe remplir que d’après des obfer-
vations intéreffantes & lumineufes ; en forte que
la nomenclature eft en tout point affujettie aux
progrès de Yhijloire’ naturelle. Cependant dans la •
plupart des parties de la fcience naturelle, la nomenclature
eft faite, & les véritables connoiffances
viendront quand elles pourront ; mais ce ne fera:
guère par le fecours de la nomenclature, qui n’ a-
mufe tout au plus que les fots.
En feconû lie u , quand je propofe de donner
une nomenclature fondée fur les faits de Yhijloire
naturelle 3 je ne prétends, pas qu’ il faille auparavant
remonter jufqu’aux premières caufes* & indiquer
leur jeu & leur marche avant de claffer les fubftances
qui appartiennent à une claffe particulière
de certaines opérations de la Nature.
Je crois qu’il fùffit de fe borner aux circonftances
caraCtériftiques de ces faits , & que ces circonftances
fe réduifent à trois ou quatre, 8c il eft
toujours poflible de difeuter ces circonftances. Je
rencontre, par exemple, des pierres calcaires ; je
remarque d’abord leurs grains gros ou fins, & je
reconnois par-là fi la matière première a été bien
commitniée; enfuite, fi le travail de lapétrifica-
cation eft bien avancé. Tous ces détails fe voient
& fe notent aifément. En fécond lieu , j’obferve
fi ces. pierres calcaires font établies par couches
horizontales ou inclinées, deffus des granits
ou des talcites, ou à cô té ; fi les couches horizontales
font fur des couches inclinées.; fi elles font
par bancs fuivis ou par morceaux détachés, comme
dans les dépôts littoraux ; fi ces morceaux font arrondis
& ufés par leurs faces, ou s’ ils font brifés
& anguleux, & montrent les inégalités des caffures:
Voilà quelles font à peu près les circonftances que
nous offrent les pierres calcaires. O r , félon moi,
ce font ces circonftances différentes, qui feules
autorifent à placer dans des claffes particulières les
pierres calcaires, qui jufqu’à préfent n’en avoient
occupé qu’ une feufe. Pourquoi ? Parce qu’en éta-
bliffant certaines claffes, je fuis guidé par tous les
cara&ères qui appartiennent à tel ou tel événement,
8c à ce qui en porte l'empreinte. C e f t donc
cette empreinte qu’il m’ importe de faifîr, tant
pour m’affurer des opérations de la Nature, que
pour ranger par ordre leur véritable réfultat. C ’eft
cette double confidération qu’il importe de fuivre
& de ne perdre jamais de vue dans l’analyfe des
obfervàtions quelconques.
Lorfqu'on parcourt nos nomenclateurs aéluels ,
on y trouve la note d’un grand nombre de fubftances
, dont ils ne confidèrent point les variétés.
Ils n’ont pas fenti que c’étoient ces variétés qui
fervoient à diftinguer une révolution d’ une autre,
une époque d’une autre.
Par exemple, les cailloux roulés ne font point
Y y