
quoique, dans les fix cents milles qu'il' parcourt
à la fuite, fa malle d'eau s’accroilïe encore par la
confluence d’ un aflez grand nombre de rivières
importantes.
Dans cette partie de fon cours, il n’a jamais
moins d'un demi-mille,. & jamais plus de trois
milles de largeur dans les endroits où il n’y a pas
d’îles. Ses eaux croilTent & décroiflbnc conftam-
ment, faivant la faifon. Lorfqu’elles font au plus
bas, ce qui arrive au mois d'avril, le principal
canal du fleuve varie de quatre cents yards, à un
mille & un quart , mais il n’a guère de largeur
moyenne qu’environ trois quarts de mille»
Au deffus du confluent de la Jummah, il y a dès
endroits où le Gange eft guéable; mais malgré
cela la navigation n’en eft pas interrompue. Au
deffous de ce point, le fleuve devient très-profond,
& la réunion des autres rivières augmente
fucceflivement fa profondeur, plus que fa largeur.
A cinq cents milles de la me r , le canal a trente
pieds de profondeur, même dans les baffes eaux.
Cette profondeur continue ou s'augmente en fe
rapprochant .de la mer , jufqu’à ce que la grande
largeur acquife tout à- coup par le fleuve l'ait
privé de la force nécelïaire pour balayer les barres
que les vents violens du fud forment dans fes embouchures
; en forte que la principale bouche du
Gange ne fauroit recevoir de gros vaifleaux.
A deux cent vingt milles de la mer en ligne
direCte, ou à trois cents milles fi l’on fuit le cours
du fleuve en ligne dire die, on voit fe former le
delta du Gange; > dont la fuperficie eft au moins
deux fois plus étendue que celle du delta du Nil.
Les deux branches de l'oueft , nommées le Coflin-
buqar bc le Jellinghy , s.’uniffent pour former le
Hoogly, qui eft le port de Calcuta, & le feul
bras- du Gange dans lequel les gros vaifleaux entrent
communément. Le Hoogly ou le bras de
l ’oueft a plus de^fond à fon embouchure, que le
principal canal du Gange. Cet état du lit eft probablement*
dû à ce qu’il charie moins de vafe.
La mafle de fes eaux eft, à celle du grand canal,
dans Je rapport d’un à fix. D’après les obftacles que
l’on trouve à l’entrée du Hoogly, on peut croire i
que, dans fon intérieur, il manque de fond ; mais j
ces obftacles font des bancs de fable qui n’ occupent
ue fon entrée, & qui fe prolongent affez avant
ans la mer pour ren4re les canaux qui les fépa-
rent, très-difficiles à diftinguerlorfqu'on approche
des côtes.
_ Le Coffinbuzar eft prefqu'à fec depuis le mois
d’oCtobre jufqu’au mois de mai; & le Jellinghy,
quoiqu'il reçoive toute l’année une autre rivière ,
n’eft fouvent pas navigable pendant les deux ou
trois mois les plus fecs ; en forté que la feule des
branches inférieures du Gange, dans laquelle la navigation
nefoit jamais interrompue, eft le Chund-
nah , qui commence à Moddapour, & fe termine
à Hoozingotta.
La partie du delta, qui eft voifine de la mer,-'
eft un labyrinthe de rivières & de criques falées,
& les bras qui communiquent au grand canal du
Gange font les feuls dont l'eau foit douce. Cet
efpace, connu fous le nom dt forêts ou funderbunds,
a une étendue égale à la principauté de Galles, 6c
eft fi complètement couvert ae bois & infeité de
tigres, que jufqu’ici on n’ a pas pu le défricher. Les
nombreux canaux qui le coupent, fe croifent de
tant de manières, qu’ils forment une navigation
intérieure, facile dans toute la partie baffe du
delta j ce qui difpenfe de faire un long circuit par
fon fommet, ou de fe hafarder fur mer. C ’en là
que fe fait & fe tranfporte , avec une égale facilité
, tout le fel qui fe confomme dans le Bengale ;
& c'ett là auffi qu’on trouve tous les bois nécef-
faires à la conftru&ion des chaloupes. La longueur
de la bafe du delta paile cent quatre-vingts milles.
Si 1 on y ajoute la largeur des deux bras du Gange
les plus diftans, on trouvera que ce fleuve embraffe
ou occupe à fon embouchure un efpace de deux
cents milles.
Nous avons dit que le pays arrofé par le Gange
depuis Hurdoor eft très-plat, du moins il paroît tel
à l*oeil; car la pente eft trop peu confidérable
pour être fenfîble à la vue. Une feélion du fo l,
figuré® parallèlement à une des branches du Gange,
fur un efpace de foixante milles, a donné la pente
du fleuve de neuf pouces par mille, en la calculant
fuivant la ligne droite, & avec la correction dépendante
de la courbure de la terre. Mais les détours
du fleuve font fi nombreux, que la pente réelle de
fon cours ne peut être évaluée qu’à quatre pouces
par mille ; & en comparant la rapidité de l'eau à
1 endroit où cette mefure a été prife avec celle du
courant dans d'autres endroits, on a lieu de penfer
que la moyenne de la pente générale du fleuve
n'eft pas au deffus de quatre pouces par mille. La
Condamine a trouvé de même que la pente de la
rivière des Amazones, dans un efpace de dix-huit
cent foixante milles pris en ligne droite, étoit d'environ
mille vingt pieds anglais, c'eft-à-dire, de fix
pouces un quart par mille. Dans le Gange, les
détours prennent environ un mille-| fur trois, à ne
calculer que la traverfée de la plaine. Si l'on fup-
pofe les mêmes fînuofités dans la rivière des Amazones
, la pente réelle n’excéderoit probablement
pas quatre pouces par mille.
’ Dans les mois de féchereffe, la moyenne de la
vitefle du courant eft au deffous de trois milles à
l’heure. Dans la faifon pluvieufe & tandis que les
eaux s’écoulent des terres inondées, le courant eft
de cinq à fix milles à l'heure. Il y a des exemples
d'une vitefle de fept à huit milles dans certains
lieux & en certaines circonftances. On fait, par
exemple, qu'une chaloupe defeendit cinquante-fix
milles en huit heures, & cela cependant avec un
vent fi violent, que la chaloupe n'avoit évidemment
aucun mouvement progreffif au travers des eaux.
Si l'on confidère maintenant que la vitefle du
courant eft de trois milles dans une faifon, & de
cinq
cinq dans une autre, fur la même pente de quatre
pouces par mille, & que le mouvement des eaux
de i'iiîondation n’eft que d’un demi-mille par heure,
fur une pente'beaucoup.plus fo r te , on pourra fe
convaincre facilement que la vitefle des eaux courantes
dépend peu de la pente. C ?eft donc à l’impé-
tuoficé du couis dans les parties les plus élevées
du fleuve, ou dans les lieux où il reçoit d’autres
eaux , impétuofité qui fe communique fucceffive-
ment à la ma(Te entière, qu’il faut principalement
attribuer cette rapidité du courant variable, félon
la quantité d eau qui coule.
Communément une des rives du Gange offre un
bord efearpé, dont la hauteur varie fuivant la faifon
, & auprès duquel il y a un fond confidérable ,
■ tandis que le bord oppofé eft en pente fi douce,
qu’on ne peut en approcher avec les chaloupes.
Cela eft furtout remarquable dans les endroits où
les détours du fleuve font nombreux, parce que la
direction tortueufe produit nécelfairement un
efcarpemem d’un c ô té , & une pente douce de
l’autre. Le courant eft plus rapide dans le côté extérieur
de la courbe formée parle ferpentement du
fleuve , & l’eau , agiffant continuellement contre
le rivage, le fape ou l’approfondit.
Dans les endroits où le courant eft très-rapide
& le fol très-fablonneux, le fleuve entraîne, dans
une feule faifon, une étendue de terre qui écon-
reroit ceux qui. n’ont pas d’idée de la maffè & de
la force des eaux raffemblées dans les grandes rivières,
pendant la faifon pluvieufe, entre les tropiques.
Ce. déplacement du fol produit néceflai-
rement des changemens graduels dans le lit des
fleuves. C e qui. eft enlevé d’un côté fe trouve
ajouté de l’autre parla feule aCtion du courant;
car les maffes qurs’éboulent dans l'eau font bientôt
divifées, & entraînéespeu à peu par le courant,
qui les dépofe à l'endroit où le fleuve commence
à fe détourner pour prendre une autre direction.
Le cours étant moins rapide dans ce point, la vafe
s’y arrête, & forme peu à peu cette pente douce
oppofée au nouvel efearpement. ( Voye^ Se r p e n -
TEMENT DES RIVIERES , PLANS INCLINES &
Bo r d s e s c a r p é s . )
Pour expliquer la molleffe du courant après la
pointe du banc de fable, il faut fe fouvenir que la
grande mafle d'eau , au lieu de tourner brufque-
ment après la pointe, continue à fe mouvoir dans
la direction qu'elle avoir, c'eft-à-dire, oblique-
ment à travers lè lit du fleuve ou de la rivière,
vers l'efearpement oppofé qu’elle côtoie, jufqu'à
ce qu'un nouveau cap l'oblige à changer de direction.
Dans les endroits où le fleuve a un cours direCt,
& qui font rares , les bords changent peu de forme
, parce que le courant leur eft parallèle ; mais la
moindre flexion du cours jette les eaux contré un
des bords, & fi le fol de ce bord fe trouve fablon- j
neux il en réfulte un ferpentement.
Oh voit donc que les alluvions font formées aux ‘
Çéographie-Phyjique, Tome IV*
dépens du lit du fleuve; mais cet effet eft balancé
j par I’erofion qui a lieu du côté de l’efearpement,
| car les fragmens qui s'en détachent, comme nous
lavons obfervé, fervent à former de nouveaux
bancs , ou à faire naître des îles & des bas-fonds
dans le lit du fleuve. On voit donc alternativement
des bancs & des efearpemens furies deux bords ;
& c'eft ainfi que le cours du fleuve varie fans ceffe
dans les parties où ce cours éprouve un ferpentement.
Chaque détour tend à éloigner l'eau de plus
en plus de la direction moyenne-du fleuve, parce
que les eaux agrandiffeot fans ceffe les échancrures,
& e tendent les promontoires jufqu’à ce que le fleuve
coupe 1 ifthme devenu trop étroit, & retrouve pour
un- tems un cours dire#., '
Plufieurs des détours du Gange offrent ces phénomènes,
& l’expérience de cës changemens doit
détourner d entreprendre aucun canal d’une certaine
étendue dans la partie la plus élevée du pays, &
doit faire préfumer que, dans la partie baffe, il feroit
impoffible d’en conferver aucun navigable pendant
un certain tems. Dans T-efpace de onze ans l’embouchure
de la rivière de Jellinghy a defeendu
peu à peu de trois quarts de mille ; & il paroît,
d ’après deux reconnoiffances des bords faites à
neuf années de diftance l’une de l’autre dans un
même lieu, qu’ une étendue d’un mille & demi
avoit été enlevée par le courant. C'eft au refte le
changement le plus rapide dont on ait connoif-
fance. La moyenne des changemens du lit du fleuve
dans les lieux où fon courant agit avec le plus de
force eft d environ un mille dans dix ans : dans
ces endroits-là le fleuve creufe des golfes d'une
grande, ur confidérable. Ces golfes affeCbnt la direction
de la partie la plus forte du courant.
Deux caufes très - différentes l ’une de l'autre
occafionnent les finuofités d'uns rivière : l’une eft
1 irrégularité du terrain qu’elles parcourent, laquelle
les oblige d’errer à la recherche de la pente;
l’autre caufe eft le peu de confiftance du fel qui
xrede facilement à l'action des eaux , & furtout à
leur frottement. Dans le premier cas , les finuofi-
tes du cours de la rivière font auffi irrégulières
que la furface du pays qu elle parcourt; mais dans
le fécond, les finuofités font tellement calcula-
blesde telle; forte, que deux rivières de grandeurs
différentes prennent, dans des circonftances fem-
blables, des circuits proportionnés à leur largeur
refpeÛive. Ainfi lorfque les eaux d’une rivière font
aflez baffes pour que celle-ci n'occupe qu’une partie
de fon l i t , elle ne fuit plus alors fon ancienne
direClion ; elle fe creufe un canal nouveau qui fer-
pente de côté & d'autre en croifant l’ancien lit.
On fait d'ailleurs q ue, de deux rivières de même
mafle, celle qui a le moins de courant feroente
le moins dans fon cours; c a r , comme dans là dernière
fuppofition, les détours ne font dus qu'aux
empiétemèns opérés fur les bords par la force du
courant, ou , en d’autres termes, les dimenfions
des détours fe trouvent déterminées par le degié