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qui bornent 1'Egypte, 8c qui continrent très-long-
te ms l.es eaux de la Méditerranée.
'L'Egypte fut jadis un golfe de la Méditerranée.
En effet , 4' on ne peut révoquer en doute que
l’emplacement de l'Égypte ne fût jadis un golfe
de la Méditerranée : cette mer , forcée de refluer
fur elle-même pour faire place aux dépôts des
terres entraînées par les torrens, ou de celles plus
confidérables encore charriées par le fleuve, reçut
ces dépôts, qui formèrent un nouveau domaine
pour les homm-s , après avoir été celui des poif-
fons. C e grand exemple fournit cette v érité, que
lés torrens ; quelle que foit leur nature, font
.paraître dans une contrée ce qu’ils ont enlevé à
c autres. /
Ainfi YÉgypte s’eft formée avec les dépouilles
des contrées îupéricures & latérales. Le Nil entraîne
dans fa pente la couche des terres de la
Nubie & de l ’Abyflînie. Les torrens de la L iby e ,
ceux de. la .péninfule orientale , apportèrent les
terres d’auffi loin quils purent les rouler, & les
torrens qui defcendirent de l’Arabie-Pétrée n’y
laiffèrent que les trilles velliges qui lui méritent fi
juftement fon nom. -
Les mêms caufes, favorifées par le flux & le reflux
de l'Océan, formèrent graduellement rilthme
entre la Méditerranée & la Mer-Rouge. Le fond
du golfe arabique s’exhauffa,8c forma cette multitude
d'îiots , de bancs de fable & de récifs qui
rendent la navigation difficile. Mais le fond de cê
golfe ne s’exhauflà pas fans occafionner à cette mer
un léger exhauffement. Cette hauteur , qui e l t ,
à ce que j’ ai ouï dire, d’environ trente pieds à
S uez, paroît confidérable au premier coup-d'oeil;
mais il faut obferver que cette élévation, fût-elle
plus confidérable encore, fe perd fur l’étendue
qui eft entre Suez & le détroit de Babel-Mandel.
C e détroit eft encore embarralfé par l’île Perrin
& d’autres îlots , en forte que les flots de la mer
des Indes , affluant dans cette pafîe étroite plus
y îte qu’ ils n’en reffortent, font capables peut-
être de maintenir dans le golfe arabique cette
légère élévation qu'on dit être au deffus de la
mer Méditerranée.
D'après ces faits , il eft aifé de concevoir que
fi la jon&ion qui unit l’Arabie à l’Afrique ne fe
fût pas opérée à S u e z , elle auroit toujours eu
lieu au détroit de Babel-Mandel (fo r t douteux
).
C ’ eft donc aux dépens des contrées dont il
vient d ’être parlé, que la riche vallée de VÉgypte
s’ eft formée à l'aide des torrens. Ces changemens
ont été caufés par la main imprudente des hommes,
qui a détruit les végétaux des montagnes, en
forte que les torrens mêmes ont dtfparu.
Les effets qui doivent réfulter des dégradations
des montagnesfont particuliérement fenfibles dans
les contrées habitées par des hommes à qui U civi-
lifa|ion n’a point donné des idées d'ordre & de
prévoyance ; telles font ces grandes peuplades
de fauvages, qui abattent de grands efpaces de
bois - pour faire leurs plantations de vivres ; elles
font toujours précédées du feu , pour confirmer
le bois 8c faciliter la culrure; Ces brûlées , faites
fans précaution, altèrent non-feulement l’efpace
abattu, mais fouvent, pouffées par le v en t,
embrâfènt des contrées entières} 8c dès que les
plantations ont épuifé les principes de la végétation,
le fauvage, fans fe donner la peine d’y fup-
plé e r , quitte cet endroit, & va s’établir autre
part, où la même opération fe répète.
Il faut encore joindre à ces caufes les incendies
naturels 8c ceux que les fauvages occafionnent
en traversant les forêts où ils allument des feux
qu'ils abandonnent enfuite, fans fonger aux évé-
nemens} ajoutez encore le fléau des ouragans qui
ravagent des contrées entières, & vous aurez une
idée de la deftruèiion des forêts dans les pays où
l'homme n'eft pas civilifé.
Si je donne l’efquiffe de là deftruétion des forêts
chez les;fauvages, c ’eft pour en avoir vu lé tableau
en grand en voyageant parmi eux dans la
Guianne françaife & dans le voifinage des lacs
Heviers & Ontario. On peut d ire , avec vérité/,
que les anciens Gaulois ne traitèrent pas avec
moins d’ infouciance notre domaine. Il fuffit de
jeter les yeux fur les montagnes des Pyrénées
orientales, du Languedoc, de la Provence, du
Vivarais, du Dauphiné. Cette nudité fe fait remarquer
fur une grande partie des montagnes de
l ’intérieur de la France, dont beaucoup porteront
à jamais l’empreinte des incendies confidérables
qu’ y firent les Gaulois pour s’oppofer aux incur-
, fions de ce redoutable romain leur oppreffeur.
D'après tous ces faits on apperçoit pourquoi
les terres d'alluvion contiennent beaucoup (le parties
charbonneuses , notamment celles d'Égypte ,
ainfi que nous le verrons plus loin.
Quelles font les digues naturelles contre les dégradations
des pentes couvertes de bois , fi ce ne
font les racines robuftes de la végétation ligneufe
dont l’ entrelacement en tout fens retient les dépouilles
annuelles des forêts qui forment cette terre
fubftantielle.
C ’eft autour des rochers qui couronnent les montagnes,
que les nuages fe réfolvent en pluies; elles
entraînent cette terre, fource de la fécondité des
collines & des vallées. Voilà l’origine de Infécondité
des terres inférieures ; mais tout difparoît dès
que la parure végétale difparpît : les plaines alors
s’élèvent, tandis que les montagnes s’abaiflent.
Si d’ un côté les dépouilles de ces contrées,
en formant Y Égypte * ont un peu refferré le domaine
de la Méditerranée en rompant fa communication
avec l’Océan par le golfe arabique,
elle s'en eft bien dédommagée en refluant toute
par le partage étroit des colonnes d'Hercule, &
où elle maîtrife , par fon courant continuel de
l’eft à l’oueft , le flux de la grande mer, forcé de
refpe&er fon petit domaine. Cette conféquence
eft unefutte de la Mer-Noire dans la Méditerranée
par le-partage du Bofphore & du détroit d e l’Hel-
îéfpont.
Si quelques obfervateurs vouloient plutôt attribuer
le défaut de marée, dans la Méditerranée, au
partage étroit qui fe trouve entre les deux mers ,
qu’au courant de la petite mer dans l'Océan, ils
reviendroient de leur erreur s’ ils réfléchiffoient
que le flux de la; mer des Indes fe fait fentir, fui-
vant Niebur, au fond du golfe arabique à Suez^,
8c que le détroit de Babel-Mandel eft plus étroit
que celui de Gibraltar.
D’un autre cô té , la M4diterranée rejette continuellement
fur fes bords, des fables, mobiles avec
lefquelslés vents jettent la defolation dans les lieux
voifins. Déjà cés vaftes contrées de l’Afrique & de
l’A fie , près de la Méditerranée, font divifées en
efpaces plus ou moins grands» que les fables refr
ferrent & menacent d’engloutir : ils cernent pareillement
de 'toutes parts Y.Égypte 3 qu’ ils ont
déjà eii partie envahie, & il eft indubitable qu'un
jour cette belle partie du globe difparoîtra fous les
fables qui l’environnent;, ils rétréciffent chaque
jour la bande de terre cultivable qui fe prolonge
de chaque côté dû Nil.
.C ’eft le grand Hérodote , ce célèbre obferva-
teur de la nature, qui nous fit connoître que le
Delta feulement étoit une production du : Nil;
mais l’on ne pouvoir fuppofer que les digues de la
m e r , avant la formation de Y Égypte, euffent été
les confins trop foibles qui bornent aujourd’hui
ce vafte triangle, & qui font de la même nature
de terre. La mer, avant cette époque , ne pouvoit
être contenue qu’entre les chaînes des montagnes
qui s’évafent davantage depuis les pyramides ,
dont l’ une , à l’eft , va former l’un des .promontoires
dffj’ifthme de S u e z , & l’autre , à l’ oueft ,
fe, perd, fous les fables de la Libye.
. Telles font en général les digues formidables
que la nature pofa entre les mers 8c la terre , pour
réfifter aux efforts continuels des vagues énormes
que les vents pouffent avec force contre les rivages.
Les montagnes font donc les bornes que la
mer fe réferva dans les tems qu’elle découvrit les
parties du globe que les hommes habitent. Les
coquillages 8c autres productions marines que l’on
rencontre fur les plus hautes montagnes de l’une
& de l’autre Terre , les mines de fel gemme,
les faiines de l’intérieur du continent, rendent cette
opinion affez probable, .comme l'expérience démontre
que les plaines qui font au niveau des
mers font formées par les alluvions.
Les faiines qui font aux environs de Dunkerque,
les contrées d’Augé & d’Ifigny en Normandie,
fi. vantées par leurs gras pâturages , font des conquêtes
fur la mer, d’ une date affez récente.
Les plaines de l'intérieur des continens que nous
voy.ons, furent elles-rmêmes, dans le principe, des
lacs plus ou mdhs,- grands,. Les points Caillans
Géographie-Pkyfique. Tome IJ^.
u’on y apperçoit, furent, félon toute apparence,
e petites îles. En effet , la réunion des eaux des
pluies forma des ruiffeaux plus ou moins grands,
qui s’ affernblèrent d’abord dans les baflîns & dans
les vallées, jufqu'à ce que les eaux trouvant une
iffue, 8c tombant fuccertivement de l'un à l’autre
baflin , le courant des fleuves s’établît en appla-
niffant ces vallées étroites qui aboutiffent à la mer
toujours par le fommet d’un golfe.
D’après ces données on peut douter que la nature
, économe dans fa marche, n'ait voulu mettre
à profit les alluvions, pour en former les plaines
qui font au niveau de la me r , dans laquelle les
fleuves impétueux arrivent chargés des dépouilles
de la terre ; .mais à leur entrée dans leur grand
réfervoir, les flots leur font éprouver une réfiftance
opiniâtre, qui les force à dépofer la terre 8c les
autres fubftances dont ils étoient chargés dans
leur cours. Ces vagues disputent leur domaine 8c
maintiennent leur limpidité contre l'eau douce ,
dont elles n’admettent le mélange que lorfqu’elle
ieft purifiée : ce phénomène offre à l’obfervateur :
un coup-d’oeil Intéreffant.
C'eft du combat dès.flots de la mer contre les:
courans des fleuves, que réfultent, après un laps de -
tems incalculable, ces barres ou bancs de terres-
que l’on ^rencontre affez ordinairement à l'embouchure
des fleuves. Ces fortes de digues tranf-
verfales changent la direction des fleuves, & inclinent
leur cours tantôt d’un côte % tantôt de
l'autre, de manière que ce, jeu répété élève le»
fond du golfe par couches, q u i, une fois arrivées
ou les rayons du foleil peuvent faire fentir leur f
influence bienfaifante, concourent à la végétation
des plantes aquatiques. Cette végétation eft
pour la terre que les courans charient, une digue
naturelle qui fait des progrès plus rapides à me-
fure qu'elle approche de la furface de l'eau :
c’ eft par elle que fe forment ces vaftes marais qui, ;
acquérant de la: folidité, donnent .naiffaiice à des
îles plus ou moins grandes.
L’indaftrie de l’homme fuccède à cette marche
de la nature : il deffèche d’un c ô té , comble de •
l’autre, & force le fol, par fes travaux, à prendre
une furface régulière ; c’eft ainfi que fe forment ■
les plaines du voifinage de la mer.
Sous le climat brûlant de XEgypte les premiers
canaux formés pour.’les defféchemens fervirent
peu de tems après ceux d’ irrigation , fans lefquels
l ’agriculture ne peut avoir lieu dans cette contrée
’où il ne tombe prefque jamais de pluie.
On peut donc avancer que la nature prévoyante
n’a découvert à l'homme fon domaine qu'à trois
différences époques :.ellé lui offrit en premier lieu
les montagnes, enfuite les plaines continentales
qu'elle lui découvrit fuccertivement, 8c enfin les
plaines, de la formation la plus récente.
Les portions des plaines continentales dont partie 1
j n'a pas encore, été comblée par les alluvions,
I tant à caufe:de leur profondeur.que de leur ficua