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il affuroit qu’ elle étoit antique. Maïs on ne
peut guère douter du contraire, Sc peut-être
fon diamant étoit-il un ouvrage de Conftanzi,
qui a travaillé longtemps à Rome avec dif-
tin&ion, Lorfque Clément Birague, Milanois ,
que Philippe ;II avoit attiré en Efpagne , &
qui fe trou voit, à Madrid en 1564, fit lteffai
de graver fu r ie .diamant , perfonne n’avoit
encore tenté la même, opération. Cet illuftre
artifte y gra va, pour l’ infortuné Don Carlos,
le portrait de ce jeune Prince, & fur fôn
c a ch e t, qui étoit un autre diamant, il mit
les armes de la monarchie efpagnole. On a
fait voir à Pari§ un diamant où étoient gravées
, ou plutôt égratignées, les armes de
France. On dit qu’ il y en a un femblable dans
le trélor de la Reine de Hongrie à Vienne , &;
que le cachet du feu Roi de PrufTe ( Frédéric-
Guillaume I , mort en 1740 ) , étoit pareillement
gravé fur un diamant. Au relie , ces
gravures ne peuvent être ni bien profondes,
ni fort arrêtées, ni faites fur des diamans
parfaits. Ajoutez que fouvent on montre des
gravures qu’on dit être faites lür des diamans,
& qui ne le font réellement qiie fur des fa*
phirs blancs.
De la diflinclion des pierres antiques d'avec
' les modernes. ..
Comme il régné, beaucoup de rufes, de
fraudes & de ftratagêmes pour tromper au lujet
des pierres gravées , on demande s’il y a des
moyens de diftinguer l’antique du moderne,
les originaux des copies. Quelques curieux fe
font fait là - deffus des réglés-qui ,. tout incertaines
qu’ elles font ,. méritent cependant
d’ être rapportées, 1
Iis commencent par examiner l’efpèce de
la pierre ; fi cettq pierre eft orientale, parfaite
dans fa qualité , l i , c’eft quelque -pierre fine
dont la carrière foit perdue, telles que font,
par exemple, les cornalines de la vieille roche;
fi le poli en eft très-beau, bien égal , & bien
luifant, c’eft félon eux,des preuves de l’antiquité
d’ une gravure. I l eft certain que l’exâ-
men de la qualité d’une pierre gravée & de
fon beau poli ne font point dés chofes indifférentes;
mais on a vu plus d’une fois nos
graveurs effacer d’anciennes mauvaifes gravures
, retoucher des antiques , apporter dans le
poliment une grande dextérité pour mieux
trompeç les connoiffeurs. D’ailleurs , ce feroit
peut-être une preuve encore plus certaine de
l ’antiquité, d’une pierre gravée, fi la, furface
extérieure en étoit dépolie par le frottement;
çar les anciens gra voient pour l ’ufage , &
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toute pierre qu'l a fervi doit s’en reffentir (0 *
Les curieux croyent encore reconnoître certainement
fi les infcriptions gravées en creux
lur'les pierres font vraies ou fuppofées;, &
cela par la régularité & la proportion des lettres
îk par la fineffe des jambes; mais il n’y
a guère de certitude dans ces fortes d’obfer-
vatkms. Tout graveur qui voudra s’en donner
la peine , & qui aura une main adroite, parviendra
à, tracer des lettres qui imiteront fi
bien celles des anciens, même celles qui font
formées par des points, que les plus fins connoiffeurs
prendront le change ; & ce ftratagême
conçu en Italie pour fe jouer de certains curieux
nourris dans la prévention, n’a- que
trop bien reulli. Ils ont corrompu jufques aux
pierres gravées réellement antiques., en y mettant
de fauffes infcriptions, & c’eft ce qu’ ils
exécutent avec d’autant plus de fécurité, qu’ il
leur eft plus facile alors d’en impofer. Qui
pourra donc affurer que plufieurs de ces noms
d artiftes qui fe lifent fur les pierres gravées,
& même auprès de fort belles gravures ,, n’y
auront pas été ajoutées dans des fiècles pofté-
rieurs , furtout depuis que Gori a fait obferver
que le nom de Cléomenes écrit en g re c , qu’on
voit fur le io d e de la Vénus de médicis, eft
une infcription poftiche ?
Il n’eft pas non plus difficile d’ajouter fur
les pierres gravées y de ces cercles & de ces
bordures en forme * de cordons q u i, fuivant
le fentîment de Gori, cara&érifent-les pierres
étrufques, & font^ un ligne certain pour les
reconnoître. •
D’autres curieux prétendent que les anciens
n’ont jamais gravé que fur des pierres de figure
ronde ou ovale ; & lotfqu’ort leur en.
montre quelques-unes d’une autre forme, telles
que font des pierres quarrées ou à pans,
ils ne balancent pas à dire que la gravure en
eft;moderne , ce qui n’eft pas toujours vrai.
Quelques négligences qui fe ferolent g lif-
fées dans des parties acceffoires au milieu des
plus grandes beautés, ne doivent pas non plus
faire juger qu’une gravure n’eft pas antique (2):
on en devroit peut-être conclure tout le contraire
, d’autant que les gravures modernes
font également foignées dans toutes les parties ,
(i) Ce moyen de connoître l’antiquité d’une pierre ne
•peut étire admis. La-dureté des pierres fines en garantie
le poli contre un fort long ufage. C’eft ce qui eft prouvç
par celles qui font certainement antiques, qui probablement
ont fervi, qui ont été enfuite perdues fous la terre, Sç
qui ont même éprouvé des accidens.
g (2) Ç’cft même un jugement qu’on ne devroit pas porter
quand tout Ppuvrage feroit mauvais , car ü y a de fort mau-
vaifcs antiques dans' tous les genres : mais on peut encore
les refconnoître par le travail, ‘pdr le ftyle » par le carrière
d’fcole.
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ku lieu que celles des anciens ont affez fou-,
vent le défaut qu’on vient de remarquer. On
en peut citer, pour exemple, l ’enlèvement du
Falladium, gravé par Diofcoride : le Diomede
qui eft la maîtreffe figure , réunit toutes les
jjerfe&ions, tandis que le refte eft d’ un travail
fi peu foigné, qu’à peine feroit-il avoué,
par des ouvriers médiocres. Cet habile artifte
auroit-il prétendu relever l’excellence dé là
‘production par ce contrafce, ou auroit-il crains
que l’oeil s’arrêtant fur des objets étrangers ,
ne fe portât pas affez entièrement fur la
principale figure ?
Mais une pierre gravée qui feroit enchâffée
dans Ion ancienne monture ; une autre qu’on
lauroie, à n’en pouvoir douter, avoir été trouvée
depuis peu à l ’ouverture d’un tombeau, ou
fous d’anciens décombres qui n’auroient jamais
été fouillés, mériteroit d’être reçue pour
antique. Il paroît aufii qu’on ne devroit pas
moins eftimer une pierre gravée qui nous vien-
droit de ces pays où les aits ne le font pas
relevés depuis leur chûte : par exemple des
pierres gravées qui font tirées & apportées du
levant ne font pas fufceptibles d’altération par
le défaut d’ouvriers, comme le font celles
qu’on découvre en Europe : enfin , outre la
certitude de l’antiquité pour la pierre gravée,
i l faut encore qu’elle foit réellement belle
pour mériter l’ eftime des curieux. Concluons
donc que la connoiffance du defiin , jointe à
celte des ftyles & du travail, e f t 1e feul moyen
de fê former 1e goût; & de devenir un bon
juge dans les arts, & en particulier dans la
connoiffance d e , mérite des pierres gravées. ,
tant antiques qué modernes.
Des célèbres graveurs en pierres fines.
Il femble qu’ il manque quelque chofe à.
l’hiftoire des arts , fi elle ne marche accompagnée
de celle des artiftes qui s’y font distingués.
C’eft ce qui a engagé Vafari, Vèttori
& Mariette à écrire la vie de ces célèbres artiftes.
Il nous fuffira .d’indiquer les . noms des
principaux parmi ceux qui ont paru depuis la
renaiffance des arts.
Tout te monde fait que la chûte du bon
goût fui vit de près celle de l’empire romain (1):
des ouvriers grofliers & ignorans prirent la
place des grands maîtres , & Semblèrent ne
plus travailler que pour accélérer la ruine, des,
arts. Cependant dans le temps même qu’ils
(1) Pour parler plus exa&ement, il faudroit dire de la
république romaine, quoiqu’il y ait eu encore des artiftes
habiles du temps des empereurs. On reconnoît meme généralement
que, dans les derniers fiècles de là république,
les arts, avoient dégénéré de l’ancienne Iplendeur
flulls avoient eue dans les beaux ficelés de la Grèce,
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; s’éloignoîeht à fi grands pas de la perfe&ion,
ils fe rendoient , fans qu’on y prît garde, utiles
& même néceffaires à la poftéiité. En continuant
(l’opérer , bien ou n ia i, ils perpécuoient
tes pratiques manuelles des anciens : pratiques
dont la perte étoit fans cela inévitable, &
qui n’auroient peut-être pu fe retrouver. Il eft
donc heureux «que l’art de la gravure en pierres
fines n’ait fouffert aucune interruption, & qu’ il
y ait eu une fuccefllon fuivie de graveurs qui
fe foient inftruits les uns les autres, & qui
fe foient mis pour ainfi dire , à la main les
outils fans lefquels cet art ne pourroit fe pratiquer.
Ceux d’enrr’ eux qui alan donnèrent la Grece
dans le quinzième fiée,le , & qui vinrent
chercher un afvle en Italie , pour fe fouftraire
à la tyrannie des Turcs, leurs nouveaux maîtres
, y firent parpître, pour la première fo is ,
quelques ouvrages.qui, un peu moins informes
que tes gravures qui s’y faifoient journeiter
ment, fervîrent de prélude au renouvellement
des arts qui fe prëparoit. Les pontificats de
Martin V & de Paul II furent tes témoins de
pes premiers effais. Mais Laurent de Médicis,.
te' plus illuftre protefleur que tes arts ayent
rencontré, fu t le principal moteur du grand
changement qu’éprptiva celui de la gravure.
Sa paflion pour les pierres gravées & pour les
camées lui fit rechercher , ainfi que je l’ai
déjà remarqué, les meilleurs graveurs : il les
raffembla auprès de fa perfonne, il leur diftri-
bua des ouvrages , il les anima par les bienfaits
, & l’ art de la gravure en pierres fines
reprit, une nouvelle vie.
Jean dclle Corniuole fut regardé comme le
reftaurateur de la gravure en creux des pierres
fines , & Dorr.nique deg Camei de la gravure
en relief. Ces deux artiftes furent bientôt fur-
paffés par Pierre-Marie. de Pefcia% & par M iche
lino. L’art de ,1a gravure en pierres fines
s’étendit rapidement dans toutes tes parties de
l’Italie, Cependant il étoit réfervé à Jean Ber-
, nardi, né à Caftel-Bolognefe, ville de la
Romagne, d’enfeigrier aux graveurs modernes
à fe rendre de dignes imitateurs des' graveurs
antiques. Entr’aurres ouvrages de ce célèbre*
artifte, on vante beaucoup fon Titius auquel
un vautour déchire 1e coeur, gravé d’après le
; deffin de Michel-Ange ; comblé d’honneurs &
; de biens, il expira .en 1555. Dans ce temps-
; l à , François I avoit att.ré en France le fa-
1 meux Mathieu del Nafaro, qui s’occupa à
former parmi nous des. élèves qui fuflent en
\ état de perpétuer dans le royaume l’art qu’ il
y avoit fait connoître.
. Pendant le même temps , Luigi Anichini,
& furtout Alexandre Cefari , fur nommé le Crée\
. gravoient à Rouie avec éclat rou.tes fortes de,
lu jets fur des pierres fines. Le chef-d’oeuvre de