qu’ elles font, ou qui ne s’accorderoîent pas
avec les autres parties de l’édifice.,
On nous dit que Texpérience a appris à tous
les hommes à juger des dijlances, que nous
fommes accoutumée à juger de la grandeur de
nos femblables, quelqu éloignés qu’ ils foient
de nous. Ces principes ne font rien à notre
fujet, puifqu’ii eft reconnu que les architectes,
& les artiftes qui les fécondent, ne fe pro-
pofent pas de faire illufion. Nous conviendrons
que fi notre vue nous trompe fans cefle, notre
raifonnement, même involontaire, difïipe à
l ’ in fiant l’erreur qu’elle nous caufe. Il nous
arrive fouvent de prendre pour un chat ou pour
un oifcau un couvreur qui eft fur un - toît ;
de prendre pour un petit animal un homme
qui eft loin' de nous dans la campagne : mais
dès l’ inftant même que nous reconnoiflons l’obje
t , le raifonnement détruit notre première
erreur, &r nous7voyons l’ homme, quoique fort
diftant de' notre vue, dans la proportion humaine.
Il n’ en feroit pas de même d’une ftatue ;
le raifonnement qui nous dit qu’un homme
eft haut de cinq à fix pieds, ne nous dit rien
fur la hauteur d’une ftatue, parce que cette
hauteur peut varier au gré de l ’artifte. Si donc
par une erreur de la vu e , ou plutôt par les
loix de la vifion, elle nous parok petite ce
premier jugement, ne fera pas redrefle par la
raifon, & nous continuerons d’être choqués
de fa petiteffe.
Si les dimenfions d’une figure qui accompagne
quelque partie d’ un édifice doivent être proportionnées
à celles de l’architeCture, il faut
admettre qu’ une très grande archivolte doit
fupporter de-très-grandes figures, fans quoi il
n’ y auroit plus d’accord entre les deux arts
qui fe font affociés. Une figure qui furmonte
une très-grande archivolte doit être à cette
archivolte ce que feroit une figure d’une
moindre proportion à une archivolte plus
petite elle-même. L’oeil accoutumé à cet accord
feroit blelfé s’il ne le trou voit plus, & la figure
que, vue féparément, il jugeroit d’ une très-
bonne dimenfion , lui fembleroit alors d’une
petiteffe mefquine.De même, une grande niche
feroit mal remplie par une figure qui ne lui
feroit pas proportionnée. On propofe d’y mettre
un grouppe au lieu d’une feule figure; mais
ce remède feroit impuiftant, parce que- là hauteur
de ce grouppe s’accorderoit mal avec celle
de la niche. D’ailleurs comme l’oeil' aime à
embraffer un tout-enfemble, fi les figures de
ce grouppe fembîoient petites relativement au
tout-enfemble de l ’édifice, elles produiroient
lé mauvais effet de ces. figurines dont font
ridiculement ornés nos édifices gothiques. .
Palfons à la diminution propofée des figures
à mefure que , placées à une plus grande hauteur,
elles fogt plus diftanres de l’oeil. Si dans i
un édifice très-élevé, on diminuoît la propos
tion des figures à mefifre qu’elles s’éloignent de
1 oe il, on finiroit par furmonter l ’édifice de
figurines qui contrafleroient défagréablement
avec la mafle colloffàle qui leur ferviroit de
foutien. Les anciens , dans les colonnes fculp-
tees en bas-relief, ont augmenté la proportion
des figures à mefure qu’elles s’éloignoient de 1 oeil. On leur a reproché ce vice de perf-
peélive ; mais on leur auroit reproché un vice
de bon fens, s’ ils avoient, au haut de leurs
colonnes, fculpté des figures dont le fpec-
tateur n’auroit pu jouir-, on auroit demandé
pourquoi ils fe feroient donné tant <fe
peine pour faire un travail inutile.
. Les plafonds ne fui vent pas tout-à-fait les
mêmes loix que les ftatues; ils font fournis,
•comme les tableaux, aux loix de la perfpe&ive :
mais c’eft au jugement de l’artifte à déterminer
la dimenfion des premières figures,
celles qui occupent le premier plan. On pour-
roit dire qu’ainfi que les ftatues, elles doivent
s’accorder avec le colloflal de l’édifice : mais
un autre motif exige encore qu'elles foierit d’une
grande dimenfion.
Les plafonds, & furtout les coupoles, repré-
fententdes fcènes céleftes, & font fufcepribles
d'une élévation fiélive très-confidérable. Si ,
parconféquent, les premières figures fembloient
au fpeélateur n’avoir que la proportion humaine,
les autres éprouvant une diminution graduelle
& perfpeâive, en raifon de leur éloignement,
les plus enfoncées deviendroient d’unepetitefle
extrême, & cette partie des plafonds qui, fui-
vant l ’obfervation de M. Cochin, fait ordinairement
le plus de plaifir au fpeélateur, ne
feroit plus compofée que de petits objets incapables
de lui plaire.
Dans un plafond, les grouppes d.u premier
plan peuvent être regardés comme des repouf-
foirs : c’eft la partie la plus enfoncée qui, eft
le centre d e là machine; c’eft elle qui brille
de la plus grande lumière; c*eft elle qui
attire les regards ; c’eft vers elle qu’on doit
être appelle, comme on l'e ft ordinairement
vers le milieu d’ un tableau qui eft le principal
foyer de la compofition. Réduire le centre
d’une coupole à "n’êrre occupé que par des
figures indécifes, & même en quelque forte
imperceptibles, ce feroit faire la même faute
d’ordonnance que fi, dans un tableau , on
rejettoit fur les coins le fujet principal, &
qu'au milieu de la to ile , il n'y eût qu'un
lointain perdu dans la vapeur. Le moyen d'éviter
cet inconvénient dans les plafonds, c'eft
de donner, aux figures voifines de la partie
la plus.éloignée de l'oe il, une allez grande
proportion pour qu'elle porte fur la rétine une
image fuffifarite , & par conféquent lés figures
du premier plan, auront une proportion colîoflkle.
Ce raifonnement autorife affez les
peintres qui ont fuivi la pratique du Corrège.
jVI. Cochin avoue qu'il n'exifte aucun, exemple
par lequel on puilfe démontrer le bon effet
que produiroient les premières figures d'un
plafond réduite» à la dimenfion ordinaire^ de
l ’homme : c'eft avouer que tous les artiftes
qui, depuis la renaiflance des arts , ont été chargés
de peindre des plafonds, & qui ont d û ,
plus que tous les autres, méditer fur les loix
de ces machines pittoresques, ont fenti | ou
cru fentir qu’elles cxigeoient, fur les premiers
plans, des dimenfions fupérieures à celles de
•la nature. I l faut obferver qu’en general ces
artiftes ont été les plus célèbres de leur tems
& de leur pays, & qu’ ils ont même été fou-
vent appellés de lo in , fur leur réputation,
p a r le s Princes étrangers , pour faire de grands
ouvrages.
Je crois d'ailleurs qu’ il exifte quelques pla-
fo.nds dont les figures ont été trouvées trop
petites ; ma mémoire ne me permet pas de
l 'affirmer : mais il eft certain qu’on a tait ce
reproche à des tableaux quand ils ont été placés
à une trop grande élévation.
On ne peut favoir fi les Grecs, dans les
peintures dont ils couvroient les murailles,
ont fait des figures coîloftales *, mais on fçait
que leurs plus célèbres fculpteurs fe font illuf-
irés par des collofles placés dans des temples
<jui n'avoienc pas une très-vafte étendue. Ce
peuple aimoit le grand, dans les idées, dans
les formes, dans les dimenfions. Les héros
d’Homère avoient une force lur-humaine &
on ne peut guère s’em p ê c h e r e n lifant ce
poëte, de leur donner une taille au-deffus de
l'humanité : l'imagination, de Bouchardon les
Juirepréfentoit comme des colloflès. Les Dieux,
fupérieurs en force aux héros , dévoient être
auffi d une plus grande proportion. La ftatue
collolfale d’ une divinité en impofoit bien plus
aux fpeâateurs, & s’accordoit mieux avec leurs
idées, que n’auroit fait une ftatue de taillé
humaine. N*en peut-il pas être de même des
objets de notre vénération repréfentés dans nos
temples? Sans doute, fi quelques-uns de nos
critiques modernes pouvoient voir les chefs-
d’oeuvre de Phidias, ils ne lui pardonneroient
pas d’avoir fait un collolfe dé.fo'n Jupiter Olympien
, & vbudroient qu'il ■ fe fût réduit à faire
un Jupiter de fix pieds : mais ce n’étoit pas
ainfi que la grande imagination du ftatuairç
s’étoic repréfenté le dieu qui ébranle l’Olympe
d'un mouvement de fes fourcils.
. Ajourons que vouloir réduire à la proportion
de fix pieds, toutes les ftatues qui ne font
point dans £intérieur des appartemeni, c’eft condamner
à une proportion melquine celles;qui
doivent faire l’ornement des grandes places ;
qc’eft rendre inutiles toutes celles qui deyroient
être établies à une très-haute élévation. Difons
encore que fi l’on veut réduire à une foible
proportion toutes les ftatues très-élo ignées de
la vu e , il ne fera plus néceftaire d’ en charger
des fculpteurs habiles r le premier valet qui
fe fera exercé l’hiver à modeler des figures
de neige, aura tout le talent requis pour fabriquer
une- ftatue qui ne pourra être jugée.
• » En même tems, dit M, Cochin, que
» celui qui feroit placé au point le plus éloigné
» de la nef d’une églife, ne trouveroit peut-
» être rien d’exceflif dans une ftatue, celui
» qui s’en trouveroit plus proche, feroit cho-
» qué d’ une auffi grande difproportion avec
» la nature humaine ». La réponfe à cette
objeâion, c’eft que fi la ftatue n’a rien d’ exceflif
pour celui qui en fera près , elle paroîcra
petite à celui qui en fêta loin ; & que dans
un lieu vafte , le nombre des fpeélateurs éloignés
de la ftatue fera le plus confidérable.
Nous nous en tiendrons à notre principe ; c’ eft
qu’ une ftatue doit être confidérée comme un
ornement, comme une partie de la place ou
de l’édifice où elle fe trouve, & exciter un
fentiment de plaifir dans famé de ceux qui
ne font encore qu’y entrer : car la place ou
l’édifice qui fait un tout avec la ftatue doit
plaire dès le premier afpeCt, & avant qu’on
en puilfe examiner les détails. Le fentiment
du plaifir naît de la juftelfe des proportions :
pour qu’ un édifice , qu’on doit regarder comme
un corps, plaife à la première vue, il faut que
fes membres lui foient proportionnés, & les
ftatues. qui le décorent font partie de fes
membres.
Les figures, dit-on , font les habitans
fictifs des lieux où elles font placées : elle«
doivent donc être coîloftales dans des habitations
coîloftales, & celles qui, dans ces habitations
, font placées à une grande élévation
doivent augmenter de proportion à mefure
qu’elles s’élèvent, pour paroître encore col-
lofalles, quoiqu’apperçues d’une grande dif-
tance.
On nous accorde que, dans un édifice
colloflal, les figures peuvent avoir jufqu’à
neuf pieds de proportion. Dès qu’on veut
bien condefcendre à nous accorder ainfï
quelque chofe d’arbitraire, on nous rend la
liberté de laifter juges de cet arbitraire 8c
le Corrège, & tous les habiles peintres qui
ontfuivi les principes qu’ il leur avoit indiqués,
8c tous les célèbres ftatuaires qui ont confacré
leurs taie ns à la décoration des grands édifices:
car comment oferions-nous oppofer notre fen*
fentiment arbitraire, au fentiment, à la réflexion
, à l’ expérie'nce de tant de maîtres?
Il s’agit ici d’ une cjueftion.de goût. Bien
des perfonnes fe lent iront portées à en laifter
plutôt la décifion.à l ’autorité d’ artiftes en grand
G g ij