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& verfé dans cette eau partie à peu-près égale
d’ efprit de vin , on humeétera le paftel à travers
un taffetas intermédiaire, avec un plumaceau
chargé de ces deux liqueurs combinées. Le paftel
iera lur le champ pénétré par l’ un & i autre
menûrue au t-ravers du taffetas , qu’ il faudra
tout de fuite enlever de deffus la peinture aufli
légèrement qu’on l’y aura pofé.
On pourra croire que le paftel doit alors s’ attacher
au m qui le touche. Il eft vrai que j'en
avois moi-même cette opinion au premier effai
que j’en fis , & je fus étonfté que le taffetas n’en
eût rien enlevé , quoique je n’euffe pas apporté
de bien grandes précautions.
On pourroit aufli penfer que la liquetîfr devroit
altérer les nuances du paftel , en l’ imbibant de
la liqueur même la plus tranfparente, puifque la
moindre goutte d’eau claire qui tombe deflus, y
Jaifle une tache.
Mais il faut obferver que cette tache n’en fb-
roit pas une fi l’ eau s’étoit étendue fur toute la
furface du tableau: il paroîtroit feulement moins
velouté, parce que les molécules du paftel fe
{broient un plus rapprochées. Puifque les paflels
ont été préparés avec de l ’eau fans en avoir éprouvé
d’altération, de nouvelle eau ne peut leur en
occafionner aucune.
I l ne refte donc plus de doute que fur la fubfi-
tance dont l’eau devient le véhicule. Affurément
on r.e fauroît douter qu’elle altéreroit les couleurs,
f i, par elle-même, elle pouvoit influer
furleur nuance, comme le font les matières hui-
leufes appellées réfines, la fandaraque , le maltic
en larmes j ou fi elle étoit elle-même plus ou
m°ins colorée, comme la gomme-gutte, le !"ang-
dragon, & c . Mais dès qu’on employé une matière
non rélineufe, dépourvue de couleur fenfi-
b le , & capable feulement d’ acquérir la même
confiftance que les réfines par l’évaporation de
l ’eau qui la tenoit en diflolution, les couleurs
n’ en feront pas plus altérées qu’elles ne le fe-
roient par l’eau pure.,
De toutes les fubftances concrètes, fblubles
dans l’ eau , les plus propres à remplir le but pro-
pofé, comme n’ayant aucune couleur, font la
gomme adragant, la gomme arabique, & les
colles. Il eft vrai que les gommes ont peu de
corps &: ne forment qu’une croûte allez légère,
q u i , ne réfiftant point à des frottemens un peu
tudes , laifleroit le paftel a découvert. Quelques
limpides qu’ elles foient, il vaut donc mieux employer
les colles , & choifir la plus belle & la
plus tranfparçnte. A ce titre , la colle de gants,
celle de parchemin , & par-deffus tout la colle
de poiflon, méritent la préférence. Parce moyen,
.les couleurs ne feront point altérées, & le paftel
fc trouvera bien fixé.
Vo ic i le mécanifme de çette opération.
Chbififfez la colle de poiffon la plus nette &
l a plus blanche, &r faice§*en couper une de»ionce
en très-petits morceaux. Comme elle eft en
feuilles roulees, & que le dedans en eft toujours
d’une qualité médiocre, il faut le jetter. Met-
tez-la dans une caraffe , avec une liv re , ^-peu-
près, d’eau bien claire. Le lendemain vous met«
trez la caraffe dans un poêlon prefquo plein d’ea-u,
fur la braife : tenez tout cela fur le feu trois ou
quatre heures fans ébullition , mais toujours prêt
à bouillir. Remuez de temps en temps la colle
avec une cuiller de bois. Au bout «de ce temps,
la colle fera prefque entièrement dilfoute. Ver-
fez-la dans un*autre vafe au travers.d’un linge.
Si c’eft dans une bouteille , il faut attendre que
la liqueur l’oit prefque froide , fans quoi le verre
éclateroit. Quand vous voudrez l’employer,
verfez-en dans une aflierte une quantité proportionnée
au befoin : joignez-y partie à-»peu-près
égale d’efprit de vin reéhfié, & mêlez un inftanG
les deux liqueurs avec un plumaceau.
La colle ainfi préparée , couchez votre tableau
fur une table , la peinture en-deflus. Ayez un
taffetas bien tendu fur un chaflis, & pofez-le fur
le tableau de manière que le taffetas touche lé»
gerement la peinture. I l eft même bon de l’àftii-
jettir , en mettant, fur le bord de ce chaflis ,
deux ou trois morceaux de brique. Trempez un
plumaceau dans la liqueur dont nous venons de
parler, & paflez-ïe un peu légèrement fur le
taffetas d’un bout à l’autre, en évitant de palier
deux fois lur.lemême endroit. A l’inftant la liqueur
pénérrera le paftel à travers le taffetas*
Otez auflitôt adroitement le chaflis & laiflez
votre tableau lécher à l’ombre fans le remuer.
Le paftel paroîtr'a d'abord très-rembruni : mais ,
femblable aux crayons qui font toujours oblcyrs
jufqti’à ce qu’ ils foient fecs , la peinture, en fc-
chant, redeviendra ce qu’elle étoit.
Cependant fi les crayons avoient été compofés
fans choix , ou que les couleurs du.tableau fufl-
fent tourmentées, il pourroit arriver que les
teintes refteroient un peu plus brunes qu’elles n e .
l’étoient avant l’opération, d’autant que le blanc
de Troyes ayant peu de corps, les couleurs alliées
à ce blanc prennent le deflus & dominent.
Pour prévenir cet inconvénient, tenez un peu
plus clairs que vous n’auriez fait tous les tons de
votre tableau fans exception , par ce moyen , les
touches feront toutes air point convenable.
Par cenréçanifme très-fimple, on peut peindre
au paftel des tableaux de la plus grande étendue,
& fixer enfuite la peinture à l’aide d’ un chaflis
mobile de taffetas ou de crin fort ferré. Pour cet
effet,on n’auroit qu’à faire préparer une toile
très-fine , montée lur un chaflis de la grandeur
convenable m & la faire imprimera la colle avec
de la craie f c’eft ce qu’on appelle en détrempe.
Le paftel adhéré très-bien fur un pareil canevas,
& peut être fixé comme fur un tableau de chevalet
: c’eft une opération de deux minutes.
Dans ce cas , il fçrpit bpn, pour plus de pré-
caution,
caution, d’avoir deux ou trois de ces chaflis mobiles
dont nous venons de parler, afin d’arroier
& laver d’eau chaude, avec une éponge, celui
qui viendroit defervir., pendant qu’on employe-
roit l’autre, parce que fi , par hafard, il s’étoit
attaché quelques particules de paftel au tiflu du
taffetas, on ne les porteroit pas fur les autres
parties du tableau.
I l feroi.t encore bon d’avoir , au lieu de plu-
maceaux , deux ou trois pinceaux faits exprès ,
pour pouvoir les laver de temps en temps dans ,
l ’eau chaude. Ces pinceaux doivent avoir, a-peu-
rès, la forme des vergettes dont on brofle les-
abits, & la longueur d’environ fix pouces , non
compris la poignée qui doit être un peu recourbée
: mais ils ne doivent guere avoir que deux
rangs de poil de bléreau , d’environ d’eux pouces
de fortie, parce qu’ il ne faut pas répandre à la
fois trop de liqueur; elle pourroit s’épancher &
confondre les teintes , quoique je n’aÿe jamais
éprouvé cet inconvénient. Je me fuis quelque
fois fervi d’une pâte de lievre.
S’ il arrivoit ,.car il faut tout prévoir, qu’ en
étendant la liqueur , les poils du pinceau péne-
traflent dans le tiflu du taffetas, & fe chargeafl-
fent de couleur , on s’en appercevroit fur le
champ ; la liqueur ne manqueroit pas de devenir
louche dans l’afliette à mefure qu’on y trempe—
■ fo.it le pinceau pour en prendre : en ce cas, il
faut renouveller fur le champ la liqueur & changer
d’afliette.; ^ ^
On doit compofer peu de liqueur à la fo is ,
parce qu’elle pourroit fe corrompre au bout dé
quelques jours, à moins qu’on ne mêlât tout, de
fuite la diflolution de colle avec pareille quantité
d’ efprit de vin ; ce qu’il faut faire en incorporant
les deux liqueurs, de manière qu’on verfe
alternativement dans la bouteille un verre de
diflolution de colle avec autant d’ efprit de vin.
Dans un temps froid , cette diflolution fe coagule
& refte en mucilage: mais , pour lui rendre
la fluidité néceflaire, il îuffit de mettre la bouteille
dans de l’eau, qu’ on fera chauffer un. mitant.
Mettez aufli, dans les temps froids , l’afliette
fur l ’eau chaude , pour tenir la compofition plus
liquide pendant l’opération.
Comme on pourroit faire quelque méprife la
première fois qu’on voudra la pratiquer, il convient
d’en faire l’eflai fur quelqu’ouvrage de
peu de conféquence , ou même fur la moitié feulement
d’un tableau qu’on aura peint tout entier
pour cette expérience, afin de juger d e là
différence des tons lorlqu’ilfe rafec,’. & de l ’effet
de la liqueur fur le paftel.
I l eft bon d’attacher quelques morceaux de
carte fur les angles du chaflis de taffetas, lorf-
qu’ on fe propofe d’en faire ufage pour fixer le
paftel fur de grands tableaux, parce que le papier
des cartes,'en effleurant le paftel, n’ en em*
Beaux-Arts* Tome IL
porte pas la/moindre particule, lors meme que
e chaflis y fait quelque frottement.
T e lle eft la manière dont j’ai fixé le paftel fur
des canevas, foit de toile imprimée en détrem-r
p e , foit de vélin , foit de papier.
M. Loriots’eftfervi d’ un autre procédé, qu’il
a fait connoître enfin le 8 janvier 1780 à l’A c a démie
de peinture. I l employoit la même compofition
5 njais il la failbit jaillir fur le paftel-en
forme de pluie, avec une vergette qu’il trém-
poit légèrement dans la liqueur» A l ’aide d’une
baguette de fer courbé , Il faifoit revenir à lui
les foies de cette broffe , & les laiffant enfuite
échapper , elles répan-doient fur la peinture , en
fe redreffant brufquement, par l ’effet de leur
élafticité, des gouttes de liqueur qui la cou-
vroient irifenfiblement toute entière, en continuant
d’arroier ainfi tout le tableau. Ce procédé
réuflit bien, mais il exige de la patienee & beaucoup
d’adreffe. Il faut aufli que la diflolution de
colle foit extrêmement claire, & même aflez
chaude , furtoùt-en hiver ; autrement elle fe fige
en l’ air & fait des taches.
'M. le Prince de San-Severo a trouyé, de.fon
côté , un moyen* de fixer le p a f t e l& n’ en a
jamais fait un fecret : on le connoiffoiten France
par la relation de M. de la Lande publiée en
1769, onze ans avant que M. Loriot eût celle de
de cacher le fien. La compofition qu’ils employaient
étoit à-peu-près lajnême. M. le Prince
de San-Severo faifoit -diffoudre de la colle de
poiffon dans de l ’eau pure ,•& y mêloit en lu ir e
de l’ efprit de vin •: mais il commençoit par la Faire
infuler dans du vinaigre diftillé., Ce n’écoit pas
d’ailleurs fur le paftel qu’il appliquoit immédiatement
la liqueur ; mais derrière le canevas qu’il
tenoit renverfé, la peinture en deffous, de ma*
niere qii’ elle s’ infinuoit au travers & venoit imbiber
le paftel. Ce procédé réuflit parfaitement :
on ne court pas le moindre rifque de gâte rie tableau'
»maison ne peut l'employer que fur un canevas
de taffetas ou de papier bleu : lur tout autrjs
la liqueur ne, pénétreroit pas.
Dans les trois procédés rapportés ct-defliis , la
compofition de la liqueur eft la même ; toute la
différence eft dans la manière de l’appliquer.
L’ufage & le temps apprendront quelle eft la
plus commode, la plus expéditive, & la moins
fujette aux inconvéniens.
On peut, avant de faire diffoudre la Colle dans
l ’eau au bain-marie, commencer par la faire infuler
vingt-quatre heures dans une once de v inaigre
diftillé , fuivant le procédé du Prince de
San-Severo, qui d’ailleurs indique des proportions
de colle trop fortes : il eft certain que le
vinaigre eft utile contre la piquûre des infeéles
qu'il écarte, & que la colle peut attirer.
Il .ne raanquoit à la peinture au paftel que
la folidité : l’y voilà parvenue. (Traité d î la
peinture au paftel.)
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