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plus confidéré la nature que d’une manière
vague qui les a privés- de la jufteffe du coup-
d’ceil,, quand ils fe font fait un mérite de ne
'plus rendre les formes que par des à peu-prés,
quand ils font convenus de les indiquer plutôt
que de les exprimer, quand ils les ont
tellement gënéralifées, qu’elles ont dégénéré
en formes de cenvention, quand travaillant
même d’après le modèle ou d’après Pantique,
ils n’ont plus vu dans l’antique 8c dans le^
modèle que la manière qu’ils s’étoient fa ite ,
ils fe font trouvés incapables de rendre le ca-
raélère individuel d’ un modèle quelconque 3
& par conféquent de faire le, portrait, qui ne
peut réuflir, qu’autant que te caraétère a été
bien faifi. Alors s’eft élevée une clalfe particulière
d’artiftes qui, fe confacrant à rendre
les formes de la nature avec une exaélieude
précife , à les varier toutes les.fois qu’ ils changeaient
de modèle, à exprimer plutôt la nature
individuelle que la nature générale, s’eft
emparée d’ une partie de l’art que les peintres
d’hiftoire abandonnoienr.
Mais ces artiftes étoient généralemeht élevés
de peintres d’hiftoirè -, c’étoit vers l’hif-
toire qu’ ils avoient dirigé leurs premières études,
& la plupart s’étoient même livrés à l’hil-
toire pendant une affez longue période de leur
v ie. Us traitèrent donc le portrait de la même
manière qu’ ils avoient traité l’hiftoire ; dans
leur façon de v oir , dans celle d’exécuter, ils
confervèrent une grandeur dont ils avoient
pris l’ habitude. Comme ils étoient favans,
ils n’étoient pas indécis fur ce qu’ils voyoient,
& l’accufoient avec aifance & fermeté. Us
connoiffoient bien le principal , c’étoit à lui
qu’ ils s’ arrêtoient, & ils paffoient enfuite au*
détails qui leur paroiffoîent néçeffaires -, au lieu
que les artiftes a qui manque la fcience , s’arrêtent
d’abord aux détails, 8c tâchent de remonter
par eux au principal, qu’ils font trop
peu capables 'd’atteindre.
Le portrait tomba ensuite en de moins h a biles
mains. Regardé comme un genre particulier,'
il devint .le partage d’artiftes qui fe
deftinèrent à ce genrer dès, leur entrée dans
la carrière, & qui furent foùverçé élèves d’artiftes
qui ne connoiffoiëtit éux-mêmës que ce
genre. Perfuadés. qu’ ils n’avoient pas befoin
de toute la fc»encë qu’exige le genre hifto-
riqué, ils négligèrent de le procurer une fa,-
vante éducation. Tout lèur exérciçe fut de
defliner froidiement une têtp', en s’arrêtant
principalement rendre les différences individuelles
i & vils crurent avoir atteint le but
quand, en etfbrimant ces différences, ils étoient
parvenus â raïrè iine têt$. triVIalemeiij reffem-
blante à celle du modèle. Us ne fe doutèrent
même pas^ qu’ ils euflent befoin de deux parties
gflentielles de l ’^rt : le caractère & l’ exprçf-
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M l Faut0 <le pofleder des parties, ils font-',
s |rentrt^anf Ie plus contraire de tous
a la reflemblance : car faifant des ouvrages qui
dévoient reffenibler à des têtes vivantes . ils
tirent des têtes qui ne vivoient pas.
Le cara&ère confifte dans l’accufation ferma
« lavante des parties principales ; aceufation
bien neceffatre dans le portrait, car tout
nomme a les formes principale« & caraflérif-
humaine modifiées par des
différences individuelles, & ces formes doivent
etre annoncées plus fortement encore que
leurs modifications.
Enfuit? toute phyfionomie vivante exprima
tnon une paillon , du moins un tempéramment,
un caraaere. Ce qui n’exprime rien, n'exprime
pas même la prélence de la vie. Les expref-
Itons les pins difficiles à faifir, & qui fuppo-
lent le plus de talent de la part de l’a n i fte ,’
ne iont pas celles des paillons violentes qui
cauient une altération très - fenfible dans la
pnyiionomie : ce font celles des pallions dou-
;ces, qui approchent le plus du calnie de l’ame.
La perlonne qui fe fait peindre fe prérente à
1 attifte dans cet état do calme. Elle n’éprouve
en cet inftant que des affeflions tempérées :
elle impofe donc à l ’artifte, pour la partie de
1 expreffion , la tâche la plus difficile à rem-
plir, ,
I l femble même que le peintre de portraits
doive , a cet-éga rd, éprouver une difficulté
de plus que le peintre d’hiftuire. Aftréint
au même devoir de rendre, l’exrreffion & les
formes principales, il eft dans îa néceflïtë de
rendre avec plus d’exuaitude les différences
individuelles. Pendant qu’ il s’occupe laborieu-
fëment à les faifir, à les accufer, lé modèle
fe fatigue d’uné fituation qui eft toujours la
même : l’ennui l’accable, les mufclei? s’affaif-
fenr, & au lieu d’exprimèr le calme & la
vie , il n exprime plus qu’une longueur qui
reffemble à un état de mort. I l faut donc quç
le peintre qui veut donner d’ expreffion à fou
ouvrage, ait affez dq reffources dans l’ efpric
pour rendre en quelque forte, la vie à Ibn
modèle, par l’jgrémqnt de fa convention
ou qu’ il attende d’une autre féance i’occafion
d’animer fon ouvrage. Une meilleure reffource
feroit d’ avoir affez de mémoire pour fixer dans
fon efprit le premier inftant où le modèle s’eft
pofé, & affez du fcience pour porter fur la
toile ce fou venir.
La prefteffe, qualité affez indifférente dans
les autres genres , 1 ferait trètrutile. au peintre
de portraits, parce qu’ elle lui épargnerait l’ in,
conyénient de fatiguer fon modèle. I l eft
du moins .très-important que , dans une dernière
féance, il revienne avec des- yeux frais
fur fon jpodèle frais lui-ni Joie, & que, pas
P O R $ïn trafàîl favant & fa c ile , il donne a fon tableau
l’ame 8c l’exprefiion.
Les peintres de portraits, en fe renfermant
dans un genre inferieur, ont cru lui donner
un mérite nouveau , en y ajoutant une forte
de perfection qui femble appartenir au genre
qu’on appelle de la nature morte. Cette foite J
de perfection conüfte à rendre avec un foin
extrême, avec l ’étude, la plus recherchée ,
les étoffes & tous les acceffoires qui peuvent
accompagner un portrait ; des tables garnies
de bronze, des meubles précieux, des pendules
, des candélabres, des vafes, & c . Par
cette recherche , par l’extrême fini qu’ ils donnent
à ces objets lubalternes , ils font tombés
dans une double faute : d’abord, dans une
faute d’aCcord , parce que la tête du modèle
étant mobile , ils ne peuvent l’étudier avec
la patience minucieufe qu’ ils donnent aux
autres objets, enforte que le travail des acceffoires
porte l’ empreinte d’ unlbin plus marqué
que celui de l ’objet principal : enfuite
dans, une faute de raifon 8c de convenance ;
en effet, fi nous rencontrons une perfonne
qui nous intéreffe , c’eft fur lbn vifage que
fe fixent nos regards -, fi l ’on nous fait remarquer
un homme diftingué par fés talens
ou par fes vertus , 8c que nous délirions dé
connoître, c’eft à fa phyfionomie que nous
faifbns attention-, fes vêtemens 8c tout ce qui
peut l ’environner ne nous caufe aucun intérêt
; nous ne voyons ces objets qu'en maffe
& d'une manière vague. La deftination d’un
portrait eft de rendre préfens les traits d’une
perfonne aux abfens qu’elle intéreffe, ou de 1
conserver à la poftérité les traits d une' per-
l'onne qui méritera l’ eftime des âges à venir.: '
' dans l’ un ou l’autre cas, ce font toujours les ’
traits de la perfonne repréfentée qui forment
l’objet principal du tableau : loin que les acceffoires
doivent exciter une attention particulière,
il eft du devoir d’ un artifte judicieux
d’ empêcher qu’ i-ls ne détournent l’attention de
l’objet qui mérite, leul de l’arrêter. C’ eft ce
que l’on trouve dans les portraits du Titien & ,
de Van-Dycjc : fi l’on en confidère les acceffoires,
on reconnoîtra qu’ ils font traités par
une main habile -, mais c’eft la tête feule qui
arrête le Regard , & l’on remarque à peine
les autres objets, à moins qu’on n’ait un def-
fein formé de les examiner en détail.
U femble que: les peintres de portraits fe
foient piqués., de fuivre une pratique abfolu-
ment contraire à celle de ces grands maîtres
& de ne faire de la tête qu’ un acceffoire du
tableau. C 'eft toujours la partie la plus négligée
;
Nous avons vu, dans ce fiècle, des peintres
de portraits à qui l ’on n?a pu reprocher de
négliger les têtes : s’ils ont mis à cette par-
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tie effentmlle moins de fc ience, moins de caractère
que Van-Dycic, ils y ont peut-ê're
donne encore plus de loin. Mais ils ont donne
un foin égal aux étoffes & aux acceffoires
, enforte- que fi ces objets fécondaires ne
1 emportent point fur la tête, ils difputenc au
moins avec e lle , ils partagent avec elle l’attention,
&finiffent par J’abforber parce qu’ ils
tiennent plus de place dans le tableau. Ces
ouvrages ont un grand v ic e , c’eft d’être trop
généralement beaux. Les maîtres qui doivent
1ervir d’exemple fe feroient bien gardés de s’arrêter
a ces beautés.fubalcernes. Les portraits de
Kigaudme femblent repréfenter des gens infatués
de leurs richeffes , & q u i, n’étant rien que par
elles, cherchent à en faire un pompeux étalage.
La compofirion du portrait porté fur le même
principe que celle des rableaux d’hiftoire • il
faur que l ’oeil foie appelle, fans pouvoir s’en
detendre, vers l’ objet q u i, fuivant l ’intention
du peintre, doit exciter la principale attention.
ruilque le but du peintre de portraits eft
la reflemblance individuelle, il doit vêtir &
coeffer la perfonne qu’ il repréfente, comme
on a coutume de la voir coëffee & vêtue Un
homme qui change confidérablement fa maniéré
accoutumée de fé mettre, n’eft fouvent
reconnu qu’avec une forte de peine par fes
amis, & ne l’eft point du tout par les per-
fonnes qui lui font moins familières. Il eft
déguife, & n’eft-il pas abfurde de fe déguifer
pour avoir fon portrait, 8c de fe plaindre
enfuite quand ce portrait n’eft pas aifémenc
reconnu, lorfqu’on feroic à peine reconnu fol-
meme fous ce déguifement? On a cependant
vu des peintres mettre ces déguifemens à la
mode: ils faifoient une Junon, une Diane
d’une coquette minaudière , & une nymphe
de cour d une bourgeoife de la rue Saint-
Honore. Par une mode plus ridicule encore
on a vu quelque tems des femmes fe faire ’
peindre en Cordeliers.
Nous avons eu un peintre de portraits nui
transformo.t toutes les femmes .en nympües
ou en deeffes : il leur donnoit de grands yeux
de petites bouches, un coloris qui étoit iè
même pour toutes; d’ailleurs la reflemblance
alloit comme elle pouvoit. De tels artiftes
devraient épargner aux femmes qui veulent
le faire peindre, la fatigue de prendre féance:
ils n auraient qu’à apprendre une belle têt#
par coeur & la léur envoyer.: ‘
Je crois que c’eft une faute de la part des
artiftes , de pofer eux-mêmes les perfonnes oui
demandent leurs portraits. Chaque perfonne
a un certain nombre d’attitudes habituelles
les autres ne leur font point familières &
c eft un grand hafard fi le peintre, qui ordinairement
connoît peu fes modèles, laifu une
de leurs attitudes accoutumées. Nous reconnoif