
Quant à la qualité qui donne le talent d’exé*
cuter tout ce que l’on a vu , tout ce que l’on
a pente , elle devient nuifible , lorfqu’ elle
domine exclufivement. ( Voye^ les mots P in c
e a u , In s t r u c t io n , F a i t . ) T/adreffe de la
main doit bien fer vit' à montrer nos idées, &
a ies rendre en proportion du goût, du favoir
8ç de la fagacite avec lefquels nous faiftffons
les fineffes & les ensembles ; mais c’eft une
efclave .qui ne doit qu’obéir ; c’eft une meule
qui triture le froment, & en fait une"farine
précieufe •- ma's fi cette meule agit feüle , fi
le grain s’échappe & manque à fon mouvemen
t, elle ne produit alors qu’un gris' me^
prifable. ,
Heureufe l’école où l’on aura détourné les
.élèves de l ’adoration trop commune pour cette
adrefle exclufive, & où tout ce que la pratique
manuelle a d’utile,' ne 1er vira qu’ au favoir
& à la penfée ! Heureux aulïi font ceux
q u i , fans être obligés de s’occuper de la pratique
, la- trouvent foumife à leur efprit ! C’eft
par cette qualité que le Corrége, Vëiafquez,
Ribera, Schidone, Salvator-Rofe , la H y re ,
Bon - Boullongne & Jouvenet obtiennent la
plus conftantë admiration.
T e lle eft la première clafle des qualités propres
à Vatt. Héla~s ! elles deviendront prefqüe
nuilès, fi elles ne font pas fécondées par la
fanté. Nous lavons que la force du corps eft
utile à tous; mais l’orateur & le poëte en
Tentent moins le befoin que le ftatuaire & le
peintre. » Récris fur la peinture , difoit Lairefle
» devenu aveugle , parce que je me trouve
yt réduit à chercher les moyens d’occuper
» utilement mon efprit ». (i). Scarron & beau-*
coup d’autres ont pu fe livrer aux lettres malgré
leur foibleffe ou leurs difformités. Milton
& Homère devinrent aveugles, & dans leurs
élans fublimes , ils n’en célébrèrent pas moins
les héros & les dieux : c’ eft qu’ il leur étoit
inutile d’unir le méchaniftne par lequel les artiftes
doivent parler aux yeux , aux qualités
du génie dont l’utilité eft commune à tous les
hommes occupés de remuer les fens , & de
flatter l’ imagination.
I l y a des efprits q u i, par u'ne vigueur naturelle
, & p a r le feul amour de l ’a r t , peuvent
s’élever à un grand dégré d’ excellence. C’eft
ainfi que Michel - Ange & Léonard de Vinci
ont brillé par la force de leurs génies., & par
leür paflion pour l’art. I l en eft d’autres qui
ont befoin du ftimulant de l ’émulation pour
atteindre un but éminent. C’eft alors une belle
qualité que d’en être fufceptible. Raphaël
n’auroit peut-être jamais réfifié-à-cet attrait
puiliant qui 1 entraînoit vers la volupté, &
auroit pas abandonne cette manière maigre
qu il avoir prife chez Pierre de Pérou f i , fi-
1 ambition d’égaler M ich e l-A n g e ne l’eût
anime au point de fe furpaffer lui-même.
L émulation fqutient le courage dans les
suites qui fe rencontrent, pour acquérir
r , a !0K utl*e «ans l’exercice des- beaux-arts.
V ,, au milieu de ces difficultés que l’amour
i , e u lui-même luccomberoit, fans une
, e a™Jj.t!on qui feule peut s’oppolèr au dégoût
qu mfpireroit une marche toujours lente
aux yeux de 1 impatiente jeuneffe.
Dans l’énumération des qualités de l’artifte.
la patience vient ici fe ranger. Un tableau
offre tant d objets, & une ftatue tant de fac
e s , qu il efl difficile de les étudier,'de les
parcourir tous , fans que le feu nécefthire pour
les details.& pour l’enfemble n’en foit quel-
querois rail en ci. *
•A M ’ ciue i es, Sommes qui feront foib'les,
indolens, domines par l’amour des plaifirs, qui
n auront qu une fougue exceffive & continue,
ou un jugement aride, de la maladrelfe &
cnn - ifT ' 6 “ em" lre » «’entreprennent cou. Il la carrière des beaux-arts. pas de
Cependant, telle eft la marche de la nature
tjue les avantages naiffent du fein même des
imperfeéhons, quand elles ne font pas toutes
reunies dans le même fnjet. Si cetteP no„-réue
x c l l h - V T T ?s i ualit^ s’qppofe à. la haute
infootlééeess ï&tr ffo rtGe meannt ’p rCoen o^n°ncét easU ®da n^sÊ Sl a9m“ aei idtéess
art,fies,_ qUj ont produit g l ta]ens dlYers | |
produûions originales, & des éxemples utiles
Çour tous les genres. Le mérite faillant s’efl
rencontre fouvent dans les excès : au lieirque les
grandes qualités modifiées, tempérées les unes
par les autres, l’euffent exclu quelquefois.
.- cependant , convenons que les exagéra-
tions ont auffi leurs charmes. Pour le prouver
promenons nos regards fur -les produftions de
c e genre. '
L a 'g a le r ie de Duffeldorff f i . ï prérente'
dans les trente tableaux .du chevalier Vander
Werft, ce que lame la plus tranquille , la plus
froide railon, l’oeil le plus fubril, & l e mécha-
mlmele plus foigné peuvent produire de vraiment
enchanteur. Les ouvrages de Vanden
Velden, peintre de marine, les jolis fujets
familiers.de Mieris , de Gérard D.0uw , de
Netfcher, & c . Enfin, les.fleurs de Van Huy-
lum offrent les talens des '■ fidèles- copiftes
(î) L e grand livre des peintres, par Lairefle, «ad. par
Janfen, chçz Mpuçard. 1787..
[ i ] Voyez la gallerie électorale. Bruxelles, i 7s , . pM
M. de Figage.
«3e
«Se fa nature, 8c une patience dont les peintres
Hollandois ont prefque feuls été capables.
La couleur ardente, & les effets piquans de
Bafîàno, de Tintoret, de Jordaens, de Jofeph Par-
roc el la touche vive & réfolue de Caravage ,
de Salvator-Rofa, font, comme les bouillantes
compofitions de Rubens, de Paul Véronefe , de
Jules Romain, l’effet d’imaginations tellement
enflammées , que ni les détails des formes, ni
la févérité des caraétères, ni l’exaûitude dans
t’expreflion fpéciale à chaque fujec, n’ont pu
les arrêter un inftanr.
D ’un autre cpté, la grande recherche des
traits d’efprit, & la fcrupuleufp raifon ont
imprimé une fagefle, un iqtér^t & une vérité
exprimables dans les opvr*ges de le Sueur,
du Pouflln , & furtout dans ceux du Domini-
guin, qui font peu regretter ce dont ils au-
r.oienc pu être animés par des mouvemens plus
hardis, & par les effets les plus pittprefques.
En variant ainfi les talens , les diverfes
qualités fatis.font les goûts divers. Il n’ÿ a donc
pas de mérite exclufif. Par exemple, pour les
efprits vifs 8c les fens faciles a émouvoir,,
les. fujets b r illa n s le s mouvemens variés, &
le coloris piquant dont Watteau & Lafoffe qnt
animé leurs tableaux , paroîtront préférables
aux vérités douces 8c au fini précieux d.es, Hollandois
ou des Allemands. De leur côté, ces
talens feront recherchés par des âmes tranquilles
& par des yeux obfervateurs. Les
fantaifies, les idées prefqup bizarres des Tin-
torec & des Tiépolo, partent d’un mérite piquant
&, d’un goût diftinétif , que dédaigne
Touyent, & pial à propos, le peintre raifon-
jieur; mais qu’il feroit incapable de produire.
Les progrès que les modernes ont faits dans
les parties qu’on appelle pittorpfques, la liberté
jheureufe par laquelle ijls ont étendu la carrière^
des talens, ont aufli étendu les bornes & les
Jouiffances de l’art. Et nous avons lieu de
croire q u e , malgré les différens goûts des
peintres dont parlé P lin e , les artiftes antiques
ont cru q ue , hors les beautés qui tenoient à
l ’exaélitude des formes, & à l’expreflion des
cara&ères’, il n’ en exiftoic plus dans l’art.
Ainfi , îVlichel - Ange , P u g e t, ' Bernini ; le
premier porté à ïa vigueur des mouvemens &
a la puiffance exc.ellivé des formess; le fécond,
au fentiment & au plaifir de rendre toutes
leurs inflexions , & le troifiéme à des idées
piquantes & hardies , auroient eu tous trois
des qualités perdues pour cette fuite infinie
de tous lès plaifirs que l’art peut procurer.
Nous ne connoiffons guère dans la fculptur.e
la peinture antiques qu’un genre de beautés.
C ’eft le genre vraiment fublime ; mais tous
Jes artiftes'qui n’étoient pas nés avec les qualités
propres à la précifion, au grand > & au fenti-
«ne’nt qui feuls peuvent y conduire, étoient
ileaux-Art f. Tome IL
des hommes abfolument nuis pour l’art : d’od
a dû refulter que les ouvrages des artiftes inférieurs
de l’antiquité ont été au défions de ceux
des modernes, qui ne fe bornant pas au feul
mérité de la correction , lorfqu’ils n’y font pas
portes par leurs difpofitions, ont fu.fe frayer
une nouvelle route, & intérefter par un genre
de talent dans lequel ils ont d’autant mieux
reum, qu’ils le tenoient de leurs qualités
naturelles. -
Malgré tout l’avantage de cette ëxa&itude ,
de cette pureté que donne le fty le antique,
il exifte cependant des beautés dans l’art qui
en font 0'{tir.clos, d’autres qui font même incompatibles
avec elle. Telles font, par exemp
le , les beautés individuelles deRembrant, de
Ribera, de Cano, & de Velafquez ; telles font
la fouplefle, le moelleux & cet heureux abandon
de l ’Allegardi, & du Puget ; telles font
enfin les graces.ie Murillp, du Parmel'an &
Cnffège. Qui donc oferoit confeiller une
refjftance aqx qualités qui portent à cette
forge & à ces grâces ; Qui feroit affez froid
pour n’en pas fentir tout le prix, & n’èn pas
goûter tous les charmes?
Il y a plus : l ’art n’eft plus animé, fi oes
dons inl'pirés en font tout à fait exclus. Ce.
réejl pas a jf ii, dit Horace, d’ ét/e pur dans
fon ftyle , i l fa u t encore s ’y rendre aimable.
ftonja tis efi pulchra cjfc poïnata. dulcia funto.
Arc. Poët,
C’ eft: pour donner cette leçon, fans doute
qu’un ftatuaire antique a placé les trois grâces
dans la main d’Apollon. Difc. fu r les antiq.
étrufques, par M. déUancarville.
Avouons cependant quel? fuccèsdes hommes
nouveaux dont nous venons de parler, a fou-
vent été fatal pour, leur fiècle, parce que
bien des artiftes ont voulu fuivre leur
exemple avec des qualités qui n’y étoient pas
propres. Derlà le danger des écoles fyfthéma-
tiques & des adoptions excfiifives qui ont détérioré
le goût de l’arc. Enfuite eft furvenu
l’établifleipent des corps académiques, qui ont
achevé d’écarter des routes où conduiibient les
qualités naturelles qui font différentes en chaque
individu. Les académies font ordinairement
dominées par une puiffance qui violente
les goûts, contrarie les penchans, & empêche
de rien produire qui ait la force que donne
l ’originalité. Quelques génies plus prononcés
font parmi nous ( i ) affez courageux pour tenl
ter de s’affranchir de cette fervitude ; mais leurs
efforts feront fans fruits, fi les académies ne
font tellement réformées qu’il n’y exifte plus
de pouvoir concentré & permanent, & fi tous
( i ) Cst article a été écrit à!i mois d’Avril
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