
l'acre des Innocens. S i , dans èet ouvrage, il
ménagea trop l’expreffion pour ne pas altérer la
beauté, on lui pardonna un défaut produit
par une fi belle caille •, les amateurs de la beau-
te l’applaudirent. Cet ouvrage ajouta encore
a fa réputation , & aux regrets que Paul V ,
reffentoic d’avoir perdu cet artifte. I l employa
l’autorité pour le rappeller à Rome 8c le
reçut , non comme un fupérieur offenfé , mais
comme un pere indulgent. Le Guide peignit une
partie de la voûte die la magnifique chapelle
que le Pape faifoit conftruire a Saint.e - Marie
Majeure y & pour Ibure-nir fa g lo ire , il fe piqua
dans cet ouvrage d’une fage lenteur. Dès
qu’ il l’eut terminé , il retourna à Bologne ,
où il fe vit chargé d’un fi grand nombre d’our
vrages , qu’ il fut obligé d’en refufer plus qu’ il
jî’en accepta; car il ne pouvoit goûter la pratique
des artiftes q u i, faifant avancer leurs
ouvrages par des éle ve s , fe contenaient de
Ie® retoucher. Perfuadé que toutes les opérations
qui doivent conduire un tableau à la
perfeâion font également importantes, & qu’ une
même intelligence doit préfider à l’ébauche
& au fini , il vouloit que le travail fût entièrement
de fa main. Sans fortir de fa patrie, il
fatisfaifoit les defirs des fouverains étrangers qui
lui demandoient des tableaux. Ce fut à Bologne
«ju’ il peignit pour Marie de Médicis ce beau
tableau de l’Annonciation qui enrichit l’églife
des Carmélites de Paris : ce fut à Bologne qu’il
fit pour le duc de Mantoue les quatre travaux
d’Hercule qui ont patte au cabinet du Roi ;
ce fut à Bologne.r qu’il peignit pour Philippe
I V , Roi d’ELpagne l ’enlevement d’Helene,
qui ne parvint point à ce Prince, & qui fe
conferve à Paris dans la galerie de l ’hôtel de
Touloüfe. II confentît cependant à fe rendre
Ù Naples pour y décorer de fon pinceau la
chapelle du Trélor : mais quand il fe vit menacé
par l’envie des peintres napolitains , qui
jnfulterent même grièvement un de fes éleves,
il craignit le poifon 8c fe retira de çette
v ille .
Le Guide étoit doux & modefte comme
homme, fier & délicat comme peintre, incapable
de fupporter de la part des grands aucun
procède hautain , parce qu’ il croyoirque
la dignité de l’art en étoit bléflëe. Il auroit cru
s’abaiffer en demandant même l ’argent' qui
lu i étoit dû: jamais, quand il faifoit qualqu’en-
treprife, il ne traitoit par lui-même la partie de
.l’ intérêt, il la faifoit traiter par un tiers; mais
le plus fouvènt , il faifoit l’ouvrage fans fti-
puler la récompenfe ,*-envoyoit le tableau fans
ën fixer la valeur, & s’ en remettoit à la juftice
de ceux qui l’avoient demandé. Vifité-par le? j
grands, il ne leur rendoit pas de vifites ; il
difoit que. c’étoit à l’art, qu’ils faifoient hom-
îflâge quand ils revoient dans fon^attelier, &
q-ue fa perfonne n’avoit aucune part à leurs
démarchés. Il travail loi t la tête couverte, même
en préfence du Pape, & fe refufa aux in fiance?
des Princes qui l ’appelloient dans leurs états,
dans la crainte qu’à leur cour l ’art ne fût
humilié dans fa perfonne. D’ailleurs, il 'r e c e -
voit avec la plus grande modettie les éloges
perfonnels qui lui étoient adrefles, 8c fuppri-
moit avec foin les lettres des princes, les ver?
des poètes, les écrits des favans qui euflent
pu flatter tout artifte qui auroit eu moins- de
nerte que de vanité. Il n’avoit que les meubles
les plus neceffaires ; il difoit que ceux qui lq
vuitoient, venoient voir des tableaux & non
"de riches ameublement..
I l travailloit avec decence, & même avec
une forte de majefié, très-fouvent couvert d’ un
riche manteau qu’il replioit autour de fon
bras gauche, toujours fervi par des éleves qui
lui compofoient une forte de cour. I l en
réunit plus de deux cents dans fon école, &
ils fe difputpient entr’eux l’honneur de fervir
le maître.
Mais cet artifte fi fier f e . laiffa dégradas
S jui-meme & fon talent par la paflion du jeu*
Il rifquoit en une feule nuit des fommes qui
auroient fait la fortune des Carraches. Longtemps
plus riche que la plupart de ceux qui
employoicnt fon pinceau, il fe vit réduit à
connoitre la mifere , & fouvènt il envoya
vendre furtivement à vil prix, pour jouer ou
pour fubfifier, des ouvrages dont il auroit
publiquement refufé des fommes. confidérables.
Il terminoit a la h^te des tableaux, que fon
nom faifoit -acheter, & qui étoient indignes
? e, ce nom, dégradant ainû l’art qui lu i avoit
été fi cher, qu’ il avoit tant refpeélé. Enfin accablé
de dettes, ne trouvant plus de fecours
dans la bourfe de fes amis, fatigué, pourfuivî
parles créanciers, il tomba dans un noir chagrin
qui lui altéra le fang, & mourut d’une
fievre maligne en 1642, à l’âge de foixante &
lept ans. Les Italiens difent de lui que « la
» grâce 8c la beauté étoient au bout des doigts
» du Guide, 8c qu’elles en fortirent pour allei?
» fe repofpr fur les figures qu’il animoît de
» fort pinceau. » Cette grâce donne encore nt\
prix aux ouvrages fades que lui firent négliger,
dans les derniers temps de fa v ie , les befoins
caufés par fa malheureufe paflion.
Un tableau qu’on regarde comme fop chefr
d’oeuvre efi a Bologne, au palais Zampieri; ij
repréfente Sainr-Piérre pleurant fon péché &
confolé par un autre apôtre. « Toutes les parr
» ties de l ’arc , dit M. Cochin , y font au plu?
» haut degré. I l efi d’une manière forte & vir
» goureufe, de grarçd caraâère, & avec les
» vérités de détail les plus finement rendue?.
» Les têtes font belles & de la plus belle ex-
v preflion; la couleur en ç fi vraie & préciçufç j
t5 ëriÆn c’ efi un chef d’oeuvre, 8c le -tableau
>5 le plus parfait , par la réunion de toutes
» les parties de la peinture, qui foit en Italie.
A Il e fi bien confervé-». Quand il y auroit
dans l’éloge de M. Cochin un peu de cette
exagération qu’infpire l’entlioufiafme , on conviendra
qu’un très-beau tableau peut féal inf-
pirer cet enthoufiafine à , un artifle tel que
lui»
La beauté du pincëau ; la facilité de l’exécution,
l’ efprit & la juftefle de la touche ,
J’accofd général , la plus douce harmonie,
entrent dans les caraélères diftinétifs du Guide.
Son deffin efi généralement eorreél, 8c quand
on y peut defirer l’exactirudè de la grande'
Correction, on efi dédommagé par une. admirable
finette. Il manque fouvènt de caractère
& de fermeté dans les figures d’hommes; il
e fi toujours plein de charmes dans celles des
femmes. Ses têtes de femmes font aimables &
belles , fur tout celles qui font levées : on voit
que pour leur donner cètte beauté , il avoit
beaucoup étudié le grouppe antique de Niobé
& de fes filles. Ses têtes de Vierge font d’une
h obi elfe fimple ; celles des enfans d’une aimable
naïveté. Il tenoit ordinairement très-claires
les chairs des enfans, & leur donnoit une
Couleur charmante. I l coëffoit bien les femmes
, & leur donnoit des attitudes agréables.
Ses anges plaifent par un eara&ère qui femble
vraiment angélique ; leurs draperies paroiflent
tout aeriennes. Quoiqu’on lui reproche d’avoir
négligé l’expreffion , il n’a pas toujours
mérité ce blâme ; quelquefois même il a des
expreffions admirables. I l n’a pas abfolument 3a grâce de l’antique, mais cependant il a dé
la grâce, 8c elle efi d’ un genre qui fe fait
peut-être d’autant mieux fen tir , qu’elle ne
flous efi pas trop étrangère. S’il ne patte pas
pour avoir merveilleufement compofé, on a
cependant de lui des compofitions fort bien
entendues. Ses draperies font traitées d’une
touche plate, & le«-plis en font bien formés.
Il a quelquefois affefté des plis cafîesj 8c
femble , dans cette partie, s’être propofé pour
modèle Albert I^urer ; mais ce défaut n’eft
pas général dans fes ouvrages, & toujours fes
draperies font nettement acculées 8c d’ une exécution
détaillée. Ses mains font bien deflinées,
fes pieds font délicats : il pouffe ‘ peut - être
cette délicatefle au point de les tenir un peu
courts.
Son caractère étoit plutôt une douce mol-
îeffe & une aimable langueur, que ia vigueur
& la fermeté. Son ame paifible n’ étoit pas faite
pour être agitée par les pallions fortes , les. af-
Fe&ions violentes : il a peint comme il fentoit,
& c’ eft pour cela qu’ il a un càraélère qui lui
efi particulier, & qui l’élève fort au-deflus de
tous, ceux qui ont eu un talent d’iniitation,
qu! ont point d’après des principes reçus, &
i>on d’après leur femiment intérieur.
Quelquefois il e fitom b é dans lé pauvre,
en cherchant trop à donner dans le naturel
& à traiter des vérités de détail.
Sa première couleur étoit celle des Carra-
ches. Quand il eut adopté en partie celle du
Càravage , fes, lumières furent grifes , & fes
ombres noires : il faifoit un grand eflef.
Sa dernière couleur étoit c l a i r e v a g u e ,
fes ombres tendres & grifàtres, mais tirant
généralement fur le verd : quelquefois cependant
elles étoient d’un gris argenté qui a beaucoup
d’agrément. On peut dire que fa couleur
étoit belle & fraîche , 8c que fes demi-
teintes étoient admirables. Son coloris accom-
pagnoît bien la douceur de fes compofitions,
& laiffoit lire toute la finette de fon deffin &
de fon faire. « Le Guidé, peintre d’un talent
v heureux & fa c ile , dit le iëvère Mengs , fe
» créa un ftyle tout-à-la-fois b e a u g r a c ie u x ,
» facile & riche. Son pinceau , élégant & fa-
» cile -, dit-il ailleurs , l’auroit placé à côté
» de Raphaël , s’ il avoit eu de meilleurs prin-
» cipes. ».
Le roi pofsède vingt-trois tableaux du Guider
Les.quatie travaux d’Hercule font du meilleur
temps de ce peintre. Dans le tableau qui ré-*-
préfente l’union du deffin 8c de la couleur ,
l ’auteur a voulu joindre l’ exemple au précepte ;
lë deffin efi élégant & pur; la couleur vigou-
reufe & agréable. La charité romaine fumroic
pour prouver que le Guide a connu l’ expref-
fion. La tête de la fille qui allaite fon vieux
père', condamné à mourir de faim danslapri-
fbn , ne mérite pas moins que celle de Marie
de Médicis par Rubens , d’être citée comme un
bel exemple d’une expreflion compofée de deux
afFeélions différentes : ce tableau efi du temps
où le Guide imitoit encore la couleur du Cafa-
v a g e , mais où il l’ imitoit en maître fupérieni?
à l’objet de fon imitation. Les ombres font
moins dures, & elles font favamment reflétées.
Le Saint-François en méditation ne laifle
rien à defirer pou? la difpofidon de la fcène,
la beauté de la couleur Sc l i correction du
deffin. La grande 8c la petite Magdelaine ont
le mérite qu’on, doit attendre d’un fujet qui
cônvenoit fi bien au Guide. La tête du Chrift
couronné d’épines efi du meilleur temps & de
la plus grande force de ce peintre : on en
admiré la couleur, le deffin & l’expreffion.-
La-fuite en Egypte e fi bien deffinée , bien
drapée, mais la couleur a pouffé au noir en
plufieurs endroits, ce qui détruit l’ harmonie
du tableau» Les deux coufeufes font de la
plus grande finette de deffin, de la plus grande
douceur d’ expreffion : on éprouve, en les admirant,
lin calme intérieur. ,
Le Guide a fait plufieurs eaux-fortes d’après'