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& du goût du public il n’y a pas de points
« excellence déterminés. A.infi on peut bien
«ire a un menuifier; j e veux une armoire ou
une croifée de telle ou telle forte ,* on peut même
dire à un mécanicien, j e veux une machine
gui porte tels poids , & refufer à l’ouvrier &
a l’artifte en mécanique leur payement , fi
1 un ou l’autre n’a pas rempli le but pour le-
Sf“ 6* il avoit été employé, parce qu’il auroit
du l.e faire l’ayant entrepris. Mais.ün homme
ne; .Peut pas refufer de payer un l iv r e , un
mémoire, un fermon , un tableau, une ftatue
{M 1 a foi* faire , par ce motif que ces ouvrages
n’auront pas réufïi dans le public. La
raifon en eft que le fuccès des ouvragés de
ce genre eft abfolument indépendant des efforts
& même des talens des perfonnes qui
.a en occupent. Nous croyons que ceci n’ a pas
uefoin d’etre prouvé plus au long : on fent
dp relie qu’il n’y auroit ni fermons , ni tra-
Sfdios,- ni tableaux qui manquaient de fuc-
e e s , s il dépendoit même des hommes les plus
célèbres de plaire conftarnment au public.
Pour ce qui regarde le public, il faut avouer,
fans prétendre juftifiertous les-défauts de fuccès,
que fon goût,eft variable , fujet à la prévention
, a l’erreur, à la mode. On peut en apporter
mille preuves, fans parler de l’hiftoire
des Phedr.es dans laquelle on voit que celle
de Pradon fut applaudie & celle de Racine 3ans fuccès , & fans rappellér que Lanfranc 1 a emporté fur le Dominiquin , le Vouet fur :
le Pouflîri, 8cc. & c .
- . I , y a .PQUTtant une manière d’expliquer l’o- !
jfinion publique, lorfqu’eïle eft mêmeinjufte,
s il lu i arrive de donner la préférence à un
talent d.e-fantaifie & d’éclat, fur un talent
profond & folide; c’eft que celui-ci demande
des connoiffances & du tenis pour -le pefer &
1 apprécier -, au lieu que l’autre fai fit vivement
les lens & entraîne d’abord la multitude.
[ i j On est de glace aux vérités
On est de feu pour le menfonge.
Le goût de mode a coutume de déterminer
le fuccès des ouvrages d’ efprit ; mais on ne
doit pas déterminer fur cela, lé jugement qu’il
convient d’en porter. Et pour ne pas., fortir
de cé qui regarde les productions des beaux-
arts , nous avons vu des artiftes jouir de la
plus haute réputation , mourir , & l ’eftime. d e -
leurs travaux mourir avec eux : tandis. que
des .hommes. dont la.carrière a été obfcure,
ont laifle des ouvrages qui fervent de modèle
a la poftérité.' ‘ N --
Quand on reconnoit dans un ouvrage des
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parties efïentielles, on' ne doit ni le blâmer
111 condamner fur ce qu’il ne plaît pas au
public. On ne peut .pas accufer l’homme à ta-
.entJ, Parce qu’ il n’a pas cherché à plaire à
ion îiecle j & on doit fouvent même le lpuer
d avoir réfifté à ce torrent de la mode. Ecoutons
Reynolds , difc. q. Le tems prefent &
e tems fu tu r , d it- il, peuvent être confidérés
comme rivaux ,• ù celui qui courtife Vun, doit
s attendre à être dédaigné par l*autre> (1)
Après avoir démontré 1». qu’ un bon ou-
vrage peut ne pas jouir d’un prompt fuccès;
2. - Qu un artifte n’eft pas fautif s’il n’en a
réellement pas mérité; tout le monde conclura
avec nous que fon travail n’en doit
pas moins être payé le prix qui fera jugé lui
erre dû par des arbitres éclairés & équitables.
Râlions aux difficultés qui peuvent naître
a apres des conventions verbales qui font les
plus ordinaires avec les perfonnes d’arc.
Un amateur a demandé un tableau & eft
convenu du prix. Il lui eft préfenté, il exige
d es changeons des retouches : l’artifte com-
plaifant cede a fes defirs : & après mille ef-
9 8 1 , 1 ouvrage n’eft pas accepté. L’affaire
mue en caufe , on nomme des arbitres. Si Je
tableau-eft décidé acceptable, l ’amateur eft
condamne a donner le prix convenu. Cette
convention a toujours lieu, à moins que les
arbKres „ jugent que l ’ouvrage loic de moi-
, au-denous de la femme convenue. Parce
qu alors le marché fa it , eft dans l’ efpèce dé
ceux OÙ fe rencontre en terme de droit, une
léjion énorme.
. J 1 2 .e" doit être de même à l’égard de l’ar-
tiite , fi les arbitres décident que. l ’ouvraee
eft tel qu il vaut le double du prix de la
convention , il fera payé le double.
S ft .arrivoit cependant que d’après un mar-
che tait fj 1 amateur, trouvant l’ouvrage très-
îo ible, put prouver par lettres ou témoins Sinon
autrement ( 1 ) , que l’ouvrage a été né
glige avec- intention de le . tromper', nous
■ perdons que fans admettre l’arbitrage , l’ar-
tilte devroit être condamné à garder fon ou-
vrage, & être parlé puni d’un abus de confiance
comine d’ un dol manifefte qui aîtnulle
tout genre d’obügation.
Maïs que ces. exemples doivent être rares
dans la clafle des bons artiftes I car leur moindre
intérêt e«r de mériter le payement pro-
tnis , qui ^ ft a (Te 2 ordinairement au-deflous
du^ tems qu’ils ont employé & des efforts
qu ils ont faits.. Leur véritable intérêt eft celui
de former ou au moins de foutenir leur
réputation. Affurément le facrifice qu’ ils en
EO La Fontaine, [ 1 ] , Ttad. de M. Jaufen. Paris y 1787. '
[2] Dolum non nijî perfpieuis indiens probari convenir
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feraient ne ferôit jamais balancé par le plaï-
fir de tromper un homme avec qui ils auraient
fait un marché, quelque fujet de haine
qu’ ils puffent avoir contre lui. '
Il arrive au contraire très-fréquemment, qu®
le defir d’exercer leurs arts 8c de montrer Jeur
fçavoir, détermine les gens à talens à eon-
traéfcer des engagemens à des conditions inférieures
aux ouvrages qu’ ils entreprennent.
Et je puis affurer qu’ayant été nommé plufieurs
fois arbitre pour des conteftations concernant
les arts, foit par le Tribunal des Confuls de
Paris, foit dans les autres tribunaux, j’ai tou'--
' jours trouvé qu’en examinant l’ouvrage avec
rigueur, il étoit au-deflus du prix qu’on s’é-
toit obligé d’en donner.
- Il eft une autre efpèce de difficulté à laquelle
peut donner lieu i° . Vobligation que
lesJurifconfultes appellentperfonnelle: Celle
qui n’eft pas perfonnelle, & peut fe remplir
comme ils âi£entper oequipollens, c’eft-à-dire,
par équivalent.
Pour réfoudre les queftions auxquelles ces
conventions peuvent donner lieu , nous allons
entrer dans quelques détails intéreiVans 8c très
particuliers aux beaux-arts.
Quand l’ouvrage eft bon j Vobligation perfonnelle,
prife dans le / e n s le plus“ ftriéle, ne
peut guère faire naître de difficultés que de
la part de perfonnes mal-intentionnées, ou
très ignorantes. ,
Apportons d’abord en exemple la conven-,
tion de payer une figure , ,pn tableau, ou une
planche, tel prix, fous la condition qu’ils feront
de tel ou tel fculpteur , peintre ou
graveur. L’ouvrage fa it, celui qui l ’a demandé
refufe le payement à l’artifte, a parce q ue,
» dit-il , j’ ai appris qu’ il a employé fes ou-
» vriers , fes élèves ou fes amis, & que par
» conféquent l’ouvrage n’eft pas entièrement
» de celui de qui je le voulois
Pour parvenir à répondre à ce refus, il faut
dire i° , à l’égard du fculpteur , qu’ il doit faire
fon modèle feul pour que ce foit réellement
fon ouvrage ; mais que, pour ménager un tems
précieux, il fe fait aider par des ouvriers compagnons
fculpteurs qui dégrojftffent la pierre ,
le,marbre, ou d’autres matières qui doivent
Servir à l’exécution de fon ouvrage. Enfuite
il employé des artiftes habiles qu’ il charge
de préparer la figure, en fuivant attentivement
les divers degrés;, de manière qu’ il n’ a plus
que les finefles 8c les touches de maître à
donner pour égaler & fouvent même furpaf-r
fer le modèle qu’il en a fait. S i , dans la figure ,
il y . a des parties d’ un genre particulier,
telles que des fleurs, des dentelles & autres
acceffoires fur lefquels fa pratique ne s’étende
pas, le ftatuaire employé fouyent le fecours
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d’unè maïn qui y eft plus txèreée que la
fienne.
Le peintre fait fouvent ébaucher & préparer
fes tableaux par fes élèves d’après fes études,
furtout dans les grandes entreprifes, &
fait faire par des artiftes intelligens dans les
accefloires , ceux qui entrent dans fes tableaux
& qu’ il ne fait pas aufli bien rendre qu’eux.
C ’eft ainfi que le Brun, employoit Vander-
Meulen poiir peindre des chevaux, Baptifle
pour les plantes & J es fleurs/, & Patel pour,
le payfage de fes grands tableaux.
Quant au graveur , lorfqu’ il s’eft affuré du
trait de fa planche , qu’il en a préparé certains
travaux, il eft très-ordinaire qu’il employé
des mains étrangères pour avancer fon
ouvrage-, ;
De cet expofé, il fuit que le maître dif-
pofant lp plan 8c l ’exécution de l’ouvragé, fe
confiant d’ ailleurs à dés perfonnes -éclairées
qui favent entrer dans fes vues 8c qu’ il con-:
duit toujours,'il n’en eft pas moins l ’auteur,
quoiqu’ il fe foit fait aider.
Il nous , a paru que fur le cas dont il s’agit
, Pothier peut-être prononcé a d’une manière
trop:générale, en difant, dans fon traité
des .obligations, tom. i , partie I I , « que quand
» on a contra&é de donner unë certaine fomme,
» fi un peintre célèbre, faifoit un certain ta-
» bleau ; c’étoit un fa it perfonnel qui faifoit
>5 l ’objet de cette condition , & qu’ elle ne
» poiivoitt être accomplie que par le peintre
y> lui même ».
Nous ne penfons pas que la décifion de ce
point doive'être réduire .d’ une manière fi abstraite
, .& nous difons qu’ un artifte a fuffifam-
ment accompli la condition fi l’on reconnolt
fon goût & fon génie dans l’ invention &
l’exécution de l’ouvrage , furtout fi les parties
les plus effentielles font de fa main. La
preuve de. la, nécefiité. de l’exception fe ma-
nifefte dans1 les fuites d’ouvrages les plu* célèbres
: tels font ceux de le Brun dont nous
avons déjà parlé, & qu’on voit à Vérfailles ou
à Paris, par exemple, les batailles d’Alexandre
; tels font ceux que Rubens a peints au
Luxembourg ; tels enfin ceux que Raphaël
Sanzio a faits au Vatican. I l en eft de même
des ouvrages dés ftatùaires 8z de ceux des
graveurs dont nous venons de rapporter les
procédés les plus ordinaires..
Il l’uffit donc que l’artifte foit reconnu
que l’ouvrage paroiffe émané de lui nue
fon efprit ait préfidé à tout, pour qu’il ait accompli
la condition du fa it perfonnel.
D’ un autre côté, fi fon goût d’exécution ne
fe lit nulle part, fi l’ invention ne femble à
aucün juge èn l’art venir de lu i, alors on
pourira prononcer que l’ouvrage n’eft pas acceptable
; parce que la condition fp édale du