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phe y 8c dès-lors il perdit fon heureufe obfcu- j
rite. Le prince Giuftiniani le rechercha ; le
duc Brapciano lui fie accepter un logement |
dans fon palais -, tous les amateurs des arts lui
demandèrent de fes ouvrages.. I l repréfentoit
des débris de l’ancienne Rome , des combats
de terre 8c de mer , des marchés, des cavalcades
, le défit de peindre des vues maritimes 8c
des vaiffeaux lui fit entreprendre le voyagé de I
Naples j & dans ce royaume , les vues pitto-
refques de Tivoli & de Frefçati lui fournirent
de nouvaux tréfors d’études: heureux's’ il ,avoit I
pu donner plus de qorre&ion à fes figures-, un
peu lourdes, mais pleines d’efprit 8c de feu.
I l peignoit le payfage 8c V’architeéftire avec
une fingulière fineffe , & il a porté,, dit M.
Defcamps, la..peinture à Gouazze aufii loin qu’ il
paroît poflible , lui donnant tout le piquant de
la peinture à l’huile. Admirable par la fineffe
du trait, par celle de la touche, il montre un
génie abondant dans fes compofitions , & varie
avec efprit fes petites figures , qu’on ne dif-
tingue l'ouvent qu’à la loupe : mais il efl au
.deffous du médiocre pour le deffin du nud ; vrai
dans fes couleurs locales, favant dans fes apparitions
, il ne lui manquoit que d’être meilleur
deflinateur,
Après avoir fait quelque féjour à Venîfe ,
il fut appellé à Vienne par l’empereur Ferdinand
qui lui donna le titre de fon peintre. Mais
il jouit peu de temps des bienfaits de ce prince,
8c mourut en 1640 à l’âge de trente ans.
Il a gravé lui-même à l’eau-forte d’une pointe
très, fine; Telles font les métamorphoses d’Ovide
qui forment un recueil , onze batailles pour
î ’hiftoire des guerrés de Flandre par Strada,
d’autres batailles , des vues de jardins , des
comédies, & c . Le nombre,de fes ouvrages,
ja réputation dont il jouifloit à Strasbourg avant
de paffer en Italie , l’on féjour à Rome , à Naples
, à Venife , me perfuadent que M. Defcamps
a eu raifon de le faire,naître en 16 0 0 ,8c que
cet artifle a vécu quarante ans. Dix à douze
.ans de travail ne paroiffent pas fuffire pour tout
ce qu’ il a fait.
( 15%■ ") Jean V an. Bockhorst , furnommé
Langhen J an , fera place dans l ’école A lle mande
fi l’on ne cor.fidère que le lieu dé fa
naiffance , puifqu’ il vit le jour à Munfter en
. 1610 -, mais il efi plus convenable de le clafler
dans l’école Flamande , puifquè ce fut en Flandre
qu’ il apprit & qu’il exerça l’ art de peindre. .
Son maître fut Jacques Jordae.ns, & l’ é lè ve ,
en peu d’années , devint lui-même un très bon
maître. Ce peintre a porte toute •' a vie l ’habit
eccléfiafiique ; on ignore i ’année de fa mort.
, C e que M. Defcamps dit de cet artifle , donne
une haute idée de ion talent. » Il compofoit
» d it - il, 8c defïinoi* bien. Ses têtes de 'fera•
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» mes font gracieufes •, fes têtes d’hommes ont
» beaucoup de caraâère -, fa manière de colo-
» rier tient fouvent de Rubens , mais plus fou-
» vent encore elle approche de celle de Van-
» Dy ck : il fondoit fes couleurs comme le
» dernier. Ses tableaux font vigoureux, 8c
» dans tous fes ouvrages , on trouve une belle
« harmonie & une belle entente de clair-obf-
» cur. Les portraits qu’ il a faits en grand nom-
» bre peuvent être comparés à ceux de Van-
.» Dy ck »•
( l 5'i) Enrique de las Marinas , de l’école
Efpagnole , naquit à Cadix en 1610, 8c ce fut
dans cette ville qu’ il étudia les principes de
la peinture. Il doit le nom fou§ lequel il efi
connu au genre qu’ il adopta ; il ne peignoit
que des marines. On dit que fes tableaux font
eflimés par la fuavité de la couleur , la légèreté
& la fineffe du pinceau, l’exa&itude avec laquelle
il a rendu les manoeuvres des gens de
mer , la vérité avec laquelle il a exprimé le
mouvement des vagues, la limpidité, la tranf-
parence des eaux , les formes des différent bâ-
timens : mais on l’accufe d’avoir eu peu de correction
dans le sfigures, en avouant cependant
qu’ il donnoit affez de jufleffe à leurs actions.
Il paffa en Italie , fe fit eflimer dans ce pays,
fi fécond en bons juges de l’a r t , & mourut à
Rome en i68o( , à l’âge de foixante 8c dix
ans.
< 154) Pietro T esta , de l’école Florentin
e , né à Lucques er. 1611 , feroit peu connu
s’ il n’avoit été que peintrè ; mais il s’ eft. im-
mortalifé par fes compofitions pleines d’ efprit
qu’ il a gravées lui-même à l’eau - forte. Quoiqu’il
n’ait reçu dans fa patrie que les premiers
principes du deffin , 8c qu’ il ait é;é fuccefli-
vement élève du Dominiquin , peintre Lombard
, 8c de Pietre de Cortone que , malgré fa
naiffance, on peut regarder comme un peintre
Romain , il a confervé cette vivacité de mouvement
qui caractèrife les artifles modernes de
la Tofcâne & les anciens artifles de l’Etrurie.
Sa manière lui eft particulière ; il femble n’avoir
rien confervé de fes maîtres , n’avoir rien
emprunté de fes prédéceffeurs, & n’avoir adopté
même des anciens qu’ une grandiojîté qu’i l s’efl
rendu propre. On diroit' enfin qu’ il a fournis à
fon caraélère l’antique . les grands maîtres &
la nature elle-même. I l a defliné les femmes
avec' une aimable mqlleffe , & a donné aux
enfans ces chairs potelées qui cara&érilent leur
â g e , & que perfonne n’a mieux exprimé que
notre artifle 8c le célèbre François Flamand.
Ses compofitions capriciëufes prefque jufqu’à
la bizarrerie , mais toujours ingénieufes, & le
plus fouvent allégoriques , ont ordinairement
le carâCtèrè de la fatÿre, & font toujours ani-
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niées par la poëfle. On dit qu’ un 4e fes tableaux
qui fe voit à Rome dans le g lile
de la république de Lucques , rend témoignage
à fon talent dans Tart de peindre & même de
colorer. Cét artifle fut enlevé par accident a
la fleur de fon âge. I l deffinoit au bord du
Tibre : un coup de vent emporta fon chapeau
dans le fleuve .: il s’élança Pour r®te” |r »
tomba dans l’ eau, 8c fe noya en 1640 , à T âge
de trente-fept ans.
(155) Alphonse du Fresnoy, de l’école
Françoife, né à Paris* en 1611 , fut defliné à
la médecine par fon père qui étoit apothicaire.
I l fit de très bonnes études -,'il eritendoit les
auteurs Grecs , & favoit affez bien le latin pour
imiter les poètes de l’ancienne Rome, autant
qu’ il peuvent être imités par des hommes à qui ;
leur langue efl étrangère , qui ne peuvent l’apprendre
que dans les livres & qui en ignoreront
toujours un grand nombre de propriétés.
I l s’appliqua auffi à la géométrie ; mais le goût
de la peinture devint la plus vive de^ fes inclinations,
& il s’y livra malgré la réfiflarce :
de fa famille. I l fut quelque temps élève de
Perrier & du V ouet, 8c partit à l’âge de vingt-
un ans pour l’ Italie. Comme il ne- recevoit
aucun fecours de fa famille , dont il refufoit
de luivre les vues , & qui d’ailleurs étoit mal
partagée des dons de la fortune, il eut beaucoup
de peine à y fubfifler. Il confacrôit une partie
de fon temps à l’étude, & l’autre à peindre,
pour vivre , ' des ruines 8c de l’architeClure.,
I l languiffoit à Rome depuis deux ans , lorsque
Mignard y arriva. Ils s’étoient connus dans
Fécoîe du Voue t, & réunis loin de leur patrie,
ils le lièrent bientôt par les noeuds d’une tendre ;
8c confiante amitié. Ils logèrent enfemble , ,
8c Mignard partageoit avec- fon ami l’aifance
médiocre que lui procuroient fes talens 8c fes
travaux. Mignard peignoit beaucoup 8c avec
.facilite : du Frefnoy peignoit peu èc difficilem
e n t , mais il railonnoit beaucoup fur -l’art ;
fes réflexions , fes le&ures étoient utiles à fon
.compagnon d’études , qui peut - être opéroit
trop'pour avoir le temps de beaucoup réfléchir.
Du Frefnoy , de fon côté , réfléchiffoit trop
pour acquérir l’habitude d’opérer. Examinoit-il
les chefs-d’oeuvre des anciens & des modernes ;
il écriyoit fes obfervations : faifoic - il dés tableaux
*, c’étoit un nouveau fujet de réflexions
qu’ il éçrivoit encore. Ses converfàtions donnèrent
une excellente théorie à Mignard, &
Mignard ne put parvenir à lui donner de la
pratique. Du Frefnoy a fait peu de tableaux ;
on remarque qu’ il cherchoit à imiter le deffin
du Carrache & la couleur du Titien. On
voit un morceau de lui dans l’églife de Sainte
Marguerite , fauxbourg Saint Antoine ? der*
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rière le maître-autel. I l repréfente la Sainte à
qui le temple efl confacré.
I l revint à Bâtis avant Mignard ; mais il
reprit un logement chez Mignard dès que celui
ci eut été appellé & fe fut fixé dans cette
ville. I l efl mort en 1665 âgé de cinquante-
quatre ans.
I l n’ a pas donné de preuves affez répétés de
fon talent en peinture pour s’être fait une grande
réputation comme pèintre : mais il efl célèbre
par fon poème latin de arte graplucâ , ouvrage
recherché par les artifles 8c les amateurs de
l’a r t, traduit en plufieurs langues 8c commenté
par plufieurs artifles. Les préceptes en font
jufles & fages, l’exécution un peu féche, le
fèyle un peu rude, un peu dblcur. Il s’efl pro-
pofé d’ imiter Lucrèce plutôt qu’Horace ; mais,
dans fa 'poéfie , il n’efl pas peintre comme
Lucrèce ; il ne répare pas , comme le poète
latin , l’aridité des préceptes par le charme
& la richeffe des deferiptions. I l parole q u e ,
dans tous les genres , la nature lui avoit accordé
la jufleffe du raifonnement , 8c lui avoit re-
i fufé la belle facilité f ie l’execution.
( 156 ) Guaspre Dughet , dit Poujfin , eut
pour père un Parifien établi à Rome & fut éleye
du Pouflin , maître François. Cependant comme
il eft né à Rome (en 1613 ) , comme c’efl dans
cette v ille qu’ il a appris & exercé fon a r t , 8c
qu’ il a paffé toute fa vie , on le compte entre
les artifles. de l’école Romaine. Le Pouffin qui
avoit époufé une foeur du Guafpre , lui donna
des leçons de peinture , 8c ayant reconnu, de
bonne-heure les difpofitions du jeune homme
pour le payfage, lui. confeilla de fe confacrer
tout entier à ce genre qui fuffit à la gloire
d’un artifle qui a le talent d’ y exceller. Il
convenoit d’ailleurs mieux que le genre de
l’ hifloire au goût naturel du Guafpre pour la
chaffe & la campagne.
Ce peintre , pour mieux obferver les beautés
de la nature , loua quatre maifons à la fois
dans des lieux également propres à- fes ‘études ;
deux dans les endroits les plus élevés de Rome ,
une troifième à Tiyo li , une autre encore à
Frefçati. I l eut d’abord quelque féchereffe dans
fa manière ; mais quand il eut obferve- les
ouvragés de Claude Lorrain, il fe fit une manière
vague 8c agréable. Ses fîtes font beaux
& bien dégradés ; fon pinceau facile & ragoûtant.
Il donnoit la vie au payfage en y faifant
' fentir les effets des orages 8c du vent , &
prêtoitainfi le mouvement à la nature inanimée.
Le Pouffin a peint quelquefois les figures dabs
les tableaux de fon beau-frère, qui ceoendant
lui-même les traitoit affez bien pour un payfa-
gifle. On dit. qu’ il lui arriva plus d’une fois
de peindre un tableau en un jour: mais cette
prefleffe h’efl pas une qualité qu’on doiye con