Tons les perfonnes avec qui nous avons un
commerce fréquent par leurs habitudes, avant
même de diftinguer leurs traits. Le peintre
doit donc chercher à faifir les habitudes,
puifqu’ elle§ font partie des carà&ères individuels.
Une perfonne qui veut prendre une
habitude étrangère devient étrangère à elle-
même : elle eft contrainte, elle perd la naïveté
de la nature, elle le contrefait, elle n’ eft
plus elle. Il eft facile de diftinguer à un certain
apprêt, à une certaine g êne, même dans
les portraits des perfonnes que l ’on ne con-
noît pas, qu’ elles ont pris une attitude-inaccoutumée
pour fe faire peindre. Mais on voit dans
les portraits du Titien & de van D y ck , que
leurs modèles fe font préfentés devant eux
comme ils étoient. On trouve cette même
naïveté de la nature dans les portraits faits en
Angleterre depuis un petit nombre d’années.
C’ eft . par cette vérité que des tableaux de
famille faits chez cette Nation, offrent un intérêt
touchant. C’eft encore par cette vérité
que le public a vu dernièrement avec tant
de plaifir, le tableau où Madame le Brun s’ efl
repréfentée elle-même avec fa fille. Les artiftes
françois fe font fait long-tems une nature
menfongère; ils rentrent dans la route du vrai,
& par conféquent du bon dans tous les
genres.
Quoique l’expreflion du calme, de l’ aine foit
celle qui convient généralement aux portraits,
on peup dans la repréfentation d’ une perfonne
connue, exprimer une pgffipn qui la çaracté-
r ile , ou celle qu’elle a dû éprouver dans un
moment important de' fa v ie , & qui cara&é-
rïfe ce moment. Ainfi lorfque Jules I I vou-
loit que Michel-Ange le repréfentât tenant
une épée , ç’étoic preferire au ftatuaire de lui
donner des traits fiers & menaçans. Ainfi on
doit louer la penfée de l’artifte qui a repréfentp
• M. de Lally-Tolend a l, déchirant avec indignation
le crêpe qui couvroit lebu fted e fon
père. Cette exprefilon pourroît être énigmatique
pour des perfonnes à. qui le père & le
fils feroient inconnus : mais l ’énigme eft expliquée
par le mémoire fur lequel on lit : Mon
père riétoit point coupable.
Le genre du portrait n’auroit pas dû être
détaché de celui de l’hiftoire , puifqu’ il n’en
diffère qu’en ce qu’il exige une attention
plus particulière aux formes individuelles. Il
eft fournis d’ailleurs aux mêmes principes,
& ne peut approcher de la perfedion , qu’au-
tant qu’ il eft le réfultat des mêmes études. Le
fini plus froid, la plus grande attention aux
accefloires, ne font que des défauts introduits
dans ce genre par les petites & fauffes vues
de ceux qui l ’ont traité 3 ou fi l?on veut dégradé.
JLe peintre d’Hiftoire qui a conferyé de la
précifion, & ne s’eft pas livré S une nature
imaginaire, fera toujours aifément le portrait ;
mais le peintre qui s’efl uniquement confaorl
de ” ec SéleI era Pas aifément au genre
SeS e<Tkls fe S e n t ir o n t d e l’ ha.
bitude qu il a contraâée de s’attacher ferupu-
leufement aux particularités individuelles de
renrfrm r e ,,.K s Clue lc P^ntre d’hiftoire,
acc dens6 i ^ ? me en faîrant abftraélion des
accidens qui n appartiennent qu’à l’ individu.
ne s occupe que des parties capitales, il
l a voit dans toute leur grandeur, i f les rend
plus grandes encore, au lieu que le peintre
a n / °A ‘ ra‘\ S S a -r jt. ^ ux Parties inférieures, &
autre hnni* qU1 di®ng uent un homme d’un
oui fnn» me> P1“ 1^1 quaux formes générales
qui totu que l’homme eft beau.
fonne ’ danS U,Iuel ,a Perde
h t Mreprdf,ntée lblIS la f ig u e d’un Dieu
de la fable ou d’un héros de l ’antiquité, eft
f f Jte f f :ard & vicieux. Si le peintre con-
lerve les détads individuels & melquins qui
ne conviennent qu’au portrait proprement dit,
un h™ P em,S- ni- “ Dieu ni un H B
hér™<; ordlna,.1'e ridiculement déguifé en
héros. Si au contraire il facrifie l,es détails indi-
-Cherche à éIever ü fm-mei da
dlvin^0d-ei e -Jr qU a J agrandeur hé™ qne ou
divine, il rifquera beaucoup de perdre la ref-
emblance qui eft la qualité conftitutive du
p,ÊÈÊSÊÊË- veat enfin g arder un milieu,
c eft-a,dire conferver a fie* des détails individuels
pour que le/70rrrûir foit aifément reconnu,
& en lacriner cependant aflez pour que le î
perfonnes qui ne connoiflent pas l’original ne
s apperçoivent pas que le tableau n’eft qu’un
portrait, il méritera d’être doublement critiqué •
comme peintre de portrait, on lui reprochera
le defaut de precifiori ; comme peintre d’hiftoire
on 1 accufera de n’avoir pu >s*élever jufqu’aô
genre héroïque, Un artifte habile pourra faire
dans ce genre, un tableau bien deffiné, bien
peint, bien compofé, bien agencé, qui ne
fera toujours qu?un ouvrage médiocre, par
le vice inhérent au genre lui-même.
Si la perfeélion du poitrait, eonfifte à rendre
naïvement la perfonne repréfentée dans la plus
grande.vérité de la nature, dans l’état le plus
ordinaire à fa phyfionomie , dans une des
attitudes qui lui font les plus familières, avec
la coëffure qu’elle a coutume d’adopter de le
genre d’habillement qu’elle a coutume de
vêtir, on lent combien le portrait hijtorié
s éloigné Je cette perfeftion. Il ne reprelente
plus une. perfonne que nous avons coutume de
voir ; mais un comédien novice qui, fous de*
habits empruntés, joue maladroitement le hér»s.
Il eft affez ordinaire aux perfonnes qui le
font peindre de mettré leur plus grande parure,
de fe coëffer âvec le plus grand foin , & «es
• apprêts ne peuvent que nuire au mérite de l’ouvrage,
ils ont de la roideur & en répandent fur le
maintien. De Piles a fort bien dit que la
nature parée eft moins nature.
Comme le fourire embellit ordinairement les
traits, & leur donne de l’efprit & de la vivacité,
on veut toujours fe faire peindre en
fourîant; on fourit de la bouche, tandis que
les yeux expriment l’ennui, & l’on n’offre à
l’imitation de l’artifte qu une phyfionomie
faufle, dont les parties ne font pas d’accord.
Quoique le portrait foit une repréfentation individuelle,
quine peut avoir fa précifion nécef-
faire qu’kutant qu’elle imite, dans les formes de
l’ individu, certains détails qui les diftinguent de
celles d’un autre individu, ou des formes humaines
prifes en général, il faut cependant recon-
noîcre qu’il y a de l’idéal dans cette branche de
l ’arr, comme dans toutes les autres. Cet idéal con-
fifte dans la manière de voir grandement ces détails,
dans l’art de les exprimer, dans l ’ intelligence
qui fait diftinguer dans les détails d’une
tête ceux qui caradérifenc fa différence individuelle
& ceux qui doivent être négligés comme
indifférens à ce caractère & propres feulement à
répandre fur l’ouvrage la taché d’ une mefquine-
jrie laborieule. La face doitêtre confidérée comme
formant un tout compofé d’un petit nombre de
- grandes parties & d’ un nombre infini de parties
plus ou moins petites. Ces grandes parties (ont le
f.ont, les yeux pris avec leur enchaffement, le
nez , les joues appuyées fur la charpente des pommettes,
la bouche & le menton. C’eft dans les
formes variées de ces grandes parties, que fe trouvent
les détailsindividuels qui conftituent la ref-
femblance. Ce font donc ces parties que l’ar-
tiûe doit faifir, qu’ il doit prononcer avec une
favante fermeté. Elles fuffirôient feules pour un
portrait qui devreit être vu d’une grande distance
: mais comme un portrait s’expofe ordinairement
aflez près de l’ceii du fpedateur,
l’artifte choifira enfuite quelques autres détails
inférieurs pour mettre dans fon ouvrage plus
de vérité, pour donner aux chairs plus de mouvement,
pour mieux annoncer l’âge de la
perfonne repréfentée.
Ce font ces mêmes principes qu’a^pofés ün
artifte diftingué dans plufieurs parties de l’ art
& entr’autres dans celle du portrait. » Dans
s» ce genre même, dit M. Reynolds, la reflem
» blance & *la grâce confiftent plus à faifir
» l’air général de. la phyfionomie, qu’à imiter
» avec une exadirude lervile chaque linéa-
» ment en particulier a.
I l fait ailleurs une obfervatîon pleine de
jufteffe. » Les détails qui ne contribuent pas
j> à l’exprefiion du caradère généra}), l’ont ,
» d it- il, encore plus mauvais qu’ inutiles; ils
» font prejudiciables en ce qu’ ils nuifent à l’attention
& la diftraienc du point principal.
Heaux-Arts. Tome JL
On peut obferver que l’impreflîon qui refte
» dans notre efpric, même des chofes quî
» nous font les plus familières, fe borne
» ordinairement à leur effet général, au delà
» duquel nous ne portons pas nos regards pour
» reconnoît-re un objet ». L’arc de faifir le«
(ormes &r les détails d’où réfulte cqt effet général
qui nous fait reconnoïtre un individu, eft
ce qui conftitue l’ idéal du portrait. Ce n’ eft
pas la face elle-même , telle qu’elle réfulteroic
d’un moule pris fur elle : c’èft ibn apparence,
fon effet, fon idée; & c e qui femble paradoxal,
& eft cependant de la plus exafte vérité, c’eft
que cette idée favamment faille, artiftemenn
portée fur la toile, fera d’une reffemblance plus
vive, plus frappante, plus exp-efîive, q u e la re -
préfentarion qui réfulteroit du mouleiui-même*
Ainfi tout eft id:'^l, tout eft magique dans
l’ art. Il fait entrer le menfonge jufques dan»
fes exprellions les plus précifes de la vérités
il fafe ine les yeux des fpeélateurs, & pour-
leur offrir la repréfentation d’un ob jet, il employé
encore plus le prèftige que l’imitxtiott
fidelle. Si - le portrait lui-même eft un menfonge,
il ne fera jamais mieux traité que pa»
l’artifte qui, en s’exerçant dans le genre de
l’ hiftoire, s’ eft accoutumé aux grands menfonge»
de l’art. (L.)
POSE ( fubft. fem. ) Mot qui appartient 3
la langue de l’arc, & qui exprime l ’attitude
la pofition dans laquelle l’artifte pofe le modèle
vivant pour en faire l’étude. L’artifte qui cherche
la grâce & la beauté, doit toujours faire
prendre à fon modèle la pofe la plus naturelle
relativement à l’aétion qu’ il veut repréfenter.
Si le modèle eft gêné, fi même la pofe qu’on
lui prelcrit ne lui eft pas familière, il n’aura
pas cette naïveté de mouvement qui conftitue
la grâce. Ce ne fera plus une figure en aftion
mais une figure qui contrefait une aftion : elle
feroit maniérée quand même l’artifte Ja ren-
droit avec la précifion la plus éloignée de
la manière. 11 eft certain aufli qu’elle perdra
la beauté, puifque la nature elle-même ne la
conferve que dans les mouvemens faciles &
qu’elle la perd, dès qu’elle eft obligée de
faire des efforts.
Nous croyons devoir rapporter ici une obfer-
vation très-jufte de M. d’Hancarville, qui a
vu en favant & en homme fenfible un grand
nombre de monumens antiques. » Dans l’adion
» d i t - i l , que les anciens donnèrent à leurs
» figures, ils eurent foin de chercher les moin-
» dres mouvemens qui pouvoient l ’exécuter-
» & par ce moyen, à la beauté qui charme’
» ils unirent la grâce qui féduit. D’ une infinit!
» deftatues antiques que nous avons examinées
» avec foin , nous n’en avons pas vu nne
9 feule où i’artifte ait pofe fon modèle dans