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aux maffes principales , il exprima les accidens
des ombres qui dévoient -arriver à l’heure qu’ il
avoit choifie.
Le mérite de Tes ouvrages confifte furtout
dans le bon goût du de‘lin , dans l’excellente
difpofit'.on des objets , dans l’ efprit de la touche
, dans un fini foigné, une couleur piquante
& l ’harmonie du tout enfemble. Il tiakott
bien le payfage, & l’on admire fes clairs^ de
lune & les effets de nuit. Il a eu un grand
nombred’imitaceurs , entre lesquels on compte
David Teniers le père , & Bamboche. Comme
il peignoir tout avec un foin extrême,8c
une patience incroyable, -il n’étoit jamais fuf-
fifamment recompenfe du temps qu’ il avoir mis
à fes ouvrages. On les recherehok , on les
payoit même affez cher pour le temps| &
cependant l’auteur vivoit dans la mifère. S’ils
avoient été payés de fon vivant le quart de ce
qu’ifs le furent après fa mort , il auroir été
dans une fituation floriffante. On peut citer un
grand nombre d’artiftes qui ont langui dans* la
pauvreté ., & qui après leur mort ont fait la
fortune des marchands.
Elzheimer choifit une époufé qui ne lui apporta
d’autre dot que fa beauté , lui donna un -
grand nombre' d’ en fan s & augmenta fon infortune
: il reçut du Pape des fecours , mais
qui furent infumfans. Mis en prifon , il en fortit
par le crédit & l’argent de fes amis , & ne. fît
que changer de mifère en recouvrant la liberté.
La mélancolie abrégea fes jours ; il mourut à
Rome en 1620 à l’âge de cinquante - fix
ans.
On regarde comme fon chef-d’oeuvre fa fuite
en Egypte. La Vierge tient l’enfant Jefiis fur i
les genoux. Saint Jofeph conduit l’âne 8c lui
fait traverfer une rivière ornée d’ une grande
variété, de plantes antiques. La fcènefe paffe
pendant la nuit : le Saint tient de la main
gauche une branche de, pin allumée qui fert
de flambeau. On voit dans le lointain , fur
les bords d ’une mare, un grouppe de bergers,
oui fe chauffent près du feu. Leurs troupeaux
. paiffent fur la lifière d’une épaiffe forêt ; le ciel
e£t femé d’étoiles. On apperçoit au deffus de
l’horifon la. voie ladée.
Ce tablean a été gravé par un gentilhomme -
d’Anvers, nommé de Gôudt , comte palatin.
Bienfaiteur d’Elzheimer , - il le fecourut dans
fa prifon, lui achetta un grand nombre de fes
tableaux , & les lui paya plus* cher que les
autres amateurs. I l fut en même-temps fon
élève , & fe fit une manière qui tient de près .
à celle de ce maître., ti revint à CIrrçcht après
la mort d’Elzheimer , & y fut aimé d’ une dame .«
qui lui fit prendre un breuvage pour l’exciter
à l’amour : mais , comme il eft arrivé fouvent
le philtre n’eut d ’autre effet que de lui ôter
la mémoire 8c lui aliéner l ’efprit. Quand il
y "
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jouiffoit de quelques retours de raifon’, il îéS
conlâcroit à ia peinture.
On voit au cabinet du duc d’Orléans deux
tableaux d’Elzheimer. L’un reprélente un payfiy
ge éclairé de la lune : l’autre , des gens qui
le chauffent au bord de l’ eau ;• la fcène. le paf~
fe pendant la n u it, 8c n’ elt éclairée que pat
le feu.
Ce peintre a gravé lui-même plu {leurs planches
d’apres fes deflins, dont deux de l’hifloire
de Tobie. Soütman à gravé Saint Laurent
fe préparant au martyre. On ,a auffi d’après le
meme maître plufieurs eftampes de W, Hollar
& du comte "de Goudt.
(^7 ) Guido Reni ou le Guide, de l’école
Lombarde , naquit à Bologne en 15.75!. Son p.ère'«,
bon muficien , le deftinoit à la profefîion de
fon arc ; mais le jeune homme fe fentoit puif-
famment entraîné vers un autre art dont les
productions font moins expofées aux variations
de la mode & aux caprices des goûts , parce
cfué fes imitations tiennent plus immédiatement
I a la nature. Il entra dans l’école ,du Calvart
j & y fît des progrès fi rapides que le maître fe
contentoit de retoucher foiblemeht les copies
du jeune élève & les vendoit pour des ou*
vrages de fa main. Il entra , à l’âge de vingt
ans, dans l’école de Louis Carrache dont la
réputation effaçoit la renommée de tous les*
peintres Bolonpis.
Des tableaux du Caravage furent apportés à
Bologne & fortement cenfurés par les Carra-
ches.. Louis familiarifé avec les grâces du
Çorrege*, & incapable de goûter des conceptions
qui ma.iquoienc de nobleffe , ne pouvok
être indulgent pouf un peintre qui- fembloic
.chercher de préférence dans la nature ce qu’elle'
a déplus ignoble, qui ne favoi-t capter l’admiration
que par des contraires outrés d’ombres
& de lumières , 8c qui", dans fes effets , préfé-
roit les trilles beautés de la nuit aux charmes
d’un beau jour. Mais une converfation d’Ap-
nibal fur ie moyen de détruire , par une ma-'
nière toute contraire à celle du Caravage ,
1 engoument -que ce peintre excitoit, fît une
vive impreffion fur l ’efprit du Guide , & contribua
beaucoup à le déterminer fur le choix
de la manière qu’il a le plus conftament adopté*
dans Jâ fuite. •
» Ne foyéz point étonnés , difoit Annibal ,
» fi la manière du Caravage a fait une fi grande
-» fortune; ce rr’eft que l’effet de ce mal heu—
» reux penchant qui entraîne tous les hommes
» vers les nouveautés : 8c croyez que tou-s
» ceux qui évitent dp fuivre la route tracée
» avant eux , feront fiW d ’avoir de femblables
» fuccès* Je fais un moyen qui , s’ il etoit em-
f> ployé , porternit un coup terrible à cette non-
» velle façon de peindre & pourroit même la
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» discréditer entièrement. J’oppoferois à cè 1
» coloris trop fier & trop crud , les teintes
fe les plus tendres 8c les plus fuaves. Notre
» peintre refferre fes. lumières & les fait tou-
» tours tomber d’en haut; j’étefidrois davantage
fe les miennes 8c je ne repréfenterois jamais •
» mes fujets qu’en plein air. A la faveur des
« ombres, il fe fuuftrait aux difficultés de 1 art;
fe loin de craindre ces difficultés, je voudrais
» faire voir que j’ ai fait d excellentes etudes.
» Mes figures , éclairées dans toutes leurs par*
.» ties de la lumière la plus vive , montreraient
». les plus grandes & 'les plus favantes recher*
a ches. Enfin \ autant le Caravage eft peu cu-
» rieux de faire de beaux choix , autant il
fe âffëéle dé peindre la nature telle qu il la
» rencontre , autant j’ exigerais qu on fit un
» triage de ce que là nature a de plus par-
„ fait , & que , formaht un beau tout des
» différentes parties qu’on aurait jugés dignes
» d’adopter, on donnât aux figurés une nobleffe
.» 8c un agrément qu’on ne trouve que bien
» rarement 8c peut-être jamais dans-lés mode*
fe lés même qu’on a le 'plus fcrupüleufement
» choifis ». ^ r .
Cette manière indiquée par Annibal etoit
aimable 8c douce : elle convenoit au caraétèré
aimable & doux du Guide. Préfent à pettë
converfation , il la regarda comme la meilleure
leçon qu’ il pût fuivre , & des paroles., dont
celui qui les avoit prononcées n’avoit pas dé
mêlé toutes les conséquences , apprirent au !
Guide le chemin qui devoit le conduire à la
gloire. -
Il ne différa point d’ entrer dans.éettë foute nouvelle
: mais foit par jaloufie , foit par la peine
que les hommes ont de rëconnoître que ce
qui eft nouveau peut être louable , dès qu’ il
fit paroître- des tableaux faits fur lés principes
dotit Annibal lui avoit fourni les élémens ,
il eut pour cenfeurs févères , 8c même pour
ennemis, tous les élèves d’Annibal & des autres
Carraches ; ils liff reprochèrent durement fon
orgueillëufe envie de fe fingularifer , parvinrent
même à le brouiller avec les maîtres , & ■
le firent exclure de l’école.
Il dut regretter l’amitié de Louis qui l’avoit
toujours traité avec tendreffe ; mais devenu
libre de fes obligations par l’ injufte procédé
de ce maître , il ne. craignit pas dë fe mon*
trer fon émule. Le cloître de Sun Michèle in
jSofco étoit rempli d’ouvrages de Louis , qui
font mis au rang de fes chefs-d’oeuvres ; le
Guide peignit dans le même cloître Saint Benoît
dans le défert , à qui les« voifins de fa
retraite apportent des préfens. La compofition
eft enrichie -de la variété dès â g e s , des féxes
x & des vêtemens. Les Bolonois éconnés reconnurent
que Louis , dans fon élève, avoir trouvé
un rival 8c peut-être un vainqueur , & des
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biographes affurent que Louis joignit lui-même
fes applaudiffemens à ceux des autres fpeélateurs.
Ce tableau fi célèbre eft aujourd’hui gâté par
le temps. Gn en admire encore le delhn dans
les reftes de quelques têtes & de plufieurs
autres parties qui offrent une grande beauté 5
mais on trouve la couleur un peu rouge.
Il-éut le courage, de facriner la fierté que
pouvoient lui infpirer fes fuccès au defir de
faire des progrès nouveaux , & ne crut pas
s’humilier en fe mettant fous la conduite
d’artiftes qui lui étoient bien inférieurs , pour
apprendre tous les procédés de la frefque* Ce
genre a fes difficultés qui lui font particulières :
il. faut l’avoir juger! les divers change mens qu’é*
prouvent: les.teinres à mefure qu’ elles fechent,
& connoître les différens effets qu’elles produi-
fent par leur mélange : c’eft ce que le Guide
apprit d’efpèces d’ouvriers qui n’ avoient que
de la pratique ; il fe rendit en quelque forte
leur aide & leur é lè v e , & fe diftingua bientôt
dans ce genre de peinture.
Il n’avoit pas encore vu Rome , mais on y
connoiffoit quelques uns de fes ouvrages & ils
étaient eftimés. Les amateurs l’appelloient dans
cette v ille ; le Jofepin fe joignoit à leur em*
preffement , peut-être pour fufeiter un rival
au Caravage ; l’Albane fon compagnon d’école
& fon ami, offroit de l’accompagner ; lui-même
defiroit de revoir Annibal donc cependant il
n’étoit pas aimé , & de juger par lui-même la
fameufe galerie Farnefe dont il entendoit parler
avec admiration. I l partit , 8c débuta par
dés tableaux qui fe voyent encore à Sainte
Cécile & qui juftifierent l’ idée qu’on s’étoiç
faite de fes talens. Cependant peur obtenir du
Cardinal Berghefe l’ entreprife du tableau qui
repréfente le crucifiement de Saint Pierre , il
fut.obligé de fe foumettre à la mode régnante ,
& de promettre de le faire clans la manière
du Caravage. Il tint parole ; mais , aux yeux
des vrais connoiffeurs , il fe montra fupérieur
au modèle, qu’ il dâignoit imiter, & mit dans
fon defiin 8c dans l ’ordonnance de fon fujec
un goût & une nobleffe que le Caravage étoit
loin de connoître*
Les fuccès qu’ il eut à Rome lui firent des
ennemis; le plus emporté étoit le Caravage;
le plus dangereux étoit Annibal, pareeque
fes jugemens répétés & retenus, dévoient pour-
fuivre, même auprès de la poftér.ité, les talens
auxquels il ne rendoit pas juftice. L’AI*
bane même fe brouilla avec le Guide, fon
ami, quand la Voix publique lui apprit que
cet ami étoit fon fupérieur.
Chargé par. le Pape de peindre fa chapelle
feerette du Monte Cayallo, il fe fit de cette
nouvelle.entreprife un nouveau triomphe. Mais
il fe crut offenfé par le. tréformer de Paul V ,
& retourna à Bologne, où il peignit le maf