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la plus feiifible peut offrir à toutes les âmes,
Je iëduilant & d-’expreffif.
I l feroit encore avantageux de difeourir publiquement
dans les écoles lur les divers moyens ,
de difpofer des lumières & des ombres , &
d’employer la fraîcheur, la fi nette ou la puif-
fance des couleurs. Un homme vraiment - instruit
n’exigeroic pas la recherche dés teintes
détaillées , ni des lumièrej trop multipliées
dans des ouvrages de fi: irrés à être placés loin
de la vue -, comme nous venons de prouver
cjue l’on ne deyoit pas y rechercher les petits
details des formes , ni la politeffe de l’exécution
: des partis d’ effets d’un choix heureux
& piquant, des malles bien fenties, des couleurs
locales, (impies & larges, une teinte
générale plutôt ardente que trop grife , font
quelques-uns dés moyens convenables à une
grande diftance.
D’un autre côté, fi je vois des tableaux de
cabinets où l’on ait employé une grande vigueur
de teintes 8c toute la pâte dont la o'alette eft
fufceptible ; tels que ceux qui font forcis des
mains de Guerchin , de T re v ifan i, de Rem-
brant , de Partocel Père , 8c autres , je les
trouve moins faits peur flatter mes y eu x , que
les* teintes' fraîches , la touche légète , ou la
fonte précîeufe de Gérard Douw , de Wou-
wermans , de Teniers, de Mignard, 8cc.
Ces divers talens font fans doute le fruit
des études, des recherches & des bonnes le-
çons;mais ils font dûs bien plus encore aux
organes & "aux facultés particulières de l’ ef-
prit & de i’ame qui font les peintresN de divers
goûts & de divers genres. Voyez l’article
Q u a l i t é s , où il eft parlé de toutes celles
qui font néçeftaires pour exercer la peinture
avec.fucc ès.
Après avoir entretenu nos lecleurs des genres
& des parties de l’art , rappelons ce qui
peut en rcfulter de plus fédu&eur & de plus
inftruâ if. Avant que d’ en préfenter les tableaux
, nous obferverons qu’il ne faut pas attendre
de la peinture les effets de la mufique qui
touche les Cens d’ une manière fi prompte & fi
vive. U ne faut pas la comparer à la fculp-
ture ni par la richeffe des matériaux qu’elle
employé , ni par la durée / ni par l ’avantage
de préfenter le vrai de tous les fens. On verra
dans le mot fcubpiure tout ce qu’elle peut
offrir aux fens & à l’èfprit, & on dira furtout
que fes. beautés réelles confident en des qualités
très-différentes de celles de la peinture.
Enfin , il ne faut pas exiger de notre art qu’ il
remue i’ame aufli puifiamment, aufli fréquemment
que la poéfie. I l ne laifle rien à faire
à 4’ imàgînation : au lieu que l’art des vers
agit fans céfle fur cette faculté ; & par fon
triôÿèn, elle produit' des' imagés d’ autant plus
faites pour -frapper • les fens de' fês lecteurs,
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qu’ elles ne font conçues que d’après les con-
noifi’ances, les goûts 8c les rapports de celui
qui les enfante.
Mais la peinture eft moins paffagère & d’ une
exprefiion plus diftin&e 8c plus réelle que l’arc
des fons : elle eft plus féduifante 8c plus étendue
que la fculpture, en ce qu’elle exprime
la nature fous- des faces plus diverfes & fous
plus de rapport. Quant à la poéfie à laquelle
nous penfons qu’elle tient davantage par fes
effets, e lle .l’emporte en ce qu’ elle eft d’une
communication plus rapide , plus générale, en
ce qu’elle eft plus foutenue & plus détaillée.
Si comme dans les ouvragés du peintre , on
trouve dans un poète les images des objets
connus & inconnus, des préfens & des pafles,
il faut convenir que le premier eft obligé de
les préfenter d’une manière bien plus réelle,
& , pour ai h fi d ire, plus palpable.
Combien la peinture n’a-t-elle pas de charmes,
quand elle nous offre les objets de la
manière dont nous les avions vus dans la
nature, ou de celle dont nous les avions conçus
? Elle eft encore d’ un intérêt bien piquant,
quand elle nous furprend par des repréfenta-
tions de chofes inconnues : femblable eh cela
à l’art dramatique, elle plaît en inftruifant,
même par l’ image de fcènes dont la réalité
.cauferoit de l’horreur 8c des dangers. C ’eft
ainfi que les combats dont font ornées les
galeries de Verfailles & de T urin, inftruifent
en même tems qu’ ils attachent, fans caufef
d’ effroi, & qu’ ils partagent l’ efprit entre le
plaifir d’apprendre & celui du fpeélacle paifible
d’évenemens curieux 8c déjà loin de nous.
La peinture eft furtout ënchanterefle dans
ces intérieurs où l ’on a voulu completter un
hiftoire de la main du même peintre. Malgré
la maigreur du ftyle de C o yp e l, je regrette
les ingénieux & les agréables tableaux dont
il avoit embelli les murs de la galerie du
Palais - Royal , en y repréfentant les fujets
pittorefques de l’Enéïde. Qui ne gémira avec
larmes fur la dévaluation du plafond de l’hôtej.
Brétonvilliers , où Bourdon , l ’ un des plus
abondans & des plus gracieux génies de notre
école, avoit peint l’hiftoire de Phaéton ? Nous
pofledons encore dans l’hôtel Lambert tout ce
que l’ efprit peut concevoir de plus grand fur
les faits d’A lc id e , inventé avec chaleur &
exécuté fortement par le Brun , alors en concurrence
avec le Sueur, fon digne rival. La
variété des fujets, l’enfemble des tons, & cette
liaifon produite par des ornemens ingénieux,
& toujours bien motivés,, tout enchante , tout
plaît dans cet ouvrage fuperbe, auquel il ne
manque que d’être peint à frefque, pour être
toujours frais & toujours durable.
Nous pofledons encore I3. fuite des tableaux
qui format le bel enfemble de la galerie du
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Luxembourg. Le grand homme, auteur de ce
poème complet, a réuni tout ce que la peinture
peut produire de plus féduilant par les couleurs
riches & brillantes, & ce que l’ imagination
peut créer de plus noble pour intéreffer & élever
l’ame dans les fujets les plus familiers.
On ne peut affez admirer,dans cette fuite de v i.ngt-
un tableaux , l’étendue du génie qui a pu faifir
un fi grand enfemble , en y réunifiant tout
l’accord & toute la variété dont il étoit tuf*
ceptiblé : la difpofition des fumets,-leur choix,
celui des fîtes, fe correfpondent pour diversifier
chaque tableau, par un nouvel intérêt.
Toujours dirigé par un goût exquis , Rubens
a placé une fcène prefque toute hiftorique &
d’intérieur, c’eft le couronnement de la reine
JMarie de Médicis, en face du confeil des Dieux
& de la pourfuite des vices, ou tout èft nud,
tout eft allégorique,, tout eft poétique. Le
tableau qu’ il a placé dans le milieu, eft un
mélange d’allégorie 8c d’hiftoirê, diftr^bué
pour contrafter avec les deux autres dont je
viens de parler, 8c pour former le partage
délicieux de l’ une a 1 autre de ces fc.en.es differentes!
Ce tableau du, milieu fe _ -divife en ■
partie toute .poétique I apotheoje d Henri-le- :
Qrand, 8c en partie hiftorique : la régence
donnée à la reine.
C ’eft à la vue de ces rapports fi propres a
enchanter les fens , qu’on goûte tout l’avantage
de la repréfentation pittorefquç d’une
même hiftoire , lorfqü’elle eft conçue par le
même génie. D’abord, comme je viens de-le
faire' voir , les formes de toutes les coropcfi-
tions font difpofées les unes pour les autres,
& offrent une utile & fage variété ; qualité
préçieufe qui fait fentir l’inconvénient de la
dîfparate toujours produite par l’emploi de différentes
mains. En fécond lieu , il exifte dans
un ouvrage forci de la même palette, un accord
général de coloris qui n’eft varié que par la
différence des fujets 8c des fîtes. Il faut convenir
que cette harmonie eft aufli néceflaire aux
yeux dans un enfemble en peinture , que le
même ftyle dans un poème épique, qui malgré
la diverfité des aftions & des images., y
répand une liaifon feule capable de faifir &
d’enivrer l’ efprit du leâeur. Nous concluons
donc avec affurance que la même hiftoire en
peinture , deftinée à être vue dans le même
lieu veut être traitée de la même main.
Les tableaux de l’hiftoire de la Vierge dans
le choeur de Notre-Dame, ne font pas à l’oeil
l ’effet d’une même hiftoire. Et dans la galerie
de Touloufe , les tableaux d'ftingués qui y
font raflemblés étant tous de divers, auteurs ,
femblent contredire l’uniformité de la décoration
générale , quoiqu’ ils ne foient pas réunis
pour y tracer une même hiftoite,
Ainfi deux chofes doivent concourir à pro-
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duire. un bel enfemble, dans une fuite de. tableaux
difpofés dans le même lieu, pour former
une hiftoire fui.vie.3 l’avoir : 10.. la variété dans
les formes des compofitions 8c la fymmérrie
des ornemens , z°. l’ accord général dans le
coloris. Tout cela produit une conformité' de
manière qui eft d’une telle néceilité, que les
entrepreneurs de ces. fortes de fuites en gravures,
ont eu l’attention d’exiger des graveurs
chargés des différentes planches, que le travail
des tailles &, la valeur du ton général
fliftent à peu-pres les* mêmes, 8c c’eft avec ce
foin qu’ont été gravées la galerie du Luxembourg
, dont je viens de parler, celle de Ver-
failles, du palais Farnèfe, & c . O r , qu’on fe
repréfente un inftant ces fuites exécutées de
toutes fortes de manières, même par les plus
habiles. graveurs •, (avoir, une eftampe par
'Mellan , l’autre de Wifche r , c e l le - là par
P. Pondus,. celle-ci par Drevet ou Mafîcn,,
cette aurre par Nanteuil, &c. Par cette fuppo-
firion , on jugera nettement de notre opinion
fur la néceilité de former de : la même main
un poème en peinture de piufieurs chants.
Je fais qu’ il eft un autre genre de fpeâacle
pittorefque à offrir dans .une gai le rie ou dans
un grand cabinet ; c’eft celui de la réunion
des genres 8c des écoles. Alors la variété y
èft du plus grand intérêt. Les celleâions du
roi de France , du Palais - R oy al, de Turin ,
de Florence, du palais P it t i, de Doria, de
Barberin , des fouverains de Drefde, de l’ im-
-pératrice de Ruflie , 8c beaucoup d’autres font
fentir tout l’attrait de ces aflëmblages où l ’on
peut fuivre les diverfes manières des écoles de
peinture' dans leurs diffprens âges, ce qui les
a diftinguée« ëntr’elles , ce qui caracl.érife le
goût particulier de chaque peintre ,• & c e qui
montre en quoi chacun d eux a changé de
fty le , de ton 8c de coloris. Un efprit obfer-
vateur y apprendra furtout qu’ il eft en peinture
toutes (ortes de moyens de plaire ; que , comme
je l’ai d it, tout ce qui eft neuf, original &
piquant, fous que'lqu’àfpea que ce fo it, a des
droits à l’approbation d’ un homme qui fait
juger des. différentes parties de l ’a r t , & que
pour lui , il n’exifte pas de beautés exclu fives.
Terminons cet article , où j’^i tâché de
raflëmbler ce que la peinture a de droit à. notre
eftime 8c à notre admiration , tant par ce
qu’elle exige de connoiftances , que par lès
effets qu’elle produit , -en - déplorant la perte
des belles c.olleélions qu’on yôyoit à Paris au
milieu de ce fiècle. Après la mort des hommes
de goût qui les avoient fermées , elles ont ècé
difperfées : des Crozat 8c des Ju.fi i en né., il
ne nous réfte plus que le louyenir de leur
I amour pour la peinture. Les" ,çfiefs-d’«puyre de
l’art qu’ ils .offipieut publiquement pour fes
* progrès j à la curiofité de leurs concitoyens 8c