J4 P E 1 que le Dominïouin n’avoit fait que »copier
raîné des Carraches. Il fit graver par Perrier,
fon élève , le tableau d’Auguftin ; il faifoit
remarquer les reflemblances qui fe trouvoient
dans ridée générale des deux ouvrages &
dilïïmuloit les différences capitales qu’on peut
obferver dans les attitudes ; dans les expref-
fions & même dans la difpofition. La foule
des juges prononça comme Lanfranc ; mais les
juges équitables ont prononcé dans là fuite
que fi le Dominiquin s’eft permis de faire
quelques emprunts à l’ un de les maîtres y ce
qui rend fon ouvrage un chef-d’oeuvre eft à
lui.
Ce gVand peintre auroit fait taire l’envie fi
elle pouvoir être réduite au filence , lorfque,
peu de temps après , il fit dans l’églife de Saint
Louis des François , les deux célèbres tableaux
de Sainte Cecile.
Fatigué des perfécutions de fes rivaux , de
l ’ injuftice de fes juges , il fe retira à Bologne
où il fut employé comme peintre & comme
archite&e. Il vivoit paifible & eftimé dans fa
patrie , quand Grégoire X V le rappella à Rome
& le nomma architeâe du palais, apoftolique.
Le cardinal de Montalte le choifit pour peindre
la voûte de Saint André délia v a lle , &
lu i procura une nouvelle occafion de fe rendre
immortel. Ce fut dans^ cette égiife que le
Dominiquin peignit ces beaux pendentifs ,
objets de l’admiration de l’Italie & des écran- ,
gers 9 objets des études de* tous les artifies ,
ch e fs -d ’oeuvre dont les beautés ne peuvent ,
être détruites par les plus médiocres copiftes,
& dont même les maigres gravures animent le
génie des plus habiles maîtres. Le cardinal
mourut avant que l’artifte eût terminé l’ouvrage
; déjà lés deflîns de la coupole étoient
arrêtés, quand l’avide & jaloux Lanfranc fol
lic ita & obtint çet ouvrage fous prétexte que
le Dominiquin ne pourroit terminer à temps
une fi grande entreprife. Mais en s’offrant fi
près de fon rival à la comparaifon des juge s,
il eut l’humiliation de lui procurer la vi&oire.
Libre des travaux de Saint André, le Dominiquin
fut appellé à un nouveau triomphe,
ou , fi l’on veut , à donner une grande &
nouvelle leçon à la poftérité ; & à l’ en v ie ,
un nouveau fujet de frémir. I l fit dans l ’églife
de Saint Sylveftre les quatre tableaux ovales
de la chapelle du cardinal Bandini. Ils font
généralement connus paît les efiampes de Gérard
Audran. Le premier repréfente Eflher devant
Affuérus ; le fécond , Judith tenant la
tête d’Holopherne ; le troifième , David jouant
de la haipe devant l’arçhe; le quatrième, Salomon
ams fur fon trône avec Betfabée. Rap-
peller les fujets de ces tableaux , c’eft rappelier
a ceux qui connoiffent les arts autant d’objets
leur admiration. Quand le Dominiquin
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n aaroït fait, dans toute fa v ie , que ces quatre
tableaux , les pendentifs , Sc la communion
de Saint Jérôme , quel artifte, après Raphaël,
pourroit fe vanter de tant de gloire ?
Les intrigues & calomnies de fes rivaux ne
pouvoient empêcher fa réputation de s’étendre
toujours davantage. Les Napolitains le mandèrent
pour peindre la chapelle du uéfor : il
le rendit à leurs prières ; mats c’étoit à Naples
que l’attendoient fes plus cruels ennemis. L’Ef-
pagnolet fe mit à leur tête ; il difoit que le
Dominiquin ne métitoit pas même le nom de
peintre , & parvint a faire jnéprifer cet artifte
digne de tant d’effime. Le Dominiquin rebuté
fortit de Naples en fugitif , lailfant même fa
femme & fa fille qui dévoient le fuivre. E lle s ,
furent arrêtées : & par une forte de contradiction
, on voulut que l ’artifte qu’on avoit ceffé
d’eflimer terminât l’ouvrage qu’il avoit entrepris.
I l fallut qu’ il achetât par fon retour
la délivrance de fa famille.' I l reprit fes travaux
y mais il étoit agité par la crainte & la
défiance , & , fans injuftice peut-être^ il croyoit
_fes ennemis affez vils pour employer contre
lui le fer & le poifon. Il ne mangeoit que des
mets qu’il avoit apprêtés lui-même , 8c çet
homme innocent & timide éprouvoit toutes les
inquiétudes qui fontle jufte fupplice des tyrans*
Les tourmens de l’ efprit affaiblirent le corps ,
& il mourut enfin à Naples en 1641 , de douleur
ou de poifon, âgé de foixante ans.
La haine aes artiftes jaloux le pourfuivit encore
après fa mort : ils parvinrent à faire dé-*
truire les ouvrages qui avoient occupé les trois
dernières années de fa v ie , & ce fut Lanfranc
qui fut chargé de les remplacer. La poftérité,
par cet attentat de l’env-ie, a peut-être perdu
des chefs-d’oeuvre femblables a ceux qu'elle
connoît du même maître. Cet artifte il violemment
peifécuté, étoit un homme doux,
affable, modefte, renfermé dans fes atteliers,
fe communiquant peu au-dehors , incapable
d’off’enfer perfonne, ayant les moeurs aimables
d’un enfant fans malice. Les Romains lui rendirent
hommage quand il n’ excita plus leur
envie; ils firent apporter fon corps a Rome,
l’académie de St. Luc lui accorda de magnifiques
obsèques, & fit folemnellement prononcer
fon oraifon funèbre. Après une vie
oeconome & laborieufe , il ne laiffa que vingt
mille écus ; c’étoit moins que le Guide n’en
perdoit dans une partie de jeu.
Cet artifte modefte fut furtout inftruit de
fon mérite par la perfécution qu’ il lui attiroit.
Il dit en voyant contre lui l’acharnement des
peintres de Naples 5 a il faut donc croire que
» j’ai bien fait» . On lui apprit qu’ils louoient
certaines figures qu’ il venoit de peindre. « Je
» crains bien, d it- il, d’avoir fait quelque fan.
» tife qui leqr plaife n.
f El Il fe pénétroît fortement des fentîmens qu’ il '
Vouloir repréfenter. Seul dans fon attelîer, oh
l ’éntendoit rire , pleurer, fe livrer a l’emppr*1
tement. Annibal le lurprit un jour, la colere
dans les y eu x , & faifant des geftes menaçans.
Il s’apperçut bientôt que le peintre étoit oc- I
cupé à repréfenter un foldat qui menace l’apô- |
tre faint André. Audi le Pouflin difoie—il que , 1
depuis Raphaël r il ne connoiffoit pas de plus '
grand maître pour l’expreflion que le Dominiquin.
Ce jugement doit l’emporter fur celui
de Mengs , qui prétendoit que le Dominiquin
n’avoit guère d’autre expreilion que cefle d’une •
•timidité naïve, & qu’ il ne devoir fèrvir de
modèle que pour les figurés d’éhfans. Cet ar- ^
îtifte , qui étoit un très-bon ju g e , qui avoit
de très-grands principes , s’égaroit quelquefois
par l’exceffive févérité de ces principes memes.
Le Dominiquin, auftère comme Raphaël,
,eft admirable pour la fcience & la pureté du
rdefïïn> Ses têtes font b e lle s, & joignent fou-
vent la grâce à la beautés telles font celles
-du fameux tableau de fainte C é c ile , & du
tableau non moins fameux de fainte Agnès;. Il
avoit bien étudié la nature, & s’écoit fort
attaché aux formes de l’antique. Il favoit le
grouppe du Laocoon par coeur, & pouvoit le
defiïnèr de mémoire ; on en dit autant d’An-
•nibal Carrache. Souvent fes tableaux font peu 1
d’effet, & font exécutés avec lecherçffe ; mais
on doit les étudier au crayon , & ils offrent
un fond d’étude qui fera utile toute la vie.
D’ailleurs, il n’avoit pas toujours ce défaut.
Son tableau de la communion de faint Jérôme,
eftimé l’un des chefs-d’oeuvre de l’Italie, préfente
un .admirable moëleux de pinceau. Les
têtes y font peintes d’ une grande manière ,
& cependant finies comme dés portraits; ce
qui prouve que la grandeur & le large de la
manière n’excluent' pas le fini. On pourroit
dire plutôt que les ouvrages vraiment beaux
& généralement eftimés^ font très-rendus. En
général les'comppfitions du Dominiquin font
fagement agencées : fes têtes font belles &
expreflives, fon deflin eft fimple 8c v r a i, fes
ajuftemens ingénieux ; fes coëffures font d’un
choix agréable , fes draperies tantôt médiocres
, & tantôt excellentes; Il étoit fujet à fe
montrer froid & fec dans le fa ir e , & à manquer
de rondeur : mais- il n’avoit pas ces défauts
dans la frefque ; peu de personnes ont
aufli bien peint que lui dans ce genre. Quelquefois
même, dans fa peinture à l’huile,
comme, par exemple, dans fon tableau de
fainte Agnès, fon pinceau eft d’ une grande
netteté , & fa couleur de la plus grande
vérité.
Le cabinet du roi renferme feize tableaux
du Dominiquin. L’Adam & Eve chaffés du
Paradis terreftre, eft .d’ une expreflion forte
P e r #
8t vraie. L’Enée fauvanc fon père Anchilè ,
paroît être du temps où la manière du Dominiquin
renoit de celle de Louis Carrache. La
compofition eft d’une grande fageffe , d’une
fine intelligence ; elle tend toute entière &
concourt à l’expreffion. On voit la crainte dans
les yeux & dans ' lés traits' de Creiife , la
douleur dans ceux d’Anchife , la piété filiale
dans ceux d’Enée. Timoclée devant Alexandre
eft un tableau de petites figures & d’ une grande
compofition '. mais toute eetre compofition concourt
à l’exprelfion du fujet ; toutes les figures
ont le caractère qui leur convient. T out
l’ouvrage eft conçu comme il auroit pu l’être
dans les beaux Cèdes de l ’art chez les Grecs.
On fent qu’ il eft d’ un homme qui ne prenoic
le pinceau qu’après avoir profondément médité
fon'fujet. Les Théatins de faint André délia
valle lui .reprochoient un jour de ce qu’ il
n’avoit encore rien fait depuis plus d’ un mois
qu’i l avoit entrepris de travailler pour eux :
“ J’ai beaucoup plus travaillé pour vous, leur
» répondit-il , que fi vons m’aviez vu pein-
» dre. » -Lé tableau de Renaud & Armide
appelle foiblement, & promet encore peu au
premier coup-d’oeil ; mais quand on l ’a confi-
déré , on le trouve digne du grand maître
dont il eft l’ouvrage , & plus on l ’examine
plus on fe fent pénétré de la douce, volupté
qu’il doit infpirer. Tous les acceffoires contribuent
à l ’expreflion du fujet principal. Le conc
e r t , tableau d’une bonne cou leur , prouve
que le Dominiquin, un peu fec quelquefois,
étoit capable de peindre d’ un pinceau moelleux.
Le martyre de fainte Agnès du Dominiquin
a été gravé par G. Audran : les deux tableaux
de fainte Céeile par N. de Poilly : la communion
de faint Jérôme, par Céfar Tefta. L’Enée
& Anchife du cabinet du roi , par Gérard
Audran ; les quatre ovales dp l’églife de Saint
Sylveftre , par le même ; les pendentifs de
S. André délia valle, par Aquila.
(98) Jean Lanfrancô , ou Lanfranc, de
1 école Lombarde, né à Parme en i j 8i f ut
d’ abord page d’ un feigneur q u i, le voyant
couvrir de delfins faits au charbon les murs
de la chambre, foupçonna qu’ il pourroit bien
avoir des difpofitions heureufes pour la peinture
, & le plaça lui-qiême chez Auguftin Carrache
, qui travailloit alors à Parme. Le
jeune éleve fit de rapides progrès & ' aux
leçons de fon maître , il joignit l ’étude des
ouvrages du Cortège : mais -s’ il put apprendre
de ce maître a concevoir ces grandes machi-
■ nés dont on décore les coupoles, la nature ne
lui avoir pas permis d’en prendre les grâces
qui fonf le caraftère particulier du Corrége’
Lanfrans étoit plutôt né pour furprendre &