contre leurs archontes, leurs prêtres & leurs philo-
fophes;. . a » * , ',
Ce prince connoiffoit parfaitement les Athenieris:
il favoit qu’ils étoient malins par contagion, & que
rien ne les déle&oit autant que la fatyre. Ils vouloient
voir fans ceffe les parodies d’Efchyle , de Sophocle
ôc d’Euripide. Dans le tems que la guerre du Pélo-
ponnèfe mettoit la république à deux doigts de fa
perte, on jouoit au théâtre les nuées d’Ariftophane ; '
& quelque courier ayant apporté la nouvelle que
l’armée venoit d’être encore battue , ils demandèrent
pour fe diftraire la dixième repréfentation des
nuées. C’eft ainfi qu’ils fe confoloient, en s’amufant
à prendre le premier homme de la Grece, le vertueux
Socrate , pour objet de leurs railleries ; ils allèrent
même jufqu’à jouer fur leur théâtre la femme de
Minos. Mais ceux qui gouvernoient étoient fort ai-
fes que le peuple athénien s’occupât de frivolités
odieufes, plutôt que des affaires de l’état. Audi les
archontes permirent dans ces conjon&ures qu’on
barbouillât les fages à la maniéré de Cratinus & d’Eupolis
, ce qui fut très-applaudi.
Quelques femaines avant les fêtes facrées, ils fe
rendoient en foule au poecilé, pour voir les fauteurs,
les baladins, & les gens qui faifoient des tours d’a-
dreffe. Ce qu’il y a de fingulier, c ’efi: qu’ils alloient
à quelques-uns de leurs fpeftacles pour le feul plai-
fir d’être vus ou de s’en mocquer. Le bizarre mélange
des farces de l’un de ces fpe&acles oh on parloit con-
fécutivement la langue athénienne & la langue dés
barbares , les amufoit beaucoup, parce que les acteurs
leur laifloient en fortant l’agrément de les critiquer
, pourvu qu’ils revinffent le lendemain à leurs
mafcarades.
Ils étoient admirateurs enthoufiaffes de l’odéum ;
c’étoit un théâtre de mauvaife mufique , entouré des
logemens de toutes les courtifannes, d’une place publique
oii l ’on vendoit de la ferine, & d’un grand
portique qu’Ariobarzane, roi de Cappadoce , avoit
enjolivé. Mais il y avoit à ce théâtre des mimes qui
repréfentoient des geftes indécens, des danfes lafci- '
v e s , & des amours criminelles. On y célébroit aufli
la fête d’Adonis, & tout ce qui s’y paffoit étoit le fu-
jet le plus intéreffant des converiations.
Outre les fêtes publiques de plaifir, les Athéniens
, en avoient de particulières , dont la danfe à la fuite
des repas faifoit le principal objet. Il n’y avoit qu’une
feule de leurs danfes que Platon approuva ; c’étoit
une danfe grave & majefêueufe , mais les Athéniens
n’en faifoient ufage que pour la forme. Ils lui pré-
féroient les ménades oii les danfeurs étoient travef-
tis, toutes les danfes folâtres, fur-tout la danfe nommée
lamproun , & celle dont parle Homere dans le
X V 111. liv. de Codyffée.
Ils mirent à la mode la danfe pyrrhique , non pas
la pyrrhique guerriere des Lacédémoniens , mais
cette pyrrhique pacifique oîi les danfeurs ne por-
toient que des thyrfes, des bouquets de fleurs , &
des flambeaux. Apulée nous en a donné la deferip-
tion , qu’on fera bien-aife de lire ici. Puelli, puellæ-
quoi, virenti jlorentes atatulâ , forma confpicui , vejle
nitidi, incejfu gejluoji, græcanicam faltabant pyrrhicam,
thyrfum quatientes, dtfpojîtis ordinationibus, indecoros
ambitus inerrabant\nunc in orbem rotarumfiexuofi^ nunc
in obliquam feriem connexi, & in quadratampatorem eu-
neati, & in catervct diffidium feparati.
On faitaufujetde la danfe, l’hiftoire d’Hyppoclide,
qui paffoit pour le plus riche, le plus agréable & le
plus beau des Athéniens. Clifthène , roi de Sycione ,
avoit envie de lui donner fa fille en mariage. Il lui
fit une fête magnifique avant que dedrefferle contrat.
Hippoclide fort content de fa figure, danfe d’un air
dégagé , libre & indécent, la danfe appellée emmêlée,
qui etoit une danfe grave & noble Fiis de Tifen-
» dré , lui dit Clyfthèné , tu as danfé ton mariage
» hors de cadence ». A quoi le jeune homme répondit,:
« Hippoclide ne s’en foucie guère » ; réponfe qui
devint proverbe à Athènes.
L’oinveté , les promenades , les fpeftacles , les
danfes , formèrent dans toute la ville des parties dé
fouper oii régnoit la chere la plus délicate. La dé-
penfe en ce genre devint fi grande, que les Athéniens
pour pouvoir la foutenir vendirent leur vaiffelle
d’argent, & fe fervirent de la poterie de Samos. Dé-
métrius ayant abandonné à ion maître-d’hôtel les
reftes de la table, ce maître d’hôtel en deux ans de
tems acheta trois terres. Un habile cuifinier fe payoit
aufli cher qu’à Rome; on n’eftimoit que les repas
apprêtés de la main de Mofchion. On açcordoit le
droit de bourgeoifie aux enfans de Chérips , parce
que leur pere avoit inventé une nouvelle forte de ragoût
aux truffes de la Grece. Le nom de ce ragoût
nous a été conférvé par Athénée ; on l’appelloit
truffes à l’Alcibiade , ou truffes enJurprife.
Quoiqu’on fervît à leurs tables les meilleurs vins
du monde, ils en buvoient néanmoins très-fobrement,
parce qu’ils vouloient que leurs repas fuffent affai-
fonnés de eonverfations légères & plaifantes ; ces
converfations rouloient fur les nouvelles du jou r,
les brochures , les fpe&acles , les amourettes de
Thaïs avec Ménandre, & les nouveaux logogryphes
formés de vers d’ahcïens poètes parodiés. On ne parloit
jamais à table de Mégabife, de Rhodes, de Sparte,
. ni de Philippe que pour un moment, & pour s’en
moquer.
Ce que dit Horace dé l’envie toujours attachée
à la vertu, étoit encore plus vraie à Athènes qu’ail-
leurs, virtutem incolumen oderunt invidi. Une grande
fupériorité de mérite en quelque genre que ce fu t ,
afHigeoit vivement les Athéniens. Thémiftocle , Mil-
tiade , Ariftide , Périclès , Socrate , Démofthènes ,
Démétrius de Phalere, & Phidias, en font de belles
preuves. L’éclat de leur gloire leur fufeita mille envieux
, fortes d’ennémis également couverts & dangereux.
Athénée nous apprend qu’on vit même , à
la honte des myfteres facrés, des prêtres de Minerve
fupplantés par des prêtres de Vénus.
La religion des Athéniens étoit la même pour le
fonds que celle des autres grecs, excepté dans quelques
points, dont l’intérêt des pontifes avoit fur-tout
établi la fainteté. Les Athéniens ne furent point choqués
des impiétés .qu’Efchyle dans fe tragédie faifoit
tenir à Prométhée contre Jupiter, mais ils étoient
faciles à effaroucher fur Cérès & fes myfteres. C’eft
que Jupiter n’appartenoit qu’en général à la religion,
j au lieu que Cérès & fes myfteres avoient rapport
aux intérêts particuliers de la capitale de l’Attique ,
& des pontifes puiffans quideffervoient les autels de
la déeffe.
Leur ville étoit remplie de temples, de monumens
j de piété, de lieux d’amufement & de libertinage.
Les Athéniens étoient tout enfemble impies & fuper-
ftitieux ; ils réputoient le jeudi comme un jour malheureux
; on renvoyoit toute affemblée qui tomboit
oe jour-là. On s’enîvroit de plaifir pendant la célébration
des thefmophories ; & le troifieme jour
qu’elles finiffoient, on fe rendoit de l’odéum & du
théâtre dç Bacchus, dans le temple de Minerve, oii
chacun fuivoit des obfervances religieufes delà journée
; ce qui fait que Plutarque appelle le troifieme
jour des thefmophories , le plus trijîe jçur de l’année.
Aux fêtes facrées d’Eleufis, les femmes paffoient
douze heures confécutives dans le temple , aflifes
fur des bancs , .fans prendre aucune nourritute, &
tenant dans leurs mains un livre écrit en langue
égyptienne, avec des hiéroplyphes. Chacun conter-
voit ce livre dans de^peaux teintes en pourpre ; mais
tomme il n’y avoit que les prêtres qui puffent lire
ï’écriture hiérogrammatique, le peuple d’Athènes fô
repofoit fup erftitieu fement fur eux du foin de la déchiffrer.
Les Athéniens établirent aufli par fuperftition des
Expiations publiques pour leurs théâtres, & des expiations
particulières pour les crimes & les fautes
qu’on avoit commifes ; ces dernières, expiations con-
fiftoient à fe rendre dans le temple du dieu que l’on
avoit particulièrement offenfé, à fe laver d’eau luf-
tralei, & en d’autres aéfes femblables;
L’artifan mettoit une petite piece de morinoie fur
la langue de çeux qui vënoient de.mourir ; mais les
gens riches s’imaginpient que pour paffer pliiscorn--
modement la barque fatale , il felloit porter à Caron
trois pièces d’argent. La dépenfe étoit exeeflive, à d i
mort des grands ; ils vouloient avoir des tombeaux
magnifiques avec tous les ôrnemens que di&e la
vanité.
-, Ce Peuple réunifient en lui tous les contraires ; il;
etoit dur & poli, civil & médifent ; détraéleur des
etrangers , & les accueillant avec enthoufiafme. Pro-
tagoras d’Abdère, Evenus de Paros , Poléen d’Agri-
gente $ Théodore de Byfance, ne.fachantplus oiife
réfugier, firent fortune à Athènes, par la feule rai-
fon qu’il§, étoient des étrangers:
.Les Athéniens devenus fophiftes par caraftere &
pas corruption j inventèrent la plaidoirie, & en firent
un artrufé & lucratif; Périclès fe les attacha par le
profit du barreau , & Alcibiade les, punit rudement
par le même endroit, en engageant les Spartiates à
fortifier Déeélie,parce que ce fort coupoitles revenus
de la juftice j qui étoient un de leurs grands
trafics.
. Cicéron fe moçque plaifamment. de la maniéré
dont ils opinpient. « Aiifli-tôt, dit-il, qu’un de leurs
» orateurs a fini de parler, ils ne font que lever la
» main en tumulte, & voilà un decret éclos ». C ’eft
ainfi que fe fit le fameux decret ( mentionné dans les
marbres d’Oxford ) qui ordonna, la fuppreflion des
portefeuilles de Périclès fiir les beaux-arts , conjointement
avec ceux de toutes les oeuvres de Solon,
d’Anaximandre, d’Anaxagore, de Phérécyde, d’Ar-
çhytas, de Calippe & de Socrate; recueil que quelques
favans difciples de ces grands hommes avoient
enfin raffemblés en un corps, & qu’ils avoient transcrits
pendant vingt ans fur du beau papyrus d’Egypte
avec iin foin fcrupuleux,- une critique éclairée , &
une dépenfe vraiment royale, pour tranfmettre à la
pôfterite -, par des copies fideles & par d’admirables
deffeins, le déçôt des Sciences & des Arts aüfli loin
qu’ils avoient été pouffés. Le decret qui proferivoit
ce magnifique recueil, avança dans toute l’Àttique le
régné de la barbarie , qu’une petite poignée de fages
avoit tâché jüfqu’alors de reculer par leurs écrits.
Quoique les Athéniens marchaffent à grands pas
vers leur chûte, ils étoient toujours enorgueillis de
là fupériorité qu’ils avoient eu dans les beaux-Arts
& de celle qu’ils prétendoient avoir encore dans les
Sciences. Cependant avec cette prétèntion finguliere
on n’apprenoxt aux jeunes gens dans les principales
écoles d’Athènes, qu’à chauffer le foc & le cothurne
comme s’ils ne dévoient être un jour que des corner
diens, & que l’étude des Lettres , de la Morale & de
la Philofopnie fût une chofe méprifable. Ôn ne leur
expliquoit que des ridicules impertinences, qu’on
autorifoit du nom d’un poëtè inconnu, & on leur
donnoit pour fujets de compofition le mont Athos
percé par Xerxès, les noces de Deucalion & de Pyr-
rha, les irruptions des Scythes en À fie, les batailles
de Salamine, d’Artémife & de Platée.
Leurs rhéteurs ne s’occupoient qu’à éplucher des
fyllabes, à couper des phrafes , à changer l’orthographe
, à appauvrir, à efféminer la langue grecque
qui étoit fi belle du tems de Démofthène, & à lui
Tome X I ,
i donner le ton a ffété& langoureiix d’iine eburtifanne
qui cherche à plaire. Les Athéniens n’en conferve-
I rent que la douceur de la-]îrohbnciation, qu’ils té-'
, noient de îa bonté dé leur climat, 6c c’étôit là feulé-
chofe qui les diftinguqit des AliatiqueS.
i Leurs philofopheS è^iiHRoient dans leurs écrits •*
i fi le vàiffeau qu’on gàrdbit au port de Phalere &c;
] dont on- ôtbit les pièces qui fe pourriffoient en en
l mettant de nouvelles , étoit touioiirs lé même vaif-
j feau , que 'celui fur lequel Théiee avoit; été en Gré-
i te> & cêttè queftion devint très-férièufei
| Leurs médecins regardant- l’étüde de l’art & des
/ obfervations d’Hippocrate ; comme un tems perdu1
| (Jans pratique , l’èxérçbient empiriquement par1
« c*eux. feuL remedes qtii marçhqient toujours de corn-'
; pagnie, la faignée & ia purgation avec l’hellebore
; noir ,^1’une & l’autre ju'fqu’à- l ’extinélion des forces!
; Peut-être trbUVerent-ils que la folie ou la phrénéfie
i dominoit dans toutes les maladies des Athéniens &c
\ T 1’011 rif^uoit trop à écouter la nature fi étrange-
; ment viciee chez ce peuple, & à attendre d’elle quel-
; que crife fâlutaire;
, L^ans les pbrtiqiies & les académies d’Athènes-; ce
n’etoit que querelles & que divifions, les uns tenant
j pour les Apollodoréens, les autres pour les Théodo-
: reerts ; & l’on ne fauroit croire la haine & l’animofite
qui régnoient dans cès-deux partis;
Uniquement occupés de queftions futiles, ou entièrement
difiïpés pâr les plaifirs , les Athéniens mépri-
foient les Sciences d’érudition, joignant une igno-
îance volontaire a la prefomption qui leur étoit naturelle.
Ils rie connoiffoient rien du refte du monde,’
& traitoient de fables les négociations Phéniciennes,1
Jofephe ne cite que des traits d é leur igriorance & de
leur Vanité. Un de leurs compatriotes plein d’un juf-
te mépris pour tant de fuffifence, leur difoit : » ô
» Athéniens; vous n’êtes que des enfans; vous vi-
» vez comme des enfans ;. vous parlez comme des
» enfans.';
; Superficiels,& hors d’état de raifonner fur de grands
fujets^; ils décidoient de la guerre, de la paix, & des
intérêts des Grecs , comme leurs nautodices des litiges
de leurs matelots avec les étrangers. Ils jugebient
des alliances qu’ils dévoient former, Gomme de l’accouplement
de leurs chiens.
Tournant tout leur efprit vers les objets frivoles-
& de pur agrément j il n’e'ft pas étorinant qu’ils en-
tendiffent moins la navigation, le pilotage & l’avri-
; suivre , que les Tyriens & les Phéniciens.' Cette
derniere fcience étoit d’autant plus en vbgue chez les
fondateurs de Carthage, qu’ils habitoient un pays
dont le peu de fertilité naturelle encouragèoit leuff
induftrie , pour faire circuler l’abondance dans tous
lès ordres de l’état, par des rnoiffons qui payoient lé
laboiireur; ayec .îfiire^ & fourniffoient au trafiquant
un fonds inepuifabie (^échanges avec i’etranger. Ils
en faifoient encore un exercice volontaire f un amuJ
(ement u tile, & mêmeunobjet ■ d’étude. Ils étoieni
cultivateurs, comme hommes d’état: & nëgociàfis.
progrès dans la navigation'furent grands' &
rapides, parce qu’ils avaient pour but d’augmenter à
la fois leurs richeffes perf onneiies , & les forcés de
■ leur état, dont le pouvoir fe fondott en bartie fiir'
l’opulence générale, & en partie fur celle de tous lés
fujets;en particulier. ;
M a g o n v u n d e l e u r s i l l i tH r e s c i t o ÿ d d s a v o i f c ëm - - :
gofé f i i r l a c u l t u r e d e s t e r r e s , u n t r a i t é p r o f o n d •’
d o n t l a r é p u t a t i o n s ’ é t e n d i t j i t f q u ’ à R o m e - & D é -
c i ù s S i l a n u s r é u f l î t à l e t r a d u i r e . V o i l à c e p e n d a n t l e s '
h o m m e s q u e l e s p o è t e s ; & d e s o r a t e u r s d ’A t h è n e s •
t r a i t o i e n t d an s , l e u r s c ô n u V i i e s & d a n s l e u r s h a r a n g
u e s , d e b a r b a r e s , q i i i é c o r c h o i e n t l a l a n g u e g r e c - '
q u e .
Les vaifléaux de Carthage Si de Phénicie parcotH
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