
 
        
         
		confeil,  fans chefs ,  fans  finances , fans  vaille aux ,  
 fans foldats,  fans  courage pâliffent  8c  refient  interdits. 
  Démofthene monte  à la tribune, il parle ; aufli-  
 tôt les troupes marchent,  les mers  font  couvertes  
 de  vaift'eaux  ;  Olynthe  ,  Byfance  ,  l’Eubée , Me-  
 gare ,  la  Réotie ,  Rhodes, Chios ,  l’Hellefpont font  
 fecourus,  ou rentrent dans l’ancienne alliance ; Philippe  
 lui-même  tremble  au milieu  de fa  redoutable  
 phalange. 
 La prife  d’Elatée  par  le même  Philippe^ réduifit  
 une  fécondé  fois  les  Athéniens  au défefpoir.  De-  
 mofthene  les  ralfûre  ,  &  fe  charge  de  faire rentrer  
 les Thébains dans la ligue commune. Son éloquence,  
 dit Théopompe ,  foufila dans leur  coeur  comme  un  
 vent  impétueux,  &  y  ralluma l’amour de la liberté  
 avec tant d’ardeur, que tranfportes comme par une  
 efpece  d’enthoufiafme  8c  de  fureur  ,  ils  coururent  
 aux  armes,  &   marchèrent  avec  audace  contre  le  
 commun  tyran de la Grece : crainte ,  reflexion, politique  
 ,  prudence ,   tout  cft  oublié pour ne  plus  fe  
 laifl'er  enflammer que par le feu de  la gloire. 
 Antipater, un des fuccefleurs de Philippe,  comptoir  
 pour rien  les  galeres  d’Athenes  ,  le piree &  les  
 ports. Sans Démofthene,. difoit-il, nous aurions  pris  
 cette ville  avec  plus  de  facilité ,  que  nous ne  nous  
 fommes emparé  de Thèbes 8c de  la  Béotie  ;  lui  feul  
 fait  la  garde  fur  les  remparts  ,  tandis  que  fes citoyens  
 dorment  :  comme  un  rocher  immobile ,  il  
 fe  rit  de nos menaces,  &  repoufle  tous  nos efforts.  
 Il n’a pas tenu  à lui qu’Amphipolis, Olynthe, Pyle,  
 la Phocyde,  la Cherîonefe, la côte  de l’Hellefpont,  
 ne nous paffent.  Plus  redoutable  lui  feul  que toutes  
 les  flottes  de  fa  république  ,  il  eft  aux  Athéniens  
 d’aujourd’hui ce  qu’étoient  aux  anciens Thémifto-  
 cle  8c  Périclès.  S’il  avoit  eu  en  fa difpofition  les  
 troupes, les vaiffeaux,  les finances ,  les occafions ;  
 que  n’auroit  pas  eu  à  craindre  notre  Macédoine,  
 puifque  par  une  feule  harangue  il  fouleve  tout  
 l’univers  contre  nous,  8c fait  fortir des  armées  de  
 terre? 
 Le  roi de Perfe donnoit  ordre  à  fes  fatrapes  de  
 lui prodiguer l’or à pleines  mainsrj^afin de l’engager  
 à fufeiter de nouveaux embarras a Philippe, &  d’arrêter  
 les progrès de cette cour qui  fortie  à  peine de  
 la  poufliere , ofoit déjà menacer fon  trône. Alexandre  
 trouva dans Sardes les réponfes de Démofthene,  
 &  le  bordereau des fommes qu’on  lui  envoyoit régulièrement  
 par diftinélion entre  tous les Grecs. 
 Nous ne  pouvons  trouver une  idée  plus  jufte  ni  
 plus belle de  la  perfection  de  l’éloquence  greque j  
 que la  réplique  de cet orateur au plaidoyer d’Efchine  
 contre Ctéfiphon :  l’antiquité ne  nous fournit point  
 de difeours plus parfait. Cicéron paroît enchanté de  
 l’exorde d’Efchine  ,   8c  Quintilien parle  avec  étonnement  
 de  celui de Démofthene. 
 Quelques fophiftes ont  cependant  trouvé  des  taches  
 effentielles dans  ces. deux harangues ; mais eft-  
 il  à  préfumer  que  deux  orateurs  qui  s’obfervoient  
 mutuellement,  qui  connoiffoient  le  génie  de leurs,  
 compatriotes,  formés tous deux par la nature,  perfectionnés  
 par  l’a r t ,  diftingués  par  leurs  emplois,.  
 confommés par l’expérience,  & de  plus animés  par  
 une inimitié perfonnelle,  ayent dit des chofes nuifi-  
 bles  à  leur  caufe ?  Dans  une  affaire aufli critique ,  
 où  il s’agiffoit de  leur fortune 8c de leur réputation,  
 qui  croira  que  ces  deux  grands  hommes  auroient  
 pofé des principes  faux  ,  fufpeCts  ,  plus dignes  d’un  
 déclamateur qui  ne cherche qu’à-donner des termes,  
 que  d’un  politique  à  qui  il  eft  effentiel  de  ménager  
 i’eftime  de  la  république  8c fa  propre  gloire ?  
 Avouons  plutôt  qu’ils  n’ont  jetté  dans  leurs  difeours  
 que  ce  degré  de  chaleur  qui  lui  convient ;  
 c’eit  la moindre  juftice  qu’on  puiffe  rendre  à  leur  
 mémoire. 
 Il eft vrai qu’ ils fe chargent d’injures atroces, fanis  
 aucun ménagement.  La  politeffe  de  nos  moeurs  &   
 les lumières de  notre  foi condamnent  ces  maniérés  
 féroces &   barbares  ;  mais  plaçons-nous  dans  le  
 même point de vûe 8c dans la même fituation ,■  nous  
 en  jugerons  différemment.  Ce ftyle  étoit  ordinaire  
 au barreau d’Athènes, 8c paffa même aux Romains ;  
 il  eft  familier  à  Cicéron ,  ce modèle  accompli  de  
 l’urbanité  romaine  ,  cet orateur  fi  exaCt  à  obferver  
 les bienféances de fon art 8c de fa nation:  je ne vois  *  
 pas qu’aucun  ancien ait  repris  en  lui fes  inveCtives  
 atroces  contre Marc Antoine.  En  généipl un  républicain  
 fe donne plus de liberté, 8c parle avec moins  
 de ménagement qu’un courtifan de la monarchie.  . 
 Les envieux \& les rhéteurs  font  encore  d’autres  
 reproches  à Démofthene ,   mais qui  ne font  que de  
 légers  défauts,  8c  qui  n’ont  jamais  pu  nuire  à  fa  
 réputation  ;  je  m’arrêterois plus  volontiers  au parallèle  
 que  les  anciens  8c  les  modernes  ont  fait  
 d’Efchine &  de lui  ; mais je dirai  feulement que Démofthene  
 ne  pouvoit  avoir  un  plus  digne  rivàl  
 qu’Efchine  ,  ni  Efchine  un  plus  digne  vainqueur  
 que Démofthene. Si l’un  tient le premier rang  entre  
 les orateurs grecs,   l’autre  tient  fans  contredit  le  fécond. 
   Trois  des  harangues  d’Efchine  furent  nommés  
 les  trois  grâces  ,  8c  neuf de  fes lettres méritèrent  
 le furnom des  neuf mufes.  Il  nous  en  eft  refté  
 quelques-unes  qui  font  fort  fupérieures à  celles  de  
 fon  rival.  Démofthene  harangue  dans  fes  lettres,  
 Efchine parle ,  converfe dans les  fiennes; 
 Ayant fuccombé  dans fon accufation contre Ctéfiphon  
 ,  il  paya  d’un  exil  involontaire  une  accufation  
 témérairement  intentée.  Il  alla  s’établir  à  
 Rhodes, &  ouvrit dans  cette île une nouvelle école  
 d’éloquence, dont  la gloire  fe  foutint  pendant  plu-  
 fieurs  fiecles.  Il commença fes  leçons  par  lire à fes  
 auditeurs  les  deux harangues  qui avoient  caufé fon  
 banniffement  :  tout  le  monde- lui donna  de  grands  
 éloges jamais quand il  vint  à  lire celles  de Démofthene  
 ,  les battemens  de  mains 8c les  acclamations  
 redoublèrent.  Ce fut alors qu’il  dit  ce  mot  fi  loua-  
 •  ble dans  la bouche d’un ennemi 8c d’un rival : « Eh î  
 » que  feroit-ce  donc, meilleurs ,   fi vous l’aviez en-«  
 »  tendu lui-même » 1 
 Il ne  faut  pas taire  ici  que  le  vainqueur ufa  noblement  
 de  la vi&oire ;  car  au moment qu’Efchine  
 fortit  d’Athènes pour aller  à Rhodes,  Démofthene  
 la  bourfe  à  la  main  courut  après  lu i,  &   l’obligea  
 d’accepter  une  offre  inefpérée,   8c une confolation  
 lolide  ;  fur quoi Efchine s’écria : « Comment ne re-  
 » gretterai-je pas  une patrie où je  laiffe  un  ennemi  
 » fi  généreux  ,  que  je  defefpere  de  rencontrer ail-  
 »  leurs  des  amis qui  lui  reflemblent » ? Il arriva cependant  
 que  les Afiatiques  étonnés  plaignirent  fes  
 difgraces ,  adoucirent  les malheurs  ,  8c  rendirent  
 juftice à fes talens. 
 Pour ce qui regarde Démofthene, les Athéniens ,  
 après  fa mort qui fut celle d’un héros ,  lui  firent ériger  
 une  ftatue  de  bronze  ,  8c ordonnèrent  par  un  
 decret  que  d’âge  en  âge  l’aîné  de  fa  famille  feroit  
 l  nourri  dans  le  prytanée.  Au  bas  de  fa  ftatue  étoit  
 gravée cette  infcription  :  « Démofthene, fi la force  
 » avoit  égalé  en  toi  le  génie  &   l’éloquence  ,  ja-  
 » mais Mars  le macédonien  n’auroit triomphé de la  
 » Grece ».  Antipater prononça en quelque forte fon  
 '  éloge funebre en  deux  mots.  Lorfqu’on lui raconta  
 !'  la maniéré généreufe dont il quitta  la v ie , pour s’arracher  
 aux  fers  des  fuccefleurs d’Alexandre  ,  il  dit  
 que  ce  grand  homme  avoit  quitté  la  vie  pour  fe  
 hâter  d’habiter dans les îles  des  bienheureux  parmi  
 •;  les héros ,  ou pour marcher au  ciel  à   la  fuite  de Ju-  
 1  piteur ,  proteâeur de la  liberté. 
 Perfonne  n’ignore  le  cas  infini  qu’Hermogene»  
 Photius,  Longin, Quintilien, Denis d’Halicarnaffe , 
 8c Cicéron  ont  fait  de  ce  grand  homme.  "Wolfîtis  
 à traduit en  latin  les harangues  qui  nous reftent  de  
 lu i; M. de Tourreil  en  a donné une traduûionfran-  
 çoife-,  avec  une  préface  qui  pafle  pour  un  chef-  
 d’oeuvre. 
 Je ne parlerai  pas  ici  de Dinarque,  dèDemade,  
 8c  autres qui ont paru  avec réputation  ,  parce  que  
 ceux-ci  ne  nous  ont  Iaifle  aucun  écrit  ;  ceux - là  
 n’ont  inventé  aucun  genre de  ftyle  particulier,  &  
 n’en  ont  perfectionné  aucun.  D ’ailleurs  je  ne  me  
 fuis  propofé  ici  que  de  crayonner  quelques  traits  
 des principaux  orateurs grecs ,  pour  pouvoir  tracer  
 en  paflant  la  fuite  des  progrès  ,  8c  finalement  la  
 chute de  l’éloquence dans ce beau pays du monde. 
 Tr o is iem e  a g e .La perte de plufieurs grands hommes  
 qui  fe  détruifirent  refpeétivement par  les intrigues  
 des princes de Macédoine, entraîna  la perte de  
 l ’éloquence avec la ruine  de  la république. Des orateurs  
 d’efprit 8c de mérite occupèrent  encore le barreau  
 avec éclat ; mais ce n’étoit plus ni le même génie  
 ,  ni  la même  liberté  ,   ni  la même grandeur :  ils  
 impoferent quelque tems à  la multitude, &  parurent  
 avoir  remplacé  les  Efchines  8c  les  Démofthenes ;  
 mais  les  connoiffeurs s ’apperçurent bientôt du  faux  
 brillant  qu’ils  introduifoient,  8c  du  terrible déchet  
 dont l’éloquence antique  étoit menacée.  Au lieu de  
 cette éloquence noble 8c philofopnique des anciens,  
 on vit  s’infinuer peu-à-peu  ,  depuis  la  mort  d’Alexandre  
 ,  une  éloquence  infoiente  ,  fans  retenue,  
 fans philofophie  ,  fans  fageffe ,  q u i, détruifant juf-  
 qu’aux moindres trophées de la première , s’empara  
 de toute la  Grece  :  fortie  des  contrées  délicieufes  
 de I’Afie, elle travaillafourdement à fupplanter l’ancienne  
 ,  8c y  réuflit en faifant  illufion ,  8c trompant  
 l’imagination par des  couleurs empruntées.  Au lieu  
 de  ce  vêtement majeftueux  , mais modefte, qui or-  
 noit l’ancienne  éloquence  ,  elle  prit  une robe toute  
 brillante &  bigarrée  de diverfes  couleurs, peucon-  
 venable à la poufliere  du  barreau.  Ce  ne  fut  plus  
 que  jeux  d’efprit,  que pointes,  qu’antithèfeS,  que  
 figures,  que métaphores, que  termes lonores , mais  
 Vuides de fens. 
 Dèmétrius de Pbalere , grand homme d’é ta t, aufli  
 verfé dans les  lettres  8c  la  philofophie que  dans’ la  
 politique ,  donna  la  première  atteinte  au goût fo-  
 lide qu’il  avoit puifé  dans  l’école  de Démofthene,  
 dont  il  fe  faifoit  honneur  d’avoir  été  l’éleve.  Cet  
 •orateur,  foit par aftèélation,  foit par choix,  foit par  
 néceflité  ,  s’appliquoit plutôt à  plaire  au  peuple 8c  
 à  l’amufer, qu’à l’abattre 8c qu’à  exciter  en  lui une  
 vive impreflion ,  comme  faifoit  Périclès ,  pour  aiguillonner  
 en quelque  forte  fon coura'ge ;  8c le tirer  
 de fa  létargie.  Ecrivain  {¥>li, il s’étudioit à charmer  
 les  efprits, 8c non à les enflammer ;  à  faire illufion,  
 &   non à convaincre.  C ’eft plutôt  un  athlete  de  parade, 
   formé  pour figurer dans les jeux Sc  les fpeéta-  
 c le s , qu’un guerrier  terrible qui s’élance de  fa tente  
 pour frapper l’ennemi.  Son ftyle rempli de douceur  
 &  d’agrément, mais dénué de force  8c de  vigueur,  
 avec tout fon brillant 8c fon éclat, ne s’élevoit point  
 au-deflus  du  médiocre  :  c’étoient  des  grâces  légères  
 8c fuperficielies ,  qui  difparoifîoient à la vûe de  
 l’eloquence  fubiime 8c magnifique  de Démofthene.  
 On  le  fait  aufli  auteur  de  la  déclamation  ,  genre  
 d’exercice  plus convenable  à un  fophifte  qui  cherche  
 à faire  parade  d’efprit  à  l’ombre  de  l’école ,-  
 qu’à un homme  fenfé ,  nourri  8c formé  dans  les affaires. 
 Cette  nouveauté  fut  d’un  exemple  pernicieux,  
 car ce  ftyle  devint à la mode. Les fophiftes quifuc-  
 cederent à Démétrius  ,  raffinèrent  encore  cette invention  
 ,  8c  ne s’occupèrent  plus  qü’à  fubtilifer,  
 qu à terminer leurs périodes  par des  jeux  de mots,  
 des antithèfes,  des pointes d’elprit,  des métaphores 
 outrées, des fubtilités puériles  ; mais dévoilons plus  
 particulièrement  les  caufés  de  la  chùte  de  l ’éloquence. 
   . 
 i°.  Là  perte de  la  liberté  dans Athènes fut  ce Hé  
 de l’éloquence.  Un homme né dans  l’elclavâge , dit  
 Longin ,  eft capable  des autres  feiences  ,  mais il  ne  
 peut jamais devenir orateur ; car  un  efprit  abattu  6c  
 comme  dompté  par  laiervitude n’a  pas  le  courage  
 de s’élever  à quelque  chofe de grand :  tout  ce  aifil  
 pourroit  avoir de^vigueur,  s’évapore de  lui-même,  
 &   il  demeure  toujours  comme  enchaîné  dans  une  
 prifon.  La  fervitude  la  plus légitime  eft une  efpece  
 de  prifon ,  où  l’ame décroît  8t  fe  rapeuffe  en quelque  
 forte  ;  au  lieu  que  la  liberté  éleve  l’ame  deS  
 grands hommes,  anime, excite puiflamment en eux  
 l’émulation  ,  &c  entretient  cette  noble  ardeur  qui  
 les  encourage  à s’élever au defliis  des  autres  ;  joignez 
 y  les  motifs  intéreffans, dont  les  républiques  
 piquent  leurs orateurs.  Par eux  leur efprit  achevé de  
 fe polir  fe  prête  à. leur  faire  cultiver  avec une  
 merveilleufe  facilité  les  talens qu’ils  ont  reçus de la  
 nature ,  fans les écarter un moment de ce goût de  là  
 liberté qui fe  fait fentir dans  leurs  difeours ,  &  juf-  
 que dans leurs moindres  aftions. 
 2?.  A  cet  amour  defintéreffé  de  la  liberté  dans  
 lès républicains fuccéda fous  une domination  étrangère  
 un defir paflibnné des richeffes  :  on  oublia  tout  
 fentiment de gloire &  d’honneur., pour mandier fer-  
 vilement  les  faveurs des  nouveaux maîtres, &  ramper  
 à leurs piés.  O r , dit Longin,  comme  il  eft  im-  
 poflible  qu’un  juge  corrompu  juge  fans  paflion  &C  
 fainement de tout ce  qui  eft  jufte 8t honnête , parce  
 qu’un efprit qui  s’eft  Iaifle gagner  aux  préfens  ,  ne  
 connoît de jufte &  d’ honnête que  ce qui lui eft utile :  
 comment pourrions-nolis trouver de grandes aélions  
 dignes de  la  poftérité  dans ce  malheureux  fiecle  où  
 nous  ne  nous  occupons qu’à  trômper  celui-ci pour  
 nous approprier fa fucceflion, qu’à tendre des piégés  
 à cet autre  ,  pour  nous  faire  écrire  dans  fon tella-  
 ment,  &  qu’à  faire  urt trafic infâme  de  tout  ce qui  
 peut nous  apporter  du gain  ? 
 30.  La corruption des moeurs engloutit,  pour ain-  
 fi dire,  tous les talens.  Les efprits comme abâtardis  
 par  le  luxe ,   fie  jetterent  dans un  défordre  affreux.  
 Si  on  donnoit  quelque  tems  à  l’étude  ,  ce  n’étoit  
 que par pur amufement  ou pour faire une vaine  parade  
 de  fa  fcience ,  8c  non  par  une  noble  émulation  
 ,  ni pour  tirer quelque  profit louable &c lolide^  
 Les Grecs, fous  l’empiré des étrangers, furent comme  
 une  nouvelle nation vendue  à  la molleffe &   à la  
 volupté.  Vils inftrumens  des pallions  de leurs maîtres  
 ,  ils trafiquèrent honteufement leurs vrais intérêts  
 &  leur  réputation,  pour goûter  les fades  douceurs  
 d’un  lâche repos :  nulle émulation  ,  nul  defir  
 de  la  vraie  gloire ,  tout étoit facritié  au plaifir.  Or-  
 dès  qu’un homme oublie le foin de la vertu ,  il n’eft  
 plus  capable  que  d’admirer  les  chofes  frivoles ;  il  
 ne  fauroit  plus  lever  les  yeux  pour  regarder  au-  
 deflus  de  foi  ,  ou  rien  dire  qui  pafle  le  commun  ;  
 tout  ce  qu’il  a  de  noble  &   de  grand  fe  fanne ,  fè  
 féche i   &  h’attire  plus que le  mépris. 
 40.  La mauvaife  éducation  fuivit dé  près  la  fervitude  
 &   le  luxe.  Les  études  furent négligées  8£  
 altérées  ,  parce  qu’elles  ne  conduifoient  plus  aux  
 premières portes  de  l’état.  On  vouloit qu’un  précepteur  
 coûtât  moins  qu’un  efclave  ;  on  fait  à  ce  
 fiujet  le  beau  mot  d’un  philofophe  :  comme il  de-*  
 mandoit mille drachmes pour inftruire un jeune homme  
 ;  c’eft trop,  répondit le  pere  ,  il n’en  coûte pas  
 plus  pour  acheter  un efclave.  Hé  bien  ,   à ce prix:  
 vous  en  aurez  deux  ,  reprit  le  philofophe  ,   votré  
 fils &  celui que vous achèterez. 
 Les  rhéteurs  avec  un  manteau  de  pourpre  des  
 mieux travaillés, avec des chauffures attiques, coin