produit, l’autre juge: l’un fait l’orateur, l’autre ce
qu’on nomme le rhéteur.
Toutes ces queftions , dans lefquelles la perfua-
lion peut avoir lieu , font du reffort de l’éloquence.
On les réduit ordinairement à trois genres , dont le
premier eft le genre démonftratif ; le fécond, le
genre délibératif ; le troilieme, le genre judiciaire.
Le premier a pour objet fur-tout le préfent; le fécond,
l’avenir; le troilieme, le paffé. Dans le' de-
monftratif, on blâme, on loue. Dans le délibérat
i f , on engage à agir, ou à ne pas agir. Dans le judiciaire,
on accule, on défend.
Le genre démonftratif renferme donc les panégyriques
, les oraifons funèbres , les difcours académiques
, les complimens faits aux rois 6c aux princes,
&c. Il s’agit dans ces occafions de recueillir tout ce
qui peut faire honneur 6c plaire à la perfonne qu’on
loue.
Dans le genre démonftratif, on préconife la vertu
; on la confeille dans le genre délibératif, & on
montre les raifons pour Ielquelles on doit l’embraf-
fer. Ilne s’agit pas dans le genre délibératif d’étaler
des grâces, de chatouiller l’oreille , de flatter l’imagination
; c’eft une éloquence de fervice , qui rejette
tout ce qui a plus d’éclat que de folidité. Qu’on
entende Démofthene , lorfqu’il donne fon avis au
peuple d’Athènes,délibérant s’il déclarera la guerre
à Philippe : cet orateur eft riche, il eft pompeux ;
mais il ne l’eft que par la force de fon bon fens.
Dans le genre judiciaire, l’orateur fixe l’état de
la queftion ; il a pour objet ou le fa it, ou le droit,
ou le nom; car , dans ce genre, il s’agit toujours
d’un tort ou r é e l, ou prétendu réel.
Mais ces trois genres ne font pas tellement fépa-
rés les uns des autres, qu’ils ne le réunifient jamais.
Le contraire arrive dans prefque toutes les oraifons.
Que font la plûpart des éloges 6c des panégyriques,
linon des exhortations à la vertu ? On loue les faints
& les héros pour échauffer notre coeur, 6c ranimer
notre foiblefle. On délibéré fur le choix d’un général:
l’éloge de Pompée déterminera les fuffrages en
fa faveur. On prouve qu’il faut mettre Archias au
nombre des citoyens romains , pourquoi ? Parce
qu’il a un génie qui fera honneur à l’empire. Il faut
déclarer la guerre à Philipe , pourquoi encore ?
Parce que c’eft un voifin dangereux, dont les forces
, fi on ne les arrête , deviendront funeftes à la liberté
commune des Grecs. Il n’y a pas jufqu’au
genre judiciaire, qui ne rentre en quelque forte dans
le délibératif, puilque les juges font entre la négative
& l’affirmative , &que les plaidoyers des Avocats
ne font que pour fixer leur incertitude, & les
attacher au parti le plus jufte. En un mot, l’honnêteté
, l’utilité , l’équité , qui font les trois objets de
ces trois genres, rentrent dans le même point, puif-
que tout ce qui eft vraiment utile eft jufte 6c honnête
, 6c réciproquement ; ce n’eft pas fans raifon
que quelques rhéteurs modernes ont pris la liberté
de regarder comme peu fondée cette divifion célébré
dans la Rhétorique des anciens. (D. ƒ.)
Oraison funebre , (Artorat. des anciens.) difcours
oratoire en l’honneur d’un mort. Ces fortes
de difcours femblent n’avoir commencé en Grece
qu’après la bataille de Marathon , qui précéda de
feize ans la mort de Brutus. Dans Homere on cé- ,
lebre des jeux aux obfeques de Patrocle , comme
Hercule avoit fait auparavant aux funérailles de Pé*
lops ; mais nul orateur ne prononce fon éloge fune- ;
bre.
Les Poètes tragiques d’Athènes fuppofoient , il .
eft v r a i , que Théfée ayoit fait un difcours aux fu- '
nérailles des enfans d’OEdipe ; mais c’eft une pure
flatterie pour la ville d’Athènes. Enfin , quoique le
rhéteur Ànaximènes attribue à Solon l’invention des
oraifons funèbres, il n’en apporte aucune preuve;
Thucydide eft le premier qui nous parle des oraifons
funèbres des Grecs. Il raconte dans fon fécond livre
que les Athéniens firent des obsèques publiques à
ceux qui avoient été tués au commencement de la
guerre du Péloponnèfe. Il détaille enfuite cette fo-
lemnité,& dit qu’après que les ofîemens furent couverts
de terre , le perfonnage le plus illuftre de la
ville tant en éloquence qu’en dignité, pafla du fé-
pulcre fur la tribune, 6c fit Y oraifon funebre des citoyens
qui étoient morts à la guerre de Samos. Le
perfonnage illuftre qui fit cet éloge eft Périclès fi
célébré par fes taiens dans les trois genres d’éloquence
, le délibératif, le judiciaire , ÔC le démonftratif.
Dans ce dernier genre , l’Orateur pouvoit fané
crainte étaler toutes les fleurs 6c toutes les richef-
fes de la poëfie. Il s’agifloit de louer les Athéniens
en général fur les qualités qui les diftinguoient des
autres peuples de la. Grece ; de célébrer la vertu &
le courage de ceux qui étoient morts pour le fervice
de la patrie ; d’élever leurs exploits au-deflus de ce
que leurs ancêtres avoient fait de plus glorieux;
de les propofer pour exemple aux vivans ; d’inviter
leurs enfans & leurs freres à fe rendre dignes
d’eux , 6c de mettre en ul'age pour la confola-
tion des peres 6c des meres, les raifons les plus capables
de diminuer le fentiment de leurs pertes. Platon,
qui nous préfente l’image d’un difcours parfait
dans le genre dont il s’ag it, l’avoit vraiffemblable-
ment formé fur l’éloge funèbre que Périclès prononça
dans cette pccafion.
Il plut tellement, qu’on choifit dans la fuite les plus
habiles orateurs pour ces fortes A'oraifons-, on leur ac-
cordoit tout le tems de préparer leurs difcours , 6c
ils n’oublioient rien pour répondre à ce qu’on atten-«
doit de leurs taiens. Le beau choix des expreflions ,
la variété des tours & des figures , la brillante harmonie
des phrafes faifoient fur l’ame des auditeurs
une imprefîion de joie 6c de furprife , qui tenoit de
l’enchantement. Chaque citoyen s’appliquoit en particulier
les louanges qu’on donnoit à tous le corps
des citoyens ; 6c fe croyant tout-à-coup transformé
en un autre homme , il le paroiffoit à lui-même plus
grand, plus refpeftable, 6c jouifloit du plaifir flatteur
de s’imaginer que les étrangers quhafliftoient à
la cérémonie, avoient pour lui les mêmes fentimens
de refpeft 6c d’admiration. L’impreflion duroit quelques
jours, 6c il ne fe détachoit qu’avec peine de
cette aimable illufion, qui l’a voit comme tranfporté
en quelque forte dans les îles fortunées. .Telle étoit,
félon Socrate, l’habileté des orateurs chargés de ces
éloges funèbres. C ’eft ainfi qu’à la" faveur de l’éloquence
leurs difcours pénétroient jufqu’au fond de
Pâme, & y caufoient ces admirables tranfports.
Le premier qui haranga à Rome aux funérailles
des citoyens,fut Valerius Publicola. Polybe raconte
qu’après la mort de Junius Brutus fon collègue, qui
avoit été tué. le jour précédent à la. bataille contre
les Etrufques ; il fit apporter fon corps dans la place
publique,, 6c monta fur la tribune, oh il expofa les
belles avions de fa vie..Le peuple touché , attendri,
comprit alors de quelle utilité il peut être à la république
deréqpmpenfer le mérite, en le peignant avec
tous les traits de l'éloquence. Il ordonna fur le
champ , que le même ufage feroit perpétuellement
obfervé à la mort- des grands hommes qui auroient
rendu des fervices impôrtans à l’état.
Cette ordonnance fut exécutée, & Quintus Fabius
Maximus fit Yoraifon funebre de Scipion. Souvent
les enfans s’acquictoient de ce devoir, ou bien
le fénat choififloit un orateur pour compofer l’éloge
du mort. Augiifte à l’âge de douze ans récita pu-
•bliquemenç l’éloge de fon ayeul, & prononça celui
de GermanicuS fon neveu , étant empereur. Tibere
fuivit le même exemple pour fon fils, & Néron à
l’égard de l’empereur Claude fon prédécefleur.
Sur la fin de la république, l’ufage s’établit chez
les Romains de faire Yoraifon funebre des femmes
illuftres qui mouroient dans un âge un peu avancé.
La première dame romaine qui reçut cet honneur
fut Popilla, dont Crafliis fon fils prononça Yoraifon
funebre. Céfar étant quefteur fut le premier qui fit
celle de fa première femme morte jeune. Cicéron
écrivit aufîi l’éloge de Porcia, foeur de Caton , mais
il ne le prononça pas.
Il réfuke de ce détail que l’invention des oraifons
funèbres parqît appartenir aux Romains ; ils ont du
moins cet avantage d’en avoir étendu la gloire avec
plusde juftice 6c d’équité que les Grecs. Dans Athènes
on ne iouoit qu’une forte de mérite , la valeur
militaire ; à Rome toutes fortes de vertus étoient
honorées dans cet éloge public ; les politiques comme
les guerriers, les hommes comme les femmes,
avoient droit d’y prétendre ; 6c les empereurs eux-
mêmes ne dédaignèrent point de monter fur la tribune
, pour y prononcer des oraifdns funehresi
Après c e la , qui ne croiroit que cette partie de Part
oratoire n’ait étépouflee à Rome jufqu’à fa perfection
? cependant il y a toute apparence qu’elle y fut
très-négligée ; les Rhéteurs latins n’ont laide aucun
traité fur cette matière , ou n’en ont écrit que très-
iuperficiellement. Cicéron en parle comme à regret,
parce que, dit-il, les oraifons funèbres ne font point
partie de l’éloquence : Noflroe Laudationes feribuntur
ad funebrern concionem , q u iz ad or adonis laudem mini-
me accqmmodata eft. Les Grecs au contraire aimoient
paflionnément à s’exercer en ce genre ; leurs favans
écrivoient continuellement les o/aijons funèbres de
Thémiftocle , d’Ariftide , d’Agéfilas , d’Epaminon-
das, de Philippe, d’Alexandre, 6c d’autres grands
hommes. Epris de la gloire du bel efprit, ih> laillbient
au vulgaire les affaires & les procès ; au lieu que
les Romains , toujours attachés aux anciennes
moeurs, ignoroient ou mépnfoient ces fortes d’e-
crits d’appareil. (Le chevalier d e Ja u c o u ht .)
O r a i s o n FUNEBRE, (Hijl. de TEloq. en France. )
difcours prononcé ou imprimé à l’honneur funebre
d’un prince , d’une princeffe, ou d’une perlonne
éminente par la naiffance, le rang ou la dignité dont
elle jouifloit pendant fa vie.
On croit que le fameux Bertrand du Guefclin,
mort en 1380 , 6c enterré à S. Denis à côté de nos
ro is , eft le premier dont on ait fait Yoraifon funebre
d.ms ce royaume ; mais cette oraifon n’a point paflé
juiqu’à nous ; ce n’eft proprement qu’à la renaiffan-
ce des lettres qu’on commença d’appliquer l’art oratoire
à la louange des morts, illuftres par leur naiffance
ou par leurs attions. Muret prononça à Rome
en latin Yoraifon funebre de Charles IX. Enfin , fous
le fiecle de Louis XIV. on vit les François exceller
en ce genre dans leur propre langue ; & M. Bofluet
remporta la palme fur tous fes concurrens. C ’eft
dans ces fortes de difcours que doit fe déployer l’art
de la parole ; les actions éclatantes ne doivent s’y
trouver louees, que quand elles ont des motifs vertueux
; 6c la gravité de l’évangile n’y doit rien perdre
de fes privilèges. Toutes ces conditions fe trouvent
remplies dans les oraifons de l’évêque de Meaux.
II s appliqua de bonne heure , dit M. de Voltaire,
à ce genre d’éloquence qui demande de l’imagina*
tion , & une grandeur majeftueufe qui tient un peu
a la poefie, dont il faut toujours emprunter quel-
que chofe, quoiqu’avec diferétion, quand on tend
au fublime. Voraifon funebre de la reine-mere' qu’il
prononça en «667, lui valut l’évêché de Condom;
mais ce difcours n’étoit pas encore digne de lu i, &
jl ne fut pas imprimé. L’éloge funebre de la reine
Tome XL%
- ,1 » ( ---------- V“ -» U IlljCUUC
ces pièces d éloquence font heureux , à proportion
des malheurs que les morts ont éprouvés. C ’eft en
quelque façon, comme dans les tragédies oh le s
grandes infortunes des différons perfonnages font
ce qui mtereffe davantage.
L éloge funebre de Madame, enlevée à la fleur
de on âge, & morte entre fes bras, eut le plus grand
& le plus rare des fuccès , celui de faire verfer des
larmes à la cour. Il fut obligé de s’arrêter après ces
paroles. « O nuit défaftreufe , nuit effroyable ! oh
» retentit tout-à-coup comme un éclat de tonnerre
» cette donnante nouvelle, Madame fe meurt Ma-
» dame eft morte .d e . L’auditoire éclata en fan-
glots, & ’la voix de l’orateur fut interrompue par fes
foupirs 6c par fes l'armes.
M. Bofluet naquit à Difôn en i 6 i ? , & mourut
à Bans en 1704. Ses omifom funèbres font celles de
la rente-mere, en 1667; de la reine d’Angleterre
en 1669:; de Madame, en 1670; de la reine, en
1684; de la princeffe palatine , en 168.5 ; de M. le
Tellier, en 1686 ; & de Lfcmis de Bourbon prince de
Condé, en i68y,
Fléchier ( Efprit ) , né en 1632, au comtat d’Avignon,
évêque de Lavaur, 6c puis de Nifmcs, mort
en 17 10 , eft fur-tout connu par fes belles oraifons
funèbres. Les principales font celles de la duchefle
de Montaufier, en 1672 ; de M. de Turenne , en
1679 » du Premier préfident de Lamoignon , en
1679 i de reine , en 1683 ; de M. le Tellier, en
1686 ; de madame la dauphine, en 1690 ; & du duc
de Montaufier dans la même année.
t Mafcaron (Jules) ne à Marfeille, mort en 1734;
evêque d’Agen en 1703. Ses oraifons funèbres fontcelle
d Anne d Autriche , reine de France, prononcée en
j666 ; celle d’Henriette d’Angleterre, ducheffe d’Orléans
; celle du duc de Beaufort ; celle du chancelier
Séguier ; 6c celle de M. de Turenne. Les oraifons
funèbres que nous venons de citer, balancèrent
d ’abord celles de Bofluet; [mais aujourd’hui elles ne
fervent qu’à faire voir combien Bofluet étoit un
grand homme.
Depuis cinquante ans, il ne s’eft point élevé d’orateurs
à côté de ces grands maîtres, & ceux qui
viendront dans la fuite, trouveront la carfiere remplie.
Les tableaux des miferes humaines, de la vanité,
de la grandeur, des ravages de la mort, ont
ete faits par tant de mains habiles, qu’on eft réduit
à les copier, ou à s’égarer. Aufli les oraifons funèbres
de nos jours ne lont que d’ennuyeufes déclamations
de fophiftes , & ce qui eft pis encore , de
bas éloges, oh l’on n’a point de honte de trahir indignement
la vérité. Hiß. univ. de M. de Voltaire .
tom.VIL (D .J .)
O ra ison mentale ,(Théol, myfl.) onia définit
celle qui fe forme dans le coeur, & qui y demeure.
Quoiqu’on ait extrêmement relevé Yoraifon mentale
, qui eft en effet l’ame de la religion chrétienne,
puifque c’eft l’exercice aôuel de l ’adoration en efprit
& en vérité prefcriteparJefus-Chrift,il ne faut
pas néanmoins déguifer que cette oraifon même a
lervi de prétextes à plufieurs abus. Cette dévotion
oifive pendant des heures entières, à genoux 6c les
bras croifés, a été très-ordinaire depuis environ
cinq cens ans, particulièrement chez les femmes naturellement
parefleufes 6c d’une imagination fort
vive. D e-là vient que les vies des faintes de ces derniers
fiecles , fainte Brigitte , fainte Catherine de
Sienne, la bienheureufe Angelede Foligny, ne cou-
tiennent prefque que leurs penfées & leurs difcours
fans aucun fàit^ remarquable & fans aucune bonne
oeuvre. Leurs directeurs, prévenus en faveur dételles
pénitentes dont ils connoifloient la vertu, prirent
A A a a