
Médecins qui Font fuivi, eu lient marché fur fés traces
? Si chacun fe rut appliqué à obfcrver & à nous
tranlmettre' fes obfervaùons avec la fimplicité de là
candeur d’Hippocrate, quelle immenfe côlleûion
de fairs n’aurions-nous pas aujourd’hui ? Quelles
richefles pour le médecin ? Quel avantage pour l’humanité
? Mais , avouons-le, la Médecine d’aujourd’
hui , & encore plus la Médecine du fiecle pafle, eft
bien éloignée, malgré les découvertes anatomiques,
l’augmentation de la matière médicale, les lumières
de fa Phyfique', de la perfection que lui a donné un
feul homme. La raifon en eft bien évidente : c’eft
qu:’au lieu d:’oblerv e r , on a r:aifonné, on a préféré
le titre b rj 1liant ci<ï thcoricie:n , au mét:ier pénibk:
& obfcur d’obl èrvateur ; les erreurs cie la Phyfique
ont de tout tems inïedîé: la Médecin e ; la théoù
z o-manie a gagné;, plus on s'y eft liv ré , & moins
on a cultivé Yobferv.aùon; les lhéories vicieïufesdans
1erir principe2, l’onit été encore plus dans 1;eurs conféeïuences
, Afclépilade médecin hardi & préfomptm:
u x, blârna publiquement Yobfervation qu’avoit
fuivi H ippocrate, & il eut des feétateurs. Il fe forma
auffi dans le même tems une nouvelle feéte d’empiriques
par fyftème ; mais l’infuffifanee de leur méthode
les fit bien-tôt difparoître ; long-tems après
parut le fameux commentateur d’Hippocrate , Galien
qui a beaucoup obfervé, mais trop raifonné ,
il a monté la Médecine fur le ton de la Philofophie;
les Grecs l’ont fuivi dans ce défaut, & ont négligé
Yobfervation ; ils ont donné dans les hypothèfes, &
ont été imités en cela par les Arabes, qui ont pref-
que entièrement défiguré la Médecine. Nous n’avons
d’eux que quelques obfervaùons de Chirurgie,
& une defeription très-exa&e de la petite vérole
qu’on trouve dans Rhafis. La Médecine pafla des
mains des Galéniftes ignorans & fervilement attachés
aux décifions de leur maître, dans celles des
Chimiftes médecins aû ifs, remplis d’imagination
que la vapeur de leurs fourneaux échauffoit encore.
Les principes de leur médecine étoient totalement
oppofés à Yobfervation, à l’étude de la nature ; ils
vouloient toujours agir, & fe vantoient de pofféder
des fpécifiques all urés ; leurs idées étoient très-belles,
très-lpécieufes : qu’il feroit à fouhaiter qu’elles eut-
fent été vraies ? Les Méchaniciens s’emparèrent do
la Médecine , la dépouillèrent de toutes les erreurs
qu’y avoit introduit la chimie, mais ce fut pour en
fubftituer de nouvelles. On perdit totalement de
vue Yobfervation, & on prétendit la fuppléer par des
calculs algébriques, par l’application des Mathématiques
au corps humain. La prétendue découverte
de la circulation éblouit tous les efprits, augmenta
îe délire & la fureur des hypothèfes , & jetta dans
l’efprit des Médecins le goût ftérile des expériences
toujours infruftueufes ; les théories qu’on bâtit fur
ces fondemens devinrent la réglé de la pratique, &
il ne fut plus queftion de Yobfervation. Le renouvellement
des Sciences procura à la Médecine quelques
connoiflances étrangères à la pratique, plus curieu-
fes qu’utiles, plus agréables que nëceffaires. L’Anatomie,
par exemple, & PHiftoire naturelle, devinrent
l’objet des recherches des Médecins, qui furent
par-là détournés de Yobfervation, & la médecine clinique
en fut moins cultivée & plus incertaine, &
nous n’y gagnâmes d’ailleurs que quelques détails
minutieux ablolument inutiles ; la Phyfiologie parut
faire quelques progrès , la connoiflance desmaladies
& la lcience des lignes furent beaucoup plus
négligées ; la Thérapeutique s’enrichit du côté des
remedes , mais elle en fut moins sûre dans les indications
, & moins fimple dans les applications ; dans
les derniers tems le Chirodjme étant devenu dominant
, la médecine a&ive fut mife à la mode, & avec
elle l ’ufage inconfideré des faignées & des purgalions.
V obfervation fut moins fuivie que jamais, &
elle étoit peu néceffaire, parce que ces remedes s’ap-
pliquoient indifféremment dans tous les cas ; ou lï
l’on donnoit quelques obfervaùons, il n’étoit pas difficile
de s’appercevoir qu’on voyoit avec des yeux
préoccupés, & qu’on avoit des intérêts à ménager
en racontant.
Telle a été la Médecine depuis Hippocrate juf-
qu’à nos jours, paffant fans celle d’un feélaire à l’autre
, continuellement altérée 6c. obfcurcie par des
hypothèfes 6c des fyftèmes qui fe luccédoient &C
s’entre-détruifoient réciproquement, avec d’autant
plus de facilité , que le vrai n’étoit d’aucun côté ;
plongée parle défaut tfobfervaüon dans la plus grande
incertitude , quelques médecins obfervateurs eu
petit nombre , ont de tems en tems élevé la voix ;
mais elle étoit étouffée par les cris des Théoriciens ,
ou l’attrait des fyftèmes empêchoit de la fuivre.
Voye[ O b s e r v a t e u r . Le goût de Yobfervation pa-
roît avoir repris depuis quelque tems : les écrits de"
Sydenham , de Baglivi, de Sthal, ont fervi à l’inf-
pirer ; le pouvoir de la nature dans la guérifon des
maladies , rappellé par cet illuftre auteur fous lë
nom impropre d'ame , n’y a pas peu contribué ; cë
fyftème qui n’eft vicieux que parce qu’on veut déterminer
la qualité de la nature &c la confondre avec
Famé, eft très-favorable à la Médecine pratique,
pourvu qu’on ne le poufle pas à l’excès ; il a fait
beaucoup de partifans, qui font tout autant de fetta-
teurs zélés de Yobfervation. L’ efprit philofophique qui
s’introduit heureufement dans la Médecine, qui veut
principalement des faits, cjui porte à tout voir, à
tout examiner, à faifir avec ardeur le vrai & à, l’aimer
par-deffus tout; la quantité prodigieufe d’erreurs
paffées , qui nous en laiffe moins à craindre ,
peut-être aufli les lumières de notre fiecle éclairé,
toutes ces caufes réunies, favorifent le retour de
Yobfervation, 6c fervent à rallumer ce flambeau. La
Médecine paroît être fur le point d’une grande révolution
; les fyftèmes bien apprétiés font réduits à
leur jufte valeur ; plufieurs médecins s’appliquent
comme il faut à Yobfervation ; ils fuivent la nature,
ils ne tarderont pas à faire revivre la Médecine
d’Hippocrate, qui eft la véritable Médecine d'obfer-
vation. Ainfi, après bien des travaux , cette fcience
pourra être avancée & portée au point où elle étoit
il y a deux mille ans. Heureux encore les hommes,
fi les Médecins qui viendront après, continuent de
fuivre cette route, & fi toujours guidés par le fil de
Yobfervation, ils évitent des égaremens fi honteux
pour eux-mêmes, & fi funeftes aux autres.
En parcourant toutes les parties de la Médecine ,
nous verrons qu’elles font toutes formées par Yobfervation,
& qu’elles font d’autant plus certaines 6c
plus claires, que Yobfervation y a plus de part; on
pourroit affurerlamême chofe de toute la Phyfique ;
6c de cet examen naîtront les différentes efpeces
à!obfervaùons qui font du reffort des Médecins. i°.
L’Anatomie rélulte de Yobfervation fimple, de l’arrangement
, de la figure, de la fituation, &c. des parties
qui compofent le corps humain ; Yobfervation des
fondions qui font produites par le mouvement ou
la vie de ces différentes parties bien difpofées, con-
ftitue la partie hiftorique de la Phyfiologie 6c la,fé-
méiotique de la famé, d’où l’on tire plus ou moins
dire&ement la Phyfiologie théorique. L'obfervation
appliquée à l’homme malade, fait connoître les dé-
rangemens qui le trouvent dans les fondions qui
conftituent proprement l’état de maladie, 6c les caufes
éloignées qui les ont fait naître : c’eft la vraie
Pathologie, 6c fes deux branches effentielles I’Ai-
tiologie & la Symptomatologie ; on doit auffi fe rapporter
la leméiotique de la maladie. Vobfervation
de l’effet que produifent fur le corps fain Fair, les
alimens, lefommeil, l’exercice, les pallions, St les
excrétions, en tin mot, les chofes non-naturelles ,
forme l’Hygiene , & fert de fondement & de principe
aux regies diététiques. Vobfervation des chan-
gemens que produifent les remedes fur le corps malade
6c dans la marche des maladies, a établi la
Thérapeutique', ou la fcience des indications, d’où
eft née la matière médicale, Telles font les différentes
fourees d1''obfervaùons qui fe préfentent au médecin
, 6c dans lefquelles il peut 6c doit puifer la vraie
Médecine : nous allons les fuivre chacune en particulier,
mais en peu de mots.
i°. Obfervaùons anatomiques cadavériques. Ces obfervaùons
peuvent fe faire fur des cadavres d’hommes
morts de mort violente dans la fimple vûe
d’acquérir des connoiflances anatomiques , où elles
peuvent avoir lieu fur ceux qui font morts de maladie
, & elles ont alors pour but de découvrir les
caufes de la mort &C les dérangemens intérieurs qui
y ont donné lieu : la première efpece d’'obfervation ,
que nous appellerons Amplement anatomique, peut
aufli fe faire fur les animaux, leur ftruûure interne eft,
à peu de chofe près, femblable à celle de l’homme,
& c’eft par la difle&ion des animaux que Fanatomie
a commencé dans un tems où l’ignorance, la fuperf-
tition 6c le préjugé faifoient regarder comme une
fouillure de toucher aux cadavres humains , 6c em-
pêchoient à plus forte raifon d’y porter le couteau
anatomique pour en connoître l’intérieur ; 6c même
dans notre fiecle que nous croyons devoir appeller
modeftement le plus favant, le plus éclairé & le plus
exempt de préjugés ; fi l’on ne donne pas dans le ridicule
outré de fe croire fouillé par la diffeéfion
d’un cadavre ; on fe fait une peine d’en accorder au
zele louable & aux recherches avantageufes des
Anatomiftes , 6c dans quelques endroits, où l’on accorde
(pour de l’argent) les cadavres des hommes,
on refufe ceux’des femmes, comme fi l’un étoit plus
facré que l’autre pour le médecin , & qu’il ne lui fût
pas aufli utile 6c ncceffaire de connoître la ftrudhire
des femmes que celle des hommes. Hérophile 6c
Erafiftrate paffent pour être les premiers qui ont
ofé fecouer le préjugé en diflëquant non-feulement
des cadavres humains., mais des hommes vivans
criminels, que les princes zélés pour le bien public
&c philofophes leur faifoient remettre. Dès que le
premier pas a été fa it , les médecins qui les ont fuiv
i fe font emprefles de marcher fur leurs traces, 6c
les rois éclairés ont favorifé leurs tentatives par les
permifîïons les plus authentiques 6c les récompen-
les les plus honorables ; de-là les progrès rapides de
l’Anatomie, les découvertes fréquentes qui fe font
faites fuccefîivement. Foyei-en Fhiftoire à l ’article
A n a t o m i e , voÿe^ auffi au même endroit les recueils
d’obfervaùons anatomiques dans les ouvrages
qui y font cités , auxquels on peut ajouter les mémoires
des différentes académies , 6c fur-tout de
l ’académie royale des Sciences, où l’on trouve dans
chaque volume des obfervaùons fingulieres, curieu-
fes 6c intéreffantes , ces mémoires font devenus des
monumens qui atteftent & claffent les découvertes
qui fe font chaque jour. Comme cette fcience, qui
ne demande que de la dextérité dans la main & une
bonne vûe , & qui eft par conféquent du reffort immédiat
6c exclufif de Yobfervation, a été bientôt portée
à une certaine perfedlion, il refte à préfent peu
d’objets d’obfervaùons , peu de chofe à découvrir;
auffi n’ajoute-t-on, à préfent que la fcience eft faite,
que quelques obfervaùons de m'onftres qui ne feront
pas encore épuifées, parce que les écarts de la nature
peuvent variera l’infini, que quelques divifions
futiles, quelques détails minutieux qui ne font d’aucune
utilité; on ne peut même diffimuler que les avantages
de l’Anatomie ne font pas auffi grands qu’on
devoit fe le promettre. Il paroifloit tout naturel de
croire que le corps humain étant une machine, plus
on en connoîtroit les relions , plus il feroit facile
de découvrir les caufes , les lois, le méchanifme de
leurs mouvemens, plus^uffi on feroit éclairé fur la
maniéré d’agir & fur les effets des caufes qui déran-
geoient ces refforts &c troubloient ces mouvemens ,
& qu’enfin ces connoiflances dévoient répandre un
grand jour fur l’art de guérir, c’eft-à-dire de corriger
des altérations fi bien connues ; mais l’éve-
nement n’a pas juftifié un rationnement en apparence
fi jufte & fi conféquent ; toutes les obfervaùons
Si les découvertes anatomiques ne paroiffent
avoir fervi |jufqu’ici qu’à exercer la pénétration,
la dextérité &c la patience des hommes , & à enrichir
la Médecine d’une fcience très-curieufe , très-
fatisfaifante, & un des plus forts argumens , félon
Hoffman, & tous les médecins & philofophes,
de Fexiftence & de l’opération de Dieu. Cette efpece
d’obfervation auroit fans doute été plus utile fi
l’on avoit examiné , comme Hérophile, la ftruéhire
du corps dans l’homme vivant ; l’Anatomie raifon-
née ou Phyfiologique auroit été principalement
éclairée fur l’ufage & la néceffité des différentes
parties. On ne doit point regarder l’exécution de
ce projet comme une aftion barbare & inhumaine ;
il y a tant de gens qui ont mérité par leurs crimes
de finir leur vie fur un échafaud dans les tourmens
les plus cruels, auquel il feroit au-moins très-indifférent
d’être mis entre les mains d’un anatomifte,
qui ne regarderoit pas l’emploi de bourreau qu’il
rempliroit alors comme déshonorant, mais qui ne
le verroit que comme un moyen d’acquérir des lumières
, & d’être utile au public, le crime fait la honte
6* non pas l'échafaud. Le criminel pourroit encore
avoir Fefpérance de furvivre aux obfervaùons qu’on
auroit fait fur lui , & on pourroit proportionner le
danger & la longueur des épreuves à la gravité des
crimes : mais quand même une mort allurée atten-
droit, ce coupable , ou même un autre, fournis au
couteau anatomique , il eft des cas où il e(l expédient
qu'un homme meure pour le public, & Fhumamté bien
entendue , peut adopter cette maxime juaicieufe
d’un auteur moderne , qu'un homme vis-à vis de tous
Us autres n 'ejl rien, & qu'un criminel ejl.moins que rien.
Le feul ufage qu’on pût tirer des obfervaùons anatomiques
, ou de l’Anatomie telle qu’on la cultive
aujourd’hui, ce feroit fans doute d’éclairer pour les
àbfervations cadavériques , j’appelle ainfi celles qui
fe font pour découvrir les caufes de mort fur des
fujets que quelque maladie a mis au tombeau. Nous
femmes encore forcés d’avouer ici qu’on n’a pas
retire beaucoup de lumière fur la connoiflance des
caufes de cette efpece d'obfervation ; la Médecine
clinique n’étoit pas moins avancée lorfqu’il ne fe
fallait point d’ouverture de cadavres du tems d’Hippocrate
qu’elle Feft aujourd’hui ; eft-cè un vice attaché
à la nature dë cen t obfervation y Oû un défaut
dépendant de la maniéré dont on la fait ? Si l’on y
fait attention, on verra que ces deux eiufèS y concourent
, i° il eft bien certain que les chofes ne font
pas dans le même état dans un homme mort de maladie,
que dans un homme mort fubitétïieht, ou encore
v iv an t, les gangrenés qu’on trouve à la fuite
des maladies aiguës inflammatoires font une fuite
ordinaire de la ceffation de la vie dans ces parties,
on en trouve quelquefois des traces dans des parties
où il n’y a point eu d’inflammation';'!les obftruc-
tions, fuppurations que préfentent les cadavres de
ceux qui lont morts de maladie chronique, n’ont fou-
vent eu lieu qu’à la fin de la maladie lorlqu’èlle ten»
doit à fa fin , & qu’elle étoit incurable ; quelles lumières
de pareilles obfervaùons peuvent-elles répandre
fur la connoiflance ôc la guéri ion de ces