que éloquence, qui pendant quarante ans îe rendit
le maître abfolu de fa patrie , & l’arbitre dé la Grèce.
Iln ’alaiffé aucun difcoiirs, mais les poetes comiques
de fon tems rapportent que la déclic; de la
perfuafion, avec toutes fies grâces, refidoit fur tes
ievres ; qu’il foudroyoit, qu’il renvcrfoit, qu U met-
toit en combuftion toute la Grece.
Socrate fans être orateur ni maître de rhétorique,
-continua cette brillante réforme, & foutmt ces hen-
ïeux. comtnencemens. jules-Çéfar dans.lé traite
qu’il compofa pour répondre à l ’éloge hiftonque que
Cicéron avoir fait de Caton d’Utique, comparent
le difeours & la vie de ce romain à la conduite de
Sériclès, & au difeours de Thérafflene par Socrate |
■ éloge accompli dans la bouche d’un fi grand homme,
qui, dit Plutarque, auroit efface Cicéron mê-
-me, fi le barreau avoit pu être un theatre allez
vafte pour fon ambition. . ....
Lyfias brilla dans le genre fimple & tranquille ; il
-effaça par un ftyle élégant & précis tous fes devan-.
tiers,ôdaiffa peu d’imitateurs. Athènes s applaudit de
fa dittion pure & délicate, & toute la Grece lui adjugea
plus d’une fois le prix d’éloquence a Olynipie.
Les o-races de i’atticifme dont il orne fes difeours, dit
Denis d’Halicarnaffe, font prifes dans la nature ÔC
dans le langage ordinaire. Il frappe agréablement
l ’oreille par la clarté, le choix & l’elégance de les
termes, & par l’arrangement harmonieux de fes périodes.
Chez lu i, chaque âge, chaque paffion, chaque
perfonnage a , pour ainfi dire, fa voix qui le
diftingue & le caraftérife. Ses péroraifons font exa-
â e s & mefurées, mais elles n’ont point ce patheti-
que qui ébranle & qui entraîne. Ce qu’on trouve
de furprenant dans cet orateur, c ’eft une fécondité
prodigieufe de génie. Dans environ deux cens plaidoyers
qu’il débita ou compofa pour d’autres, on
ne remafquoit ni mêmes lieux, ni memes penfees,
ni mêmes réflexions. Il trouva, ou au - moins per-
feéionna l’art de donner aux chofes une énergie,
une force, & un cara&ere qui fe reconnoit dans les
penfées, dans l’expreflion, & dans l’ arrangement
des parties.
Thucidydc vint frapper les Grecs par un nouvel
(éclat, &c un nouveau genre d’éloquence. A un génie
auffi élevé que fa naiflance, à une fierté de républicain
, à un cara&ere fombre & auftere, à un
tempérament chagrin &c inquiet, fon éducation ÔC
fes malheurs ajoutèrent cette nobleffe de fentiment,
ce choix de paroles , cette hardieffe d’imagination,
cette vigueur de difeours, cette profondeur de rai-
fonnemens, ces traits, cesexpreflionsqui le confti-
tuent le premier 8c le plus digne hiftorien des républiques.
Son ftyle fingulier ne participe que trop à
une humeur violente & agitée par les revers de la
fortune. U emploie l’ancien dialeéte attique. Il crée
des mots nouveauxg & en affe&e d’anciens pour
donner un air myftérieux à certaines penfées qu’il
ne fait que montrer. Il met le fingulier pour le plur
ie l, le pluriel pour le fingulier, l’infinitif des verbes
pour les noms verbaux, le genre féminin pour
le mafeulin : il change les cas, les tems, les per fondes
les chofes mêmes, fuivânt le mouvement de
fon imagination, le befoin des affaires &c les cir-
confiances de fon récit. Une figure qui lui eft pro
pre & qui porte avec foi le caraâere véritable d’une
paffion forte & violente, c ’eft l’hyperbate, qui n eft
autre chofe que la tranfpofition des penfées & des
paroles dans l’ordre & la fuite d’un difeours, La
méthode de raifonner par de fréquens enthymêmes
le diftingue de tous le§ écrivains précédens.
Ses idées, d’un ordre fupérieur, n’ont rien que
d e noble, & présentent même une efpece d’élévation
aux chofes les plus communes ; on ne fait pas 1.
ce font les penfées qui ornent les mots, ou les mots
H orbent les penfées ; fes termqs fon t, pouf amfi
dire, au même niveau que les affaires: v u , ferre,
concis, on. diroit qu’ il court avec lameme impetuo-
fité que la foudre qu’il allume fous les pas des guer-
riers dont il décrit lés exploits.
Cicéron Sc Denis d’Halicarnaffe exigeoient un
rand dil'cernement dans la leâure de fes harangues,
iarce qu’ils n’y trouvoient pas un ftyle ni âffez harmonieux
, ni affez l ié , ni affez arrondi ; ils lui reprochoient
d’avoir quelquefois des penfees oblcures o£
enveloppées, des raifonnemens vicieux, & des ca-
-afreres forcés, . r « 8r
S e c o n d â g e . Ifocrate ouvrit ce beau liecle, oc
parut à la tête des orateursx[\û s’y diftmguerent,commê
un guide éclairé qui mene une troupe de fages par
des chemins rians ôc fleuris. De fon ecole , comme
du cheval de T ro ie, dit Cicéron, fortit une foule de
grands maîtres.Le genre d’éloquence qu’il mtrodiulit
?ft agréable, doux, dégagé, coulant plein de peiv-
fées fines, & d’expreffions harmomenfes ; mais il elt
plus propre aux exercices de pur appareil qu au tracas
du barreau. . .
La multiplicité de fès antithèfes, fes phrafes de
même éfendue, de mêmes; membres, fatiguent le
le&eur par leur monotonie. Il facrifie la foliditè
du raifonnement aux charmes du bel efpnt. Par une
forte ambition de ne vouloir rien dire qu’avec em-
phafe, il eft tombé, dit Longin , dans une faute de
petit écolier. Quand on lit fes écrits, on fe fent
auffi peu ému que fi on affiftoit à un fimple concert.
Ses réflexions n’ont rien de merveilleux qui enleve 5
Philippe de Macédoine difoit qu’il ne s efcrimoit
qu’avec le fleuret.
Ifocrate naquit 43 6 ans avant Jefus- Chrilt, oC
mourut de douleur à l’âge de 90ans, ayant appris
que les Athéniens avoient perdu la bataille de Lhe-
ronée. Il nous refte de lui vingt-une harangues que
Wolfius a traduit du grec en latin. Il y a deux dé
ces oraifons pour Nicoclès roi de Chypre, qui font
parvenues jufqu’ à nous. La première traite des devoirs
des princes envers leurs fujets, & la fécondé
de ceux des fujets envers leurs princes Nicoclès
pour lui en témoigner fa reconnoiffance, lui ht pre-
fent de vingt talens , c’eft-à-dire de trois mi le ept
cens cinquante livres fterling, fuivant le calcul du
doâeur Brerewood, ce qui revient à plus de quatre-,
vingt-trois mille livres de notre monnoie.
P l a t o n , comme un nouvel athlete , vint, ^ armes
à la main, difputer à Homere le prix de 1 éloquence.
Le dialefte dont il fe fert eft 1 ancien dia-
lefle attique qu’il écrit dans fa plus grande pureté.
Son ftyle eft e x aû , aifé , coulant, naturel, tel
qu’un clair ruilfeau qui promene fans bruit & lans
fierté fes eaux argentines à-travers dune prairie
émaillée de fleurs. Speufippe fon neveu fit placer
les ftatues des Grâces flans l'académie oit Ce pbilofo
phe avoit coutume de dicter fes leçons, voulant
par-là fixer le jugement qu’on devoir prononcer fut
fes écrits, & l’idée véritable qu’il eh falloir concevoir.
Son défaut eft de fe répandre trop en métaphores
1 emporté par fôn imagination, il court apres
les figures, & furcharge fes
métaphores font fans analogie, & fes a i le t t e s feus,
mefure-, du-moins c’eft amfi qu’en juge Denis d Ha-
licarnaffe a p # Démétrius de_Phalere, & d autres,
favans, dans la lettre à Pompée,
IJèe montra une diûion pure, e x a a e , claire,
forte, énergique, concife , propre au fujet, arron-
die ,& convenable au barreau. On appérçoit dans
les dix plaidoyers qui nous relient des cinquante
qu’il avoit. écrits, les premiers coups de l’art, &
cette fource où Démofthène forgea ces foudres oc
ces éclairs qui le rendirent fi terrible à Philippe oc
à Efchine.
Hypende joignit dans fes difeours les douceurs &
les grâces de Lyfias. Il y a dans fes ouvrages, dit
Longin, un nombre infini de chofes plaifamment
dites : fa maniéré de railler eft ân e , & a quelque
chofe de noble.
Efchine, enfant de la fortune & de la politique,
eft un de ces hommes rares qui paroiffent fur la
feene comme par une efpece d’enchantement. La
poufîïere de l’école & du greffe, le théâtre , la tribune,
la Grece, la Macédoine, lui virent jouer
tour-à-tour différens rôles. Maître d’école, greffier,
afreur, mipiftre, fa vie fut un tiflu d’a ventures ; fa
vieilleffe ne fut pas moins finguliere : il fe fit philosophe
, mais philofophe fouple, adroit, ingénieux,
délicat, enjoue. Il charma plus d’une fois fes compatriotes
, & fut admiré & eftimé de Philippe. L’obf-
curite de fa naiflance, l’amour des richeffes & de la
gloire piquèrent fon ambition, & fes*malhéurs n’al-
tererent jamais les charmes & les grâces dô fon
efprit, il i’avoit extrêmement beau.
Une heureufe facilité que la nature feule peut
donner, régné par - tout dans fes écrits ; l’art &c le
travail ne s’y font point fentir. Il eft brillant & foli-
de ; fa di&ion ornée des plus nobles & des plus magnifiques
figures, eft affaifonnée des traits les plus
vifs & les plus piquans. La fineffe de l’art ne le fait
pas tant admirer en lui que la beauté du génie. Le
îublime qui régné dans les harangues n’altere point
le naturel. Son ftyle fimple & net n’a rien de lâche
ni de languiflant, rien de refferré ni de contraint.
Ses figures fortent du fujet fans être forcées par
l’effort,de la réflexion. Son langage châtié, pur,
élégant, a toute la douceur du langage populaire. Il
s’élève fans fe guinder ; il s’abailfe fans s7a-vilir ni
fe dégrader.
Une voix fonore & éclatante, une déclamation
brillante, des maniérés aimables & polies, un air
libre & aifé, une capacité profonde, une étude réfléchie
des lois, une pénétration étendue lui concilièrent
les fuffrages des tribus affemblées, & l’admiration
des connoiffeurs. Par tous ces talens que
la nature lui prodigua, que fon génie fut merveilleu-
fement cultiver, le fils d’Atromete devint le digne
rival de Démofthène, & le compagnon des rois.
Dèmopüne, le premier des orateurs grecs, mérite
bien de nous arrêter quelque tems. Il naquit à
Athènes 381 ans avant Jefus-Chrift. Il fut difciple
d’Ifocrate, de Platon , & d’Ifée, & fit fous ce grand
maître de tels progrès, qu’à l’âge de dix-fept ans il
plaida contre fes tuteurs, & les fit condamner à lui
payer trente talens qu’il leur remit.
Né pour fixer le vrai point de l’éloquence grecque,
il eut à combattre en même tems les obftacles de la
nature & de la fortune. L’étude & la vertu s’efforcèrent
comme à l’en v i, de le placer à la tête des
orateurs' & de lui foumettre fes rivaux. Point d’hom-
me qui ait ete tant contredit, & point d’homme qui
ait été tant admiré : point d'orateur plus mal partagé
du cote de la nature, & plus aidé du côté de l’art :
point de politique qui ait eu moins de loifir, &
qui ait fu mieux employer le tems ; fon éloquence •
& fa vertu peuvent être regardées comme un pro-
dtge^de la raifon & le plus grand effort du génie.
C eft en effet un génie fupérieur qui s’eft ouvert
une^ nouvelle carrière qu’il a franchie d’un pas audacieux
, fans laiffer aux autres que la feule consolation
de 1 admirer, & le defefpoir de ne pouvoir
1 atteindre. Lorfqu’il entra dans les affaires, & qu’il
commença à parler en public, quatre orateurs céle-
res sétoient déjà emparés de l’admiration publique,
Lyfias par un ftyle fimple & châtié; Ifocrate
par une diâion ornée & fleurie ; Platon par une élocution
noble, pompeufe & fonore ; Thucydide par
m T om ^ xŸ brufque> in,pétueux. Démofthène
felinit tous Ces caraderes ; & prenant ce ùu’ii y
avoit de plus louable en chaque genre, il s’en forma
un ftyle lublime & fimple, étendu & ferré, pompeux
& naturel, fleuri & fans fard,; auftere & en-
joue, vehemem & diffus, délicat & bfufque, propre
à tracer un portrait & à enflammer une paffion.
B H B ■ clue' 1 B § a de P>us ftibtil & de plus
brillant, tout ce que 1 art a dé plus fin, & , pouf
ainfi fore, de plus rufe , il le trouve, & le manie
d une mamere adnurable. R,en de plus délicat , de
plus ferre, de plus lumineux , de plus châtié que-
fon ftyle ; rien de plus fubUne, ni de plus véhémlnt
que les penfées , loit par la majelîé qui les accompagne,
font pa r le tour v i f & animé dont il les exprime.
Nul autre n’a porté plus loin la perfection
des trois ftyles ; nul n’a été plus élevé dans le genre
fubiime, ni plus délicat dans le fimple, ni plus
lage dans le tempéré. 1
Dans fa méthode de raifonner, il fait prendre
des détours & marcher par des cheminsSfoiiverts .
pour arriver plus finement au but qu’il fe propofe ’
ç eit ainfi que dans la harangue de la flotte qu’il fal-
lott eqmpper contre le roi de Perfe , il rend au peuple
la difficulté de 1 entrepnfe fi grande, que voulant
la perfuafler en apparence , il la diffuàde en
effet, comme il le prétendoit. Il fiipprime quelquefois
adroitement des aflions glorieüfes à fa patrie ,
lorlquen les rapportant il pourroit choquer des al-
lfês. Dans la quatrième Philippique, il dit au’Athè-
nes fauva deux fois la Grece des pltiSj grands dangers
, a Marathon, à Salamine. II étoit trop habile
pour rappeller l’honneur qu’Athènes s’étoit acquifs
en a:irat:ch:ifar.t la Grece de l’empire de Sparte '
parce flufil avoit tout à ménager dans lés conjonctures
critiques où il parloir. Il aime mieux dérober
quelque chofe à la gloire de fa république , que de
faire revivre un fouvenirlinjurieux à Lacédémone.'
alors alliee d’Athènes.
; '<3e qu’on doit fur-tout admirer en lu i, ce font ces
couleurs vives , oes traits, touchés & perçans, ces
terribles images qui abattent & effrayent, ce ton de
majefte qui tmpoîi , ces mouvemens impétueux
qui entraînent, ces figures véhémentes , ces fréquentes
apoftrophes ,* ces interrogations réitérées
qui animent & élevent un difeours ; enl'orte que
I on peut dire que jamais orateur n’a donné tant de
orce à la colere, aux haines, à l’indignation, à tous
les mouvemens , ni à toutes fes paffions.
. D ero°fthene n eft point un déclamateur qui fe
joue librement fur des îujets de fantaifie , & qui
félon le reproche calomnieux de fes ennemis , s’inquiète
bien plus de la cadence d’une période que
de la chute d’une république. C’eft un orateur dont
le zele infatigable ne ceffe de réveiller les léthargiques
, de raflurer les timides , d’intimider les témé- -
ratres, de ranimer les voluptueux, qui ne vouloient
ni fervir la patrie , ni qu’il la fervît : c’eft enfin un -
ami du genre humain , qui ne s’occupe qu’à refondre
des hommes accoutumes à n’ufer de la liberté
& de la puiffance, que pour fe mettre au-deflus de
la raifon.
Un talent qu’il porta au fouverain degré par des
exercices continuels , c’eft la déclamation. Le feu ,
l’aâion de fon vifage , le fon de fa voix d’accord
avec fes expreflions & fes penfées, le ton de fes paroles,^
l’air de fon géfte ébranloient quiconque ve-
noit l’entendre. Démérrius de Phalere, qui avoit été
fon difqjple, aflïire qu’il haranguoit comme un fage,
plein de l’efprit du dieu de Delphe.
Les effets de fon éloquence tiennent du prodige.
Philippe de Macédoine par menaces , par rufes, par
intrigues , par tromperies pénétré julqu’aux TherT
mophilés, & vient montrer à la Grece les fers qu’il
avoit forgés pour elle. Athènes & fes voifins ians B b b ij