l’on eft entré dans un grand détail fur la maniéré de
faire le mélange de la cavalerie 6c de l’infanterie
dans Yordre de bataille.
Il eft difficile de fixer des réglés générales 6c confiantes
pour l’arrangement des troupes dans Y ordre de
bataille. Cet ordre , comme le dit Onolander , doit
être relatif à l’efpece d’armes,de troupes 6c des lieux
qu’occupe l’ennemi. L’habileté du général confifte
à regler fes difpofitions félon les circonftances dans
lefquelles il trouve l’armée oppofée. Le coup d’oeil
doit lui faire prendre dans le moment le parti le plus
avantageux, fuivant la fituation de l’ennemi. Si l’on
s’apperçoit qu’il ait mis fes principales forces au
centre, ou aux ailes , on doit s’arranger pour lui
oppoferplus de réfiftance dans ces endroits ,& faire
en forte que chaque efpece de troupe foit oppofée à
celles de même nature de l’armée qu’on veut combattre.
Il eft aifé de s’appercevoir par le fimple expofé
de ces principes , que les ordres de bataille doivent
varier d’une infinité de maniérés. Mais malgré leur
nombre 6c leur diverfité , il y a certaines réglés qui
fervent de bafe à ces différens ordres , & dont on ne
peut s’écarter fans inconvénient : voici en quoi elles
confiftent.
i°. Il finit toujours que les ailes de l’armée foient
à l’abri des entreprifes de l’ennemi. Une aile détruite
expofe le refte à l’être également ; car il eft très-difficile
de fe foutenir contre une attaque de front 6c de
flanc.
Pour éviter cet inconvénient, la méthode ordinaire
eft d’appuyer les ailes à quelque fortification
naturelle qui les garantiffe d’être tournées ou enveloppées
; comme par exemple, à un marais reconnu
pour impratiquable , à une riviere qu’on ne peut
pafler à gué ,.à un bois bien garni d’infanterie, à un
' village bien fortifié , à des hauteurs dont le fommet
eft occupé par de bonnes troupes , de l’artillerie ,
&c.
Il eft évident que les ailes de l’armée dans cette
difpofition, ne peuvent guere éprouver de danger
de l ’ennemi ; mais comme cette efpece de fortification
eft permanente, 6c que l’armée peut être obligée
d’avancer ou de reculer, il arrive que fi elle
change de terrein, elle perd la protection de les ailes.
Pour éviter cet inconvénient M. le chevalier de Fo-
lard propofe de les couvrir par des colonnes d’infanterie;
ces colonnes pouvant fuivre tous les mouve-
mens de l’armée, elles forment une efpece de fortification
ambulante dont les ailes font par-tout également
protégées. Cette façon de les couvrir eft beaucoup
plus avantageufe que celle qu’on luit ordinairement
, qui ne devroit avoir lieu que lorlqu’on
eft attaqué par l’enemi dans un bon pofte qu’on ne
pourroit abandonner fans s’affoiblir. « La fituation
» naturelle , dit Montecuculi, peut, à la vérité , af-
» furer les flancs;mais cette fituation n’étant pas mo-
» b ile , 6c n’étant pas poffible de la traîner après
» f o i , elle n’eft avantageufe qu’à celui qui veut at-
» tendre le choc de l’ennemi, & non à celui quimar-
» che à fa rencontre, ou qui va le chercher dans fon
» pofte ».
2°. Il faut éviter d’être débordé par l’armée ennemie,
ou , ce qui eft la même choie, lui oppoler un
front égal, en obfervant néanmoins de ne pas trop
dégarnir la fécondé ligne, 6c de fe conferver des ré-
ferves pour foutenir les parties qui peuvent en avoir
befoin.
Lorfqu’il n’eft pas poffible de former un front égal
à celui de l’ennemi, il faut encore plus d’attention
pour couvrir les ailes : outre les colonnes de M. le
chevalier de Folard, qui font excellentes dans ce
cas , en peut y ajouter des chevaux de frife , des
chariots, ou quelqu’autre efpece de retranchement
que l’ennemi ne puiffe ni forcer ni tourner.
3°. Chaque troupe doit être placée fur le terrein
qui convient à fa maniéré de combattre. Ainfi l’infanterie
doit occuper les lieux fourrés ou embarraffés,
6c la cavalerie ceux qui font libres & ouverts.
4°. Lorfqu’il y a des villages à portée de la ligne
que l’ennemi ne peut pas éviter, on doit les fortifier,
les bien garnir d’infanterie & de dragons pour rompre
les premiers effortsde l’ennemi ; mais ces villages
doivent être affez près de la ligne pour en être fou-
tenus, & pour que les troupes puiffent la rejoindre,
fi elles font obligées de les abandonner.
Si les villages font trop éloignés pour la communication
des troupes avec le refte de l’armée, 6c que
l’ennemi, en s’y établiffant, puiffe y trouver quelque
avantage pour fortifier fon armée , on doit les
rafer de bonne heure ; ne point fe contenter d’y
mettre le feu , qui ne fait que détruire les portes 6c
les toits desmaifons, mais renverferles murailles qui
peuvent fervir de couvert 6c de retranchement aux
troupes ennemies.
5°. Obferver que toutes les parties de l’armée aient
des communications sures & faciles pour fe foutenir
réciproquement, 6c que les réferves puiffentfe porter
par-tout oit leur fecours pourra être néceffaire :
on doit auffi avoir attention de les placer de maniéré
que les troupes ne puiffent point fe renverfer fur elles ,
& les mettre en defordre, 6c qu’il n’y ait point de
bagage entre les lignes ni derrière , qui incommode
l’armée dans fes mouvemens.
6°. Profiter de toutes les circonftances particulières
du champ de bataille , pour que l’armée ne pré-
fente aucune partie foible à l'ennemi : un général doit
confidérer le terrein qu’occupe fon armée , comme
une place qu’on veut mettre en état de défenfe de
tous côtés ; l’artillerie doit être placée dans les
lieux les plus favorables pour caufer la plus grande
perte qu’ il eft poffible à l’ennemi.
7°. Comme, malgré la bonne difpofition destroupes
, il arrive dans les batailles des événemens imprévus
qui décident fouvent du fuccès, on doit prendre
de bonne heure toutes les précautions convenables
pour qu’aucune troupe ne foit abandonnée à
elle-même, 6c fe ménager des reffources pour foutenir
le combat ; enforte que, s’il faut céder , on ne
le faffe au-moins qu’après avoir fait ufage de toutes
les forces. C’eft pourquoi on ne fauroit trop infifter
fur la néceffité des rélerves.Silècentre, ou l’une des ■
ailes a plié, la fécondé ligne ou les réferves , peuvent
rétablir l’affaire ; mais iLfaut pour cet effet des
troupes fermes, valeureufes ,* ien exercées dans les»
manoeuvres militaires, & conduites par des officiers
habiles 6c expérimentés. Alors on peut rétablir le
premier defordre, 6c même.faire perdre à l’ennemi
l ’efpérancede la vidfoire qu’un premier fuccès auroit
pu lui donner. V oye ^ G uerre. Il eft important que
le champ, de bataille loit bien connu , afin de juger
des lieux propres à chaque efpece de troupe, félon
les différens endroits où l’on peut les employer.
8°. Pour foutenir plus sûrement l’armée & la rendre
encore plus refpe&able à l’ennemi, les redoutes
en-avant, fortifiées d’un foffé & placées judicieufe-
ment, font d’un excellent ufage. Elles doivent être
garnies d’un nombre fuffifant d’artillirie 6c de fol-
dats, pour n’être point emportées par une première
attaque. Si quelque partie de l’armée fe trouve enfoncée
, les troupes des redoutes doivent prendre
l’ennemi en flanc & de revers, 6c lui caufer une
grande perte ; elles ne peuvent guere manquer de le
gêner dans fes mouvemens , de les rendre plus
lents , 6c de donner le tems aux corps qui ont plié de
fe rallier pour le repouffer. M. le maréchal de Saxe
fai foit grand cas des redoutes dans ces circonftances.
M. le marquis de Santâ-Crux, qui a écrit avant cet
illuftre
illuftre général, en parle également d’une maniéré
très-avantageufe dans fes réflexions militaires.
Il eft difficile de ne pas penfer fur ce fuiet comme
ces célébrés auteurs. Car les redoutes ont cet avantage
d’affurer la pofition de l’armée, de maniéré
qu’elle a différens points d’appui ou de réunion capables
d’arrêter les premiers efforts de l’ennemi 6c
de protéger par leur feu l’armée qui les foutient.
9°. S’il y a quelque partie de l’armée qu’on veuille
éviter de faire combattre, on doit la couvrir d’une
riviere , d’un marais, o u , au défaut de cette fortification
naturelle , de chevaux de frife, puits , re-
tranchemens, &c. de maniéré que l’ennemi ne puiffe
pas en approcher. Ainfi fuppofant qu’on fe propofe
d’attaquer par la droite , & que , pour la fortifier ,
on foit obligé de dégarnir fa gauche , on la couvre
de maniéré que l’ennemi ne puiffe point en approcher
, & 1 on fait alors à la droite les plus grands efforts
avec l’élite de fes troupes.
Il eft évident que de cette maniéré un général peut
s’arranger pour ne combattre qu’avec telle partie de
fon armée qu’il juge à-propos.
11 y a des fituations où le général peut juger que
toutes les parties de la ligne de l’ennemi ne feront
pas également en état de combattre. Dans ce cas,
l'on attention doit être de dégarnir les endroits les
moins expofés pour fortifier ceux qui le font plus.
Mais ce mouvement doit être caché autant qu’il eft
poffible à l’ennemi; ca r , s’il s’apperçoit de cette
manoeuvre, il en ufe de même, & tout devient alors
égal de part & d’autre.
On peut voir dans M. deFeuquiere qu’un général
voyant l’ennemi dégarnir fa droite pour fortifier fa
gauche, ne put etre engage à en ufer de même pour
fortifier fa droite, qu’il garda toujours la même difpofition
: d’où il arriva queles troupes de cette droite
i l trouvant attaquées par la gauche oppofée , très-
fupérieure en nombre, ne p u t , malgré l’extrême
valeur des corps les plus diftingués qui y étoient
placés , fe foutenir contre le grand nombre qu’ils
avoient à combattre.
io°. Une attention encore très-importante dansla
difpofition des troupes en bataille, c’eft de conferver
toûjours derrière la fécondé ligne &lesréferves,
un efpace de terrein affez étendu pour que les troupes
ne foient point gênées dans leurs manoeuvres;
que f i , par exemple, la première ligne eft forcée de
plier, elle trouve derrière la fécondé affez de place
pour fe rallier 6c fe reformer. Sans cette attention ,
la déroute de la première'ligne ne peut guere manquer
d’occafionner celle de toute l’armée.
Telles font en général les principales ôbfervations
qui peuvent fervir de bafe à la difpofition des troupes
dans Y ordre de bataille : 1a nature du terrein doit
décider de leur arrangement particulier. C ’eft pourv
o i on ne peut trop s’appliquer à le connoître parfaitement
, pour en tirer tous les avantages qu’il
peut procurer.
Les anciens comptoient fept difpofitions générales
des armées pour combattre ; elles font rapportées
par V egece, liv. I II. ch. x x .
La première, eft celle du quarré long, que nous
avons donne à Y article Armée. Voye^ ce mot. Ceux
qui font habiles dans la fcience des armes , dit Vegec
e, ne la jugent point, cette difpofition , lameil--
leure , parce que dans l’étendue que l’armée occupe
il ne fe rencontre pas toûjours un terrein égal qui lui
permette de marcher également ; ayant ainfi des parties
plus avancées les unes que les autres, 6c formant
une elpece de ligne courbe, il arrive fou vent qu’elle
eft rompue ou percée. D ’ailleurs cet ordre a l’incon-'
vement, f i l ennemi eft fupérieur, d’expofer l’armée
à etre prife en flanc & battue à l’une ou l’autre
CS ToT x T Cntraîne U f f l W Ë centre-ou' dir
corps de bataille. Vegece prétend qu’il ne faut fefer-
vir de Y ordre dont il s’agit ici, que lotique par la bonté
& la fuperioriré des troupes, on eft en état de
tourner l’ennemi par fes deux ailes 6c de l’enfermer
de tous côtés : il eft d’autant plus delà vantageux que
les troupes en ligne ont de plus grands intervalles
entr elles. L armee , pour peu qu’elle foit cotlfidéra-
ble, prelente alors un front d’une longueur exccf-
live ; toutes fes différentes partiesfont trop éloignées
les unes des autres pour fe foutenir mutuellement.
La fécondé ligne qui eft dans un ordre auffi foible
répare rarement le defordre de la première • 6c
comme le fuccès du combat dépend prefque toûjours
par cette raifon de celui de la première ligne, il pa-
roît que pour fortifier cet ordre autant qu’il eft poffible
> il faut, comme on l’a déjà dit, combattre en ligne
pleine & fortifier cette ligne par des réferves de
cavalerie & d’infanterie.
La fécondé difpofition générale eft Y ordre oblique
■ g biais- Dans cet ordre on engage le combat avec
1 aile droite , pendant que l ’autre fe refufe à l’enne-
j j i j p i P difpofition peut fervir à faire remporter la
victoire a un petit nombre de bonnes troupes, qui font
obligées d’en combattre déplus nombreufes.
Pour cet effet, les deux armées étant en préfence
& marchant pour fe charger, on tient fa gauche ( fî
l ’on veut faire combattre fa droite ) hors de la por-
' tee des coups de l’ennemi, & l’on tombe fur la gauche
de 1 armee oppofée avec tout ce qu’on a de plus
, Slaves troupes, dont on a eu foin de fortifier fa
droite,
On tâche de fa ire plier la gauche de l’ennemi, de
la pouffer, 6c même de l’attaquer par-derriere.
Lorfqu’on peut .y mettre du defordre & la faire
reculer, on parvient aifément avec le refte des troupes
qui foutiennent l’aile qui a engagé le combat à
remporter la viftoiré, 6c cela fans que le refte’1 de
l’afmée ait été expofé.
Si l’ennemi fe fort le premier de cette difpofition;
on fait pafler promptement à la gauche la. cavalerie
& l’infanterie qui eft en réferve derrière l’armée, 6c
l’on femet ainfi en état de'lui réfifter.
Cet ordre de bataille eft regardé par tous les auteurs
militaires comme un des meilleurs moyens des’affu-
rer de la viéfoire. C ’e ft , dit M. lé chevalier de Fo-
lard, tout ce qu’ il y a de plus à craindre 6c de plus
rufé dans la Tattiqu'e.
On peut voir dans Y art de la guerre de M. le maréchal
de Puyfegur, le cas qu’il faifoit de cet ordre.
Comme la charge des troupes doit fe faire de front 6c
non pas obliquement, cet illuftre auteur obferve
que la partie avancée de la ligne oblique, deftinée à
charger l’ennemi, doit prendre une pofition parallèle
au front qu’elle veut attaquer, dans le moment qu’elle
fe trouve à portée de tomber fur lui. Les autres parties
de la ligne doivent alors fe mettre en colonne
pour foutenir celle qui a commencé l’attaque, &
avoir attention de fe tenir toûjours hors delà portée
du fufil de la ligne enhèmie.
Ce meme auteur donne dans fon livre une difpofition
pour l’attaque du pofte de M. de Mercy à Nord-
lingen: Momécuculi propofe auffi le même ordre dans
fes principes fur l’art militaire : « Si l’on vent, dit cet
» habile général, avec fon aile droite , battre la
» gauche de l’ennemi, ou au contraire, on mettra fur'
» cette aile le plus grand nombre &les. meilleures de
» fes troupes, 6c on marchera à grands pas de ce
» çôté-là, les troupes de la première & de la fécondé '
; » ligne avançant également, au lieu que l’autte aile -
» marchera lentement, ou ne branlera point du'
» tout; parce que tandis que l’ennemi fera en fuf-
» pens, ou avant qu’il s’apperçoive du ftratagème,
» ou qu’il ait fongé à y remédier, il verra fon côté
. » foible attaque par le fort de l’ennemi, tandis que
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