mémoirè. Son étendue quelle qu’elle fo it , ennuyera
d’autant moins , qu’il s’agit ici d’un fujet fufceptible
de bien des réflexions philofophiques.
Les anciens chrétiens ont penfé que les oracles
étoient rendus par les démons, à caul'e de quelques
hiftoires furprenantes d'oracles qu’on croyoit ne pou- |
voir attribuer qu’à des génies. Telle étoit l’hiftoire
du pilote ThanniS au fujet dii grand Pan, rapportée
dans Plutarque ; telle étoit encore celle du roi Thu-
lis , ctlle de l’enfant hébreu à qui tous les dieux
obeiflent ; & quelques autres qu’Eufebe a tirées des
écrits même de Porphire. Sur de pareilles hiftoires ,
on s’eft perfuadé que les démons fe mêloient des
oracles.
Les dédions étant une fois conftans par leChriftia-
nifme il a été allez naturel de leur donner le plus
d’emploi qu’on pouvoit, & de ne les pas épargner
pour les oracles, Sc les autres miracles payens qui
fembloient en avoir befoin. Par-là on fe difpenfoit
d’entrer dans la difcufîion des faits , qui eût été longue
ôç difficile ; Sc tout ce qu’ils avoient de furpre-
nant & d’extraordinaire , on l’attribuoit à ces démons,
que l’onavoit en main. 11 lembloit qu’en leur
rapportant ces événemens, on confirmât leur exif-
tence, & ^religion même qui nous la révélé.
(Dépendant les hiftoires furprenantes qu’on débi-
toit fur les oracles doivent être fort fufpeftes. Celle
de Thamus , à laquelle Eufebe donne fa croyance ,
&: que Plutarque feul rapporte,eft fuivie dans le même
hiftorien d’un autre conte fi ridicule, qu’il luffi-
roit pour la déerëditer entièrement ; mais de plus,
elle ne peut recevoir un fens raifonnable. Si ce
grand Pan étoit un démon, les démons ne pouvoient-
ils fe faire favoir fa mort les uns aux autres fans y
employer Thamus ? Si ce grand Pan étoit J. C. comment
perfonne ne fut-il défabufé dans le paganifme »
& comment perfonne ne vint-il à penfer que le grand
Pan fut.J. C.mort en Judée , f ic ’étoit Dieu lui-même
qui forçoit les démons à annoncer cette mort aux
payens)
L ’hiftoire de Thulis, dont Yoracle, dit-on , eft po-
fitif fur la Trinité, n’ eft rapporté que par Suidas, auteur
qui ramafîe beaucoup de chofes , mais qui ne
les choifit guere. Son oracle de Sérapis pèche de la
même maniéré que les livres des fibylles par le
trop de clarté fur nos myfteres ; de plus ce Thulis,
roi d’Egypte ,n’étoit pas affurément un des Ptolo-
mées. Enfin , que deviendra tout Yoracle , s’il faut
que Sérapis foit un dieu qui n’ ait été amené en
Egypte que par un Ptolomé'e qui le fit venir de Pont,
comme beaucoup de favans le prétendent fur des
apparences très-fortes. Du moins il eft certain
qu’Hérodote , qui aime tant à difeourir fur l ’anciën-
ne Egypte, ne parle point de Sérapis, & que Ta cite
conte tout au long comment & pourquoi un des
Ptolomées fit venir de Pont le dieu Sérapis, quin’é-
toit alors connu que là.
L 'oracle rendu à Augufte fur l’enfant hébreu, n’eft
point du tout recevable. Cedrenus le cite d’Eufebe,&
aujourd’hui il ne s’y.trouve plus. Il neferoit pasim-
poffible que Cédrenus citât à faux ou citât quelque
ouvrage fauflement attribué à Eufebe. Mais quand
Eufebe dans quelque ouvrage,qui ne feroit pas venu
jufqu’à nous , auroit effectivement parlé de Yoracle
d’Augufte , Eufebe lui-même fe trompoit quelquefois
, & on en a des preuves confiantes. Les premiers
défenfeurs du Chriftianifme , Juftin, Tertul-
lien , Théophile, Tatien auroient-ils gardé le filen-
ce fur un oracle fi favorable à la religion ? Etoient-
ils aflez peu peu zélés pour négliger cet avantage ?
Mais ceux même qui nous donnent cet oracle, le
gâtent, en y ajoutant qu’Augufte, de retour à Rome,
fit élever dans le capitole un autel avec cette
infeription : Ceft ici L'autel du fils unique de Dieu. Où
avoit-il pris cette idée d’un fils unique de D ieu , dont
Yoracle ne parle point ?
Enfin, ce qu’il y a de plus remarquable , c’eft
qu’Augufte , depuis le voyage qu’il fit en Grece ,
dix-neuf ans avant la naiflance de J. C . n’y retourna
jamais ; 8c mêmp lorfqu’il en revint, il n’étoit gue-
res dans la difpofnion d’élever des autels à d’autres
dieux qu’à lui ; car il fouffrit non-feulement que les
villes d’Afielui en élevaflènt, & lui célebraflent des
jeux facrés , mais meme qu’à Rome on confacrât un
autel à la fortune, qui étoit de retour, fortunoe redu-
c i, c’eft-à-dire, à lui-même, 8c que l’on mît le jour
d’un retour fi heureux entre les jours de fêtes.
Les oracles qu’Eufebe rapporte de Porphire attaché
au paganifme, ne font pas plus embarraflans que
les autres. 11 nous les donne dépouillés de tout ce
qui les accompagnoit dans les écrits de Porphire.
Que favons-nous fi ce payen ne les refutoit pas ?
Selon l’intérêt de fa caufe il le devoit faire., 8c s’il
ne l’a pas fa it, affurément il avoit quelque intention
cachée, comme de les préfenter aux chrétiens à def-
fein de fe mocquer de leur crédulité , s’ils les rece-
voient pour vrais, & s’ils appuyoientleur religion
fur de pareils fondemens.
L’opinion autrefois commune fur les oracles opérés
par les démons , décharge le paganifme d’une
bonne partie de l’extravagance , 8c même de l’abomination
que les faints peresy ont toujours trouvée.
Les Payens dévoient dire', pour fe juftifier, que ce
n’étoit pas merveille qu’ils euffent obéi à des génies
qui animoient des ftatues , 8c faifoient tous les jours
cent chofes extraordinaires ; & les Chrétiens, pour
leur ôter toute exeufe, ne dévoient jamais leur accorder
ce point. Si toute la religion payenne n’a-
voit été qu’une impofture des prêtres, le Chrift.anif-
me profiioit de l’excès du ridicule où elle tom-
boit.
Aufîi y a-t-il bien de l’apparence que les difputes
des Chrétiens & des Payens étoient en cet état, lorf-
que Porphire avouoit fi volontiers que les oracles
étoient rendus par de mauvais démons. Ces mauvais
démons lui étoient d’un double ufage. Il s’en
fervoit à rendre inutiles , 8c même défavantageux à
la religion chrétienne les oracles dont les Chrétiens
prétendoient fe parer ; mais de plus, il rejettoit fur
ces gens cruels & artificieux toute la folie, 8c toute
la barbarie d’une infinité de facrifices, que l’on reprochoit
fans ceffe aux Payens. C ’eft donc prendre
les vrais intérêts du Chriftianifme , que de foutenir
que les démons n’ont point été les auteurs des oracles.
•
Si au milieu de la Grece même, où tout retentif-
foit oracles, nous avions foutenu que ce n’étoit que
des impoftures, nous n’aurions étonné perfonne par
la hardieffe de ce paradoxe, & nous n’aurions point
eu befoin de prendre des mefures pour le débiter fe-
: crétement. La Phiiofophie s’étoit partagée fur le
fait des aracles ; les Platoniciens Sc les Stoïciens te-
noient leur parti, mais les Cyniques, les Péripatéti-
ciens, les Epicuriens s’en moquoient hautement.
Ce qu’il y avoit de miraculeux dans les oracles, ne
l’étoit pas tant que la moitié des favans de la Grece
ne fuffent encore en liberté de n’en rien croire, 8c
cela malgré le préjugé commun à tous les Grecs,
qui mérite d’être compté pour quelque chofe. Eufebe
nous dit que fix cent perfonnes d’entre les
payens avoient écrit contre les oracles , 8c nomme
entre autres un certain (Enomaiis, dont il nous a
confervé quelques fragmens , dans lefquels on voit
cet (Enomaiis argumenter fur chaque oracle , contre
le dieu qui Ta rendu , & le prendre lui-même à
partie.
Ce ne font pas les Philofophes feuls qui dans le
paganifme, ont fait fouvent aflez peu de cas des
Oracles ; beaucoup de gens parmi les grafids & le
peuple même , confultoient les oracles pour n’avoir
plus à les confulter: 8c s’ils ne s’accommodoient
point à leurs deffeins, ifs ne fè gênoient pas beaucoup
pour leur obéir. Auili voit-on de$ capitaines
nefepas faire fcrtipulede palier par-deflùs des oracles,
5c de fuivre leurs projets. Ce qu’il y a de plus
remarquable, c’eft que cela s’eft pratiqué dans les
premiers fiecles de la république romaine, dans ces
tems d’une heureufe jpoftiereté , où l’on étoit fi
fcrupuleufement attaché à la religion, 8c où comme
dit Tite-Live, on ne connoifloit point encore cette
phiiofophie qui apprend à méprifer les dieux.
Les anciens chrétiens n’ont pas tous cru que les
oracles fuflent rendus par les démons. Plufieurs d’en-
treux ont fouvent reproché aux payens qu’ils
etoient joués par leurs prêtres. Voici comme en
parle Clément d’Alexandrie ; 8c les écrivains polis
trouveront même que c’eft d’un ton bien dur.
« Vante-nous , dit-il , fi tu v eu x , ces gracies pleins
» de folie & d’impertinence, ceux de Claros, d’A-
» pollon pithien, de Didime, d’Amphilochus ; tu
» peux y ajouter les augures, & les interprètes des
fonges 8c des prodiges. Fais-nous paroîtrè aufîi
» devant l ’Apollon pithien, ces gens qui devise
noient pàr la farine ou par l ’orge, 8c ceux qui
» ont été fi eftimés parce qu’ils parloient du ven-
» tre. Que les fecrets des temples des Egyptiens,
» & que ia.Néfcromancie des Etrufques demeurent
» dans les ténèbres ; toutes ces chofes ne font cer-
» tainement que des impoftures extravagantes, &
>> de pures tromperies pareilles à celles des jeux de
» dez. Les chevres qu’on a dreffées à la divination,
» les corbeaux qu’on adreffés à rendre des oracles ±
w ne font pour ainfi dire, que les aflbciés de ees
» charlatans qui foiirbent tous les hommes »,
Eufebe étale à fon tour d’excellentes rations pour
prouver que les oracles ont pu n’être que des impofi
■ tûtes ; & fi néanmoins il vient à les attribuer au dél
mon, c’eft: par l’effet d’un.préjugé pitoyable, ou
pour s’accommoder au tems, 8c par un refpeét forcé
pour l ’opinion commune. Les payens n’a voient
garde de confentir que leurs oracles ne fufTent qu’un
artifice de leurs prêtres. On crut: donc, par une
mauvaife maniéré de raifonner, gagner quelque
chofe dans la difpute, en leur accordant que quand
même il y auroit eu du furnaturel dans leurs oracles,
cet ouvrage n’etoit pas celui de la d ivinité, mais des
démons *
St les démons rendotent les oracles, les démons ne
manquoient pas de complaifance pour les princes
qui étoient une fois devenus redoutables. La Pythie
philippife, difoit plaifamment Démofthene, lorsqu'il
fe plaignoit que les oracles de Delphes étoient
toujours conformes aux intérêts de Philippe. On
Lait aufli que l’enfer avoit bien des .égards pour A lexandre
& pour Augufte. Quelques hiftoriens difent
nettement cju’Alexandre voulut être fils de Jupiter
ammon, & pour l’intérêt de Ta vanité, 8e pour
Lhonneur de.fa mere qui étoit fbupçonnée d’avoir
eu quelques'amans moins confidérables que Jupiter. *
Ainli avant que. cl’aller au temple , il fît avertir le
dieu de fa volonté, 8e le dieu le fit de fort bonne
grâce.
, -Augufte'eperduvnent amoureux dp Livie, Penleva
a fon mari toute grofi’c qu’elle étoit, & ne 1e donna
pas le lqifir d’attendre qu’elle fut ^accouchée pour
lv.epotifer.. .Comme l’aélioh étoit;un peu extraordi:-
nane , on en confulta l'oraclej ['oracle qui favoit
aiIe ^; COUr » ne fe contenta pas d’approuver An>
gulte, il âfliirà qiïe jamais un mariage ne réuftiflbit
^ o ffe * quand on époufoit une femme déjà
v Les oracles qu’on établifloit quelquefois de nouveau
y font autant du tort alix démons :cfue ies ora-*
cUs corrompus. Après ta mort d’Epheftwn , Alexan-
— M l « c « « abfolument pour fe eomoler,
qu Ephetlion fut dieu ; tous les courtifans y cou.
lentirent (ans peme. Autfi-tôt voili des temples
que 1 on bâtit a ttpheftion e„ -plufieurs villes, des
tètes quon mllitue en fon honneur, des facrifices
quon lmfatt des guérifons miracUleul'es qu’ôn lui
attribue; & afin qu’il n’y manquât rien des onicUs
qu on lui fait rendre. Lucien dit quîAlesandre étonne
d abord de voir la divinité d’Epheflion réuffir fi
bien U crut enfin vraie lui-même, & fe H bon
gre de n etre pas lculement dieu, mais d’avoir encore
le pouvoir de faire des dieux.
Adrien-fit les mêmes folies pour fon mignon Antinous.
11 bâtit en mémoire de lui la ville d’Antino»
poteq lui donnâmes temples & des prophètes, dit
b. Jerome, Or il n’y avoit des prophètes qué dans
les temples A Nous avons encore une infc
cripnpti- greque.-qui porte: A Anûnàm, l ï ’comp*-
gnon dts dieux d'Egypte -, Ai. mpius’ApSUinms Tort
prophète.
Après cela, on ne fera pasfurpris qu’Augufte ait
aufîi rendu des oracles, ainfi que nous l’apprenons,dé
Prudence. Affurément Augufte valoit bien Antinous
& Epheflion , qui félon toutes les apparences9
ne durent leur divinité qu’à leur beauté.
Mais qui doute du pi oligieuv fuecès qu’auroient
aujourd hui quelques rois qui fe mettroient en tête
de fonder des oracles dans leurs états, & de les accréditer?
Il faudroit avoir mal étudié l’efprit humainj,
| pour ne pas connoitre la force que le merveilleux
a fur lui. La croyance aux miracles de certaines reliques,
dont plufieurs villes fe difputent la poffef*
fion, vaut bien la confiance que le peuple payeil
a voit aux oracles. Etabliflez ici l’exiftence-d’une ré-
lique , il s’en établira cent dans l’étendue de la chrétienté.
Si les dieux prédiioient à Delphes, pourquoi
n’auroient-ils pas prédit à Athènes? Les peu-
#ples avides de l’iuilité qu’ils efperoient des oracles,
ne demandoient qu’à les voir multipliés en tous
lieuX.-
Ajoutez à ces réflexions que dans le tems de la
première inilitution des oracles, l’ignorance étoit
beaucoup plus grande qu’elle ne fut dans la fuite.
La 1 hiiqiophie n étoit pas encore née, & les fu-
perftitions les plus extravagantes n’avoient aucune
contradiction à efiuyer de fa part. Il eft vrai que ce
qu’on appelle le peuple, n’eft jamais fort éclairé*
cependant la groftiereté dont il eft toujours, reçoit
encore quelques différences félon les fiecles ; du
moins il y en a où tout le .monde eft peuple*, 8c
ceux-là font fans comparaifon les plus favorables à
l’établiffement des erreurs.
On pourroit prouver invinciblement que les oracles
n’éroient rendus que par des prêtres, en dévoilant
leurs artifices, 8c le détail n’en feroit pas ennuyeux;
mais il faut pour abréger nous reftraindre
à des généralités fur cet article.
Remarquez d’abord que les pays montagneux 8c
par conféquent pleins d’antres 8c de cavernes,* fe
trolivoiènt les pins abondans en oracles. Telle étoit
la Réôiiè qui anciennement, dit Plutarque, en avoit
une très-grande quantité. On fait d’un autre côté
que les Béotiens pafloïent pour être les plus fottes
gens du monde; c’étoit là im bon pays pourles oracles
, "dès lots & des cavernes.'
Je n’imagine pas cependant que le premier éta-
biifïemenc- des oracles, ait été une impofture méditée
; mais le peuple tomba dans quelque fuperftition
qui donna lieu à des gens un peu plus rafinés d’en
profiter': car les fotifes du peuple font telles, aflez
fouvenr, qu’elles n’ont pu être prévues, 8c quelquefois
ceux qui le trômpoiënt, ne fongeoient à rien