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•à l’éclat 8c à la magnificence de fon monarque. La
piété géhéreufc ne connut point de bornes , on en
'vint jufqu’à s’offrir foi-même fa famille 8c fes encans
; on crut pouvoir , fans fe déshonorer, fe re-
eonnoître efclave du fouverain de toute la nature ,
& l’homme ne fe rendit que le fujet 8c l’efclave des
officiers théocratiques.
A mefure que la fimplicité religieufe s’éteignit,
:& que la fuperftition s’augmenta avec l’ignorance,
il fallut par gradation renchérir fur les anciennes
■ offrandes 8c en chercher de nouvelles : après les
fruits, on offrit les animaux ; & lorfqu’on fe fut fa-
•miliarifé parce dernierufage avec cette cruelle idée
que la divinité aime le fang , il n’y eut plus qu’un
pas à faire pour égorger des hommes, afin de lui
■ Offrir le fang le plus cher & le plus précieux qui foit
fans doute à fes yeux. Le fanatifme antique n’ayant
pu s’élever à un plus haut période , égorgea donc
des viélimes humaines ; il en préfenta les membres
palpitans à la divinité comme une offrande qui lui
étoit agréable ; bien plus, l’homme en mangea lui-
même ; & après avoir ci-devant éteint fa raifon, il,
dompta enfin la nature pour participer aux feftins
-des dieux.
Il n’eft pas néceffaire de faire une longue application
de ces ufages à ceux de toutes lès nations
payennes 8c fauvages qui les ont pratiqués. Chez
toutes les facrifices fanglans n’ont eu primitivement
pour objet que de couvrir la table du roi théo-
cratique, comme nous couvrons la table de nos
monarques. Les prêtres de Belus faifoient accroire
aux peuples d’Affyrie , que leurs divinités man-
geoient elles-mêmes les viandes qu’on lui préfen-
toit fur fes autels ; 8c les Grecs 8c les Romains ne
manquoient jamais dans les tems de calamités d’af-
fembler dans la place publique leurs dieux 8c leurs
déeffes autour d’une table magnifiquement fervie ,
pour en obtenir , par un feftin extraordinaire , les
grâces qui n’avoient pu être accordées aux repas
réglés du foir 8c du matin , c’eft-à-dire aux facrifices
journaliers 8c ordinaires ; c’eft ainfi qu’un ufage
originairement établi, pour foutenir dans tous les
points le cérémonial figuré d’un gouvernement fur-
naturel , fut pris à la lettre , 8c que la divinité , fe
trouvant en tout traitée comme une créature mortelle
, fut avilie 8c perdue de vue.
L’antropophagie qui a régné 8c qui régné encore
dans une moitié du monde , ne peut avoir non plus
une autre fource que celle que nous avons fait
entrevoir : ce n’eft pas la nature qui a conduit tant
de nations à cet abominable excès ; mais égaré 8c
perdu par le furnaturel de fes principes, c’elt pas à
pas 8c par degré qu’un culte infenfé & cruel a perverti
le coeur humain. Il n’eft devenu antropophage
qu’à l’exemple 8c fur le modèle d’une divinité qu’il
a cru antropophage.
Si l’humanité fe perdit , à plus forte raifon les
moeurs furent-elles aufii altérées & flétries. La corruption
de l’homme théocratique donna des femmes
au dieu monarque ; 8c comme tout ce qu’il y avoit
de bon 8c de meilleur lui étoit dû, la virginité même
fut obligée de lui faire fon offrande. De-Jàles profti-
îutions religieufes de Babylone 8c de Paphos ; de-là
■ ces honteux devoirs du paganifme qui contrai-
j^noient les filles à fe livrer à quelque divinité avant
que de pouvoir entrer dans le mariage ; de-là enfin,
tous ces cnfans des dieux qui ont peuplé la mythologie
8c le ciel poétique.
Nous ne fuivrons pas plus loin l’étiquette & le
-cérémonial de la cour du dieu monarque , chaque
ufage fut un abus, 8c chaque abus enproduifit mille
autres. Confxderé comme un ro i, on lui donna des
chevaux, des chars , des boucliers, des armes , des
meubles, des terres, des troupeaux, 8c un domaine
(ECO
qui devint, avec le tems , le patrimoine des dieux
du paganifme ; confidéré comme un homme, on le
fit fédufteur, colere, emporté , jaloux , vindicatif
8c barbare ; enfin on en fit l’exemple 8c le modèle
de toutes les iniquités , dont nous trouvons les af-
freufes légendes dans la théogonie païenne.
Le plus grand de tous les crimes de la théocratie
primitive a fans doute été d’avoir précipité le genre
humain dans l’idolâtrie par le furnaturel de fes principes.
Il eft fi difficile à l’honnne de concevoir un
être aufii grand , aufii immenfe, & cependant invi-
fible tel que l’être fuprême, fans s’aider de quelques
moyens fenfibles, qu’il a fallu prefque néceflaire-
ment que ce gouvernement en vînt à fa repréfen-
tation, II étoit alors bien plus fouvent queftion de
l’être fuprême qu’il n’eft aujourd’hui : indépendamment
de fon nom & de fa qualité de dieu , il étoit
roi encore. Tous les aâes de la police, comme tous
les aftes de la religion , ne partaient que de lut ; on
trouvoit fes ordres & fes arrêts par-tout ; on fuivoit
fes lois ; on lui payoit tribut ; on voyoit fes officiers,
fon palais , 8c prefque fa place ; elle fut donc bientôt
remplie.
Les uns y mirent une pierre brute, les autres une
pierre fculptée ; ceux-ci l’image du foleil, ceux-là
de la lune ; plufieurs nations y expoferent tin boeuf,
une chevre ou un chat, comme les Egyptiens : en
Ethiopie , c’étoit un chien ; 8c ces fignes repréfen-
tatifs du monarque furent chargés dë tous les attributs
fymboliques d’un dieu 8c d’un roi ; ils furent
décorés de tous les titres fublimes qui convenoient
à celui dont on les fit les emblèmes ; 8c ce fut devant
eux qu’on porta les prières & les offrandes,
qu’on exerça tous les a êtes de la police 8c de la religion
, 8c que l’on remplit enfin tout le cérémonial
théocratique. On croit déjà fans doute que c’eft là
l ’idolâtrie ; non, ce ne l’eft pas encore, c’en eft feulement
la porte fatale. Nous rejettons ce fentiment
affreux que les hommes ont été naturellement ido-;
lâtres , ou qu’ils le font devenus de plein gré 8c de
deflëin prémédité : jamais les hommes n’ont oublié
la divinité , jamais dans leurs égaremens les plus
grofliers ils n’ont tout-à-fait méconnu fon excellence
8c fon unité , & nous oferions même penfer en leur
faveur qu’il y a moins eu une idolâtrie réelle fur la
terre qu’une profonde 8c générale fuperftition ; ce
n’eft point non plus par un faut rapide que les hommes
ont paffé de l’adoration du Créateur à l’adoration
de la créature ; ils font devenus idolâtres fans
le favoir & fans vouloir l’être , comme nous verrons
ci-après, qu’ils font devenus efclaves fans jamais
avoir eu l’envie de fe mettre dans l’efclavage,
La religion primitive s’eft corrompue, 8c l’amour de
l’unité s’eft obfcurci par l’oubli du paffé & par les
fuppofitions qu’il a fallu faire dans un gouvernement
furnaturel qui confondit toutes les idées en
confondant la police avec la religion : nous devons
penfer que dans les premiers tems oii chaque nation
fe rendit fon dieu monarque fenfible, qu’on fe comporta
encore vis - à - vis de les emblèmes avec une
circonfpeftion religieufe 8c intelligente ; c’étoit
moins dieu qu’on avoit voulu repréfenter que le
monarque , 8c c’eft ainfi que dans nos tribunaux
nos magiftrats ont toujours devant eux l’image de
leur fouverain , qui rappelle à chaque inftant par fa
reffemblance 8c par les ornemens de la royauté le
véritable fouverain qu’on n’y voit pas , mais que
l’on fait exifter ailleurs. Ce tableau qui ne peut nous
tromper, n’eft pour nous qu’un objet relatif & commémoratif,
8c telle avoit été fans doute l’intention
primitive de tous les fymboles repréfentatifs de la
divinité : fi nos peres s’y trompèrent cependant,
c’eft qu’il ne leur fut pas aufii facile de peindre cette
divinité qu’à nous de peindre un mortel. Quel rap:
(ECO
port en effet put-il y avoir entre le dieu régnant oc
toutes les différentes effigies que l’on en fit ? Ce në
put être qu’un rapport imaginaire & de pure convention
, toujours prêt par conféquent à dégrader le
dieu & le monarque fi-tôt qu’on n’y joindroit plus
une inftruôion convenable ; on les donna fans doute
(ces inftruâions) dans les premiers tems , mais par-
là le culte 8c la police , de fimples qu’ils étoient $
devinrent compolés 8c allégoriques , par-là l’officier
théocratique vit accroître le befoin 8c la nécef-
firé que l’on eut de fon état ; 8c comme il devint
ignorant lui-même, les conventions primitives fe
changèrent en myfteres > 8c la religion dégénéra en
une lcience merveilleufe 8c bifarre , dont le fecret
devint impénétrable d’âge en âge, 8c dont l ’objet fe
perdit à la fin dans un labyrinthe de graves puérilités
8c d’importantes bagatelles.
Si toutes les différentes fociétés euffent au moins
pris pour ligne de la divinité régnante un feul 8c
même fymbole, l’unité du culte, quoique dégénéré,
auroit encore pu fe conferver fur la terre ; mais ainfi
que tout le monde fa it , les uns prirent une chofe,
8c les autres une autre ; l’Etre fuprême, fous mille
formes différentes, fut adoré par - tout fans n’être
plus le même aux yeux de l’homme greffier. Chaque
nation s’habitua à confidérer le fymbole qu’elle
avoit choifi comme le plus véritable 8c le plus
faint.
L’unité fut donc rompue : la religion générale
étant éteinte ou méconnue , une fuperftition générale
en prit la place , 8c dans chaque contrée elle
eut fon étendart particulier , chacun regardant fon
dieu 8c fon roi comme le feul 8c le véritable, détefta
le dieu 8c le roi de fes voifins. Bien-tôt toutes les
autres nations furent réputées étrangères , on fe
fépara d’elles, on ferma fes frontières , 8c les hommes
devinrent ainfi par naiffance , par état 8c par
religion, ennemis déclarés les uns des autres.
Inde furor vuleb , quod rumina vicinorum
O dit uterque locus , cum folos credat habendos
EJJe deos , quos ipfe colit.
Juvenal, Sut. i4»
T el étoit l’état déplorable où les abus funeftes de
la théocratie primitive avoient déjà précipité la religion
de toût le genre humain, lorfque Dieu , pour
conferver chez les hommes le fouvenir de fon unité,
le choifit enfin un peuple particulier, 8c donna aux
Hébreux un légiflateur fage 8c inftruitpour reformer
la théocratie païenne des nations. Pour y parvenir,
ce grand homme n’eut qu’à la dépouiller de tout ce
que l’impofture 8c l’ignorance y avoient introduit :
Môïfe détruifit donc tous les emblèmes idolâtres
qu’on avoit élevés au dieu monarque, 8c il fupprima
les augures, les devins 8c tous les faux interprètes
de la divinité , défendit expreffément à fon peuple
de jamais la repréfenter par aucune figure de fonte
ou de pierre , ni par aucune image de peinture ou
de cifelure ; ce fut cette derniere loi qui diftingua
effentiellement les Hébreux de tous les peuples du
monde.Tant qu’ils l’obferverent, ils furent vraiment
fages 8c religieux ; 8c toutes les fois qu’ils la tranf-
grefferent, ils fe mirent au niveau de toutes les autres
nations ; mais telle étoit encore dans ces anciens
tems , la force des préjugés 8c l’excès de la groffie-
reté des hommes, que ce précepte, qui nous femble
aujourd’hui fi fimple 8c fi conforme à la raifon, fut
pour les Hébreux d’une obfervance pénible 8c difficile
; de-là leurs fréquentes rechutes dans l’idolâtrie,
8c ces perpétuels retours vers les images des nations,
qu’on n’a pu expliquer jufqu’ici que par une
dureté de coeur 8c un entêtement inconcevable,
dont on doit actuellement retrouver la fource 8c les
(ECO
rtiotifs dans les anciens préjugés 8c dans les ufages
de la théocratie primitive.
Après avoir parcouru la partie religieufe de cette
antique gouvernement jufqu’à l’idolâtrie qu’il A
produit 8c jufqu’à fa réforme chez les H ébreux, jet-
tons aufii quelques regards fur fa partie civile &
politique, dont le vice s’eft déjà fait entrevoir. Tel
grand 8c tel fubiime qu’ait paru dans fon tems un
gouvernement qui prenoit le ciel pour modèle 8c
pour objet, un édifice politique conftruit ici-bas fur
une telle fpéculation a du néceffairement s’écrouler1
8c produire de très-grands maux ; entre cette foule
de' fauffes opinions, dont cette théocratie remplit
l’efprit humain, il s’en éleva deux fortes oppofées
l’une à l’autre , 8c toutes deux cependant également
contraires au bonheur des fociétés. Le tableau qu’on
fe fit de la félicité du régné célefte fit naître fur la
terre de fauffes idées fur la liberté, fur l’égalité 8c
fur l’indépendance ; d’un autre côté 9 l’afpeâ: du
dieu monarque fi grand 8c fi immenfe réduifit l’homme
prefqu’au néant, 8c le porta à fe méprifer lui-*
même 8c à s’avilir volontairement par ces deux ex-
trèmes : l’efprit d’humanité 8c de raifon qui devoit
faire ce lien des fociétés fe perdit néceffairement
dans une moitié du monde , on voulut être plus
qu’on ne pouvoit 8c qu’on ne devoit être fur la terre
8c dans l’autre , on fe dégrada au-deffous de fon
état naturel , enfin on ne vit plus l’homme , mais
on vit {infenfiblement paroître le fauvage 8c l’efclave.
Le point de vue du genre humain avoit été cependant
de fe rendre heureux par la théocratie, 8c nous
ne pouvons douter qu’il n’y ait réuffi au moins pendant
un tems. Le régné des dieux a été célébré'paf
les Poètes ainfi que l’âge d’or , comme un régné de
félicité 8c de Tiberté. Chacun étoit libre dans Ifraël,
dit aufii l’Ecriture en parlant des commencemens de
la théocratie mofaïque ; chacun faifoit ce qu’il lui
plaifoit, alloit oh il vouloit, 8c vivoit alors dans
l’indépendance ; unufqttifque, quodfibi rectum videba-
tur, hoc faciebat. Jug. xvij* 6. Ces heureux tems,
où l’on doit appercevoir néanmoins le germe des
abus futurs, n’ont pû exifter que dans les abords
de cet âge myftique , lorfque l ’homme étoit encore
dans la ferveur de fa morale 8c dans l ’héroïfme de fa
théocratie ; 8c fe félicité aufii bien que fa juftice ont
dû être paffageres * parce que la ferveur 8c l’hé-
roïfme qui feuls pouvoient foutenir le furnaturel de
ce gouvernement, font des vertus momentanées 8c
des faillies religieufes qui n’ont jamais de durée fur
la terre. La véritable 8c la folide théocratie n’eft ré-
fervée que pour le ciel ; c’eft-là que l’homme un jour
fera fans paffion comme la Divinité : mais il n’en eft
pas de même ici-bas d’une théocratie terreftre où le
peuple ne-peut qu’abufer de fa liberté fous un gouvernement
provifoire & fans confiftance, 8c où ceux
qui commandent ne peuvent qu’abufer du pouvoir
illimité d’un dieu monarque qu’il n’eft que trop facile
de faire parler. Il eft donc ainfi très-vraiffem-
blable que c ’eft par ces deux excès que la police théocratique
s’eft autrefois perdue : par l’un, tout l’ancien
occident a changé fa liberté en brigandage 8c en
une vie vagabonde; 8c par l’autre, tout l’orient s’eft
vu opprimé par des tyrans.
L’état fauvage des premiers Européens connus Sc
de tous les peuples de l’Amérique, préfente des om-
bres 8c des veftiges encore fi conformes à quelques-
uns des traits de l’âge d’o r, qu’on ne doit point être
furprisfi nous avons été portés à chercher l’origine
de cet état d’une grande partie du genre humain dans
les fuites des malheurs du monde , 8c dans l’abus de
ces préjugés théocratiques qui ont répandu tant d’erreurs
par toute la terre. En effet, plus nous avons
approfondi les différentes traditions 8c les ufages des