lui répondit hardiment : » T a feras chameaü, puis
» cheval, puis philofôphe, puis prophète aufli grand
» qu’Alexandre.
Après les Antonins, trois empereurs fe difpute-
rent l’empire ; Severus Septimus, Pefcennius Nig
e r , Clodius Albinus. On confulta Delphes, dit
Spartien, pour favoir lequel des trois la république
devoit fouhaiter? Et Xoracle, répondit en un vers:
» Le noir eft le meilleur ; l’africain eft bon ; le blanc
» eft le pire ». Par le noir, on entendoit Pel'cennius
Niger ; par l’africain , Severe qui étoit d’Afrique ;
& par le blanc , Clodius Albinus.
Dion qui ne finit fon hiftoire qu’à la huitième
année d’Alexandre Severe, c’eft-a -d ire , lan 130
de Jefus-Chtift, rapporte que de fon tems Amphi-
lochus rendoit encore des oracles en fonge. Il nous
apprend aufli qu’il y avoit dans la ville d’Apollo-
nie un oracle, 011 l’avenir fe déclaroit par la maniéré
dont te feu prenoit à l’encens qu’on jettoit fur
un autel. Il n’étoit permis de taire à cet oracle des
queftions ni de mort ni de mariage. Ces reftriétions
bizarres ëtoient quelquefois fondées fur l’hiftoire
particulière du dieu qui avoit eu fujet pendant fa
v i e , <îe prendre de certaines chofes en averfion ;
o u , fi vous l’aimez mieux,fur les mauvais fuccès
qu’avoient eu les réponfes de l’oracle en certaines
matières.
Sous Aurélien, vers l’an de Jefus-Chrift 2 7 1 , les
Palmiréniens révoltés confulterent un oracle d’A pollon
farpédonien en Cilicie ; ils confulterent encore
celui de Vénus aphacite.
Licinius, au rapport de Sozomene , ayant deflein
de recommencer la guerre contre Conltantin, confulta
1'‘oracle d’Apollon de Didyme, &C en eut pour
réponfe deux vers d’Homere, dont le fens eft : » Mal-
*» heureux vieillard, ce n’eft point à toi à combat-
» tre contre les jeunes gens ; tu n’as point de for-
» c e , & ton âge t’accable.
Un dieu aflez inconnu, nommé Befa, félon Am-
mian Marcellin, rendoit encore des oracles fur des
billets à Abide, dans l’extrémité de la Thébaïde,
fous l’empire de Conftantius; car on envoya à cet
empereur des billets qui avoient été laifles dans le
temple de Befa, fur lefquels il commença à faire
des informations très-rigoureufes, mit en prifon,
exila, ou fit tourmenter un aflez grand nombre de
perfonnes ; c’eft que par ces billets on confultoit
ce dieu fur la deftinée de l’empire, ou fur la durée
que devoit avoir le régné de Conftantius, ou même
fur le fuccès de quelque deflein que l’on for-
moit contre lui.
Enfin, Macrobe qui vivoit fous Arcadius & Hono-
rius fils de Théodofe, parle du Dieu d’Héliopolis
de Syrie 8c de fon oracle, & des fortunes d’Antium,
en des termes qui marquent pofitivement que tout
cela fubfiftoit encore de fon tems.
Remarquez qu’il n’importe que toutes ces hif-
toires foient vraies, ni que ces oracles aient effectivement
rendu les réponfes qu’on leur attribue. Il
fuffit qu’on n’a pu attribuer de fauffes réponfes
qu’à des oracles que l’on favoit qui fubfiftoient encore
effectivement ; & les hiftoires que tant d’auteurs
en ont débitées, prouvent aflez qu’ils n’a-
voient pas cefle.
En général, les oracles n’ont cefle qu’avec le pa-
ganifme ; 8c le paganifme ne ceffa pas à la venue
de Jefus-Chrift. Conftantin abattit peu de temples ;
encore n’ofa-t-il les abattre qu’en prenant le prétexte
des crimes qui s’y commettoient. C’eft âinfi
qu’il fit renverfer celui de Vénus aphacite, & celui
d’Efculape qui étoit à Egès en Cilic ie, tous deux,
temples à oracles: mais il défendit que l’on facrifiât
aux dieux, 8c commença à rendre £ar cet édit les
temples inutiles.
On fait qu’il reftoit encore beaucoup Ü oracles,
lorfque Julien fe vit empereur; & que de ceux qui
étoient ruinés, il s’appliqua à en rétablir quelques-
uns. Il fit plus; il voulut être prophète de Y oracle
de Didyme. C ’étoit le moyen de remettre en honneur
la prophétie qui tomboit en difcrédit. Il étoit
fouverain pontife, puifqu’il étoit empereur ; mais
les empereurs n’avoient pas coutume de faire grand
ulage de cette dignité facerdotale. Pour lu i, il prit
la chofe bien plus férieufement ; 8c nous voyons
dans une de fes lettres qui font venues julqu’à
nous, qu’en qualité de fouverain pontife, il défend
à un prêtre payen de faire pendant trois mois aucune
fonction de prêtre.
Jovien, fon fuccefleur, commençoit à fe porter
avec zele à la deftruftion dit paganifme ; mais en
fept mois qu’il régna, il ne put pas faire de grands
progrès. Théodofe, pour y parvenir, ordonna de
fermer tous les temples des Payens. Enfin l’exercice
de cette religion fut défendu fous peine de la v ie ,
par une conftitution des empereurs Valentinien 8c
Marcien, l ’an 451 de Jefus-Chrift.
Le paganifme enveloppa néceflairement les oracles
dans fa ruine, lorfqu’il fut abolijpar le Chriftia*
nifme. D ’ailleurs il eft certain que leChriftianifme,
avant même qu’il fut encore la religion dominante,
fit extrêmement tort aux oracles, parce que les chrétiens
s’étudièrent à en defabufer les peuples, & à
en découvrir l’impofture. Mais indépendamment
du chriftianifme, les oracles ne laifloient pas de
décheoir beaucoup par d’autres caufes, & à la fin
iljs euffent entièrement tombé.
On commença à s’appercevoir qu’ ils dégénérèrent,
dès qu’ils ne fe rendirent plus en vers. Plutarque
a fait un traité exprès pour rechercher là
caufe de ce changement ; & à la maniéré des
Grecs, il dit fur ce fujet tout ce qu’on peut dire
de vrai & de faux. Entr’autres raifons vraiflem-
blables, il prétend que les vers prophétiques fe
décrièrent par l’ufage qu’en faifoient de certains
charlatans , que le menu peuple confultoit le plus
fouvent dans les carrefours. Les prêtres des temples
ne voulurent avoir rien de commun avec eux;
parce qu’ils étoient des charlatans plus nobles 8c
plus férieux, ce qui fait une grande différence dans
ce métier-là. Mais ce qui contribua le plus à ruiner
les oracles , fut la foumifîion des Grecs fous
la domination des Romains, qui, calmant toutes
les divifions qui agitoient auparavant la Gre ce ;
l’efclavage produifant la pa ix, ne fournit plus de
matière aux oracles.
Si les Romains nuifirent beaucoup aux oracles par
la paix qu’ils établirent dans la Grece , ils leur nuifirent
encore plus par le peu d’eftime qu’ ils en faifoient.
Ce n’étoit point là leur folie ; ils ne s’atta-
choient qu’à leurs livres fibyllins & à leurs divinations
étrufques, c’eft-à-dire aux arufpices & aux augures.
Les maximes 8c les fejitimens d’un peuple
qui domine, paffent aifément dans les autres peuples
, 8c il n’eft pas furprenant que les oracles étant
une invention grecque aient fuivi la deftinée de la
G re ce, qu’ils aient été floriflans avec elle , & qu’ils
aient perdu avec elle leur premier éclat.
La fourberie des oracles étoit trop grofliere, pour
n’être pas enfin découverte par mille différentes
avantures, 8c même par quelques avantures fcan-
daleufes qui deflillerenr les yeux de bien du monde.
Il arriva que les dieux devenoient quelquefois amoureux
des belles femmes qui venoient confulter leurs
oracles. Alors on envoyoit ces belles femmes palfer
des nuits dans les temples de la divinité ; parées de
la main même de leurs maris , 8c chargées de pré-
fens pour payer le dieu de fes peines. A la v érité,
on fermoit bien les temples à la vue de tout le mon-;
d e , mais on ne garantifloit point aux maris les chemins
fouterreins.
Nous avons peine à concevoir que de pareilles
chofes aient pu être faites feulement une fois. Cependant
Hérodote nous affaire qu’au huitième &
dernier étage de cette fuperbe tour du temple de
Bélus à Bâbylone, étoit un lit magnifique où cou-
choit toutes les nuits une femme choifie par le dieu.
Il s’en faifoit autant à Thèbes*n Egypte ; & quand
la prêtreffe de Y oracle de Patare en Lycie devoit
prophétifèr , il falloit auparavant qu’elle couchât
feule dans le temple où Apollon venoit l’infpirer.^
Tout cela s’étoit pratiqué dans les plus épaiffës
ténèbres du paganifme, 8c dans un tems où les cérémonies
payennes n’étoient pas fujettes à être contredites
; mais à la vue des chrétiens,le, Saturne d’Alexandrie
ne laifloit pas de faire venir les nuits dans
fon temple , telle femme qu’il lui plaifoit de nommer
par la bouche de Tyrannus fon prêtre. Beaucoup
de femmes avoient reçu cet honneur avec
grand refpeft, & on ne fe plaignoit point de Saturne
, quoiqu’il foit le plus âgé 8c le moins galant
des dieux. Il s’en trouva une à la fin, qui ayant
couché dans le temple, fit réfléxion qu’il ne s’y étoit
rien pafle que de fort humain , 8c dont T y rannus
n ’eut été aflez capable ; elle en avertit fon mari qui
fit faire le procès à Tyrannus. Le malheureux avoua
tou t, 8c dieu fait quel fcandale dans Alexandrie.
Le crime des prêtres, leur inlolence, divers évé*
nemens qui avoient fait paroître au jour leurs fourberies
, l’obfcurité, l’incertitude , 8c la faufleté de
leurs réponfes auroient donc enfin décrédité les oracles
y 8c en auroient caufé la ruine entière , quand
même le paganifme n’auroit pas dû finir ; mais il s’eft
joint à cela des. caufes étrangères. D ’abord de grandes
feétes de philofophes grecs qui fe font mocqirés
des oracles ; enfuite les Romains qui n’en faifoient
point d’ufage ; enfin les Chrétiens qui les déteftoient
8c qui les. ont abolis avec le paganifme.
Tout ce qui étoit difperfé fur les oracles fans les
auteurs anciens, méritoit d’être recueilli en un corps;
c ’eft ce qu’a exécuté avec beaucoup de gloire M.
Van-Dale ( Antoine ) , habile critique du dernier
fiecle par fon ouvrage plein d’érudition’ , de ora-
culis Echnicorum, Amfi.oe.1. 1 y 00. in-40. Il y prouve
également qu’on ne doit attribuer les oracles qu’aux
tromperies des prêtres, 8c qu’ils n’ont cefle qu’avec
le paganifme. 11 a épuifé tout ce qu’on peut
dire fur cette matière.
M. de Fontenelle, l’homme le plus propre à ôter
d’un livre écrit pour les favans , toute la fécherefle
qui le rend de peu d’ufage, & y répandre des orne-
mens dont fout le monde profite , en a formé fon
traité des oraçles , qui eft fans contredit un de fes
meilleurs ouvrages.
Le pere Balihus, jéfuite,fe prepofa vingt ans après
de le réfuter. L’hiftorien de l’académie des Sciences
crut qu’il étoit fage de ne pas répondre : il trouva
dans M. du Marfais un défenfeur éclairé qui le jufti-
fioit fans réplique contre les imputations du P. jé-
fuite, mais il eut lui-même une défenfe exprefle de
faire paroître fon livre ; cependant M. Dalembert
s ’eft donné la peine d’en faire l’analyfe , d’après
des fragmens qui lui en ont été remis. Cette ana-
lyfe intéreffante eft à Ja tête du tome VII. de l’En-
cyclopedie dans l’éloge de M. du Marfais.
Pour laifler de mon côté peu de chofe à defirer
fur cette matière , je vais joindre ici des articles fé-
parés de quelques-uns des principaux oracles du paganifme.
Il y en avoit tant qu’un favant littérateur
qui en a fait la lifte dans les anciens, en indique
plus de trois cens, dont le plus grand nombre étoit
dans la Grece rmais il ne les a pas fans doute tous
nommes ; car il y avoit peu de temples où il n’y
Tome X I .
eût quelques oracles ou quelque efpece de divination.
Il y en avoit de toutes fortes de dates , depuis
celui de Dodone qu’on croit le plus ancien, jufqu’à
celui d’Antinoiis , qu’on peut regarder comme le
dernier. Quelquefois même le crédit de quelques-
uns des anciens fe perdoit , ou par la découverte
des impoftures de leurs miniftres ou par les guerres
, ou par d autres accidens qu’on ignore. A la
perte de ceux-là en fuccédoient de nouveaux qu’on
avoit foin d établir , & ceux-ci de même faifoient
place à d’autres ; mais le tems de la décadence de
plufieurs de ces oracles 8c de l’inftitution des nouveaux
, ne nous eft point connu. ( Le chevalier DK
J a u c o u k t . ' ) .
ORACLE d’Am m o n , (Théolog. payenne.^ L’u-
racle de Jupiter Ammon en L yb ie, étoit aufli ancien
que celui de Dodone. Il devint très-célebre, & on
venoit le confulter de toutes parts , malgré les incommodités
d’un fi long voyage’, & les fables brû-
lans de la Lybie qu’il falloit traverfer. On ne fait
trop que penler de la fidélité des prêtres qui le fer-
voient. Quelquefois ils étoient incorruptibles, comme
il paroît par l’accufation qu’ils vinrent former
à Sparte, contre Lyfander qui avoit voulu les corrompre
dans la grande affaire qu’il méditoit pour
changer l’ordre de la fucceflion royale ; quelquefois
ils n étoient pas fi difficiles , comme il paroît
par I hiftoire d Alexandre , lequel pour mettre à
couvert la réputation de fa mere., ou par pure vanité
, vouloit pafler pour fils de -Jupiter , puilque le
prêtre de ce dieu alla au-devant de lu i, 8c le falua
comme fils du maître des dieux.
Nous apprenons de Quinte Curce 8c d’autres auteurs
anciens, que laftatue de Jupiter Ammon avoit
la tête d’un bélier avec fes cornes ; & de Diodore
de Sicile , la maniéré dont ce dieu rendoit fes oracles
, lorlque quelqu’un venoit le confulter. Quatre-
vingt prêtres de ce dieu portoient fur leurs épaules
dans un navire doré fa ftatue , qui étoit couverte
de pierres précieufes ; 8c alloient ainfi fans tenir de
route certaine , où ils croyoient que le dieu les
pouffoit. Une troupe de dames & de filles accom-
pagnoient cette proceflion , chantant des hymnes
en l’honneur de Jupiter. Quinte-Curce qui dit la
même chofe, ajoute que le navire ou la niche fur
laquelle on portoit la ftatue de ce dieu, étoit ornée
d’un grand nombre de pateres d’argent qui pen-
doient des deux côtés. Ç ’étoit apparemment fur
quelque figne ou fur quelque mouvement de la ftatue
, que les prêtres annonçoient les décifions de
leur Ammon : car comme le remarque Strabon fur
l’autorité de Callifthène , les réponfes de ce dieu
n’étoient point des paroles , comme à Delphes 8c
chez les Branchides , mais un figne ; 8c il cite à cette
occafion, les vers d ’Homere où le poète dit: » Ju-
» piter donna de fes fourcils un figne de confente-
» ment. »
Jupiter fut le même qu'Ammon des Egyptiens ; 8c
comme Ammon étoifen pofleflion de Voracle pour
lequel les Egyptiens avoient le plus de vénération ;
on confacra à Jupiter le leul oracle qu’il y eût alors
parmi les Pélafges.
Thomas Gale , dans fes notes fur Jamblique, a
prouvé qu’Ammon, Amoun, Amon% Amos, AmojitSy
Amajis y Amojîs, T hémous, Thamus, ne font qu’un
même nom. (Z). JA
Oracle de C laros , (T h éo lo g .p a y en n e .') oracle
célébré d’Apollon, établi à C la ro s, au pays des Co-
lophoniens en Ionie, près de la ville de Colophon.
Cet oracle avoit cela de particulier , que le prêtre
répondoit verbalement à ceux qui venoient le confulter
, fans qu’il employât de longes & fans recevoir
des billets cachetés comme ailleurs ; mais fans
ï y y ij