«comprendre, par les principes que nous venons d’établir
, les phénomènes fuivans :
i° . L’affinité qui fe trouve entre les corps odori-
férans 6c les corps favoureux , ou entre les objets
<lu goût & de l’odorat. L’odorat n’eft fouvent que l’avant
goût des faveurs , la membrane qui tapiffe le
nez étant une continuation de celle qui tapiffe le
palais; de-là naît une grande liaifon entre ces deux,
organes. Les narines ont leurs nerfs très déliés & découverts
; la langue a un réfeau épais & pulpeux;
ainfi l’odorat doit être frappé avant le goût. Mais il
y a quelque chofede plus : les corpufcules qui font
les odeurs , retiennent fouvent quelque choie de la
nature des corps dont ils fortent : en voici des
preuves.
i° . Les corpufcules qui s’exhalent de l’abfynthe
font lur la langue les mêmes impreffions que Tabfyn-
the même. Boyle dit la même chofe du fuccin dil-
fout'dans Tefprit-de-vin. i ° . Le même auteur ajoute
qu’un de le s amis ayant fait piler de l’hellébore noir
dans un mortier-, tous ceux qui fé trouvèrent dans
la chambre furent purgés. Sennert affure la même
chofe au fujet delà coloquinte. 30. Quand on diftille
des matières foraniferes , on tombe louvent dans un
profond fommeil. 40. On prétend que quelques per-
fonnes ont prolongé quelque tems leur vie par l’odeur
de certaines matières. Le chancelier Bacon rapporte
qu’un homme vécut quatre jours foutenu par
l’odeur feule de quelques herbes mêlées avec de l’ail
& des oignons. Tous ces faits juftifient qu’il le trouve
une grande liaifon entre les odeurs & les faveurs de
beaucoup de corps, parce qu’ils produifent les mêmes
effets à ces deux égards.
Puifqu’il régné tant d’ affinité entre les odeurs & le
goût, d’où vient que des odeurs defagréables, comme
celles de l’a i l, des choux , du fromage , & de
plufieurs autres chofes corrompues * ne choquent
point quand elles font dans des alimens dont le goût
plaît ? c’eft parce qu’on s’y eft habitué de bonne
heure fans accident, & fans que la fanté en ait fouf-
fert. Ceux qui fe font efforcés à goûter, à fentir des
chofes qui les révoltoient d’abord, viennent à les.
fouffrir & finalement à les aimer. Il arrive auffi quelquefois
que les averfions & les inclinations qu’on a
pour les odeurs 6c les faveurs, ne font pas toujours
fondées fur des utilités 6c des contrariétés bien effectives
, parce que les idées qu’on a de l’agréable ou
du defagréable , peuvent avoir été formées par des
iugemens précipités que l’ame réforme à la fin par
des réflexions philofophiques.
2°. Pourquoi ne fent-on point les odeurs quand
•on eft enrhumé ? parce que l’humeur épaiffe qui eft
fur la membrane pituitaire arrête les corpufcules odo-
riférans qui viennent du dehors , 6c leur bouche les
-paffages par où ils peuvent arriver jufqu’aux nerfs
• olfa&ifs 6c les agiter.
30. Pourquoi les odeurs rendent-elles fouvent la
vie dans un inftant, 6c fortifient-elles quelquefois
•d’une façon finguliere ? Par exemple , il n’eft rien
d e plus puiffant dans certains cas que l’efprit volatil
du fel armoniac préparé avec de la chaux vive : cela
vient de ce que les parties des corps odoriférans, en
agitant les nerfs olfa&ifs, agitent ceux qui communiquent
avec eux 6c y portent le fuc nerveux; d’ailleurs
elles entrent peut-être dans les vaiflêaux fan-
guins fur lefquels elles agiffent, & dans lefquels par
' conféquent elles font couler les liqueurs rapidement.
Toutes ces caufes nous font revenir des fyncopes ,
puifqu’elles ne confiftent que dans une ceffation de
mouvement. Enfin, il y a un rapport inconnu entre
le principe vital & les corps odorans.
40. Mais d’où vient donc que les odeurs caufent
■ quelquefois des maladies, la mort, & prefque tous
les effets des médicamens & des poifons ? c’eft lorfque
l’agitation produite parles corps odoriférans eft;
trop violente : alors elle pourra porter les convul-
fions dans les parties dont les jnerfs communiquent
avec ceux du nez ; ces convulfions pourront donner
des maladies, & finalement la mort. La puanteur
des cadavres a quelquefois caufé des fievres mali-.
gnes. Méad parle d’une eau qui fortit d’un cadavre,
dont le feul attouchement, tant elle étoit corrofive,
excitoit des ulcérés* On prépare des poifons fi fub-
tils * que leur odeur fait mourir ceux qui les infpi-
rent : l’Hiftoire n’en fournit que trop d’exemples.
On connoît le danger du foufre allumé dans des
endroits privés d’air ; les vapeurs n30rtell.es de cèr-,
taines cavernes fouterreines, celles du foin échauffé
dans.des granges fermées ; les vapeurs,du vin 6c li-.
queurs qui fermentent : cependant dans tous ces cas
il y a une autre caufé nuifible que celle des odeurs,
c’eft qu’on eft fuffoqué par la perte du reffort de l’air
qu’on refpire ; car l’air plus léger qu’il ne dpit être ,
ou privé de fon élafticité, tue par l’empêchement
même de la refpiration.
- Enfin, des odeurs produiront les effets des médi-»
camens, quand elles retiendront-quelque chofe de
la nature des corps dont elles fortent, qui fe trou-*
vent être purgatifs ou vomitifs ; c’eft pourquoi l’o- ;
deur des pilules cochiées purgeoit un homme dont,
parle Fallope. Dans Schneider 6c Boyle, on lit divers
exemples lèmblables. Plufieurs purgatifs n’a-
giffent que par leur efprit refteur , félon Pechlin ,
un des hommes qui a le mieux écrit fur cette matière..
Or de quelle volatilité, de quelle fubtilité n’eft point
cet efprit retteur ,-puifque le verre d’antimoine com- ,
mimique au vin une vertu émétique fans perdre de
fon poids ?
50. Pour quelle raifon la même odeur du même
corps odoriférant produit-elle des effets oppofés en
différentes perfonnes ? Guy-Patin parle d’un médecin
célébré que l’odeur agréable des rofes jettoit en
foibleffe. On ne voit en effet que des fenfations différentes
en fait d’odeurs : c’eft que chacun a fa dif-
pofition nerveufe inconnue , 6c des efprits particuliers
qui gouvernent l’ame.& le corps , comme s’il
étoit fans ame ; les nerfs olfaâifs font moins fenfi-
bles dans les uns que dans les autres ; ainfi les mêmes
corpufcules pourront faire des impreffions fort'
différentes. Et voilà la caufe pourquoi les odeurs qui
ne font pas fenfibles pour certaines perfonnes , pro?
duifent en d’autres des effets furprenans.
Ces effets mêmes font quelquefois fort bifarres ,
car dans l’affeâion hyftérique les femmes reviennent*
par la force de certaines odeurs defagréables & très-
pénétrantes , au lieu que les bonnes odeurs aigriffent
leur mal. Nous ne dirons pas , pour expliquer ce
phénomène, que les bonnes odeurs arrêtent un peu
le cours du fuc nerveux , & doivent par.conféquent
produire un dérangement. Nous n’attribuerons pas
non plus cet effet des bonnes odeurs à la vertu fom-
nifere : ces fortes d’explications font de vains rai-
fonnemens qu’aucun principe ne fauroit appuyer.
N’oublions pas cependant de remarquer que l’habitude
a beaucoup d’influence fur Yodorat, & que l’imagination
ne perd rien de fes droits fur tous les fens.
D ’où vient ce mufe, fi recherché jadis, donne-t-il aujourd’hui
des vapeurs à toutes les dames, 6c même à
une partie des hommes , tandis que le tabac , odeur
ammoniacale & venimeufe,fait le délice des odorats
les plus fufceptibles de délicateffe ? Eft ce que les
organes font changés ? Ils peuvent l’être à quelques
égards , mais il en faut fur-tout chercher la caufe
dans l’imagination, l’habitude 6c les préjuges de
mode.
6°. Pourquoi Vodorat eft-il fi fin dans les animaux
qui ont de longs becs, de longues narines, & les os
fpongieux confidérables ? Parce que les vrais 6c pre-.
iïiiefs organes de Yodorat paroiffent être les cornets
offeux; ces cornets par leur nomhre de çontours en
volute , multiplient les parties de la fenfation, donnent
plus d’étendue à la membrane qui reçoit les di-
vifions infinies des nerfs olfaélifs, 6c par conféquent
rendent Yodorat plus exquis. Plus un animal a de nez^
plus fés cornets, ont de lames. Petham dit que dans
le chien de chaffe, les nerfs ont une plus vafte ex-
panfion dans les narines ,& que leslamesy font plus
entortillées, que dans aucune- autre bête. Dans le
lie v re , animal-qui a du nez, & un nez qu’il remue
toujours;, les petits- os font à cellules en-dedans,-
avec plufieurs. cornets ou tuyaux. L’os fpongieux
du boeuf a intérieurement un tiflù réticulaire ; cet os
dans le cheval, forme des corners entortillés avec
des cellules à rets , félon les obfervktions de Gaffé-*
rius, deSchneïder 6c de Bartholin. C ’eft par le mê?
me méchanifme que le cochon fent merveilleufe-
ment les racines qu’il cherche en terre. La main de
l’éléphant n’eft qu’un nez très-long, & fa trompe,
dont Duverney a feulement décrit la fabrique muf-
culeufe , n’eft prclqu’un affemblage de nerfs, olfactifs
: cet organe a donc une énorme furface dans cet
animal.
Sténon a démontré la même chofe dans les poif-
fons , dont les nerfs olfaélifs reffemblent aux nerfs
optiques,. 6c fe terminent en un femblable hémifphe*
re. Ainfi réglé générale, à proportion delà longueur
des narines; des cornets offeux 6c Contournés, la
fineffe 6c l’étendue de Yodorat fe multiplient dans
l’homme & dans les autres animaux. Quant aux oi-
feaux, ils ont dans les narines des veffies à petits tubes
, 6c garnies de nerfs vifibles , qui viennent des
proceflùs mamillaires par l’os cribleux. I f y en a
beaucoup dans le faucon, l’aigle 6c le vautour. On
dit qu’après la bataille qui décida de l’empire du
monde entre Céfar 6c Pompée, les vautours paffoient
de l’Afie à Pharfale.
70. Comment dés corps odoriférans, très-petits,
peuvent-ils répandre fi long-tems dés odeurs fi fortes
, fans que les corps dont ils s’exhalent paroiffent
prefque. avoir perdu de leur malle à en juger par leur
pefanteur ? Un morceau d’ambre gris ayant étéfuf-
pendu dans une balance, qu’une petite partie d’un
grain faifoit trébucher, ne perdit rien de fon poids
pendant 3 jours , ni l’affa foetida en 5. Une once de
noix mufeade ne perdit en 6 jours que cinq grains &
demi ; & une once de clous.de gérofle fept grains 6c
trois huitièmes : ce font des expériences de Boyle.
Une feule goutte d’huile de canelle dans une pinte de
v in , lui donne un goût aromatique. On fait avec
cette même huile un efprit très-vif, lequel évaporé
laiffe le refte fans odeur ni diminution. Une goutte
d’huile de Galanga embaume une livre de thé. Les
plus fubtiles particules odoriférantes ne paffent cependant
point au-travers du verre, ce corps que
pénétrent le feu, la lumière & la matière de l’aimant:
donc elles font d’une nature plus grofliere. Mais les
fels fixes, les terres les plus arides, l’alun, le vitriol,
démontrent avec quelle facilité la partie humide de
l’air va pénétrer différens corps, 6c conûitue un
tout avec eux. Tout cela porte à croire que les petits
corpufcules odoriférans reçoivent des parties
d’air commun, qui les remplacent à mefure qu’ils
s’exhalent ; 6c ceft la raifon pour laquelle cette évaporation
fe fait fans diminution de la maffe.
8°. Pourquoi la puanteur qui s’exhale de parties
d’animaux, ou de végétaux putréfiés, fait-elle fur
les narines une impreflion fi longue, fi opiniâtre &
• fi défagréable? La fétidité d’une maladie mortelle
porte au nez pendant plufieurs jours. odorat n’eft-il
pas longttems affe&e des rapports nidoreux d’une
matiereindigefte qui croupit dans l’eftomac ? Comm
e il y^a beaucoup de détours dans la membrane
pituitaire, 6c qu’il s’y trouve, toujours de la mucofité,
cette mucofité vicieufe y retient, & prend pour-
ainfi-dire a la glu, ces corpufcules empoifonnés qui
s exhalent des corps malades,des parties"d’animaux,
ou-de-végétaux putréfiés. On a befoin de prendre
beaucoupxle matière fternutatoire pour difliper ces
corpufcules; l’agitation qui furvient alors à la mem-
brane pituitan e, 6c 1 humeur muqueufe qui coule en
abondance produit cet effet ; fi de pareilles odeurs
étoient portées au nez après l’éternuement, elles
feroient encore plus d’imprefiion, comme onl’éprou-
Ve-^lbn lever,'.
90. Pourquoi Yodorat eft-ril émouffé quand on s’éveille
le matin , 6c devieht-il plus v if après qu’on a
éternué? Nous venons de l’expliquer. Alors, c ’eft-à-
dire au revei-I, une humeur épaiffe couvre la membrane
pituitaire, parce que la chaleur a évaporé la
partie aqueufe, & a laifle la matière grofliere qui n’a
pu être chaffée durant le repos de la nuit; cette humeur
■ vifqueufe arrête les corpufcules odoriférans,
mais quand on Ta rejettée par la force de la fternu-
tation ou Témonéfion, les nerfs fe trouvent libres &
pleins du fuc nerveux, ils font plus fenfibles qu’au-
paravant.
IO9. Pourquoi les plus forts odoriférans font-ils
fternutatoires ? Parce qu’en ébranlant fortement les
nerfs olfa&ifs, ils ébranlent les nerfs qui fervent à la
refpiration 6c qui communiquent avec eux.
11°, Pourquoi ne fent-on rien quand on court
contre le vent ? Parce que le vent defleche le mucus
qui lubrefie la membrane pituitaire, & qu’aucun
nerf n’a de fentiment s’il n’eft humeûé.
12°. Enfin il y a des odeurs fi fortes, comme^celle
de l’oignon, du vinaigre, du foufre allumé, de l’ef-
prit de nitre, qu’elles n’agiffent pas feulement fur
l’organe de Yodorat, mais qu’elles bleffent les yeux.
On en peut trouver la caufe dans la communication
du ncrfophthalmique avec celui feYodorat.
Le fentiment que les yeux fouffrent des odeurs
fortes, eft un fentiment du toucher, pareil à celui
que la lumière ramaflee caufe fur la peau, ou à celui
que des faveurs très viv es, telles que les âcres
6c les acides exaltés , caufent fur la langue ; mais
comme la peau n’eft émue par les objets de la
vue 6c du goût, que quand ils agiffent avec une véhémence
extraordinaire ; de meme les yeux ne fouffrent
de la douleur des odeurs , que lorfqu’elles ont
une force affez grande pour bleffer leur délicateffe ;
6c comme les odeurs en général font d’une nature
particulière qui ébranle toujours leur propre organe,
ceux de la vûe 6c du goût ne font point ébranlés
de la même maniéré, & par conféquent ne font point
affedés de la fenfation de Yodorat.
Le fens de /’odorat eji.plus parfait dans les animatfx.
Les hommes ont Yodorat moins bon que les animaux ;
6c la raifon en eft évidente par l’examen de la conf-
tru&ion de l’organe. Je fais que le P . du Tertre, dans
fon voyage des Antilles, 6c le P. Laffitau, dans fon
livre des moeurs des Sauvages, nous parlent, l’un
de negres & l ’autre de fauvages qui avoient Yodorat
plus fin qu’aucun chien de chaffe, & qui diftin-
guoient de fort loin la pifted’un noir, d’unfrançois
& d’un anglois : mais ce font des faits trop fufpe&s
pour y donner confiance. Il en eft de même d’un
garçon dont parle le chevalier Digby, qui élevé dans
une forêt où il n’avoit vécu que de racines, pouvoir
trouver fa femme à la pifte, comme un chien fait fon
maître. Pour ce qui eft du religieux de Prague, qui
connoiffoit par Yodorat les différentes perfonnes,
diftinguoit une fille ou une femme chafte de celles
qui ne Tétoient point, c ’eft un nouveau conte plus
propre à fournir matière à quelque bon m ot, qu’à la
créance d’un phyficien.
J e c o n v i e n s q u e l e s h o m m e s p a r l e u r g e n r e d e