lice par fa valeur , 6c n’avoir jamais jette fon bouclier!
Efchine emploie fort adroitement ce motif
dans la harangue contre Çtéfiphon , en reprochant
à Démofthene la fuite de Chéronee. Il devoit epou-
fer une Athénienne, & avoir fes poffeflions dans
l’Attique, 6c non ailleurs. Demofthene accufe Efchine
de pofféder des terres en Béotie. Enfin on exa-
minoit rigidement le récipiendaire fur fa capacité ,
fur lés études 6c fur fa fcience. Il avoir encore befoin
du témoignage des tribus affemblees, pour être eleve
à la dignité d’orateur, & i l confirmoit leur aveu public
en jurant fur les autels.
Je finirai par dire un mot de leurs recompenfes.
Les orateurs tiroient leurs honoraires du tréfor public
; chaque fois qu’ils partaient pour l’état ou pour
les particuliers , ils recevoient une drachme , tomme
modique par rapport à notre tems, mais fort confédérale
pour lors. En les gageant fur l’état, on
vouloit mettre des bornes a l’avarice des particuliers
, 6c leur apprendre à traiter la parole avec une
vraie grandeur d’ame.
Cet emploi ne devoit cependant pas être Hérite,
fi l’on en croit Plutarque. Il rapporte que deux Athéniens
s’exhortoient à devenir orateurs, en fe difant
mutuellement : « ami, efforçons - nous de parvenir
» à la moiffon d’or qui nous attend au barreau ». Le
befoin qu’on avoit de leurs lumières & de leurs ta-
lens , piquoit la reconnoiffance des particuliers. Ifo-
crate prenoit mille drachmes, c’eft-à-dire ,3 1 livres
fterling pour quelques leçons de Rhétorique.
L’éloquence étoit hors de prix. Gorgias de Léon-
tium avoit fixé fon cours de leçons à ioomines pour
chaque écolier , c’eft-à-dire à environ 311 livres
fterling. Protagore d’Abdére amaffa dans cette pro-
feffion plus d’argent que n’auroient jamais pû faire
dix Phidias réunis. Lucien appelle plaifamment ces
orateurs marchands, des Argonautes qui cherchoient
la toifpn d’or. Mais j’aime \$ générofité d’Ifée, qui
charmé du génie de Démofthene, 6c curieux dé
laiffer un digne fuccefléur, lui donna toutes fes leçons
gratuites.
Les honneurs qu’on leur prodiguoit pendant leur
vie êc après leur m ort, chatouilloient encore plus
l’ambition , que le falaire ne flattoit la cupidité. Au
fortir de l’affemblée 6c du barreau , on tes recon-
duifoit en cérémonie"jufqu’en leur logis , 6c 1e peuple
les fuivoit au bruit des acclamations : tes parties
affembloient leurs amis pour faire un nombreux
cortege, 6c montrer à toute la ville leur protecteur:
on leur permettoit de porter la couronne dont ils
étoient ornés , lorfqu’ils avoient prononcé des oracles
falutaires à leur patrie : on tes couronnoit publiquement
en plein fénat,oudansl’affemblée du peuple
, ou fur 1e théâtre. L’agonothete, revêtu d’un
habit de pourpre, & tenant en main un feeptre d’o r ,
annonçoit à haute voix fur 1e bord du théâtre 1e
motif pour lequel il décernoit la couronne, 6c pré-
fentoit en même-tems 1e citoyen qui devoit la recevoir
: tout le parterre répondoit par des applaudif-
femens redoublés à cette proclamation , & les plus
diftinguésdes citoyens jettoient aux pies de l’orateur
les plus riches préfens.Démofthene,qui fut couronné
plus d’une fois, nous apprend dans fa harangue pour
Çtéfiphon, que cet honneur ne s’accordoit qu’aux
fouverains 6c aux républiques.
Sous Marc-Aurele , Polémon, que toute la Grece
affemhlée à Olympie , appella un autre Demofthene,
.reçut, dès fa jeunette, tes couronnes que la ville de
Smirne vint, comme à l’envi, mettre fur fa tête. On
v i t , d’après le même u fage, des empereurs romains
monter fur 1e théâtre pour y proclamer tes favans
dans tes fpeclacles de la GreceT~En un mot , Athènes
ne croyoit rien faire de trop en égalant les ora~
tsurs aux fouyerains , 6c en prêtant à l’éloquence
l’éclat du diadème-; tandis qu’elle réfutait à Miltiade
une couronne d’o livier, elle prodiguoit de$ couronnes
d’or à des citoyens puiffans en paroles.
Non content de cette pompe extérieure, 1e peuple
d’Athènes nourriffoit fes orateurs dans le prytance
, leur accordoit des privilèges , des revenus 6c
des fonds : tes portes de leur logis étoient ornées de
laurier ; privilège fingulier , qui chez tes Romains
n’appartenoit qu’aux Flamines, aux Céfars , & aux
hommes les plus célébrés, comme 1e droit de porter
la couronne fur la tête. '
Après leur trépas , le public , ou des particuliers
confacroient dans les temples, à leur honneur, tes
couronnes qu’ils avoient portées, ou érigeoient
quelque monument fameux dans tes places, ou fur
leurs tombeaux. Timothée fit placer à Eleufine , à
l’entrée du portique, la ftatue d’Ifocrate, fculptée de
la main de Léocharès : On y li(oit cette infeription
fimple 6c noble : « Timothée a confacré cette ftatue
» d’Ifocrate aux déeffes, pour marque de fa recon-
» noiffancé 6c de fon amitié. Quelque tems avant
Plutarque , on voyoit fur le tombeau de cet orateur
une colonne de trente coudées , furmontée d’une
ftrene de fept coudées , pour défigner la douceur
& tes charmes de fon éloquence. Tout auprès étoient
fes maîtres. Gorgias entr’autres , tenant à les côtés
Ifocrate , examinoit une fphere , 6c l’expliquoit à
ce jeune éleve. Enfin, dans 1e Céramique , on avoit
érigé une ftatue à la mémoire de M orateur Lycurgue
qui avant que d’entrer dans 1e tombeau , prit à té-
njoin de fon défintéreffement le fénat, & toutes tes
tribus affemblées.
Je fupprime* à regret plufieurs autres détails fur
tes orateurs de la Grece ; mais j’ol'e croire qu’on ne
défapprouvera pas cette efquiffè tirée d’un des plus
agréables tableaux qu’on ait fait du barreau d’Athènes
; c’ell à M. l’abbé d’Orgival qu’il eft dû. Paf-
fons à la peinture des orateurs romains : elle n’efl:
pas moins intéreffante ; je crains feulement delà trop
affoiblir dans mon extrait. Le Chevalier D E J A 1/-
C O U R T .
O rateurs romains , ( Hift. de l'Eloq. ) je révolterai
bien des gens en établiffant des orateurs à
Rome dès 1e commencement de la république ; cependant
plufieurs raifons me femblent affez plaufi-
bles pour ne point regarder cette idée comme chimérique
, fous un gouvernement où rien ne fe déci-
doit que par la raifon , & par la parole ; car fans
vouloir donner tes premiers Romains pour un peuple
de philofophes , on eft forcé de convenir qu’ils
agiffoient avec plus de prudence , plus de circonf-
pe&ion, plus defolidité qu’aucun autre peuple, &
que leur plan de gouvernement étoit plus fuivi. A
la tête des légions ils plaçoient des chefs hardis, intrépides
, entendus': dans la tribune aux harangues,
ils vouloient des hommes éloquens 6c verfés dans
1e droit.
En effet, tes hiftoriens ne célèbrent pas moins l’éloquence
des iriagiftrats romains,. que l ’habileté des
généraux. Valerius Publicola prononça l’oraifon
funebre de Brutus fon collègue. Valere Maxime* dit
que l’éloquence du diélatcur Marcus Valerius fauva
l’empire , que tes difeordes des patriciens 6c du peuple
alloient étouffer dans fon berceau. Tite-Live re-
connoît des grâces dans 1e vieux ftyle de Menennius
Agrippa. Tullus , général desVolfques, ne permit
pas à Coriolan de parler dans l’affemblée de la
nation , parce qu’il redoutoit fon talent dans la parole.
Caïus Flavius élevé dans la poufliere du greffe
fut créé édite curule,à caufe de la beauté de fon élo-
cutien.Enfin Cicéron range danslaclaffedes orateurs
romains les premiers magiftrats de cet âge, & prouve
par - là la perpétuité de l’éloquençe dans la république
«
Mais Cicéron ne parle-t-il point fur ce ton pour
îaire honneur à fa patrie , ou pour exciter par des
•exemples la jeunette romaine à s’appliquer à un
art qui rend tes hpmmes qui le poffedent , fi fupé-
rieurs aux autres ? Je te veux bien : cependant peut-
on refuler 1e talent de la parole au tribun Marcus Ge-
nucius , 1e premier auteur de la loi agraire ; à Au-
lus Virginius , qui triomphe de tout l’ordre des patriciens
dans l’affaire de Céfon ; à Lucius Sextus qui
tranfmet le confulat aux plébéiens, malgré les efforts
6c l’éloquence d’Appius CIaudius?L’oppofition éter^
nelle entre tes patriciens & les tribuns exigeoit beaucoup
de talens, de génie, de politique & d’art. Ces
deux corps s’éclairoient mutuellement avec une ja-
loufie fans exempte , & cherchoient à fe fupplanter
auprès du peuple par la voie de l’éloquence.
D ’ailleurs 1e fa voir étoit eftimé dans ces premiers
fiecles de la république ; on y remarque déjà 1e goût
6c l’étude des langues étrangères. Scævola l'avoit
parler étrufque : c’étoit alors l’ufage d’apprendre
cette langue , comme l’obferve Tite-Live. On ne
mettoit auprès des en fans que des domeftiques qui
la luttent parler. L’infulte faite à un ambaffadeur
romain dans la Tarente, parce qu’il ne parloit pas
purement 1e grec * montre qu’on l’étudioit au moins
6c qu’on parloit tes langues des autres peuples pour
traiter avec eux. Dans tes écoles publiques , des littérateurs
enfeignoient tes belles-lettres. Dutemsde
-nos aïeux , dit-Suétone , lorfqu’on vendoit tes ef-
claves de quelque citoyen , on annonçoit qu’ils
étoient littérateurs , litteratores ; pour marquer qu’ils
avoient quelque teinture des fciences.
Je conviens que tes féditions & tes jaloufies réciproques
des deux corps qui agitèrent l’état, répandirent
l’aigreur, 1e fiel & la violence dans tes harangues
des tribuns ; un efprit farouche s’étoit emparé
de ces harangueurs impétueux : mais fous les Sci-
pions , avec un nouvel ordre d’affaires , tes moeurs
changèrent , & tes emportemens du premier âge dift
parurent. Annibal& Carthage humiliés, des rois traînés
au capitole , des provinces ajoutées à l’empire ,
la pompe des triomphes, & des profpérités toujours
plus éclatantes , infpirerent des fentimens plus généreux,
& des maniérés moins fauvages. L’air bruf-
que des Iciliens céda à l’urbanité & à la lageffe de
Lælius. La tribune admira des orateurs non moins
fermes, ni moins hardis que dans les premiers tems ,
mais plus infinuans, plus ingénieux , plus polis ; l'â-
creté d’humeur s’étant adoucie comme par enchantement
, tes reproches amers fe convertirent en unfel
fin 6c délicat ; aux emportemens farouches des tribuns
fuccéderent des faillies heureufes 6c fpirituel-
les. Les orateurs tranfportés d’un nouveau feu , 6c
changés en d’autres hommes , traitèrent tes affaires
avec magnificence en préfence des rois 6c des peuples
conquis , femerent de l'a variété 6c de l’agrément
dans leurs difeours , & les affaifonnerent de
cette urbanité qui fit aimer tes Romains , refpeâer
leur puiffance , 6c qui les rendent encore l’admiration
de l’univers.
L ’illuftre famille des Scipions produifit les plus
grands hommes de la république. Ces génies fupé-
rieurs ,-nés pour être les maîtrés dés autres , faillirent
tout d’un coup l’idée de la véritable grandeur
& du vrai mérite ; ils furent adoucir les moeurs de
leurs concitoyens par là politeffe , & orner leur efprit'par
la délicateffe du goût. Inftruits par l’expérience
& par la connoifl'ance du coeur humain, ils
s appërçurent aifément qu’on ne gagne un peuple
libre que par des raifons foliçles, & qu’on ne s’attache
des coeurs généreux que par des maniérés douces
& nobles ; ils joignirent donc à la fermeté des fiecles
precedens le ch'armode l’infinüation. Leurfieclè tut
1 aurorede-lads elle littérature le régné delà vé-
Tome X I . 0
ritaMe vertu romaine. Là probité & la hoblèffe des
fentimens reglerent leurs difeours comme leurs actions
; leurs termes répondirent en quelque forte à
leurs hauts faits ; ils ne furent pas moins grands ,
moins admirables dans la tribune, qu’ils furent terribles
à la tete des légionsüls lurent foudroyer l’ennemi
armé, & toucher le foldat rébelle : tes fouverains &
1 etranger furent frappes par l’éclat de leurs vertus ^
1e citoyen ne put réfifter à la force de leurs raifons.
Les Romains qui approchèrent le plus près ces
grands hommes , leurs amis, leurs clients, prirent
infenfiblement leur efprit,& le communiquèrent aux
autres parties de la république. On accorda à Lælius
un des premiers rangs entre tes orateurs. Caïus Galba
, êgendre de Publius Craffus, & qui avoit pouf
maxime de ne marier fes filles qu’à des favans & à
des orateurs , étoit fi eftimé du tems de Cicéron ,
qu’on donnoit aux.jeunes gens , pour les former à
l’éloquence ', la peroraifôn d’un de fes difeours.
Les harangués de Fabius Maximus , graves, majef-
tueufes, 6c remplies de folidité 6c de traits lumineux
, marchoient dé pair avec celles de Thucydide-.
L’éloquence harmonieufe de M. Corn. Cétégus fut
chantée par le premier Homere latin.
Le génie de l’éloquence s’étoit emparé des tribunes
, où il n’étoit plus permis de parler qu’avec
élégance & avec dignité. Le fénat entraîné par l’é-
loquence du dépuie d’Athencs , n’a pas la force de
refufer la paix aux Ætoliens. Léon, fils de Scéfias,
comparoit dans fa harangue les communes d’Ætolie
à une mer dont la puiffance romaine avoit maintenu
le calme , 6c dont le louffle. impétueux de Thoas
avoit pouffé les flots vers Antiôchus , comme contré
un écueil dangereux. Cette comparaifon flatteufe &
brillante charma cette augufte compagnie : on n’admira
pas avec moins d’étonnement les éloquens dif-
cours des trois philofophes grecs que les Athéniens
avoient envoyés au lénat pour demander la remife
d’une-amende de cinq cens talens qui leur avoit été
impofée pour avoir pillé les terres de la ville d’Orope.
A peine pouvoit-on en croire te fénareur Coecilius,
qui leur fervoit d’interprete, & qui traduifit leur
harangue. La converfation dé ces grecs 6c la lefturé
de leurs écrits, alluma une ardeur violente pour l’étude
d’un art aufîï puiffant fur les coeurs.
Les deux Gracches s-attirèrent toute l’autorité par
1e talent de la parole ; & firent trembler le fénat par
cette feule voie. Sans diadème & fans feeptre , ils
furent les rois de leur patrie. Elevés par une fnere
qui leur tint lieu de maître , ils puiferent dans fon
coeur grand & é lev é, une ambition fans bornes, &
dans fes préceptes le goût de la faine éloquence &
de la pureté du langage qu’elle poffédoit au fouve-
rain degré. Ils ajoutèrent à cette éducation domef-
tique leurs propres réflexions , 6c y mêlèrent quelque
chofe de leur humeur & de leur tempérament*
Tiberius Gracchus avoit toutes les grâces de la
nature , qui fans être le mérite l’annoncent avec
éclat. Des moeurs intègres , de vaftes eonnoiffan-
ces, un génie brillant & fon éloquence attiroient
fur lui les yeux de tous fes concitoyens« Caïus voulant
comme fon frere abaiffer tes patriciens , parloit
avec pius de fierté 6c de véhémence, redemandant
an fénat un frere dont 1e fang couloit encore fur lès
degrés du capitole, 6c reprochant au peuple fa lâcheté
6c fa foibieffe, de laiffer égorgër à fes yeux le
foutien de fa liberté.
Caton 1e cenfeur , non-moins véhément que le
dernier des Gracches, montra tout le brillant de l’i—
ni agi nation, & tout le beau des fentimens;il ne lui
manquoit qu’une certaine fleur de fty le , & un coloris
qu’on n’imaginoit pas encore de fon tems. Toujours
ànx prifes avec les deux Africains & les deux
Gracches , avec le fénat 6c le peupte,-'hnit fois ac*
C C c e