la civilisation même, la médaille s’est par lui rajeunie et
regénérée. Il y a faitpénetrer la vie, la nature, la lumière,
la poésie. Il lui a donné une âme, et une âme pareille à
la sienne, c est-à-dire vibrante, mobile, frémissante,
parfois douloureuse. J ’ai vu couler des larmes devant
celles de ses oeuvres qui pleurent elles-mêmes : telle
l’inconsolable PATRIA de i'8c)5 ; tel, dans les Funérailles
de Carnot, l’incomparable groupe des six femmes
qui portent le cercueil et dont on ne voit rien que leurs
voiles, mais dont il semble qu’on entende les sanglots;
telle enfin cette pathétique image qui, au revers des
Noces d’argent d’A lfr e d Engel et de Catherine Kcech-
lin (i) de Mulhouse, exprime d’une si poignante façon
les amertumes de l’exil : NOS hPATRIÆ * FINES É ET •
EULCIA • LINQUIMUS • ARVA. C’est le patriotisme
même que Roty et nous l ’en aimons d’autant plus.
Aussi bien la poésie, chez lui, n’est pas forcément
élégiaque. Elle sait être idyllique, comme dans l ’exquisë
Médaille de mariage dont la Monnaie de Paris a depuis
douze ans enrichi tant de corbeilles nuptiales. Elle sait
être tendre, comme dans la Vierge et l'Enfant Jésus
ou comme dans Maternité. Elle sait être mystique;
comme dans Jeanne d ’Avc et Sainte Geneviève. Elle sait
être méditative comme dans IN LABORE QUIES et
comme dans la médaille de l’Association française pour
l’avancement des sciences. Elle sait être lyrique et
passionnée, plus même parfois que le sujet ne l’exige,
comme dans 1 Exposition internationale d’électricité
de 1880, ou comme dans l'Ouverture du chemin de fe r
d Alger a Constantine (1886). Il nous montre les deux
(1) Un des enfants dont les portraits juxtaposés forment le revers de cettç
plaquette, Pierre Engel, devenu officier de marine, a péri, le 26 mai dernier
dans la catastrophe du Pluviôse.
villes s’embrassant très amoureusement, chose rare entre
chefs-lieux voisins; et, au revers, la Fortune, vêtue
d’une simple corne d’abondance, en répand le contenu
dans 1 espace avec une pose d’athlète, À vrai dire la
nudité, chez Roty, est toujours chaste et la perfection
des lignes contribue â la rendre telle. Rien de plus
purement dessiné que ses petites Vénus, la Pittura, ou
la Femme à sa toilette, gravée pour la Société des Amis
de la médaille française. Les figures drapées, elles-mêmes,
ont d’abord fait l’objet d’études académiques et le corps
laisse comme transparaître, à travers les plis du vêtement,
l’impeccable eurythmie de ses formes. Cette
conscience du dessinateur suffit à sauver de la banalité
toutes les honnestes dames, uniformément habillées à
l’antique, qui, dans l’oeuvre de Roty, personnifient tantôt
la Science, tantôt la Patrie, tantôt la Cité, tantôt telle ou
telle administration publique ou privée. Et nul ne songe
à se plaindre que leurs traits rappellent presque toujours
ceux qu’on a vus se profiler dans le délicieux médaillon
où le maître a écrit : TUUM, CARISSIMA CONJUX,
VULTUM ÆRE FIXI UT TE SEMPER ANTE
OCULOS HABEAM JUVENEM SEMPER ET FELI-
CEM.
Les portraits gravés par Roty, portraits de femmes,
portraits d’enfants, portraits d’hommes, célèbres ou non,
sont généralement de premier ordre : MUo Taine, Maurice
Roty, le père et la mère de Roty, Sir John Pope Hen-
nessy, le docteur Gosselin, Ghevreul, Pasteur, Rousse,
Emile Boutmy, le colonel Laussedat... Et, par l’ingéniosité
des idées non moins que par leur interprétation,
les revers de ses médailles en doublent souvent la valeur.
Comme spécimen du rare talent avec lequel Roty
savait combiner les divers éléments d ’un programme