force physique unie à l'intelligence dominatrice, puisqu’ils
ont le visage de l’homme qui pense, les ailes de
l’aigle qui plane, les muscles vigoureux du taureau plus
fort même que le lion.
Ce n’est pas le lieu ici de rechercher, dans les mythologies
orientales, les origines et le développement de ce
mythe du taureau androcéphale. Qu’il me suffise de
remarquer que, primitivement, sur les cylindres chal-
déens, le taureau céleste qui lutte contre le héros Gil-
gamès (Isdubar) a bien nne tête humaine barbue, mais il
n ’est jamais ailé. M. Breuil s’est récemment efforcé de
démontrer que cet anthropomorphisme du taureau
clialdéen lui est venu de l’image, mal interprétée par les
artistes, du bison ou boeuf à longue barbe. Lorsque cet
animal fut devenu rare en Mésopotamie, les représentations
de sa tête, vue de face, entourée d’un épais collier
de longs poils, furent facilement prises pour des têtes
humaines. « La barbe, le front bombé, la tete de face
furent anthropomorphisés jusqu’à produire ces taureaux
androcéphales dont M. Heuzey a si bien étudié la sériation
» (i).
Voilà pour l’origine du visage humain. Quant aux
ailes, elles ne furent données que beaucoup plus tard au
taureau anthropomorphe, lorsque le centre de l’empire
mésopotamien était transporté à Ninive. E t cette addition
des ailes se fit sans doute par assimilation avec les
lions ailés et les monstres humains ailés qui pullulent
dans la démonologie chaldéo-assyrienne et sémitique. Les
Héthéens et les tribus araméennes, qui formaient le fond
de la population de la Syrie et de l’Asie Mineure, avaient
des monstres ailés parmi leurs divinités, et leurs bas-
( i ) B r e u i l , d an s Revue archéologique, 4 e s é rie , t. X III (1 9 0 9 ,1), p . 25o.
reliefs nous attestent que les représentations de ces
monstres sont inspirées et même imitées de celles de
l’Assyrie. C’est ainsi que nous arrivons graduellement et
par étapes géographiques aux figures ailées du panthéon
lydien et phrygien, à l’Artémis persique et a Cybébé,
divinités ailées dont les transformations plastiques ont
été, récemment, si bien mises en relief par M. Georges
R ad e t( i ).
C’est donc à l’Orient sémitique que les Grecs ont emprunté
au moins la plupart des figures ailees de leur
Panthéon, de même que l’Artémis éphésienne est d’origine
purement asiatique. Si le taureau androcéphale ailé
prend place à côté d’autres monstres d’origine orientale
qui s’introduisirent, comme lui, dans la symbolique des
Grecs, tels que le sphinx de Chios, le griffon de Téos,
l’hippocampe ailé de Lampsaque, il 11 en est pas moins
certain que le taureau androcéphale est dépourvu d ailes
lorsqu’il représente le dieu-fleuve Achéloüset les autres
divinités fluviales. On pourrait donc se demander si, sur
le statère Jameson, le taureau androcéphale ailé a quelque
rapport avec les représentations d Acheloiis et s il
est lui-même un dieu-fleuve. Mais la réponse me
semble devoir être nettement affirmative à cause du
petit dauphin qui est gravé au-dessus du taureau et que
je considère comme un emblème caractéristique et déterminant.
Ce type monétaire est donc un dieu-flleuve, et dans
cette figure nous saisissons sur le fait, avec un intérêt
qu’il faut signaler, l’alliance du mythe grec avec une
tradition plastique venue de Ninive. Ce mélange et
cette pénétration réciproque conviennent bien à l’Ionie
(1) G. R a d e t. Cybébé, études sur les transformations plastiques d’un type
divin. (B o rd e a u x , 1909, in-8°.)