Ce qu’il permet tout d’abord d’apercevoir, ajoute
M. Pirenne, c’est la division de Dinant entre deux seigneurs
: le comte de Namur d ’une pari, l’évêque de
Liège de l’autre. C’est même probablement à l’occasion
de conflits de juridiction entre eux qu’il a été rédigé.
Bien qu’il se borne à mentionner Y advocatus et la fa tn i-
lia de l’évêque, le texte laisse voir indirectement en quoi
consistaient les domaines de ce dernier. La liste des
églises du comte ne contenant en effet ni celle de Sajnte-
Marie, ni celle de Saint-Vincent, on peut en conclure
que ce sont précisément celles-ci, de loin les plus importantes
de la ville, qui, avec leurs terres et leurs hommes,
appartenaient à l’évêque.
« En dehors du domaine épiscopal, lout le reste de
Dinant était soumis au pouvoir du comte de Namur qui
jouissait dans la ville du comitcitus complet. A ce titre, il
y possédait la moneta et la via regia. »
La monnaie lui est attribuée avec une énergie particulière
: « Le marteau, l’enclume, la monnaie, le monétaire,
la frappe et l’inscription des pièces appartiennent
au comte : la fausse monnaie relève de sa justice; aussi
longtemps qu’il le voudra, la monnaie restera fixe;
quand il le voudra, elle sera changée (Malleus et incus,
moneta et monetarius et percussura et insci'iptio numis-
matis ad comitem pertinent, et delicta eorum et falsitas
ad suam pertinent justiciam : quandiu voluerit, stabit;
quandiu voluerit, mutabitur) (i),
« Il n ’yavait à Dinant,écrit M. Pirenne,aucun rapport
entre la juridiction du comte de Namur et celle de l’évê-
que de Liège. » Notre texte du XIe siècle prouve claire-
{ i ) P i r e n n e , op. cit., p . 4 .
ment l’indépendance absolue des deux seigneurs de la
ville vis-à-vis l'un de l’autre (i).
Mais un diplôme (2) de l’empereur Henri IV, daté
d’Aix-la-Chapelle, 2Ô juin 1070, vint changer cette situation
au profit de l’évêque de Liège, qui était alors Théo-
duin, en lui accordant, après un jugement de la Cour
impériale (judiciario jure etlegali deliberatione), le château
de Dinant, la monnaie, le tonlieu et le marché, c’est-
à-dire précisément ces droits régaliens constituant le
comitatus.
D’après M. Pirenne (3), cette concession impériale
aurait suffi pour mettre fin à toute intervention du comte
dans la ville. Ne tenant pas son pouvoir à Dinant d’un
titre de propriété, dit-il, mais exclusivement de la'délégation
impériale, le comte, du jour où celle-ci fut transférée
à l’évêque, ne put plus invoquer la potestatem et
justiciam quarn tenet a rege. Du même coup, il se trouva
dépouillé complètement à l’avantage de son rival.
Et l ’éminent historien croit pouvoir ajouter : « Après
l’obtention du diplôme de 1070, l’évêque de Liège, à sa
qualité primitive de propriétaire privilégié de biens ecclésiastiques,
joint donc celle de détenteur exclusif des droits
régaliens à Dinant, et Tbéoduin s’empressa d’assurer sa
.prise de possession en y faisant battre monnaie. »
Nous sommes d’avis que M. Pirenne a donné une portée
trop grande au texte susdit et a même versé dans une
erreur. Si le diplôme de 1070 avait réellement été suivi
d’effet immédiatement, comme il le croit, il faudrait
admettre que le comte Albert III de Namur eût frappé les
différents types de monnaies à la légende DEONANT que
(1) Ibid., p. 11.
(2 ) Ordonnances de la principauté de Liège, première série, p . 8 .
(3) Op, cit., p . i 3.