
MARRONNIERS ET MARRONS D’INDE.
f Art d’en tirer avantage. )
J L e marronnier d’inde eft un grand arbre qui a
paffé de Conftantinople en France il y a près de
deux fiècles.
On cultive cet arbre principalement pour l'agrément.
Il prend de lui • même une tige-droite, !
& fait une tête affez régulière ; fon tronc devient
fort gros.
Dans la jeuneffe de l’arbre, fon écorce eft lifte
& cendrée ; lorfqu’il eft dans fa force, elle devient
brune & un peu gerfée : fa feuille eft grande,
compofée de cinq ou fept folioles raflèmblées au
bout d’une longue queue en forme d’une main
ouverte : la verdure en eft charmante' au printemps.
L’arbre donne fes fleurs dès la fin d’avril ; elles
font blanches , chamarrées d’une teinte rougeâtre ,
& elles font répandues fur de longues grappes en
pyramide : ces grappes viennent au bout des branches
, fe foutiennent dans une pofition droite , &
leur quantité fetnble couvrir la tête de l’arbre..
Les fruits qui fuccèdent font des marrons, renfermés
dans un brou épineux comme celui dès
châtaignes.
Le marronnier d’Inde eft d’un tempérament dur
& robfcfte , d’un accroiffement prompt & régulier ;
il réuflit dans toutes les expofitions: il fe foutient
dans les lieux ferrés & ombragés à force de s’élever
: tous les terreins lui conviennent, à l’exception
pourtant de ceux qui font trop fecs &
trop fuperficiels ; il ne craint pas l’humidité lorf-
qu’elle eft à un point médiocre ; fes racines
ont tant de force, qu’elles paffent fous les pavés
& percent les murs : enfin, iL n’exige ni foin ni
culture.
Telles font les qualités avantageufes qui ont
fait rechercher cet arbre pendant plus de cent
années ; mais fon règne s’eft affoibli fucceflivement
par la propreté & la perfeâion qui fe font introduites
dans les jardins. -
On convient que le marronnier eft d’une grande
beauté au printemps ; mais l’agrément qu’il étale
ne fe foutient point le refte de l’année ; même
avant la fin de mai le marronnier eft fouvent dépouillé
de fes feuilles par les hannetons ; d’autres
fois les chaleurs du mois de juin font jaunir les
feuilles, qui tombent bientôt après avec les fruits
avortés par la grande féchereffe. Il arrive fouvent
que les feuilles font dévorées au mois de juillet
par une chenille à grands poils, qui s’engendre
particulièrement fur cet arbre.
Mais on fe plaint fur-tout de la malpropreté
qu’il caufe pendant toute la belle faifon ; d’abord I
au printemps par la chûte de fes fleurs , & enfuite
des coques iiériffées qui enveloppent lé fruit ; après I
cela par les. marrons qui fe détachent peu à peu;I
enfin, par fes feuilles qui tombent en automne;I
tout cela rend les promenades impraticables, à I
moins d’un foin continuel.
Ces inconvèniens font caufe qu’on n’admet à pré* I
fent cet arbre que dans les places éloignées & peu I
fréquentées-
Il a de plus un. grand défaut ; il veut croîtrel
ifolé , & il refiife de venir lorfqu’il eft ferré &
mêlé parmi d’autres, arbres: le peu d’utilité de fon I
bois eft encore la cireonftance qui le fait le plus!
négliger.
Le feul moyen de multiplier cet arbre eft d’en
fenier les marrons ; c’eft après leur maturité su
mois d’bâobre , ou au plus tard au mois de février,
Avec peu de recherches fur la qualité du terrain,
un foin ordinaire pour la préparation ^ & avec la
façon commune- de. femer en pépinière | les mar* I
rons lèveront aifément- en printemps : ils ferontI
en état d’être trânfplantés à demeure ■ au bout de I
cinq ou fix ans ; mais ils né donneront des fleurs I
& des fruits qu’à environ douze ans.-
Cette tranfplantation fe doit faire pour le mieuïl
en automne , encore durant l’hiver , tant qu’il ne I
gèle pas, même à la fin de février, 8c pour le I
plus tard au commencement de mars. On fuppofel
pour ces derniers cas que l’on-eût les plants à I
portée de foi ; car s’il- faut les faire venir de loin,!
- il y aura fort à craindre que la gelée n’endoin*l
mage les racines; dès qu’elles en. font frappées J
l’arbre'ne reprend pas. . -
Il faut fe garder de retrancher la tête du marronnier
pendant toute fa jeuneffe, ni même lors I
de la tranfplantation ; cela dérangeroit fon accroît-
| fement & le progrès de fa tige ;, ce ne fera que
dans la force de l’âge qu’on pourra, le taillerlia
les côtés , pour dégager les allées & en rehaufferj
■ le couvert: par ce moyen, l’arbre fe fortifie, les
branches fe multiplient „ fon feuillage s’epailfit, i
. l’ombre fe complète, l’objet annonce pendant dit
temps fa perfection, & prend peu à peu cet ait
de grandeur qui fe fait remarquer dans la grande
allée du jardin du palais des Tuileries à Paris.
Le marronnier eft plus propre qu’aucun autre
arbre à. faire du couvert,, à donner, de l’cmbre,
procurer de la fraîcheur ; on l’emploiera avec fuccès
f former des avenues, des allées, des quinconces,
des falles, des groupes de verdure.
Pour planter des allées de marronniers, on met
ces arbres à la diftance de quinze, dix-liuit & J
vingt pieds, félon la qualité du terrain & la lar-v j
geur de l’allée. _ J
Ou en peut aufli faire de bonnes baies , en les
plantant à quatre pieds de diftance ; mais on ne -
doit pas 1’employer à garnir des maflifs ou des
bofquets, parce qu’il fe dégrade 8c dépérit entre
les autres arbres, à moins qu’il ne domine fur eux.
Cet arbre fouffre de fortes incifions fans inconvénient
même de grandes mortoifes. On a vu
en Angleterre des paliffades dont les pièces de
I fupport étoient infixées dans le tronc des marronniers
, fans qu’il parût, après plufieurs années, que
cela leur caufât du dommage.-
Cet arbre prend tout fon accroiftement au mois
de mai,. en trois femaines de temps ; pendant
tout le refte de l’année , la fève n’eft employée
qu’à fortifier les nouvelles pouffes, à former les •
boutons qui doivent s’ouvrir l’année fuivante, à
[ perfeftionner le fruit, & à grofiir fa tige & les
branches.
[ Quoique le bois de marronnier ne foit pas d’une
utilité générale & immédiate , on peut cependant
! en tirer du fervice. Il eft blanc, tendre, molaffe
filandreux ; il fert aux menuifiers , aux tour-
I neurs » aux boiffeliers , aux fculpteurs-, même aux
êbéniftes , pour des ouvrages grofliers & couverts,
I foit par du placage ou de la peinture.
Ce bois n’eft fujet à aucune vermoulure ; il
[ reçoit un beau poli; il prend aifément le vernis; -
I il a plus de fermeté & il fe coupe plus net que le !
I tilleul, & par conféquent, il eft de meilleur fer-
vice pour la gravure. Ce bois n’eft un peu propre
I à brûler que quand il eft verd.
[ Moyen doter par la greffe au fruit' du marronnier
d’inde fon amertume naturelle.
Tranfplantez le marronnier, & greffez-le enfuite
1 de fon propre bois ou de quelqu’une de fes pouf-
I fes-, par la. greffe en canon ou en flûte, par la
I greffe en fente ou coupée , ou même en écuffon.
Cette première greffe étant ainfi faite de l’une
I ou de l’autre façon, on fera attentif à la pouffe
[ qu’elle doit faire , pour ne laiffer fur l’arbre au-
| seffous de la greffe aucun jet fauvage ,. ce qui lui
I pourroit nuire : dès que cette pouffe fera en état
I d’être greffée d’elle-même fur elle-même, c’eft-à-
I dire de fon bois fur fon bois , on y procédera-
I pour la fécondé fois , & de même enfuite pour la
I troifième fois, qui fera la dernière, à moins qu’oir
I ne veuille les réitérer encore, pour augmenter de
I plus en plus la groffeur du fruit 8c la fineffe du^
K goût.
I C ’eft ainfi qu’on en ufe tous les jours, même
I fec les arbres déjà; francs „ dont on veut grofiir 8c
affiner les fruits. M. de Francheville, dans fon
mémoire fur ce fujet ( académie de Berlin ) , affure
qu’il en fera comme de la pêche, qui étoit fi
amère autrefois, qu’elle paffoit pour venimeufe.
Utilité des- marrons d’inde.
Les marrons d’Inde p-réfenterrt divers objets
fufceptibles d’utilité;
Nourriture du bétail & des volailles.
M. lepréfident Bon a trouvé que le fruit du marronnier
peut fèrvir à nourrir 8c à engraiffer, tant le
gros& menu bétail, que les volailles de toutes fortes,
en prenant feulement la précaution de faire tremper
pendant quarante-huit heures dans la leflîve d’eau
paffée à là chaux vive les marrons , après les avoir
pelés 8c coupés en quatre ; enfuite on les fait cuire
8c réduire en bouillie pour lès donner aux animaux.
On peut garder ces marrons toute l’année,,
en les faifant peler 8c fécher , foit au four ou au
foîeil.
M. Ellis , auteur anglais, qui a fait imprimer
en 1738 un traité fur la culture de quelques arbres,
paroît avoir trouvé un procédé plus Ample pour
ôter l'amertume aux marrons d’inde, 8c les faire
fervir de nourriture aux cochons 8c aux daims.
Il fait emplir de marrons un vieux tonneau mai
relié], qu’on fait tremper pendant trois ou quatre
jours dans une rivière: nulle autre préparation.
Cependant on a vu des vaches 8c des poules
manger de ce fruit dans fon état naturel 8c malgré
fon amertume ; mais il y a lieu de croire que cette
amertume fait un inconvénient, puifqu’on a remarqué
que les poules qui mangeoient des marrons
fans être préparés, ne pondoient point.
Amidon , farine , huile à brûler, lampe de nuit.
Ce fruit peut fervir à faire de très-bel amidon,
de là poudre à poudrer , de la farine pour la colle,
une couleur noire & de l’huile à brûler ; il eft
vrai qu’on en tire peu, 8c qu’elle rend une odeur
infupportable. Mais fans qu’il y ait cet inconvénient
, un feul marron d’Inde peut fervir de-
lampe de nuit ; il faut le faire fécher, le percer
de part en part avec ime vrille moyenne , le faire
tremper au moins vingt-quatre heures dans quelque
huile que ce foit, y paffer une petite mèche, le
mettre enfuite nager dans un vafe plein, d’eau ,
8c allumer la mèche le foir ; on eft affùré d’avoir
de la lumière jufqu’au jour.
Pâte à décrajfer..
On en peut faire aufli une excellente pâte à dé-
craffer les mains 8c les pieds : il faut peler les-
marrons , les faire fécher les. piler dans un-
mortier couvert , 8c paffer cette poudre dans
un tamis très-fin. Quand on veut s’en fervir
1 on jette, une quantité convenable de cette poudre’.