
Cette manoeuvre va fort vite & ne fatigue point ;
on pofe les trochifques les uns à côté des autres ,
le plus près qu’il eft poflible ; mais il faut voir
& examiner fi la pâte eft en confiftance convenable
: car fi elle étoit trop dure, elle ne paffe-
roit pas ; fi elle étoit trop liquide , elle couleroit
& ne formeroit qu’une maffe informe.
Le premier entonnoir rempli au quart, vous fera
connoître fi l ’un de ces deux inconvéniens fubfifte ;
ft elle eft trop liquide, attendez au lendemain ;
fi eUe eft trop dure battez-là bien, elle fe liquéfiera
en confiflance convenable.
Il faut aufïi que la table ou les planches foient
pefantes & folides ; car le coup du pied de l’entonnoir
fouvent répété , ébranleroit la matière &
feroit couler trochifque fur trochifque, & ils per-
droient leur forme, fur-tout fi la pâte eft un peu
liquide.
Faites fécher cette lacque à l’ombre, elle fera
en état de vente..
Si en féchant elle avoit amaffé de la poufîière,
mettez-la dans un fac de peau de forme longue,
fermez le bien par le bour ouvert, & fecouez
votre lacque du mouvement des deux mains, en
la faifant aller & venir d’un bout à l’autre ; la
poufîière non-feulement fe perdra, mais elle deviendra
très-veloutée. On fait la même chofe au
bleu de Berlin dit de Prujfe ; cela foit dit pour
toutes les lacques en général.
M. Duval qui faifoit à Paris une quantité con-
fiderable de carmin, travailloit toujours fur deux
livres de cochenille à la fois dans chaque chaude-
ron , dont il tiroit fon carmin ; mais pour faire
les lacques, il employait toujours le marc de huit
livres de cochenille à la fois, qu’il faifoit bouillir
dans un même chauderon.
^ On fait encore rebouillir le marc de la cochenille
dont on a tiré la lacque rofette , avec la
moitié autant d’eau ; & on en fait une fécondé
lacque de la même manière que la première , avec
cette feule différence qu’on n’y emploie que moitié
de foude & moitié d’alun ; c’eft-à-dire , huit onces
de chaque forte pour la petite opération de huit
onces de cochenille dépouillée, de fon carmin. *
Comme cette fécondé lacque eft un peu violette
, on l’appelle coiombine : elle eft d’une moindre
valeur.
Il refte à employer les eaux noires qui ont
filtré à travers du carmin, & à en faire, de belles
lacques.
Pour y réuflir, on en affemble une bonne quantité
dans un tonneau défoncé par un bout ; on
les laiffe au foleil fe corrompre pendant un mois
plus ou moins, ou jufqu’à ce que l’eau, qui d’abord
paroiffoit noire & fort liquide, foit devenue
d’une belle couleur d’écarlate & d’une confiftance
de vern is.
Dans cet état il faut en teindre le corps blanc,
dont on donne ci-après la compofition.
Plus on y mettra d e ce tte eau rouge, plus la
lacque fera belle, foncée & éclatante ; & moins
on en mettra, plus la lacque fera pâle & rofette.
Au bout de vingt - quatre heures , on décante
l’eau qui fumage la pâte, & on la porte fur une
toile pour la réduire, par filtration, en confiftance
propre à trochifquer.
$i on y mêle-une partie de carmin aufli en
pâte, & qu’on les incorpore bien en les battant
enfemble, on obtiendra la lacque de l’Europe la
plus magnifique : elle eft très - recherchée & fe
vend très-cher.
Corps blanc fufceptible de recevoir toutes fortes de
teintures qu il convertit en belles lacques.
Faites fondre à froid , dans un petit feau d’eau,'
trois livres de bonne potaffe blanche ; lorfqu’elle
fera fondue, filtrez-la; mettez-la dans un grand
baquet, & ajoutez-y ime diffolution de cinq livres
d’alun de roche, clarifiée & encore chaude. Il fe
fera d’abord une fermentation confidérable , laquelle
ayant ceffé ,. vous y verferez deux à trois
féaux d’eau de rivière claire, pour deffaler cette
fécule blanche ; car la mauvaife eau détruit ce
corps blanc. '
Le lendemain décantez cette eau, & remettez-
en de nouvelle ; faites cela deux à trois jours de
fuite : verfez la pâte blanche fur une toile tendue
fur un châflis , pour la réduire en confiftance
épaiffe ; elle fera propre à être mêlée avec la teinture
du carmin, ou telle autre couleur que vous
voudrez réduire en lacques.
Si par hafard vous employez une teinture rouge
qui inclinât au violet, (telle eft celle tirée dü bois
de Bréfil ) dans ce cas , ajoutez d’abord à votre
corps blanc un peu de teinture jaune de graine
d’ououa, fi vous pouvez vous en procurer, ou,
à fon défaut, de graine d’Avignon nouvelle, éclaircie
par un peu d’ahin; o u , ce qui vaut autant,
un peu de ftil de grain jaune de Troie, bien tendre
, pendant iqu’il eft encore liquide ou en pâte.
Le mélange étant fait, on y ajoute alors feulement
la teinture rouge, dont la quantité dépend
de fa force, & fuivant la couleur claire ou foncée
que l’on defire avoir, étant bien naturel que plus
on y mettra de teinure, plus elle fera foncée &
parfaite.
Autres Lacques ejlimables, par le procédé dtt fleur
Langlois de Paris.
Prenez lé marc d’une livre trois quarts de cochenille
, dont vous aurez tiré le carmin ; féparez-
en l’eau rouge en verfant ce marc à travers un
tamis de crin , & gardez cette eau féparémeur.
' Faites bouillir ce marc dans deux petits féaux
d’eau de pluie ou de rivière bien claire, pendant
une heure ; après lequel temps tirez la teinture
en la pâffant par le tamis de crin, affez ferré pour
empêcher le marc d’y paffer auffi.
Ajoutez à cette teinture les eaux rouges qui 1
auront été fêparées d’abord ; & pendant que le !
;tout eft encore chaud, verfez defius une diffolution
de quatre livres d’alun de glace formé d’un
feau d’eau ; il fe fera dans le moment une fermentation
, laquelle ayant ceffé, il fe précipitera
une fécule abondante de la plus belle couleur du
.monde.
Laiffez repofer jufqu’au lendemain; verfez-en
les eaux avec douceur , ou tirez-les au fiphon ;
gardez-les pour en faire des lacques fécondés : puis
rempliffez votre baquet plein d’eau pour laver
cette lacque & en féparer l’acrimonie de l’alun ;
décantez l’eau au bout de douze à quinze heures.
Remettez - en d’autre tant qu’elle en forte infi-
pide & fans le moindre goût falin : verfez-la alors
fur une toile ; & lorfqu’elle fera en confiftance de
[pâte épaiffe, trochifquez-la comme il eft expliqué
dans l’opération précédente. Les boutons ne doivent.
guere excéder la groffeur d’un pois ou d’un
Iclou de girofle.
Lacques fécondés,
Faites rebouillir le marc pour la deuxième fois
avec trois féaux d’eau, pendant une heure; paffez
la teinture à travers un tamis dans un baquet ;
t ajoutez-y les eaux rouges que vous avez verfées
de votre première lacque avant qu’elle ait été
[ lavée ; verfez par deffus le tout, une diffolution
clarifiée & chaude de fix livres d’alun.
| Cette lacque eft très-belle & fort abondante.
On peut la laver féparément, ou la mêler avec
■ la première à volonté, & la finir & fécher comme
dans, l’opération prcécédente.
Lacques florentines excellentes, fuivant le procédé de
Madame Cenette d’Amflerdam.
Après que vous aurez recueilli votre carmin,
il Vous reftera des eaux rouges dont vous pourrez
faire une très-belle lacque de la manière fuivante.
Prenez les eaux rouges provenues du carmin ;
vèrfez-les toutes enfemble dans un baquet à froid.
Verfez par deffus une diffolution bien clarifiée
! d une livre d’alun de Rome ; remuez bien avec
un bâton , & laiffez repofer la fécule pendant trois
011 quatre jours , ou tant que la lacque fo it absolument
précipitée.
Décantez alors l’eau furnageante, & verfez la
|lacque fur une toile tendue fans la laver; laiffez-
. la, bien égoutter tant qu’elle foit réduite en con-
fiftance affez épaiffe pour être trochifquée; mais
Icomme les boutons de cette lacque font extrê-.
mentent petits, on en jette neuf à la fois par un
t entonnoir de cuivre étamé , qui a neuf petites
Ibuzes carrées en dedans, mais rondes à l’extrémité
inférieure.
i c remplit cet entonnoir de la pâte à lacque ,
[ & on la pouffe à travers ces buzes avec une ai-
[ jjUille de cuivre à neufpointes; elle eft faite de neuf
fils de laiton, de la groffeur d’une des plus groffes
aiguilles à tricotter, entrelacées enfemble depuis
le milieu pour former une efpèce de manche de
cuivre , par l’affemblage des. neuf aiguilles en-
femble.
L’autre partie de ces aiguilles eft courbée, de
façon que chaque aiguille en particulier rencontre
toujours perpendiculairement une des neuf buzes*
de l’entonnoir, de quelque façon qu’on y préfènte
l’aiguille entière ; elles doivent être affilées par la
pointe avec une lime, afin qu’elles puiffent outre-
paffer les buzes d’une ligne ou environ ; ainfi,
le trou inférieur de chaque buze doit être du
même diamètre que le corps des aiguilles.
Lorfqu’on veut trochifquer, on bat premièrement
bien fa lacque afin qu’elle fe boutonne fine-,
ment & uniment ; on remplit" donc l’entonnoir
fufdit , & on paffe à travers , les aiguilles avec
douceur ; la lacque tombe fur un carreau de terre
à brique légèrement échauffé, & on forme neuf
boutons à la fois.
Pendant que vous trochifquez, un autre carreau
fe chauffe ; il fuffit d’én avoir trois : car la
lacque n’eft pas fitôt boutonnée qu’elle eft sèche ;
on la fait tomber en la fecouant , foit dans une
boîte, foit fur du papier. Cette lacque eft fort
belle ; elle fe vendoit chez le fabricant d’Amfter-
dam , feize florins, argent de Hollande, la livre.
Si quelquefois vous trouviez cette lacque trop
foncée ou trop brune (ce qui cependant n’eft pas
un défaut ) , cela dépendroit de la bonté de la cochenille.
Il faut alors y mettre une livre huit onces
d’alun ou deux livres à la place d’une ; elle fera
beaucoup plus rofette, & vous en aurez le double.
Secondes lacques florentines.
Faites rebouillir le marc de vos deux livres de
cochenille dont vous aurez tiré le carmin & votre
première lacque; faites-le rebouillir , dis-je, dans
fix petits féaux d’eau, pendant une bonne heure
avec un petit morceau d’alun pour l’éclaircir &
aider à l’extraéfion. Otez alors le chauderon du feu *
laiffez repofer deux à trois heures, & tirez la teinture
à clair, foit par un fiphon, ou à travers un
tamis de crin ferré.
Ajoutez à cette teinture encofe tiède, une dif-
falution d’une livre ou deux d’alun bien clarifiée ;
je dis une ou deux livres d’alun , parce que cela
dépend de- la bonté de la cochenille, & du défir.
d’avoir une lacque foncée, claire ou rofette.
Il y a des fabricans qui mettent jufqu’à fix livres
d’alun, afin d’avoir une gande quantité de lacque,
mais elle e ft alors fort pâle & rofette.
Par cette connoiffance , Vous êtes le maître ,
pour ainfi dire, d’imiter le teinturier, & de faire
une lacque pareille à l’échantillon qu’on pourront
vous préfenter.
Il faut cependant obferver que toutes les fois
que vous aurez mis plus de deux livre-s d’alun fur