
M A R B R E U R D E P A P IE R - D O M IN O T IE R .
(Art du )
C E T art confifte à peindre des papiers de toutes
fortes de couleurs & figures , que l’on appeloit
anciennement des d o m in o s , d’où eft aufii venu le
nom de d o m in o tie r au fabricant de ces d o m in o s ou
papiers marbrés.
Le m a rb re u r de p a p ie r ou le d o m in o tie r , eft donc
un ouvrier qui fait peindre le p ap ier , ou plutôt
le tacher de différentes couleurs, tantôt fymétri-
quement, tantôt irrégulièrement difpofées , quelquefois
imitant le marbre, & produifant un effet
agréable à l’oe il, lorfque le dominotier eft habile,
qu’il a un peu de goût* & qu’il emploie du beau
papier & de belles couleurs.
O n emploie le papier marbré à un affez grand
grand nombre d’uiages; mais on s’en fert principalement
pour couvrir les livifes brochés , & pour
être placé entre la couverture & -l’a dernière 8c la
première page des livres reliés. C e font les relieurs
qui en confomment le plus.
Les papiers marbrés ou en couleurs prennent
différentes dénominations, qui font toutes relativ
e s , ou au delHn, ou à la fabrication ; ainfi, on
diftingue les papiers marbrés à f le u r s , au g r a n d &
au p e tit p e ig n e , à f r i f o n s , & c .
L ’art du dominotier a pris naiffance en A llemagne
, d’où tant d ’autres arts tirent leur origine.
Il n’eft pas fort ancien ; & il y a toute apparence
qu’on y aura été conduit par le hafard, père de
beaucoup d’inventions utiles.
Q u ’on fuppofe en effet de la couleur tombée
par accident fur l’eau , & un papier qui , étant
jeté deffus la cou leu r , l ’aura enlevée. V oilà le
principal procédé de cet art fuffifamment indiqué
à un obfervateur curieux & intelligent. Il aura
remarqué que l ’effet en étoit agréable ; il aura
cherché alors à répéter , a v ec induftrie , ce qui
s’étoit fortuitement exécuté ; ou peut-être quelques
relieurs auront-ils tenté de m a rb re r le papier, comme
ils marbrent la couverture des livres ; & d’effais
en effais, ils feront arrivés à la pratique que nous
allons expliquer.
Les le B re to n ,p è re & fils , qui travailloient fur
la fin du dernier fiecle & dans le courant de ce lu i-ci,
ont fait en ce genre de petits chefs-d’oeuvre.
Us avoient le fecret d’entre-mêler de fils déliés
d ’or & d’argent, les ondes & les veines colorées
du papier.
C ’étoit vraiment quelque chofe de fingulier, que
le g o û t , la v a r ié té , & l’efpëce de richeffe qu’ils
avoient introduit dans leurtravail ; mais c’eft moins
la perfeftion que la rapidité de l’exécution , qui
peut donner quelque profit dans ce petit art, dont
nous allons développer les procédés d’après ['ancienne
Encyclopédie & d’autres ouvrages.
- Atelier, outils & uflenfiles du Dominotier.
Il faut d’abord que le dominotier ou marbreur de
papier y ait dans fon atelier les outils 8c uftenfiles
ci-après.
i° . Un baquet carré de bois de chêne, profond
d ’un demi - pied ou environ , & excédant d’un
pouce en tout fens la grandeur de la feuille du
papier qu’on appelle le carré.
a0. U n autre baquet pareillement carré , de bois
de chêne comme le premier, de la même profondeur
, mais plus grand d’un pouce en tout fens.
30. U n de ces grands pots à beu rre, où l’on
garde de l’eau dans les petits ménages, ou, à fon
défaut, une baratte avec fa batte.
40. U n tamis de crin un peu lâ ch e , & de la
capacité d’un demi-feau. ~
50. Un pinceau grofiier de foie de porc , emmanché
d’un bâton.
. 6°. Différens peignes dont la conftru&ion change,
fuivant leur emploi.
L e peigne pour le papier commun eft un affetn-
blage de tringles de b o is , parallèles les unes aux
autres , de l ’épaiffeur de deux lignes & demie
ou environ , d’un doigt de largeu r, & de la longueur
du baquet.
On appelle ces tringles branches. Il y en a quatre;
elles font garnies chacune de onze dents. Ces
dents font des pointes de fer d’environ deux pouces
de hauteur, de la même forme & de la même
force que le clou d’épingle.
La première dent d’une branche eft fixée exactement
à fon extrémité, & la dernière à fon autre
extrémité. Il y a entre chaque branche la même
diftance qu’entre chaque dent.
Le peigne pour le motifaucon, le lyon & le grand
monfaucon n’a qu’ une branche , & cette branche
n’a que neuf dents.
'L e peigne pour le perfillé, fu r ie petit baquet,
a une branche garnie de dix-huit dents.
Le peigne pour le perfillé, fur le grand baquet,
a une branche à vingt-quatre dents.
Le peigne pour le papier d’Allemagne , n’a pareillement
fëillement qu’une branche à cent quatre ou cent
cinq pointes ou aiguilles, aufii menues que celles
qui fervent au métier à bas. C e papier fe fait fur
le petit baquet. '
7°. Une grofle pointe de fer à manche de bois.
Cette pointe ne diffère en rien de celles à tracer,
Sc l’on en fait le même ufage dans la fabrication
du papier marbré , qu’on appelle placard.
8°. Des pots & des pinceaux de différentes grandeurs
, pour fes diverfes couleurs.
o°. Des cordes tendues dans une chambre ouverte
à l’air.
xo°. Un étendoir tel que celui des papetiers fa-
bricans ou des imprimeurs.
i l 0. Plufieurs châfîis carrés. Chaque châffis eft
un affemblage de quatre lattes, comprenant entre
elles un efpace plus grand que la feuille qu’on
veut marbrer, & divifé en trente-fix petits carrés
par cinq ficelles attachées fur un des côtés du
châlHs, & traverfées perpendiculairement par cinq
autres ficelles fixées fur un des autres côtés.
On doit avoir un nombre de ces châffis.
12°. Une pierre avec fa mo lette, pour broyer
les couleurs. -
On fait que les pierres employées à cet u fage,
doivent être bien dures & bien polies.
130. Une amajfette ou une ramajfoir'e, pour raf-
fembler la couleur étendue fur la pierre. C ’eft un
morceau de cuir fo r t , d’environ quatre à cinq
pouces de long fur trois de la rg e , dont un des
côtés eft à tranchant ou en bifeau. Il faut aufii un
couteau;
140. Une ramaflbire pour nettoyer les eaux. C ’eft
une tringle de bois fort mince , large de trois doigts
ou environ, de la longueur du baquet, & taillée
en bifeau fur un de fes grands côtés.
1J . Des établis pour pofer les baquets , les
pots, les peignes & les autres- outils.
i6°. Une pierre à liffer le papier; celle qui fert
a broyer les couleurs bien lavées , peut aulli être
employée. Mais on a ordinairement , pour cet
ufage, un caillou qui n’eft ni g r è s , ni pierre à
lulil ; pierre à fufit, il feroit trop dur & ne mor-
droit pas affez ; grès , il feroit trop tendre & il
egrâtigneroit. Il Faut le choifir de la nature du
filex où du jafpe , d’un grain f in , égal & ferré ,
6 Pr^Pfrer ^ur le grès avec du fable , lui former
un coté en taillant arrondi & moufle , monté fur
un morceau de bois à deux manches ou poignées.
Le même caillou peut être , comme le liffoir des
cartiers , attaché à une perche , dont l’extrémité
uperieure tient à une planche fixée aux fo liv e s ,
pour faire reffort & aider le mouvement de l’ouvrier.
On peut encore avoir un liffoir qui foit un pla-
au verre , avec fon manche aufii de verre.
Préparation des eaux.
prend de la gomme adragant en forte : on
Arts & Métiers. Tome IV. Partit I
On
la met dans un pot où on la laiffe tremper trois
jours ; fi elle eft de bonne q u a lité , une demi-livre
fuihra pour une rame de papier commun. L ’eau
où elle s’hume&era fera de r ivière & froide : après
avoir trempé trois jours on la transvafera dans
le pot à beurre. O n aura l ’attention , pendant
qu’elle trempe , de la remuer au moins une fois
par jour.
Cette gomme étant mife dans le pot à b eu r re ,
on la battra un demi quart-d’heure. Le pot à beurre
fera d’abord à moitié plein d’eau , on achèvera
enfuite de le remplir.
On pofer a un tamis fur un des baquets , &
l’on paffera l’eau. O n aide l’eau à paffer en la remuant
& preffant contre le tamis avec le gros
pinceau.
O n remplit le baquet d’eau gommée. C e qui
refte fur le tamis de gomme non diffoute, fe remet
dans le pot à beurre à tremper jufqu’au len demain.
Il y a des perfonnes qui fe fervent d’alun au lieu
de gomme, d’autant plus que l’alun demande moins
de préparation.
Lorfque les eaux gommées ou alunées font paf-
fé e s , on les remue a vec un bâton , & l’on examine
fi elles font fortes ou foibles. C e t examen fe
fait par la viteffe plus ou moins grande que prend
l’écume qui s’eft formée à leur furface , quand on
les a agitées en rond.
S i , par la plus grande viteffe qu’on puiffe leur
imprimer de cette manière, l’écume fait plus d’une
cinquantaine de tours pendant toute la durée du
mouvement, les eaux font foibles ; fi elle en fait
moins , elles fon t fortes. On les affoiblit avec de
l’eau p u re , ou on les fortifie avec de la gomme
qui refte dans le pot à beurre.
Mais cet effai des eaux eft peu sûr : on n’en
connoîtra bien la qualité qu’à l’ufage du peigne à
frifons, qui eft ainû nommé de cè que fes dents
étant placées alternativement l’une d’un côté &
l’autre de l’au tre, le marbreur en tournant le poignet
arrange les couleurs en cercles ou frifons.
Si les frifons brouillés fe confondent & ne fe
tracent pas nets & difttnâs , les eaux prenant alors
trop de viteffe , ou ne confervant pas les couleurs
affez féparées , elles font trop foibles.
Si les frifons ont de la peine à fe former , ou
fi les couleurs ne s’arrangent pas facilement dans
l’ordre qu’on le veu t , mais tendent , déplacées
par les dents , à fe reftituer dans leur lieu , les
eaux font trop fortes ; elles auront aufii le même
dé faut, lorfque les couleurs refuseront de s’étendre,
c’eft-à-dire, lorfque les placards qu’on jettera deffus
ne fe termineront pas exaâement aux b ords, lo rs qu'elles
feront trop hèriffées de pointes, qu’on appelle
écailles, lorfqu’elles feront éparpillées. Dans
tous ces c a s , on les tempérera avec de l’eau
pure.