
primer les jurandes 8c communautés des arts &
métiers.
Le préambule de l’édit rendu à cet effet au mois
de février 1776 , mérite d’autant plus d’être mis
fous les yeux de nos le&eurs , qu’il offre un tableau
hiftorique de l’établiffement des arts & communautés
, & qu’il expofe les avantages que le gouvernement
fepromettoit d’une liberté indéfinie dans
l’exercice de ces profeffions. Ce t édit du roi s’an-
noace & s’explique en ces termes remarquables :
* Nous devons à tous nos fujets de leur aflùrér
_la joiiiffance pleine & entière de leurs droits :
nous devons fur-tout cette proteéiion à cette claffe.
d’hommes, q u i, n’ayant de propriété que leur travail.
& leur indtiftrie, ont d’autant plus le befoin
& le droit d’employer dans toute leur étendue les
feules reffources qu'ils aient pour fubfifter. -
Nous avons vu , avec peine , les atteintes multipliées
qu’ont données à ce droit naturel & commun
des inftitutions, anciennes à la vérité , mais
que ni-le temps , ni l’opinion , ni les actes même
émanés de l’autorité qui femblent les avoir confa-
c ré e s , n’ont pu légitimer.
•Dans prefque toutes les villès de notre royau me
, l’exercice des différens arts & métiers efl
concentré dans les mains d'un petit nombre de
maîtres réunis en communauté, qui peuvent feuls,
à l’exdufion de tous les autres c ito y en s , fabriquer
ou vendre les objets de commerce particulier dont
ils ont le privilège exclufif ; enforte que ceux de
nos fujets q u i, par goût ou par néceflité, fe defti-
nent à l’exercice des arts & métiers , ne peuvent
y parvenir qu’en acquérant la maitrife, à laquelle
ils ne font reçus qu’après des épreuves aufîi longues
& aufîi nuifibles que fuperâues, & après avoir
fatisfait à des droits ou à des exaâions multipliés ,
par lefquelles une partie des fonds dont ils au-
roient eu befoin pour monter leur commerce ou
leur a telie r, ou même pour fubfifter, fe trouve
confommée en pure perte.
Ceux dont la fortune ne peut fuffire à ces pertes
, font réduits à n’avoir qu’une fubfiftance précaire
fous l’empire des maîtres , à languir dans
l ’indigence , ou à porter hors de leur patrie une
induftrie qu’ils auroient pu rendre utile a l’état.1 *
Toutes les claffes de citoyens font privées du
droit de choifir les ouvriers qu’ils voudroient employer
, & des avantages que leur donneroit la
concurrence pour le bas prix & la perfeâion du
travail. O n ne peut fouvent exécuter l’ouvrage le
plus fimple, fans recourir à plufieurs ouvriers de
communautés différentes , fans effuyer les lenteurs
les infidélités ,- les exaâions que néceffitent ou fa-
vorifent les prétentions de ces différentes communautés
, & les caprices de leur régime arbitraire &
intéreffé.
Ainfi , les effets de ces établiffemens f o n t , à
l’égard de l’é ta t , une diminution inappréciable de
commerce & de travaux induftrieux.; à l’égard
d’une nombreufe partie de nos fu je ts , une perte
de falaires & de moyens de fubfiftance ; à l'égard
des habitans des villes en général, l’ afferviffemeut
à des privilèges exclùfifs, dont l’effet eft abfolu.
ment analogue à celui d’un monopole effe&if : monopole
dont ceux qui l’exercent contre le public
en travaillant & v en d an t , font eux - mêmes les
vi&imes dans tous les momens où ils ont à leur tour
befoin des marchandifes ou du travail d’une autre
communauté.
Ces abus fe font introduits par degrés : ils font
originairement l’ouvrage de l’intérêt des particuliers
qui les ont établis contre le public ; c’eft après
un long intervalle de temps que l’autorité, tantôt
furprife, ^tantôt féduite par une apparence d’utilité,
leur a donné une forte de fanâion.
La fource du mal eft dans la faculté même, accordée
aux artifans d’un même métier, de s’affein-
bler & de fe réunir en un corps.
Il paroît q u e , lorfque les villes commencèrent
à s’affranchir de la fervitude féodale , & à fe former
en communes , la facilité de claffer les citoyens
, par le moyen de leur profeflion, intro- !
duifit cet ufage inconnu jufqu’alors. Les différentes
profeffions devinrent ainfi comme autant de communautés
particulières, dont la communauté générale
étoit compofée. Les confiâmes religieufes,
en refferrant encore les liens qui uniffoient entre
elles les perfonnes d’une même profeflion, leur
donnèrent des occafions plus fréquentes de s’af-
fembler , & de s’occuper , dans ces affemblées, \
de l’intérêt commun des membres de la fociété |
particulière, qu’elles pourfuivirent avec une adi- >
vite continue, au préjudice des intérêts de la fociété
générale.
Les communautés une fois formées, rédigèrent 1
des ftatuts ; & , fous différens prétextes du bien
p u b lic , les firent autorifer par la police.
La bafe de ces ftatuts eft d’abord d’exclure du
droit d’exercer le métier , quiconque n’eft pas
membre de :1a communauté : Leur efprit général
eft de reftreindre , le plus qu’il eft poffible , le
nombre des maîtres, de rendreTâcquifition de la
maitrife d ’une difficulté pr'efquünfurmontable pour
tout autre que pour les enfans des maîtres aftuels.
C ’eft à ce but que font dirigées la multiplicité des
frais & des formalités de réception, les difficultés
du ch e f-d ’oe u v r e , toujours jugé arbitrairement,
fur-tout la cherté & la longueur inutile des ap*
prentiffages, & la fervitude.prolongée du compa*
gnonage ; inftitutions qui ont encore l’objet de
faire jouir les maîtres gratuitement, pendant placeurs
ann ées, du travail des afpirans.
Les communautés s’occupèrent fur-tout d’écarter
dé leur territoire, les marchandifes & les ouvrages
des forains : elles s’appuyèrent fur le prétendu
avantage de bannir du commerce des marchandiies
qu’elles fuppofoient être mal fabriquées. Ce motif
les conduifit à demander pour e l l e s - mêmes des
Réglemens d’un nouveau genre , tendant à pre1'
crire la qualité des matières premières-, leur emploi
& leur fabrication. Ces règlemens , dont l’exé-
cution fut confiée aux officiers des communautés ,
donnèrent à ceux - ci une autorité qui devint un
moyen, non - feulement d’écarter encore plus sûrement
les forains, fous prétexte de contravention,
mais encore d’affujettir les maîtres même de la
communauté à l’empire des chefs , & de les forcer,
par la crainte d’être pourfuivis pour des contraventions
fuppofées, à ne jamais fêparer leur intérêt
de celui de l’affociation, & par conféquent à
fe rendre complices de toutes les. manoeuvres inf-
pirées par l’elprit de monopole aux principaux
membres de la communauté.
Parmi les difpofitions déraisonnables & diverfi-
fiées à l’infini de ces ftatuts, mais toujours di&ées
par le plus grand intérêt des maîtres de chaque
communauté, il.e n eft qui excluent entièrement
tous autres que les fils de maîtres , ou ceux qui
.époufenï des veuves de maîtres ; d’autres rejettent
tous ceux qü’ils appellent étrangers , c’eft-à-dire,
ceux, qui font nés dans une autre ville.
Dans un grand nombre de communautés, il
fuffit d’être marié pour être exclus de l’apprentif-
fage, & par conféquent de la maitrife.
L’efprit de monopole , qui a préfidé à la confection
de ces ftatuts, a été pouffé jufqu’à exclure
les femmes des métiers les plus convenables à leur
fexe, tels que la broderie , qu’elles ne peuvent
exercer pour leur propre compte.
Nous ne fuivrons pas plus loin l’énumération des
difpofitions bizarres , tyranniques , contraires à
l’humanité & aux bonnes moeurs , dont font remplis
ces efpèces de codes obfcurs rédigés par l’avidité
, adoptés fans examen, dans des temps d’ignorance,
& auxquels il n’a manqué , pour être l’objet
de l’indignation publique, que d’être connus.
Ces communautés parvinrent cependant à faire
àutorifer, dans toutes les villes principales, leurs
ftatuts & leurs privilèges;, .quelquefois par des
lettres de nos prédeceffeurs, obtenues fous diffé-
rens prétextes , ou moyennant finance , & dont
on leur a fait acheter la confirmation de règne en
régné, fouvent par des arrêts de nos cours, quelquefois
par de fimples jugemens de p o lic e , ou
même par le feul ufage.
Enfin, l’habitude prévalut de regarder ces entraves
mifes à l’induftrie, comme un droit com-
ftun.
Le gouverneur s’accoutuma à fe faire une ref-
iource de finance des taxes impofées fur ces communautés
, & de la multiplication de leur privilèges.
, Henri III donna, par fon édit de décembre 1 5 8 1 ,
a cette inftkution , l’étendue & la forme d’une
toi générale. Il établit les arts & communautés dans
toutes les villes & lieux du royaume. Il affujettit
Y a maùrife & à la jurande tous les artifans. L ’édit
0 avril 1597 en aggrava encore/les difpofitions,
en aflujettiiTant tous les marchands à la même, loi
que les artifans. L ’édit de mars 1673 , purement
b u rfa l, en ordonnant l’exécution des deux précé-
dens ,_ a ajou té, au nombre des communautés déjà
exiftantes , d’autres communautés jufqu’alors inconnues.
La finance a cherché de plus en plus à étendre
les reffources qu’elle trouvoit dans l’exiftence de
ces corps. Indépendamment des taxes des établiffemens
de communautés & de maitrifes nouvelles ,
on a créé dans les communautés des offices fous
différentes dénominations ; & on les a obligées de
racheter ces offices au moyen d’emprunts qu’elles
ont été autorifées à c o n t ra â e r , & dont elles ont
payé les intérêts avec le produit des gages ou des
„droits qui leur ont été aliénés.
• C ’eft fans doute l’appât de ces m oyens de finance
qui a prolongé l’ilhifion fur le préjudice immenfe
que i’exiftence des communautés caufe à l’induf-
trie , & fur l’atteinte qu’elle porte au- droit naturel.
Cette illufion a été portée chez quelques perfon
n e s , jufqu’au point d’avancer que le droit de
travailler étoit un droit- ro ya l que lé prince pou-
v o it v en d re , & que les fujets dévoient acheter.
Nous nous hâtons de rejeter une pareille maxime.
D ie u , en donnant à l’homme des b e fo in s , en
lui rendant néoeffaire la reffource du' t ra v a il, a
f a i t , du droit de travailler , la propriété de tout
homme ; & cette propriété eft la première , la
plus facrée & la plus imprefcriptible de toutes.
Nous regardons comme un des premiers devoirs
de notre ju ft ic e , & comme un des a&es les plus
dignes de notre bienfaifance, d’affranchir nos fujets,
de toutes les atteintes portées à ce droit inaliénable
de l’humanité : Nous voulons en confé-
quence abroger ces inftitutions arbitraires, qui ne
permettent pas â l’indigent de v iv re de fon travail
, qui repouffent un fexe à qui fa foibleffe a
donné plus de befoins & moins de reffources, &
femblent, en les condamnant à une mifère inévitable
, féconder la fédu&ion & la débauche ; qui
éloignent l’émulation & l’induftrie , & rendent
inutiles les talens de ceux que les circonftances
excluent de l’entrée d’une communauté ; qui privent
l’état & les arts de toutes les lumières que
les étrangers y apporteroient ; qui retardent le
progrès des arts par les difficultés que rencontrent
les inventeurs, auxquels différentes communautés
difpütent.le droit d’exécuter des découvertes qu’elles
n’ont point faites ; q u i , par les frais immenfes que
les artifans font obligés de payer pour acquérir la
faculté de travailler , par les exâ&iôns de toute
efpèce -qu’ils effuient , par les fâifies multipliées
pour de prétendues contraventions , par les dé-
penfes 8c Tes diffipations de tout genre , par les
procès interminables qu’occafionnent entre toutes
ces communautés leurs prétentions refpe&ives fur
l’étendue de leurs privilèges exclùfifs, furchargent
l’induftrie d’un impôt énorme, onéreux aux fu je ts ,