M A Ç O N N E
cO
o u s le nom de maçonnerie, l’on entend non-
feulement l’art, la manière d’employer la pierre de
différente qualité , mais encore de fe fervir de li-
bage, de moilon , de plâtre, de chaux, de fable,
de glaife , de roc , &c. ainfi que celle d’excaver
les terres pour la fouille des fondations des bâti-
mens, pour la conftruélion des terraffes, des taluds,
& de tout autre ouvrage de cette efpèce.
Ce mot vient de maçon; & celui-ci, félon Ifidore,
du latin màchio, un machinifte, à caufe des machines
qu’il emploie pour la conftru&ion des édi- \
fices , & de l’intelligence qu’il lui faut pour s’en
fervir; & , félon M. Ducange, de maceria, muraille,
qui eft l’ouvrage propre du maçon.
Origine de la Maçonnerie.
La maçonnerie tient le premier rang entre les arts
mécaniques qui fervent à la confiraécion des édifices.
Le bois avoit d’abord paru plus commode
pour bâtir, avant q e l’on eût connu l’ufage de tous
les autres matériaux fervant aujourd’hui à la conf-
truftion.
Anciennement les hommes habitoient les bois &
les cavernes, comme les bêtes fauvages. Mais , au
rapport de Vitruve, un vent impétueux ayant un
jour par hafard pouffé & agité vivement des arbres
fort près les uns des autres, ils s’entrechoquèrent
avec une fi grande violence , que le feu s’y mit.
La flamme étonna d’abord ces habitans : mais s’étant
approchés peu-à-peu , & s’étant apperçus que
la température de ce feu leur pouvoit devenir commode
, ils l’entretinrent avec d’autres bois , en
firent connoître la commodité à leurs voifins, &
y trouvèrent par la fuite de l’utilité.
Ces hommes s’étant ainfi affemblés, pouflbient
de leurs bouches d^s fous dont ils formèrent, par
la fuite, des paroles de différentes efpèces, qu’ils
appli juèrent chacune à chaque chofe, & commencèrent
à parler enfemble & à faire fociété.
Les uns fe firent des huttes' ou cabanes avec
des feuillages, ou des loges qu’ils creufèrent dans
les montagnes.
Les autres imitoient les hirondelles, en faifantdes
lieux couverts de branches d’arbres & de terre
graffe ; chacun, fe glorifiant de fes inventions,
perfe&ionnoit la manière de faire des cabanes par
les remarques qu’il faifoit fur celles de fes voifins,
& bâtiffoit toujours de plus en plus commodément.
Ils plantèrent enfuite des fourches entrelacées de '
branches d’arbres, qu’ils rempUffoient & endui-
foient de terre graffe pour faiseles murailles.
R I E . (Art de la)
Ils en bâtirent d’autres avec des morceaux de
terre graffe defféchée, élevés les uns fur les autres,
fur lefquels ils portoient des pièces de bois en
travers qu’ils couvroient de feuilles d’arbres, pour
s’y mettre à l’abri du foleil & de la pluie; mais
ces couvertures n’étant pas fuffifantes pour fe défendre
contre le mauvais temps de l’hiver, ils imaginèrent
des efpèces de combles inclinés, qu’ils
enduifirent de terre graffe, pour faire écouler les
eaux.
Nous avons encore en Efpagne, en Portugal, en
Aquitaine, & même en France , des maifons couvertes
de chaume ou de bardeau, efpèce de petite
planche en forme de tuile.
Au royaume de Pont dans la Colchide, on étend
de part & d’autre fur le terrain des arbres ; fur chacune
de leurs extrémités on y en place d’autres,
de manière qu’ils enferment un efpàce carré de
toute leur longueur.
Sur ces arbres placés horizontalement, on y
en élève d’aut-res perpendiculairement pour former
des murailles, que l’on garnit d’échalas & de terre
graffe : on lie enfuite les extrémités de ces murailles
par des pièces de bois qui vont d’angle en
angle , & qui fe croif nt au milieu pour en retenir
les quatre extrémités ; & pour former la couverture
de ces efpèces de cabanes, on attache aux quatre
coins, par line extrémité, quatre pièces de bois qui
vont fe joindre enfemble.par l’autre vers le milieu,
& qui font affez longues pour former un toit en
coupe , imitant une pyramide à quatre faces, que
i’on enduit auflî de terretgraffe.'
Il y a chez ces-peuples de-deiix efpèces de toits
en croupe; celui-ci, que Vitruve appelle tefiud'm-
tum, parce que l’eau s’écoule des quatre cotes a
la fois ; Fautre , qu’il appelle difpluviatum ^ eu
lorfque le faîtage allant d’un pignon à l’autre, 1 eau
s’écoule des deux côtés.
Les Phrygiens, qui occupent des campagnes oit
il n’y a point de bois, creufënt des. foffés circulaires
ou petits tertres naturellement élevés, qu’ils font
les plus grands qu’ils peuvent, auprès defquels ns
font un chemin pour y arriver.
Autour de ces creux ils élèvent des perches,
qu’ils lient par. en haut en forme de pointe ou a«
cône, qu’ils couvrent de chaume; & fur cela ils
amaffent de la terre & du gafon, pour rendre leurs
demeures chaudes en hiver & fraîches en été.
En d’autres lieux, on couvre les cabanes ave
des herbes prifes dans les étangs..
Aux environs de Marfeille, beaucoup de maiion
font couvertes de terre graffe paîtrie avec de
paille. On fait voir encore maintenant à Athene^
comme une chofe curieufe par fon antiquité, les
toits de l’aréopage faits de terre graffe ; & dans
le temple du Capitole, la cabane de Romulus couverte
de chaume.
Au Pérou, les maifons font encore aujourd’hui
de rofeaux & de cannes entrelacés, femblables aux
premières habitations des Egyptiens & des peuples
de la Paleftine.
Celles des Grecs, dans leur origine, n’étoient
nqn plus conftruites que d’argile, qu’ils n’avoient
pas l’art de durcir par le fecours du feu.
En Irlande, les maifons ne font conftruites qu’avec
des menues pierres ou du ro c , mis dans de
la terre détrempée & de la moufle. Les Abyflins
logent dans des cabanes faites 'de torchis, ou de
mortier de. terre graffe.
Au Monomotapa, les maifons font toutes conftruites
de bois. On voit encore maintenant des
peuples fe conftruire, faute de matériaux & d’une
certaine intelligence, des cabanes avec des peaux
& des os de quadrupèdes & de monftres marins.
Cependant, on peut conje&urer que l’ambition
de perfeétionner ces cabanes & d’autres bâtimens
élevés par la fuite , leur fit trouver les moyens
d’allier, avec quelques autres fofliles, l’argile & la
terre graffe , que leur offraient d’abord les furfaces
des terrains où ils établiffoient leurs demeurés ,
qui peu-à-peu leur donnèrent l ’idée de chercher
plus avant dans le fein de la terre, non-feulement
la pierre, mais encore les différentes fubftànces,
qui dans la fuite les puffent mettre à portée de
préférer la folidité de la maçonnerie à l’emploi des
végétaux, dont ils ne tardèrent pas à connoître le
peu de durée.
Mais malgré cette conje&ure, on çonfidère les
Egyptiens comme les premiers peuples qui aient
fait ufage de la maçonnerie; ce qui nous paraît
d’autant plus vraifemblable, que quelques-uns de
leurs édifices font encore fur pied : témoins ces
pyramides célèbres, les murs de Babylone conf-
truits de brique & de bitume; le temple de Salomon,
le phare de Ptoléméé, les palais de Cléopâtre & de
Céfar, & tant d’autres monumens dont il eft fait
mention dans l’hiftoire.
Aux édifices des Eyptiens , des Affyriens & des
Hébreux, fuccédèrent dans ce genre les ouvrages
des Grecs, qui ne fe contentèrent pas feulement de
la pierre qu’ils avoient chez eux eh abondance ,
mais qui firent ufage des marbres des provinces
d’Egypte, qu’ils employèrent avec profufion dans
Ia conftru&ion de leurs bâûmens ; bâtimens q u i,
par la folidité immuable, feraient encore fur pied,
fans l’irruption des barbares & des fiècles d’ignorance
qui font furyerius.
Ces peuples, par leurs découvertes, excitèrent
autres nations à les imiter. Ils firent naître aux
romains , poffédés ;de l’ambition de devenir les
maitr.es du monde, l’envie de les fupaffer par Fin-
croyable folidité qu’ils donnèrent à leurs édifices ;
ei1 joignant aux ,découvertes, des Egyptiens &. des
Grecs l’art de la main-d’oe uvre, 6c l'excellente
qualité de matières que leurs climats leur procuraient
, enforte que l’on voit aujourd’hui , avec
étonnement, plufieurs veftiges intéreffans de l’ancienne
Rome.
A ces fuperbes monumens fuccédèrent les ouvrages
des Goths; monumens dont la légèreté fur-
prenante nous retrace moins les belles proportions
de l’archite&ure , qu’une élégance & une pratique
inconnue jufq'i’alors, & qui nous aflurent, par leurs
afpeâs, que leurs conftruâeurs s’étoient moins
attachés à la folidité qu’au goût de l’archiieéture
& à la convenance de leurs édifices.
Sous le règne de François I , l’on chercha la
folidité de ces édifices dans ceux qu’il fit conftruire ;
& ce fut alors que l’architeéfure fortit du chaos où
elle avoit été plongée depuis plufieurs fiècles. Mais
ce fut principalement fous celui de Louis X IV , que
l’on joignit l’art de bâtir au bon goût de l’archi-
te.éfure , & où l’on raffembla la qualité des matières,
la beauté des formes, la convenance des
bâtimens , les découvertes fur l’art' du trait, la
beauté de. l’appareil, & tous les arts libéraux 6c
mécaniques.
De la Maçonnerie en particulier.
Il y a deux fortes de maçonnerie ; l’ancienne ,
employée autrefois par les Egyptiens , les Grecs
& les Romains ; & la moderne, employée de nos
jours.
Vitruve nous apprend que la maçonnerie ancienne
fe divifoit en deux claffes ; l’une, qu’on
appelloit ancienne, qui fe faifoit en liaifon, & dont
les joints étoient horizontaux & verticaux ; la fe-*-
conde, qu’on appeloit maillée, étoit celle dont les
joints étoient inclinés félon l’angle de 45 degrés ;
mais cette dernière étoit très - défe&ueufe , comme
nous le verrons ci-après.
Il y avoit anciennement trois genres de maçonnerie;
le premier, de pierres taillées & polies; le
fécond , de pierres brutes ; & le troifième , de
ces deux efpèces de pierres.
La maçonnerie de pierres taillées & polies , étoit
de deux efpèces; favoir, la maillée , appelée par
Vitruve reticulatum , dont les joints des pierres
étoient inclinés félon l’angle de 45 degrés, & dont
les angles étoient faits de maçonnerie en liaifon ,
pour retenir la pouffée de ces pierres inclinées ,
qui ne laiffoit pas d’être fort confidérable ; mais
cette efpèce de maçonnerie étoit beaucoup moins
folide, parce que le poids de ces pierres qui portoient
fur leurs angles les faifoient éclater ou égrainer,
ou du moins ouvrir par leurs joints ; ce que
détruifoit le mur. Mais les anciens n’avoient d’autres
raifons d’employer cette manière, que parce
qu’elle leur'paroiffoit plus agréable à la vue,.
La manière de bâtir en échiquier félon les anciens
, que rapporte Palladio dans fon liv. / , étoit
moins défeéjueufe , parce que ces pierres , dont
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