
M A N N E (Ar t de récolter la)
L A manne ordinaire eft un fuc cone ret, blanc
ou jaunâtre, tenant beaucoup de la nature du fucre
& du mie l, & fe fondant dans l’eau. C e fuc eft
gras , doué d’une vertu laxative , d’un goût douceâtre
, mielleux, tant foit peu â c re , d’une odeur
foible où fade.
La manne fort fans incifton ou par incifion , à la
manière des gommes, du tronc , des groffes branches
, & des feuilles de quelques arbres, en particulier
des frênes cultivés ou non cultivés , qu’on
appelles-or/zw ; arbres qui croiffent en abondance
dans la Ca labre, en Sicile , & dans la Pouille près
du mont Saint-Ange.
Les anciens qui ignoroiedt quelle étoit 1 .a véritable
caule de la manne , la nommoierit indifféremment
m ie l de l ' a i r ou ro fé e céleste, parce qu’ils
croyoient que , pendant la nuit,, elle tomboit fur
les feuilles de.frêne.
C ’tft ainfi que les G re c s , les Latins & le s Arabes
parlent de la manne.
Les modernes ont ob fe rvé , avec plus .de v é r ité ,
que la manne e f t , comme on vient.Ade le dire ,
une efpèce de gomme, qui d’abord eft fluide Jorf-
qu’elle fort des différentes plantes , & qui enfuite
s’épaiffit & fe met en grumeaux fous la forme.de
fel effentiel huileux.
On la trouve non - feulement fur les frênes ƒ
mais aufli quelquefois fur le m elèz e, le pin , le
fap in , le ch êne, le géne vrier, l’érable, le fa u le ,
l’o liv ie r ,.le figuier, & plufieurs autres arbres.
On la" diftingue en différentes efpècês, félon fa
confiftance, fa forme , le lieu où on la recueille,
& les arbres d’où elle fort.
L’une eft liquide & de confiftance de miel ;
l’autre eft dure & en grains : on l’appelle manne
e n grains.
Celle-ci eft en grumeaux ou par petites maffes :
on l’appelle manne en marons.
' Celle-là eft en larmes ou reffemble à des gouttes
d’eau tombantes ou à des ftalaftiques : elle s’appelle
alors vermiculaïre ou bombycine.
On diftingue encore la manne orientale & la
manne alhagine, ainfi nommée parce qu’on la retire
d’un arbriffeau épineux appelé alhagi. Cette
manne vient principalement de la Perfe & de
l’Arabie.
L a manne européenne eft celle qu’on récolte dans
la Calabre & à Briançon.
D e toutes ces fortes de mannes, on ne fait guère
ufage que de celle de Calabre ou de S ic ile , que
l’on recueille , comme on l’a d i t , fur une efpèce
de frêne fauvage.
La meilleure manne eft celle qui eft blanche
ou jaunâ tre, lég è re , en grains, ou par grumeaux
c re u x , douce & la moins mal-proprè.
C ’eft mal à propos que quelques perfonnes préfèrent
celle dont la fubftance eft g rau e , mielleufe,
& qu’on appelle pour cela manne grajfe, puifque
ce n’eft le plus fouvent qu’une manne gâtée par
l ’humidité de l ’a i r , ou parce que les caiffes où elle
a été apportée, ont été mouillées par l’eau de la
mer ou par l’eau de la pluie, ou de q u elq u ’autre
manière. Souvent même cette manne graffe n’eft
autre chofe qu’un fuc épa is, mêlé avec le miel &
un peu de fcammonée. C e qui fait que cette manne
eft mielleufe & purge fortement.
Dans la Calabre & la Sic ile, pendant les chaleurs
de l ’é t é , la manne coule d’elle-même ou par
incifion des branches & des feuilles du frêne ordinaire
, & elle fe durcit par la chaleur du foleil
en grains ou en grumeaux.
Ce lle qui coule d’elle-même, s’appelle fpontanée;
celle qui ne fort que par incifion eft appelée, par
les habitans.de la Ca lab re, formata ou forçaletta ,
parce qu’on ne peut l’avoir qu’en faifant une ouverture
à l’écorce de l’arbre.
On appelle manna di fronde, c’eft-à-dire manne
des feuilles, celle qu’on recueille fur les feuilles;
manna di corpo , celle qü’on tire du tronc de
l ’arbre.
En Calabre , la manne coule d’elle-même dans
un temps ferein , depuis le 2.0 juin jufqu’à la fin
de ju ille t , du tronc & des groffes branches des
arbres. Elle commence à couler fur le midi, &
elle continue jufqu’au foir fous la forme d’une liqueur
très-claire; e l l e s ’épaiflit enfuite peu à peu,
6c fe forme en grumeaux qui durciffent & deviennent
blancs. On ne les ramaffe que le matin du
lendemain, en les détachant avec des couteaux de
bois , pourvu que le temps ait été ferein pendant
la nuit ; c a r , s’il furvient de la pluie ou du brouil*.
la rd , la manne f e fo n d '& fe perd èntiérement.
Après que l’on a ramaffé les grumeaux, on les
met dans des vafes de terre non vernifles ; en*
fuite on les étend fur du papier blanc, & on les
expofe au foleil jufqu’à ce qu’ils ne s’attachent plus
aux mains. C ’eft là ce qu’on appelle la manne choifit
du tronc de l’arbre.
Sur la fin de ju ille t , lorfque cette liqueur celle
de couler , les p a y fa n sH fo n t des incifions dans
l’écorce des deux fortes de frên es , jufqu’au corps
de l’arbre ; alors la même liqueur découle encore
depuis midi jufqu’au /o ir , 6c fe transforme en grU"
meayx plus gros.
Quelquefois ce fuc eft fi abondant, qu’il coule
jufqu’au pied de l’arbre, & y forme de grandes maffes
aui reffemblent à de la cire ou à de la réfine. On
les y laiffe pendant un ou deux jou r s, afin qu’elles
fe réduifent : enfuite on les coupe par petits .morceaux,
& on les fait fécher au foleil. C ’eft la manne
tirée par incifion, formata & forçaleita. Sa couleur
n’eft point fi blanche que celle de la manne choifie :
elle devient rouffe & fouvent même noire , à ca*jfe
des ordures & de la terre qui y font mêlées.
La troifième efpèce de manne eft celle que Fon
recueille fur les feuilles du f rên e , m a n n a d i fro n d e .
Au mois de juillet & au mois d’ao û t, vers le mid i,
on la voit paroitre d’elle-même, comme de petites
gouttes d’une liqueur trèi-claire fur les fibres ner-
veufes des grandes feuilles, & fur les veines des
petites. La chaleur fait fécher ces gouttes, & elles
fe changent en petits grains blancs de la groffeur
du millet ou du froment. Qu oiqu e l’on ait fait
autrefois un grand ufage de cette manne recueillie
fur les feuilles , cependant on en trouve très-rarement
dans les boutiques d’I ta lie , à caufe de la
difficulté de la ramaffer.
Les habitans de la Calabre mettent de la différence
entre la manne tirée par incifion des arbres
qui en ont déjà donné d’eux - mêmes , 6c la
manne tirée par incifion des frênes fauvages qui
n’en donnent jamais d ’eux-mêmes. On croit que
cette dernière eft bien meilleure que la première ;
de même que la manne qui coule d’elle-même dû
tronc, eft bien meilleure que les autres.
Quelquefois après que l’on a#fait l’incifion dans
l’écorce des frênes , on y infère des pailles, des
chalumeaux, des fétus , ©11 de petites branches.
Le fuc qui coule le long de ces corps , s’épaiffit
en groffes gouttes pendantes ou ftalad ites, que
l’on ôte quand elles font affez graffes : on en retire
la paille, on les fait fécher au foleil ; il s’en
forme des larmes très - belles , longues , creufes ,
légères, comme cannelées en dedans, blanchâtres
& tirant quelquefois fur le rouge.
Quand elles font sè che s, on les renferme bien
précieufement dans des caiffes. On eftime beau*
coup cette manne ftalaâite 6c avec' raifon , car
elle ne contient aucune ordure. On l’appelle communément
en France manne en larmes.
Après la manne en larmes, on fait plus de cas
de la manne de Calabre & de celle qu’on recueille
dans la Pouille , près du mont de Saint - A n g e ,
quoiqu’elle ne foit pas fort sèche & qu’elle foit
un peu jaune.
On place après cela la manne de S ic ile , qui eft:
plus blanche & plus sèche.
Enfin, la moins eftimée eft celle qui vient dans
le territoire de R om e , appelée la tolpha, près de
Civita-Ve cchia, qui eft fè ch e , plus opaqu e, plus
pefante, & moins chère.
La manne de Briançon eft ainfi nommée, par ce
qu’on la recueille du melèze , près de Briançon
en Dauphiné. Cette manne eft blanche & divifée
en grumeaux, tantôt de figure fphérique , tantôt
de la groffeur de la coriandre, tantôt un peu longs
& gros. Elle eft d o u c e , agré ab le, d’un goût de
fucre un peu réfineux ; mais on en fait rarement
ufage , parce qu’elle eft beaucoup moins purgative
que celle d’Italie.
Les feuilles de melèze tranflùdent aufli quelquefo
is , dans les pays chauds, une efpèce de manne
au fort de l’été ; mais cela n’arrive que quand
l’année eft chaude & sè ch e , & point autrement.
On a bien de la peine à féparer cette efpèce
de manne , quand il y en a fur des feuilles du
melèze, où elle eft fortement attachée.
Les payfans , pour la recueillir , vont le matin
abattre , à coups de hache , les branches de cet
arbre , les mettent par morceaux , & les gardent
à l’ombre. Le fuc qui eft encore trop mou pour
pouvoir être recueilli, s’épaiffit & fe durcit dans
l’efpace de vingt - quatre heures ; alors on le ramaffe
, on l’expofe au foleil pour qu’il fe sèche
entièrement, & on en fépare autant que l’on peut
le petites feuilles qui s’y trouvent mêlées. Cette
récolte eft des plus chétives.
V O C A L U L A I R E .
D
" R iançon (manne d e ) ; c’eft la manne qu’on
tecolte fur une efpèce de frêne, aux en/irons de
cette ville.
de la Calabre tirent du corps de l’arbre de frêne.
Forzata ou For za le tta ; c’eft, dans la Ca-
abre, la manne qu’on obtient par incifion fur le<
trenes fauvages.
Frêne; arbre fur lequel on récolte la manne.
Ronde ( manna di ) ; manne que les habitans
_e a Calabre recueillent fur les feuilles des frênes
tauvages. »
t i f^ * * ^ ’ ^*U,C concret » gras» niielleux & piirga-
» qui fort, à la manière des gommes, du tronc.
des branches, & des feuilles de quelques arbres „
particulièrement des frênes fauvages.
On diftingue , fuivant fes formes & fes qualités
différentes, les mannes en grains, en marons, en
larmes f les mannes graffes, sèches, choifecs, &c.
Miel de l’air ; nom donné à la manne par quelques
auteurs anciens, qui ignoroient fa nature.
Orne ou Frêne fawvage ; arbre qui reffemble
beaucoup à un frêne ordinaire , mais il eft plus
pepit, 6c a fes feuilles plus étroites & plus aiguës.
R osée céleste ; nom que les anciens donnoient
à la manne, dont ils ignoroient l’origine.
Spontanée (manne) ; celle qui découle d’elle-
même.