
reçus ^qu'après des épreuves aufîî longues & auflî
pénibles que fuperflues , & après avoir fàtisrait à
des droits ou des exa&ions multipliées , par lesquelles
une partie des fonds dont ils auroient eu
befoin pour monter leur commerce ou leur atte-
lier , ou même pour fubfifter , fe trouve confom-
mée en pure perte.
Ceux dont la fortune ne peut Suffire à ces dépenses
, font réduits à n’avoir qu’une fubfiftance précaire
, Sous l’empire des maîtres , à languir dans
l’indigence , à porter hors de leur patrie une in-
duftrie qu’ils auroient pu rendre A utile à l’état.
Toutes les claffes de citoyens Sont privées du
droit de choifir les oiftriers qu’ils voudroient employer
, & des avantages que leur donneroit la
concurrence pour le bas prix & la perfection du
travail. On ne peut Souvent exécuter l’ouvrage le
plus fimple, fans recourir à plufieurs ouvriers de
communautés différentes, fans effuyer les lenteurs,
les infidélités , les . exactions que néceffitent ou fa-
vorifent les prétentions de ces differentes communautés
, & les caprices de leur régime arbitraire &
intérèffé.
Ainfi les effets de ces établiffemens Sont, à l’égard
de l’état , une diriïinution inappréciable de commerce
& de travaux indu {tri eux ; à l’égard d’une
nombreufè partie de nos Sujets, une perte de Salaires
& de moyens* de fubfiftance ,* à l’égard des
habitans des villes en général, l’afferviffement à des
privilèges èxclufifs , dont l’effet eft abfolument analogue
a celui d’un monopole effectif : monopole,
dont ceux qui l’exercent contre le public en travaillant
& vendant, font eux-mêmes les victimes dans
tous les momens où ils ont à leur tour befoin des
marchandises ou du travail d’une autre communauté.
Ces abus Se Sont introduits par dégrés. Ils font
originairement l’ouvrage de l’intérêt des particuliers
qui les ont établis contre le public. C’eft après
un long intervalle de temps , que l’autorité , tantôt
furprife, tantôt Séduite par une apparence d’utilité ,
leur a donné une forte de Sanction.
La Source ”du mal eft dans la faculté même accordée
aux artifàns d’un même métier , de s’affembler
& de fe réunir en un corps.
Il paroît que lorfque les villes commencèrent à
s’affranchir de la Servitude féodale, & â'fe former
en communes , la facilité de claffer les citoyens par
le moyen de leur profeffion , introduifit cet ùfage ,
inconnu jufqu’alors. Les différentes profeffions devinrent
ainfi comme autant de communautés particulières,,
dont la communauté générale éçoic com-
pofée. î les confréries religieufes , en refferrant encore
les liens qui uniffbiëut entr’elles les perfonnes
d’une même profeffion , leur donnèrent des ocça-
fîons plus fréquentes de s’aflèmbler , & de s’occuper
dans ces aflemblées, de l’intérêt commun des
membres de la Société particulière ; intérêt quelles
pourfuivirent avec une aâivité continue , au préjudice
de ceux de Ja Société générale,
Lés dômmunautés une fois formées, rédigèrent
des ftatuts ; & fous différens prétextes de bien public
, les firent autorifer par la police.
La bafe de ces ftatuts , eft d’abord , d’exclure du
droit d’exercer le métier , quiconque n’eft pas membre
de la communauté ; leur efprit général, eft de
reftreindre, le plus qu’il eft poffible , le nombre
des maîtres , & de rendre l’acquifition de la maurife
d’une difficulté prefque inftir mon table pour tout
autre que pour les enfans des maîtres aCtuels. C’eft
à ce but que font dirigées la multiplicité des frais Sc des formalités de réception, les difficultés du chef-
d’oeuvre toujours juge arbitrairement, fur-tout la
cherté & la longueur inutile des apprentiffages ,
& la Servitude prolongée du compagnonage ; infti-
tutions qui ont encore l’objet de faire jouir les
maîtres gratuitement, pendant plufieurs années , du
travail des afpirans.
Les communautés s’occupèrent fur-tout -d’écarter
de leur territoire les marchandises & les ouvrages'
des forains : elles s’appuyèrent fur le prétendu avantage
de bannir du commerce des marchandises qu’elles
fuppofent être mal' fabriquées. Ce motif les
conduisit à demander pour elles-mêmes des régle-
mens d’un nouveau genre , têndans a préferire la
qualité dés matières premièrës, leur emploi & leur
fabrication. Çes règlement , dont l’exécution fut-
confiée aux officiers des communautés , donnèrent
à ceux-ci une autorité qui devint un moyen , non-1
feulement d’écarter encore plus sûrement les forains*;
Sous prétexte de contravention , mais, encore d’af-
fujettir les maîtres mêmes de la communauté i l’empire des chefs ; & de les forcer , par la crainte
d'être pourfuivis pour des contraventions fuppofées,
à ne jamais féparer leur intérêt de celui de l’affo-
ciation , & par conféquent à fe rendre complices
dç toutes les manoeuvres infpirées par l’efprit de
monopole, aux principaux membres de la communauté.
Parmi les difpofitions déraifonnables & diverfî-
fiées à l’infini de ces ftatuts, mais toujours di&éeé
par le plus grand intérêt des maîtres de chaque
communauté , il en eft qui excluent entièrement
tons autres que les fils de maîtres ,* ou ceux qui
époufent des veuves de maîtres.
D’autres rejettent tous ceux qu’ils gers appellent étran* , c’eft-à-dire , ceux qui font nés dans une
autre ville.
Dans un grand nombre de communautés , il fuffic
d’être marie pour être exclus de l’apprentiffage , &
par conféquent de la maîtrife.
L’efprit de monopole qui a préfidé à la confection
de qes ftatuts, a été pouffé jufqu’à exclure les
femmes des métiers les plus convenables à leur
fexe , tels que la broderie , qu’elles ne peuvent
exercer pour leur propre compte.
Nous ne fuivrons pas plus loin fénumératlon des
difpofitions bifarres, tyranniques , contraires à l’humanité
& aux bonnes moeurs , dont font remplis
çes çfpèççs dç çodes obfçurs, rédigés par l’avidité,
adoptés
adoptés fans examen dans des temps d'ignorance , î
& auxquels il n’a manqué , pour être l’objet de
l ’indignation publique, que d’être connus.
Ces communautés parvinrent cependant à faire
autorifer dans toutes les villes principales , leurs
ftatuts & leurs privilèges , quelquefois par des
lettres de nos| prédéceffeurs , obtenues fous diffé-
rens prétextes , ou moyennant finance , & dont on
leur a fait acheter la confirmation de régne en régne
; fouvent par des arrêts de nos cours ; quelquefois
par de fimples jugemens de police , ou même
par le feul ufagé.
Enfin, l’habitude prévalut, de régarder ces entraves
mifes à l’induftrie , comme un droit commun.
L e gouvernement s’accoutuma à fe faire une
reflource de finance , des taxes impofées fur ces
communautés , & de la multiplication de leurs privilèges.
Henri IH donna, par fon édit de décembre 1 j 8i ,
à cette inftitution, l’étendue & la forme d’une loi
générale. I l établit les arts & métiers en corps &
communautés , dans toutes 'les villes & lieux du
royaume j il affujettit à la maîtrife & à la jurande
tous les artifàns. L ’édit d’avril 15^7 , en aggrava
encore les difpofitions , en affujettiflànt tous les
marchands à la même loi que les artifàns. L ’édit
<3e mars 1673 , purement burfal , en ordonnant
l'exécution des deux précédens , a ajouté ati nombre
des communautés déjà exiftantes , d’autres communautés
jufqu alors inconnues.
L a finance a cherché de plus en plus à étendre
les reffources qu’elle trouvoit dans l’exiftence de ces
corps. Indépendamment des taxes , ' des établiffemens
de communautés & de maîtrifes nouvelles,
on a créé dans les communautés des offices fous
différentes dénominations 5 & on les a obligés de
racheter ces offices, au moyen d’emprunts qu’elles
ont été autorifées a contracter, & dont eues ont
payé les intérêts , avec le produit des gages ou des
droits qui leur ont été aliénés.
C’eft fans doute l’appât de ces moyens de finance,
qui a prolongé l’illufion fur le préjudice immenfe
que l’exiftence des communautés câufe à l’induftrie,
& fur l’ atteinte qu’elle porte au droit naturel.
Cette illufion a été portée, chez quelques per-
fonnes , jufqu’au point d’avancer que le droit de
travailler étoit un droit ro yS f , que le prince pou-
voit vendre, & que les fujets dévoient acheter.
Nous nous hâtons de rejetter une pareille
maxime.
Dieu , en donnant à l’homme des befoins , en
lui rendant néceffaire la reffource du travail, a fait,
du droit de travailler , la propriété de tout homme ,
& cette propriété eft la première , la plus facrée
& la plus imprefcriptible de toutes. •
Nous regardons comme un des premiers devoirs
de notre juftice , & comme un des aôtes .les plus
dignes de notre bienfaifance, d’affranchir nos fujets
de toutes les atteintes portées â ce droit inaliéna^
ble de l’humanité : Nous voulons en conféquence
Comqiercc. Tome IL Part. II.
abroger ces inftitutions arbitraires qui ne permettent
pas à l’indigent de vivre de fon travail , qui repouf-
lent un fexe à qui fa foiblefle a donné plus de befoins
& moins de reffources , & qui fèmblent, en
Je condamnant â une misère inévitable , féconder la
féduetion & la débauche , qui éteignent l’émulation
& l’induftrie , & rendent inutiles les talens de ceux
que les circonftances excluent de l’entrée' d’une
'communauté ; qui privent l’état & les arts de toutes
les lumières que les étrangers y apporteroient; qui
retardent le progrès de ces arts , par les difficultés
multipliées que rencontrent les inventeurs auxquels
différentes communautés difputent le droit'd’exécuter
des découvertes qu’elles n’ont point faites; qui,
par les frais immenfes que les artifans font obligés
de payer pour acquérir la faculté de travailler ,
par les exàCtions de toutes efpeces qu’ils effuient,
-par les faifies multipliées pour de prétendues contraventions
, par les dépenfes & les diffipations de
tous genres, par les procès interminables qu’oc-
cafionnent entre toutes ces communautés leurs pré-
1 tentions refpe&ives fuiT’étendue de leurs privilèges
èxclufifs , fiirchargent l’induftrie d’ùn impôt énorme,
onéreux aux fujets , fans aucun fruit pour l’état;
qui enfin, parla facilité qu’elles donnent aux membres
des communautés de fe liguer entr’eux , de
forcer les membres les plus pauvres à fubir la loi
des riches , deviennent un inftrument de monopole,
& fàvorifent des manoeuvres , donc l’effet eft de
hauffer au-deffus de leur proportion naturelle les
denrées les plus néccffaires à la fubfiftance du
peuple.
Nous ne ferons point arrêtés dans cet"a<fte de
.juftice , par la crainte qu’une foule d’artifans n’ufent
de la liberté rendue à tous pour exercer des métiers
qu’ils ignorent', & que le public ne foie inondé d’ouvrages
mai fabriqués. La liberté n’a point produit
ces fâcheux effets dans les lieux où elle eft établie depuis
long-temps. Les ouvriers des'fauxbourgs & des
autres lieux privilégiés ne travaillent pas moins bien
que ceux de l’interieur de Paris. Tout le monde
fçait d’ailleurs combien la police des jurandes,
quant à ce qui concerne la perfection des ouvrages
, eft illufoire , & que tous les membres des
communautés étant portés par l’efprit de corps à fe foutenir les uns les autres , un particulier qui
fe plaint, fe voit prefque toujours condamné , &
fe laffe de pourfuivre de tribunaux en tribunaux
une juftice plus difpendieufe que l’objet de/fa plainte.
Ceux qui connoifïent la marche du commerce ,
fàvenr auffi , que toute entreprife importante de
trafic ou d’induftrié exige le concours de deux ef-
pèces d’hommes ; d’entrepreneurs qui font les avances
des matières premières , des uftenfiles néeef-
faires à chaque commerce , & de fimples ouvriers
qui travaillent pour le compte des premiers, moyennant
un fàlairé convenu. T elle eft la véritable origine
de la diftin&ion entre les entrepreneurs ou
maîtres, & les ouvriers ou compagnons : laquelle
eft fondée fur la nature des chofes,. & ne dépend