
ICS J U R
C h a p i t r e I V . .
D e V apprentîjfage & du compagnonage.
On a coutume de dire > pour juftifier. lesrégle-
mens qui exigent un apprenti(Juge dans tous les
corps & communautés, qu’il eft important que les
ouvriers foient habiles ; qu’ils ne peuvent le devenir
qu’aucanc qu’ils apprennent leur métier & longtemps
; que c’eft leur habileté & leur réputation qui
décident de retendue du commerce d’une nation.
Cette confidération pourvoit être en effet de quelque
poids dans l’état aétuel. On me force à me fer-
vir- de tel ouvrier ; au moins faut-il l’obliger à fçavoir
^bn métier. Le privilège exclusif qui'lui eft accordé,
impofe la néceliité de prendre des précautions contre
fon impéritie, autrement toutes les communautés
ne feroient compofées que de maîtres ignorans, qui
auroient été allez riches pour acheter une maîtrife,
& ne feroient bientôt plus que des efpèces de fermes
, dont les ^ens riches ne dédàigneroient pas l’en-
treprife, 8ç ou ils s’enrichiroient du travail des pauvres
artifans qu’ils feroient travailler en foiis ordre.
Telle eft la fuite inévitable d’un faux principe en
fait d’àdminiftration. Il faut introduire un abus pour
prévenir ou corriger un autre abusL'.
DansUétat de liberté & de concurrence, où le choix
du public fera libre, ces inconvéniens.feront nuis.
L’artifan qui n’aura pas les talens néceftaires pour
fon état , ne fera employé dç perfonne; il faudra
bien qu’il, quitte un métier Hérite , ou plutôt il ne
le prendra, que lorfqu’il fera en état de le faire.
Son intérêt perfonnel luiimpofera fur ce point une
loi plus févère 8c plus fïîre que tous les ftatuts &
réglemens»
: Qu’arrive-t-il dans les bourgs, dans les petites:
villes & dans les campagnes ou le commerce eft
demeuré libre, où il n’y a ni apprentijfage, ni
jurande ? Les ouvriers y fçavent - ils moins leur
métier ? Le public fouffre-t-il de leur ignorance ? Ils
ont moins de goût & de perfection dans le travail
que les ouvriers des grandes villes, & il eft bon
que cela foit ainfi. Mais ce n’eft pas parce qu’ils
n ont.point été affujettis aux épreuves ; c?eft que la
fabrication fe mefure d’elle-même fur les hefoins,
le goût & les facultés du confommateur.
Dans touce la Hollande , il n’y a point $appren^ tijfage. La Hollande ! la première nation commerçante
de l’Europe, qui ne vit que des travaux d»
fon induftrie! la foupçonuera-t-on de négligence?
L’?ccufera-t-on de méprife & d’erreur lur un point
auilï important à fon commerce? En Angleterre le
temps des ap.prentijfàgts eft fixé à fept ans; mais
l’Angleterre eft de toutes les nations la plus fîfté-
marique , & par conféquent la plus erronpée dans
tontes fes opérations économiques.
L’app rentijf âge en régie eft inutile &, abufif. Il
çft inutile, puifque la nation qui a le plus d’ha-
j?iîeçé §ç d’çxpsriepcç dans Je çoiuiuçrçe > çîi a pref-
J u R orit l ’ufage. L a raifon d’ailleurs fuffit pour rècotW
noître que la concurrence doit fuppléer à toutes les
précautions des réglemens. Il eft abufif, & par lui-'
même, & par tous les acceflbires qui l’accompa«<
gnent.
f ° . Y a-t-il rien.de plus contraire au bien du
commerce & de l’induftrie, que les difpofitions des
ftatuts qui bornent le nombre des apprentifs ? Il eft
défendu à tous marchands & artifans d’en avoir plus
d’un à la fois . Il faut que le premier foit à la dernière
année d’apprentijfage, pour qu’il foit permis
d’en prendre un .fécond. Cette loi eft exprefte pour
les marchands des fix corps, & prefque générale
dans tous les autres corps & communautés du
royaume. Il y en a même plufieurs dont les ftatuts
portent peine d’amende envers les contrevenàns.
D ’autres, tels que celui des vinaigriers de Paris ,
des verriers, &c. y ne permettent aux maîtres de
faire un apprenrif qu’au bout dé fept ou cinq ans
de maîtrilè. Dans ceux-ci, comme le corps des
tailleurs de Paris, le nombre des apprentifs eft limité
; la communauté n’en peut recevoir qu’un certain
nombre par an;, dans les autres;, comme celui
des tireurs;d’o r’, c’eft le nombre, des maîtres qui
eft fixé ; i f eft défendu d’en recevoir‘.aucun qu’il
n’y ait une place vacante , & i l n’y a que les fil$-<des
maîtres qui y puiflent prétendre..
Demandez aux membres des différentes communautés
quel eft le motif de ces réglemens, ils répondront
avec naïveté que c’èft pour arrêter la multiplicité
des maîtres ; -pour empêcher les profits de
fe partager;; qu’il en coûte1 aflez pour .être en métier,
& qu’i l y faùdroit renoncer s’il y avait plus
de coneurreris.. Voilà l ’efprit du privilège exclufif,
& il eft aflez, jufte qu’ils cherchent à le foutenir ,
puifqu’ils l’ont, acheté fi cher. On n’a pas befoin
fans doute de s’étendre pour prouver le danger &
l’abus d’une pareille loi. Il eft évident que l’état a
toujours -intérêt de multiplier les ouvriers dans chaque
profeffion pour établir.la concurrence, & q u e
e’eft à elle feule; à ; borner leur nombre, qui fe-
réduira lui-même dans la jufte proportion du befoin
des. cônfommateurs.
L a longueur des app rentijf âges eft .encore
un abus révoltant. Dans l’ état aéfeuel des communautés
, il n’y a aucune régie fixe fur ce point. Cha*
que corps a fes réglemens particuliers qui. en ^déterminent
la durée. Il y en a plufieurs où il dure
dix ans. Dans 4a plupart il eft de fix. ou même fept,
fans compter les années de compagnonage r qui eft
une autre efoèce de fçrvitude. Après avoir travaillé
fix ans en qualité d’appr en tif, il faut paflèr encore
fix autres années fous les maîtres, en qualité de
compagnon. Jufques-Ià , il n’eft pas permis d’afpi-
rer à la maîtrife il eft même défendu de fe marier.
L e célibat edi encore une loi abfurde auffi dan-
gereufe pour les moeurs , que nuifible à la popular
don. Les compagnons ne font pas retenus par une
défenfe exprefîe. Mais comment un ouvrier , dans
une v ille , qui n’a que.fa journée & ne travaillé
j u R pour fon compte, pourroit-il fonger à fe maner
, & à fe charger d une famille ?
On ne croira pas fans doute que par la double
épreuve de Y apprentissage 8c du compagnonage,
les ftatuts aient eu pour but de perfeétionner les
talens. Quel eft le métier qui puiffe exiger un fi
long- temps, pour en acquérir la connoiffance la
plus parfaite? Combien n’y en a-t-il pas d’ailleurs
qui n’exigeroienc zyxcxxnapprentijfage ? S’il peut être
néceiïàire pour les fabriques & pour l’exercice des
arts méchaniques, il n’eft d’aucune utilité dans la
plupart dès profeffions mercantilles ; aulli n’eft-ce
aucun-motif d’intérêt public qui a fait régler le
temps des app rentijf âges. C ’eft l’intérêt particulier
; c’eft l’avidité des maîtres; c’eft l’efprit exclufif
qui a diété ces loix. Combien de maîtres qui s’en-
richiflent du travail des apprentifs & compagnons
réduits à payer les ferviees mêmes qu’ils rendent?
Combien, de pères de familles privés pendant dix
ans des fecours qu’ils' ont droit d’attendre du travail
de leurs Anfans? Ils devroient être 4 a richeffe
du pauvre , & ils le font en effet dans les campagnes.
*L’abus de Y ewp r entijf âge enlève aux artifans
cette précieufe reflource qui eft dans l’ordre de la
nature.
J°. Les frais de Yapprentijfage font devenus
fi confîdérables, que dans les dernières claffes du
peuple, il y a très-peu de pareus quifoient en état
de mettre leurs enfans en métier : ces frais font de
deux fortes ; les premiers confiftent dans le prix du
marché qu’il faut faire avec le maître qui fe charge
d’élever l’apprentif. Ce prix n’a rien de fixe , il
varie félon les communautés, le temps de Y app ren-
$ijfag e ) & la difficulté des métiers. Les maîtres
cherchent tous à gagner fur ces traités , qui de-
vfoient être gratuits, 8c que les réglemens ont livrés
à l’arbitraire. Ils auroient dû au contraire les
obliger à former un certain nombre d’ouvriers,
dont ils euflènt été trop heureux d’obtenir les fer-
vices fans falaires pendant le cours d’une année. Ils
auroient au moins dû établir par une loi générale ,
dans toutes le s communautés, le privilège accordé '
a-1 hôpital de la Trinité; difpenfer les ouvriers des
frais de réception & de maîtrife, à proportion du
nombre d’enfafis dont ils feroient chargés. Au refte
l’état de concurrence difpenfera d’avoir recours à
ces petits moyens , qui ne font que des palliatifs. En
fupprirnant les privilèges, tous les abus difparoiflent ;
la feule loi nécefïàire eft la liberté.
Les autres frais d’apprentîjfage font réglés par
des ftatuts. Il faut d’abord pafler le brevet , par
aéfe devant notaire ; il faut enfuite porter le brevet
au bureau de la communauté , pour y être regiftré
& payer le droit d’enregîftrement. Dans la plupart
des communautés l ’apprentif paie encore en entrant
les droits de c i r e , de chapelle, de confrérie, de
bienvenue , les honoraires des gardes ou jurés ,
du clerc de la communauté, &c. Il eft d’ailleurs
fournis pendant tout le cours de Y apprentîjfage &
du compagnonage , à une impofition annuelle pour ‘
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l’acquit des charges de la Communauté* Toutes ce«
foraines réunies , jointes à celle que le maître exige
par for fait, forment prefque toujours plus de 4 à
5 00 liv. pour lés. moindres métiers , -dans les grandes
villes comme Paris , Lyon , Rouen , &c. L'on
ne compte pas les faux frais & dépenfos accidentelles,
le tranfport du brevet, dans le cas où l ’apprentif
change de maître , qui coûte encore environ
jo liv. ; la taxe fur les garçons & compagnons à
chaque fois qu’ils changent de boutique. I l y a des
corps , tels ,que celui des perruquiers , où ils font
tenus-de payer 1 liv. au bureau à chaque mutation.
Qu el eft l ’ouvrier qui foit en état de faire de
pareilles avances pour chacun de fos enfans ? Il
faut qu’il facrifie fon gain d’une atînée entière ?
pour mettre un enfant en app r entijf âge. î l eft im-
poffible qu’un homme qui n’a que fes bras pour
vivre & fournir au foutien de fa famille , parvienne
en toute, fa vie à épargner 4 à 500 liv. Suppofons
qu’il faflfe effort pour placer un de fes enfans, les
autres demeurerbn!-',oififs; & ce font autant de citoyens
perdus pour la patrie. Les gens riches fe
font un devoir de décharger des pauvres familles ,
en plaçant les enfans en apprentîjfage. C ’eft fans
contredit le plus bel aéte d’humanité & de bienfai-
fance. Mais pourquoi faut-il que de pareils fecours
foient néceflaires ? L ’on s’étonne du nombre des
mendians qui fe multiplient tous les jours; la lo i
s’arme contre les vagabonds & gens fans aveu ; le
gouvernement eft fans celle occupé de réglemens
& de précautions difpendieufos pour réprimer leurs
excès. N e vaudroit-il pas mieux remonter à la fource
du mal? Ne laiflez pas des hommes voués par nature
& par goût, au travail & à l ’action ; ne les
laiflez pas languir pendant leurs premières années
dans une trifte oifiveté, qui devient un befoin par
l’habitude ; offrez-leur, dès l’enfance, des travaux utiles
, ouvrez-leur l’entrée libre & gratuite de tous les
arts & métiers, & n e leur vendez pas chèrement,
avec lapermiflion de travailler, le droit d’apprendre
à. gagner du pain.
On objectera fins doute que ces frais <Yappren~
ûjfa ge ne font payés que par les étrangers ; que
les fils de maîtres en font exempts ; qu’aux termes
de l’ordonnance de 1 6 7 3 , il fuffit qu’ils aient demeuré
chez leur père jufqu’à l’âge de dix-fept ans,
pour être réputés compagnons , fans être alïujettis
aux longueurs & aux formalités de Y app r entijf a ne.
M a is v o i là p n ro rp In fnit-p rln nriullp'rr^ ov/-ln/;C n
plus aifés & les mieux établis que l’on difpenfe des
frais , pour en faire retomber tout le poids fur les
plus pauvres.
Qu entend-on d’ailleurs par ce terme étrangers ?
Les enfans du charron font étrangers dans la communauté
des menuifiers , chacune forme un corps à
part, & elles font tellement multipliées, que les métiers
qui ont le plus d’analogie font étrangers l’un