
toutes de la mauvaife adminiftration ; quelques-unes
aufïï des manoeuvres qui fe pratiquent entre les
chefs , & qu’il eft impoffible d’arrêter ni de prévoir.
Toutes ces dépenfes réunies doivent fe prendre fur
la bourfe commune qui eft formée du produit des
droits ;. mais elle eft prefque toujours épuifée , ce
ui oblige les corps d’établir fur tous les membres
es contributions annuelles , ou des cotifations journalières
de 5 fols par femaine , d’un écu par mois,
de 30 ou 40 liv. par an , félon les ‘befoins de la
communauté.
Ces charges font à proportion les mêmes dans
toutes les villes du royaume. Les corps de métiers
n’y font pas mieux gouvernés ; ils ont la même
forme , la même exiftence , par conféquent les mêmes
vices d’adminiftration, & les mêmes dépenfes.
L e gouvernement a cru devoir s’occuper du foin
d’y introduire la réforme j on a établi des bureaux,
des commi(lions pour la liquidation des dettes des
communautés, & pour la révifion des comptes des
fyndics & jurés. Ce travail a produit des réglemens
particuliers pour chaque corps , qui fixent leurs dépenfes
ordinaires , & les mettent dans l ’impuiffance
de contracter de nouvelles dettes fans autorifation ;
mais les réglemens n’ont pu ftatuer que fur leur
état attuel, -& les réductions qui ont été faites dans
les dépenfes n’ont été que très-légères. Chacune de
ces dépenfes fe trouve néceflaire dans la pofition
préfente, & pour pouvoir, les retrancher , il fau-
droit commencer par en fupprimer la caufe. L ’exécution
d’ailleurs de toutes ces loix particulières eft
fans celle traverfée par- des pratiques Lourdes , qui
les font fouvent fervir de prétexte à de nouvelles
dépenfes. A l’égard des comptes d’adminiftration que
doivent rendre les ju r é s i l eût fans doute été pof-
fible de les tenir en r é g ie , jk l’examen en eût été
fait année par année avec exactitude ; mais il y en
a peut-être aujourd’hui deux ou trois mille en fuf-
pens , dont il n’a été fait aucune vérification. Cette
négligence a rafîuré les comptables ; & de-là, combien
de forcement de recette , de faux articles ou
de doubles emplois L Comment revenir fur ces objets
après 10 ou i z années? Entreprendra-t-on des
pourfuites contre les comptables, dont plufieurs font
morts ? Mettra-t-on le trouble dans toutes les communautés
du royaume 3 par les recours que les
comptables folidaires ne manqueroient pas d’exercer
les uns contre les autres? Ce ferpit donner
naiffance à une foule de procès, & faire bien des
malheureux pour punir quelques coupables. Ne
vaudroit-il pas mieux oublier le paffé, pour s’occuper
efficacement de l’avenir ? Le feul moyen d’arrêter
tant de défordres , c’eft de fupprimer & de
diffoudre tous ces corps & communautés , qui n’ont
dû leur première exiftence qu’à un befoin paffager.,
qui n’ont été foutenus que par le préjugé, & multipliés
que par l’efprit fîfcal ; qui forment à pré-
fent une charge très-onéreufe pour le commerce
& l’induftrie , pour le public, pour les membres
qui les compofent , & n’enrichiflènt que le petit
nombre de ceux qui ont part à leur admmiftratioiw
C h a p i t r e V I I.
D e s procès des communautés«
Les procès des corps de jurande font de deux
fortes j i° . ceux des communautés contre des particuliers
j i ° . ceux des communautés entr’elles.
A l’égard des premiers , les uns font entrepris
contre les ouvriers & marchands fans qualité, qui ,
au mépris du droit exclufif des corps de jurande ,
débitent ou travaillent en fraude. Les autres font
dirigés contre des artifans & fabriquans , qui obtiennent
des privilèges par protection ou par intrigues ,
& s’attribuent privativement à tou s, une branche
particulière de commerce; les communautés oppo-
! fent à ceux-ci les principes de la liberté, & font
: valoir aux yeux des magiftrats & du pu b lic, les
j avantages de la concurrence détruite par les privilèges.
Vis-à-vis des autres , au contraire , elles pré-
fentent les inconvéniens de la liberté , & réclament
l’ exécution du privilège exclufif qui leur eft accordé
par leurs ftatuts & réglemens ; ainfi il n’eft pas rare
de les entendre foutenir en même temps les deux
principes oppofés & contradiCloiies. Ces procès
| finiffent toujours par ruiner les particuliers qui les
effuyent. On eh a cité un exemple frappant dans
le chapitre premier. ^
Les procès des communautés entr’elle s , font
devenus fi nombreux , que l ’on a fouvent propofé
d’ériger des tribunaux particuliers pour en connoî-
tre. Elles font fans ceffe aux prifes pour le maintien
ou la défenfe de leurs, privilèges exclufifs , qui fé
croifent & s’entrechoquent. Ce font autant de puifi-
fances voifines & rivales dont aucun traité n’a pu
régler les limites, & que des ufurpations'réciproques
tiennent en un état de guerre perpétuelle. L a fource
de toutes ces conteftations, c’eft la multiplication
des communautés. On a divifé & fubdivifé le commerce
& l’induftrie en une infinité de corps qui fe
touchent par un point indivis & commun, & tendent
par un effort naturel à fe réunir & à fe confondre.
C’eft un état qui ne fubfifte que par des
contraintes. L a légiflation s’arme en vain de toute
fa puiflance, pour réprimer des fraudes & des contraventions,
qui ne font en effet que le retour de
la raifon à la liberté & à la nature.
Ne paroîtra-t-il pas abfurde qu’une même mar-
chandife paffe par cinq ou fix communautés différentes
, avant d’être propre à notre ufage ? L a matière
première dégroffie par ce lu i-ci, eft remife auffi-tÔc
à un autre, qui fe contente de lui donner une nouvelle
forme , & la tranfmet lui-même à un troifièmé,
qui n’acheve pas encore , ce que le fécond a commencé.
Il faut que l’ouvrier s’arrête à chaque degré
de préparation , & qu’il fe renferme , avec fcrupule,
dans les bornes de fon privilège, qui font Hou vent
déterminées avec fi peu de précifion par les réglemens
, que fans le fçavoir, il fe trouve en contravention.
Une faifie vient fufpendre fes travaux , ?
l’ouvrage eft confifqué, l’aiaiende eft encourue ; il j
feroit encore trop heureux d’en être quitte pour la J
perte de fon temps & de fa marchandife. Sa communauté
s’arme pour le défendre, deux ou trois
autres interviennent; & voilà un procès entrepris. .
InftruCtions, procès-verbaux, requêtes , mémoires,
exceptions & demandes , incident & principal : la
matière eft bien embrouillée, par les miniftres fu-
balternes de la juftice, &-les juges finiffeutpar rendre
arrêt en interprétation d’un réglement, que ni
eux ni les parties intéreffées n’ont entendu.
Il y a des communautés qui font en procès depuis
plus de deux cent ans. Combien de jugemens rendus
entre les mêmes parties & fur le même ob je t, qui
offrent des difpofitions contradictoires ! Les réglemens
font fi obfcurs, & fouvent fi abfurdes , que tout
eft devenu arbitraire. Depuis 1530 , les frippiers
plaident contre les tailleurs d’habits. Il faut qu’il y
ait eu , & ce n’eft pas une exagération , plus de quatre
mille jugemens rendus pour les concilier : avis
de chambrés & bureaux de commerce , ordonnants
des intendansdu commerce, arrêts du confeil, lettres-
patentes , réglemens ; un arrêt avoit fini par les reu-
n ir , un autre arrêt vient de les féparer : ils font tenus
d’opter entre les deux profeffions ; & c’eft encore
un des plus grands abus quj fubfiftent dans l’état
aCtuel des communautés , que la loi qui leur défend
de cumuler deux arts & métiers. Il n eft pas permis
â un même homme de réunir plufieurs profeffions
analogues. Pauffier, corroyeur, tanneur , mégiffier,
boyaudier, parcheminier , pelletier, autant de communautés
différentes. Il en eft de même des ferru-
ariers, cloutiers , m aréchaux, forgerons, taillandiers,
féronniers , crieurs de vieux fe r , &c. I l faut que le
ferrurier achète le clou qu’il emploie, il ne lui eft
pas permis de le fabriquer 5 chaque portion de la
meme branche d’induftrie fe trouve ainfi partagée
entré autant de clafles d’ouvriers qui fe jaloufent
& fe traverfent réciproquement. Les arts en fouf-
fren t, & rien n’eft plus capable d’en arrêter les
progrès, d’en retarder la perfection , & de borner les
profits du commerce.
Ces gênes & ces prohibitions ne font pas en effet
moins onéreufes au public qu’aux marchands & artifans.
Il eft pénible d’être obligé de fe fervir pour le
même ouvrage de fept -ou huit ouvriers différents,
tandis qu’on pourroit employer le fervice d’un feul.
Il n’eft pas moins incommode de multiplier fes cour-
fes & fes frais pour faire des achats en cinq ou fix
boutiques , au lieu de trouver chez le même marchand
un approvifîonnement complet : les achats en
font toujours moindres : l’expérience prouve que
dans les petites villes où les marchés attirent le concours
& où les habitans des campagnes font toutes
leurs emplettes, il n’y a de commerce que dans les
boutiques bien achalandées en tout genre de mar-
chandifes. Les marchands trouvent un grand avantage
à tenir magafin de tout f i e s acheteurs fe laif-
fent tenter & trouvent de leur côté un gain à faire
par le bon marché, qui eft toujours la fuite d’un
grand débit. Ce font ces motifs qui ont fait introduire
dans le commerce la communauté des merciers
, dont le privilège eft fort étendu, & celle des
tapiffiers qui réunit de même plufieurs branches
d’induftrie. Mais le commerce de celle ci eft ref-
treint par des prohibitions qui décruifent l’avantage
que le public pourroit retirer de fon étendue. L e
tapiffier n’a pas le droit de tirer des manufactures
les marchandifes propres à fon commerce; il eft tenu
de prendre chez le marchand les matières dont il
a befoin pour la fabrication de fes meubles, d’où
naît un renchériffement confidérable. Ce tapiffier,
lorfque fon meuble eft fait, eft obligé de le vendre
à proportion du prix que lui ont coûté toutes les
marchandifes dont il eft compofé. S’i l avoit la liberté
de les tirer de la première main, il épargne-
roit le bénéfice que fait fur lui le marchand, chez
lequel il eft obligé de fe fournir, & qui eft au moins
de dix pour cent. I l feroit donc en état de donner
fon meuble à un prix beaucoup moindre, fe contentant
du profit d e là main d’oeuvre. L$mercier ,
au contraire , a droit de tout vendre. Mais toute
efpèce de fabrique & de préparation lui eft interdite.
C ’eft à lui feul qu’appartient le droit d’acheter
directement les marchandifes de la première main ,
& par ce privilège abfurde, il exerce le monopole ,
non-feulement fur le public , mais fur toutes les
autres communautés de marchands & d’artifans ;
de-là des fraudes fans nombre & des procès interminables.
L e corps des merciers eft en conteftation
avec prefque toutes les communautés de Paris.
Bien loin que nos loix aient fongé à réprimer cet
efprit de difeorde, elles le fomentent & l’entretiennent
par des difpofitions expreffes. Le s réglemens
des communautés, font autant de déclarations de
guerre 3 & les procès qu’elles foutiennent fe trouvent
entrer dans l’ordre des devoirs qui leur font
preferits : par les ftatuts donnés aux ferruriers de la
ville de Paris, le fouverain leur fait injonction d’être
exaCts dans leurs pourfuites. Nous entendons que
les ju r é s procèdent bien & fidèlement ainfi q u'ils
ont accoutumé, fu r les maîtres menu ifier s , tap
iffie r s , coffre tie r s , malletiers , vanniers, maréch
aux , cloutiers , éperonniers , arquebufiers, armuriers,
taillandiers ^ &c. On pouvoit s’en repb-
fer fur leur zè le , & épargner à notre légiflation une
fi fingulière méprife.
On évalue à près de 400,000 liv. les frais des
procès dans les feules communautés de la capitale.
J Les mêmes caufes de divifion entre les corps &
métiers fubfiftent dans toutes les autres villes. En
effet, les loix qui ont multiplié les communautés
ayant été générales pour, tout le royaume , les conflits
de privilèges font par-tout les mêmes ; auffi eft-
ce jufques dans les provinces les plus éloignées une
mine inépuifable pour tout ce peuple de praticiens
& de gens de loi qui vivent des fo ttife s d’autrui.
Ces excès ont été pouffes fi loin dans le relfort du
parlement de Rouen, qu’il s’eft déterminé d’en arrêter