
& lès caractères forment une feience qui a fes principes
& fes adeptes. Les uns font de province à
province ; les autres, de ville à ville , & détrui-
lènt fouvent le commerce de Tune & de l’autre
par des prohibitions refpeétives. Les uns font bornés
dans l’enceinte d’un territoire, les autres s’étendent
dans tout le royaume. Les uns s’exercent dans les
villes , les autres dans les campagnes 8t. jufques
fur les chemins , où un homme a le- droit ex c lu - ;
J i f de me voiturer & de me taxer mes frais de i
voyage fie de tranfport. Les uns font communs à :
Îdufîeurs perfonnes ou accordés à des compagnies ;
es autres font dans la main d'un feul. Les uns font
érigés en titre d’office ; les autres ne fubfiftent que
par des conceffions. Les uns font perpétuels & forment
une propriété confiante ; d’autres ne font qu’à
temps fixe , lauf les renouvellemens qui s’obtiennent
ou s’achètent. On jouit des uns par foi-même
on loue les autres ou on les afferme. Il en ep
dont .les citoyens fe rediraient à prix d’argent, qui
ne s’exercent jamais & fe font transformés en taxes
ordinaires. Il en eft qui- leur impofent la loi d’acheter
, d’un t e l , & à tel prix , fans qu’il leur foit permis
de faire même le choix de la marchandife.
Ceux-ci me forcent de laiffer mon terrein inculte
pour enrichir mon voifin privilégié , ou m’inter-
difent telle, forte de culture qui feroit ma richefîè
& celle de mon pays. Ceux-là me défendent feulement
de vendre mes produ&ions dans tel temps,
ou en tel lieu , pour laiffer à un autre l’exercice de
fon droit e x c lu jif. Combien d’autres privilèges qui
attaquent le commerce ou l’induftrie , & qui gênent
les citoyens dans l’exercice de leurs droits naturels
& de propriété ! Sans entrer dans des détails pénibles
& faftidieux, on peut dire , en un feul mot,
qu’en France tout eft privilège , & que par con-
féquent tout le commerce eft en monopole.
. Après avoir détruit par-tout la liberté , on a
érigé la liberté elle-même en privilège. L e gouvernement
a établi ou toléré des lieux privilégiés, où
le commerce & l’induftrie ne font en effet affujettis
à.aucun réglement, ni bornés par l’exercice d’aucun
droit e x c lu jif. Ce n’ eft pas d’après" ces franchîtes
particulières , que l ’on doit juger de l’ordre
général qui régneroit dans la fociété par la lup-
preffion totale des p rivilèges e x c lu j i f s. Quoique
l ’empire du monopole foit moins fenfible dans ces
lieux francs , que pa rtout ailleurs , i l eft facile de
reconnoître qu’ils doivent être plus fouvent encore
la refuge de là fraude & de la licence , que le centre
de la concurrence & de la liberté.
C h a p i t r e I I .
D e s corps des marchands & communautés d'arts
& métiers.
% Le s corps des marchands & communautés
d'arts & métiers font de véritables privilèges ex-
elufifs, d’autant plus funeûes dans leurs effets,
qu’ils font autorifés par la loi. Leur exifteneff
eft appuyée fur des réglemens qui , dans prefque
toutes les villes du royaume , oiit fyndiqué l’induftrie
, érigé les ouvriers en titre, & accordé , moyennant
finance , à un certain nombre d’hommes, le
droit exclufif d’exercer tel a r t , ou de faire tel commerce.
Nous examinerons par la fuite les abus
énormes qui fe font introduits dans ces différent
corps & qui les rendent beaucoup plus nuifibles à
la fociété, que les privilèges fondés fur des conceffions
particulières. Pour nous borner en ce 'moment
à les confidérèr fous le feul afpcél de corps
privilégiés , n’eft-il pas étonnant de voir fubfifter
dans un état civilifé des compagnies qui ont traité
de la liberté des citoyens, qui font en poffeffion
légale de les forcer à employer leurs fervices &
à acheter leurs marchandifes, & q u i, par voies juridiques
, font punir comme fraudes attentatoires à
T o i dre de la fociété , toutes les dérogations com-
mifes à leur droit exclufif ? Leurs ftatuts font entre
leurs mains des titres exécutoires contre le public ,
dont ils fe fervent,, foit pour interdire aux confom-
mateurs la faculté de choifir & de profiter de la
convenance , ou du bon marché qui fe préfente ;
foit pour vexer, faifir , emprifonner 8c faire périr
de faim & de mifère tout ouvrier qui n’eft pas de
leur aggrégation , & qui s’mgéreroit de travailler
mieux qu’eux , ou de vendre à un prix au-deffous
de celui qu’ils ont fixé.
Ce qui rend aveugle fur l’abus du privilège exclufif
accordé aux communautés , c’eft le grand
nombre de raiembres qui les compofent ; T on eft
naturellement porté à croire que cette multiplication
dans chaque corps détruit l’exclufif 8c ramène
la concurrence ; c’eft une illufion qui fe diffipe au
moindre examen.
✓
i° . Dans une communauté, quelque nonibreufè
qu’elle foit , tous s’entendent , tdüs fe réunifient
pour l’intérêt général. Ils ont entr’ eux un taux fixé
de monopole & de furcharge , que chacun fuit
comme la lo i du corps. Celui qui s’en écarte pour
vendre à meilleur marché , eft regardé comme un
traître , d’après les principes de leur probité relative
j il eft puni comme t e l , 8c fournis à une per-
fécurion qui ne finit fouvent que par la perte de
fon état. On ne s’expofe pas impunément aux haines
& à la vengeance d’un corps qui ne meurt point
& ne s’appauè jamais.
a0. L e grand nombre de privilégiés qui paroîc
être une reftriélion au privilège exclufif , eft lui-
même la fource de nouveaux abus. Il y a beaucoup
de métiers dont il feroit à délirer qu’ils fuffent moins
nombreux. U n grand entrepreneur fait plus d’ouvrages
à moins de frais.-Que fes travau'x foient divi-
fés entre plusieurs , ils gagneront moins & feront
obligés de vendre plus cher. Suppofons la pleine
liberté du commerce, il n’y aura jamais dans chaque
profeffion que le nombte néceffaire pour le fervice
du public ; les concurrens ne peuvent s’accroître
que par l’efpoir d’obtenir la préférence , ou le
concours, & c’eft ce qui amène la marchandife &
le, falaire au meilleur marché poffible. Lorfque la
Îraoport-ion eft une fois établie entre les denrées &
es confommateurs , entre le prix & les valeurs, il
n’y a plus de profits à faire , la multiplication des
concurrens s’arrête d’elle-même. C ’eft ce que l’expérience
confirme tous les jours. Dans un bourg
où la concurrence eft libre , il n’y a que.qaatre
boulangers , par exemple, fi la confommation du
lieu n’exige que ce nombre , & leurs profits font à
peu près égaux. Dans une ville où il y a un corps
de boulangers en titre & jurande , ils font vingt ou
trente ; un petit nombre s’enrichit, quelques autres
fe fou tiennent j & le refte languit, ou meurt de faim.
Il faut bien qu’ils cherchent à fe fauver par des
fraudes & des manoeuvres. Ce font ces derniers qui,
dans tous les corps 8c communautés, forment le plus
grand nombre & foutiennent la cherté.
Il eft donc évident que la multiplication des privilégiés
, ne fait que rendre le privilège encore
plus onéreux , les communautés d'arts 8c métiers
ont tous les cara&ères & tous les effets des privilèges
exclufifs. Il y a même cette différence à faiçe,
qu’un privilégié ordinaire eft timide dans l’exercice
de fon d roit, & craint d’exciter des plaintes & des
réclamations ; au lieu que l ’efprit de ces corps autorifés
eft d’être avides , entreprenans & litigieux :
il feroit trop long de rapporter les exemples des
injuftices criantes & des vexations odieufes , qui
s’exercent tous les jours à l’ombre de ces privilèges $
en voici un qui peut donner quelque idée du tort
immenfe que caufe à notre commerce l’exiftence des
corps 8c communautés.
Il y a quelques années que des fabriquants de
Rennes & de Nantes voulurent établir dans ces deux
villes des manufactures d’étoffes de laine , fil &
corpn. Pour teindre leurs matières, ils avoient des
préparations nouvelles de couleurs en bon teint ,
•félon des procédés inconnus aux ouvriers de Bre-.
tagne. Cet établifTement devoit former une nouvelle
branche de commerce d’exportation ; à peine en
avoient-ils jetté les premiers fondements , qu’ils
furent attaqués, par deux communautés. Celle des
fergers leur contefta le droit de fabriquer l ’étoffe :
celle des teinturiers réclama fon privilège exclufif
pour la teinture. En vain leur oppofoient-ils
qu’ils ne prétendoient ni fabriquer ? ni teindre pour
J’ufage & la confommation des habitans de Rennes
& de Nantes $ que le privilège de leurs communautés
ne devoit pas s’étendre au-delà de l’enceinte
voy agéS 8c de fo llicitations , l ’un d’eux * obtint un
arrêt du c on fe il qu i lu i. donnoit la permiffion de
fabriquer & de teindre ; lorfq u e cette g râ c e fut
a c co rd é e , fes métiers avoient été démontés , fon
attelier de teinture d é tru it, 8c fa fortune pre fqu e
renverfée par trois o u qu atre années de fufpenfions.
& d’attente.
de ces villes il fallut commencer par fufpendre les
opérations.des manufactures, laprovifion étoicdùe au
privilège* I l fallut enfuite effuyer de longs procès ,
pendant lefquels ils confommèrent leurs fonds.
Après s’être çpuifé6 ea frais de. procédures, de
* L e fleur Davi de Rennes. L ’Arrêt du confeil
eft du 44 juin 1760. Il a été obtenu fur les
remontrances des états de Bretagne.
U n exemple plus frappant encore , fur-tout dans
les circonftances préfentes, eft celui d’une grande
v ille , capitale d’iine grande province , où lé commerce
des grains eft encore livré à une compagnie
exelufive; la communauté des m'archands dé
grains y jouit feule du droit d’approvifionner la
ville, malgré la loi folemnelle qui a permis à toutes
perfonnes de quelque qualité &• condition qu’ejles
foient, de faire le commerce de toute efpèçg de
grains j la communauté s’eft maintenue dans fon
privilège exclufif ; elle s’eft rendue maîtrefïè dit
prix de la denrée , en écartant la concurrence des
marchands étrangers & nationaux , 8c foutient fon
monopole par deS vifites yvdes faifies , des confif-'
cations 8c des arrêts j auffi efi-efe de toutes les villes
du royaume , celle où la cherté du bled s’éft fait
le plus fentir. .
I l n’y a pas de province , il n’y a pas de ville
qui ne pùt fournir de pareils exemples de commerce
exclufif & de monopole. Il n’y a point de
tribunal dans le .royaume où il n’y ait des côntef-
taçions fubfiftantes entre les communautés ]8c des
particuliers , fous, prétexte d’entreprifes fur leur
commerce. C’eft ainfi que les privilèges exclufifs
dés corps de jurande arrêtent dans tout le royaume
les progrès de l’induftrie ,- détruifent la -concurrence
, ruinent les particuliers , exercent fur le public
un monopole odieux 8c enlèvent à l’état des
branches de commerce utiles. V oilà ce qu’ils ont
de .commun avec les autres privilèges j & ce qui
fuffiroitfans doute pour déterminer le gouvernement
à leur fuppreffion ; mais combien d’autres caufès
particulières qui doivent faire hâter leur deftruc-
tion totale ! On va voir que chacune de ces incorporations
eft un impôt énorme 8c toujours fubfiftant ,
qui fe lève également fur routes les claffes de 1.5 fo->
ciété , qui double toutes les déperifes des conformateurs
, qui abforbe le revenu des riches , & qui
aggrave la misère du pauvre; que ceux mêmes en
faveur defquels les privilèges ont été établis, n’en
fpnt aujourd’hui que les inftruméns & les premières
vi&imes , 8c feroient les plus intérefïes au retour de
la liberté générale.
C h a p i t r e I I I .
D e l'origine & de l'é ta t aeluel des corps de
marchands & communautés d'arts & métiers.
Les corps de marchands & communautés d'a-ts
& métiers, ne font plus aujourd'hui, ce .qu’ils ont
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