
à l’autre. U n père qui a placeurs enfans , ne les
peut placer que dans la .communauté où il eft maître
, dans toutes les autres i l eft étranger , & taxé
en conféquençe à des droits énormes. Si le goût
des enfans. les appelle à d’autres arts, fi leur tem-
péramment ne leur permet pas de prendre le métier
du père , fi la nécèffité de prévenir entre frères les
rivalités & les haines , oblige de varier leurs travau
x, il faut que les parens s’épuifent pour leur
donner un .état, il leur en coûte plus pour \’ ap~
prentijfage d’un f ils , que pour le mariage d’une
fille. N ’eft-il donc pas jufte que les ouvriers fe re^
diment fur le p u b lic , de toutes ces exaéfjons, par
le renCliériflement de leurs falaires ?
U n autre vice de pérégrinité introduit & taxé par
les ftatuts & régie mens, e’ eft celui des ouvriers qui
quittent le lieu de leur naiilance, ou qui ont commencé
leur métier dans une autre ville. U n ferruriçr
qui a fait à Rouen cinq années d’ a p p r e n t i jfa g e&
cinq autres de compagnonage, eft étranger dans
la communauté des ferruriers de Paris ou de Bordeaux.
S’il change de domicile , il perd le fruit de
dix années de travail $ après avoir paffé par la longue
épreuve d’un nouveau compagnonage , il eft
encore àffujetti à des droits triples ou quadruples ;
de manière qu’il eft plus facile à un ouvrier de
tranfporterjfon établiffément en pays étranger, que
d’une ville du royaume dans une autre. Il eft vrai
que par arrêt du confeil, du zç mars 1 7 , on a -
cherché à corriger un fi grand inconvénient, en
établiffant une forte de fraternité entre toutes les
villes où il y a jurande ; mais les, grandes villes,
font exceptées , telles que Paris , L y o n , L i l l e ,
Rouen , &c. , celles par conféquent où la liberté &
Ja communication des arts étoient le plus nécefTai-
res. D ’ailleurs cette loi peu connue dans le reffort
des différens parlemens,, n’a reçu jufqu’ici qu’une
foible exécution.
U apprentijfâge & le campagnonage font peut-
être le plus grand obftaele aux progrès des ans &
du commerce , foit par les pratiques feryiles & dit-,
pendieufes auxquelles ils affujettiffent les ouvriers , :
foit par la longueur du temps pendant lequel ils
le s retiennent privés du fruit de leCTr travail. C ’eft
un rempart élevé contre la liberté en faveur du pri— '
vilége exclufif. Leur inutilité doit paroître évidente ;
elle- eft d’ailleurs reconnue par tous le s . corps &
communautés, puifqu’ils en difpenfent tous les jours,
moyennant finance, ainfî qu’il fera expliqué dans
le chapitre fuivant. C’eft cependant à cet abus que
l ’on doit principalement attribuer les émigrations
fréquentes des ouvriers nationaux, U n artifan qui
fçait fon métier au bout d’un an, & que l’on oblige
dp faire encore cinq à fîx ans d'apprentijfâge ; un
compagnon qui fe voit réduit à pafTer toute fa vie
au ferviee des maîtres & à garder'un célibat fo r c é ,
pafle dans le pays étranger, & va porter fon in-'
cuftria en Hollande, où. la liberté l’appelle. Il y
a peut-être par an' plus de dix mille apprentifs &
fompagnons qui forcent dç France pour fe répaqdre
dans toute l’E u rop e, & qui n’en font. bantvfo
que par la longueur des épreuvés'que notre admi^
niftracion e x ig e , & par la cherté des maîtrifes*
C h a p i t r e V«-
D e la maitrife & des droits de réception*
La lettre de màîtrife eft le titre du privilège*
accordé au marchand & à l ’artifan. C ’eft elle qui.
lui donne le droit exclufif de vendre, de travaillée
pour fon propre compte , & de faire travailler en
fon nom, Le nombre des maîtres eft fixé dans quel-«
ques communautés ; ce qui détruit abfolument la
* concurrence ; dans les autres il eft libre j mais les
difpofitions des ftatuts & réglemens. ne paroiffenc
tendre qu’ à la reftreindre & à empêcher le partage
du privilège exclufif. L ’afpirant à la màîtrife eft
àffujetti 4 des formalités inutiles , & 4 des frais trew
onéreux,
. Les principales formalités font XoffieffiC oeuvre
& la réception.
L a préfentation du chef d’oeuvre dans les arts &
métiers , donne lieu aux plus grands abus , elle en-?
traîne une perte de temps confidérable, & autorife
fouvent des vexations odieufes de la : part des jurés
qui le reçoivent j le moindre inconvénient ju fisp
u fag e, eft d’exiger de l’ afpirant une dépenfe inu-.
tile. On ne peut voir fans pitié dans les anciens
ftatuts des communrutés, donc la plupart ont deux
cens ans de rédaction, les régies prefçrites aux
artifans pour la forme & la fabrication des chefs
d’oeuvres de leur arc. L es réglemens commencent par
fuppofer que l ’induftrie ne peut faire aucuns nouveaux
progrès ! que les maîtres f e fo n t élevés au
point de la p lu s éminente indu f l rie que l'on p eu t
fouha iter dans les fecrets de leur art. ( Art. 5 8 des
ferruriers). C ’eft d’après cette intime conviétion ,
que les chefs d’oeuvres font décrits & déterminés
avec défenfe d’ innover. Cette ^bfurdité des ftatuts
de métiers leur eft commune avec les réglemens
faits pour nos manufactures , qui ont tellement fixé
les apprêts & les façons des ouvrages, qu’un ou*
vrier qui invente une méthode plus fîmple &. plus
parfaite eft en contravention , & fe trouve fournis
de droit aux amendes , aux faifies & aux coufifca-
dons. On ne rifque rien d’abrpger l’ufage des che&
d’oeuvres, qui ne font qu’une occafion de furcharge
par la faculté accordée aux artifans de s’en rédimer
à prix d’argent. 1 •'
L a fécondé formalité eft la réception a la mai-
tr ife j qui dans le plus grand nombre des villes du
royaume , impofe la nécèffité d’une preftation de
ferment ; par-tout l’afpirant doit faire .apparoître
de fa catholicité. Les étrangers d’ailleurs font ex-r
dus par des difpofitions expreffes. N ul ne pourra,
dorénavant être admis à la maitrife , qu i l ne
fo iT originaire François' & né notre f it j e t . ï\ n’y
a prcfque point de ftatuts de métiers qui n’ayene
un ardçîe conçu en ççs termes, T °uç le monde
* feaiï
fçaît la grandeur du facrifice que la France a fait à la religion, par la révocation de l’édit de Nantes.
C’eft à cette époque qu’il faut fixer la décadence de
notre commerce extérieur. A l’egard du fyftême
d’exclufion par rapport aux étrangers , il n’a eu
pour fondement qu’un préjugé ridicule. Les ftatuts
des communautés en indiquent le motif. C’eft pour
empêcher q ue le s é tra n g e r s , p a r leu r s é ta b lif-
f em e n s , ne p u if fe n t ô te r le p r o f i t lég itim e q ue
le s m a ître s d oiv ent fe . prom e ttr e p a r leu r in d u f-
tr ie. Comme fi la France pouvoit regarder comme
étrangers , des hommes qui viennent confacrer à
fon ferviee leurs bras & leurs talens. Il eft étonnant
qu’une pareille loi ait été dictée par ce même
miniftre qui prodiguoit les diftinétions & les ré-
çompenfes, pour attirer en France les artiftes &
les lçavans de toutes les nations.
Il paroît que le gouvernement eft enfin éclairé
fur cetre faune politique. L’édit concernant les arts
& métiers du mois de mars 1767 , & les différens
arrêts du confeil qui l’ont fuivi, ouvrent l’entrée
libre des corps & métiers aux étrangers , & leur
procurent tous les moyens de s 'é ta b l ir & de f e
f i x e r d a n s le ro y a um e , p a r une f o r t e de n a tu -
r a l i fa t io n g én é ra le de V in d u ftr ie. Tel eft le fruit
des progrès fenfibles que commencent à faire les
vrais principes économiques : la lumière fe répand
de toutes parts, & le voeu de la nation entière fera
bientôt pour la liberté générale du commerce &
de l’induftrie, dont le premier effet doit être d’abroger
les formalités qui avoient-rendu jufqu’ici
les communautés inacceffibles aux étrangers.
Le fécond effet de la liberté fera de fupprimer
les frais de la m a itr ife . Ce font ces frais multipliés
qui interdifent à tant d’ouvriers nationaux l’entrée
des communautés , & les réduifent à la trifte^
nécèffité de pafTer leur vie dans le compagnonage.
Si l’on pouvoit encore douter du préjudice que
caufe à notre commerce le privilège exclufif des
communautés, il fuffiroit de jetter les yeux fur cette
foule de compagnons', qui forme un fécond ordre
d’artifans dans les corps' & métiers; combien le
public ne gagneroit-il pas à les faire entrer en
concurrence avec les maîtres? N’eft - ce pas d’ailleurs
une injuftice , que de les condamner à
enrichir par leurs travaux un petit nombre d’ouvriers
qui n’ont fur eux d’autre avantage , què celui
d’avoir été en état d’acheter la m à îtr ife .?
Les ftatuts & réglemens ont établi entre les a£-
pirans de grandes diftin&ions ; ils ont attribué des
exemptions & des faveurs aux fils de maîtres, &
parmi ceux-ci, il y a encore différens degrés. Fils
de juré, fils d’anciens maîtres , fils de moderne ,
fils de. maître né avant la m à îtr ife du père , fils
de maître né après la m à îtr ife ; les droits font plus
ou moins forts félon les qualités.
Il y a de même des diftinétions entre les apprentifs,
Apprentif gendre de maître , apprentifqui
epoüfe une veuveapprentif compagnon, apprentif
ayant fait, fon temps , apprentif chef-d’oeuvrier,
Commerce. T om e I I . P f lr t . I I .
ou fans chef-d’oeuvre. I l n’y a pas une feule de ces
préférences graduées, qui n’ait les plus grands in-
convéniens ; elles tendent toutes à augmenter les
droits en faveur de la communauté. Pourquoi cette
diftin&ion, par exemple, entre les fils d’anciens &
de modernes ? C ’eft que dans la plupart des corps ,
ce grade d’ancien s’achete, & fouvent même affez
cher. Il en, coûte n 00 liv. dans la communauté des
pâtifliers de la ville de Paris, pour avoir le droit
de prendre cette qualité d’ancien. I l n’y eût pas eu
beaucoup d’acquéreurs, fi les réglemens n’y euffent
attaché des privilèges.
M a is , ce qu’i l eft important de remarquer, c’eft
l’ufage autorifé par les réglemens, de difoenfer un
apprentif' du temps réglé par la l o i , de 1 exempter
du compagnonage & du chef- d’oeuvre , félon les
fommes qu’il eft en état de payer à la communauté :
de deux chofes l’une ; ou toutes ces formalités font
inutiles, & alors il faut les fupprimer , ©u elles font
néceffaires, & dans ce cas on ne doit pas en. vendre
l’exemption.
L a plupart des communautés, depuis cinquante ans,
ont augmenté de moitié les frais de m à îtr ife, & il
faut avouer qu elles ont eu befoin de ce fecours ,
pour acquitter les charges dont elles fe trouvent
accablées par une fuite de leur mauvaife adminiftra-
tion & de leurs emprunts. Elles ont obtenu d’ailleurs
des arrêts du confeil qui leur ont permis de
recevoir un certain nombre de maîtres fans qualité,
c’eft-à-dire , qui n’ont point fait d’apprentiflage , &
ne s’affujeteiffent à aucune des formalités prefcrices
par les réglemens. L a maitrife coûte alors le quadruple
, & fouvent dix fois plus ; elle eft même
prefque toujours arbitraire ; ce font les communautés
qui taxent les afpirans , dont elles tirent des
fommes très-fortes. Ces réceptions de maîtres fans
qualité font devenues très-fréquentes, & on nes’ap-
perçoit pas qu’elles caufent le moindre préjudice au
commerce & à l’induftrie. C’eft ainfî que l’expérience
a diffipe les préjugés ; mais le monopole fub-
fîfte, & rien n’eft plus propre à démontrer l ’abus
des communautés d’arts & métiers ; l’admiïfion à la
màîtrife n’eft plus qu’une affaire de finance. Le s
communautés follicitent fans ceiïe , fous prétexte de
nouveaux engagemens & de nouvelles charges , une
augmentation furie s droits, qui font exorbitans. I l
feroit difficile d’en préfenter une énumération exaéfe,
.encore-moins une évaluation fixe. L a lettre de maî-
t r ife , l’enregiftrement de la lettre au greffe, le
droit ro y a l, le droit de réception Irpolice, le
droit pour l’ouverture de boutique , les honoraires
du doyen , de chacun des jurés , des maîtres anciens
& des modernes, qui font appelles à la réception ,
de l’huiffier, du cleic de la communauté , &c. Pour
donner une idée de ces frais qui forment une taxe
énorme fur l’ induftrie , il fuffit de dire qu’il en coûte
zoo liv. à une fille pour être reçue maîtreiïe bouquetière
de Paris. L a réception d e là màîtrife coûte
de même zoo liv. dans la communauté des maîtres
jardiniers,- fans compter les faux frais.